Précis de Patrologie
Par Joseph Tixeront
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Précis de Patrologie - Joseph Tixeront
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Auteur Joseph Tixeront.
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Précis
de
Patrologie
Joseph Tixeront
1918
♦ ♦ ♦
ThéoT
E
X
theotex.org
– 2020 –
Table des matières
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Avant-Propos
Introduction
1. Notions préliminaires. Objet de cet ouvrage.
2. Principaux travaux sur la patrologie et l'histoire de l'ancienne littérature chrétienne.
3. Principales collections patrologiques.
I. Les Pères des trois premiers siècles
1. Les Pères apostoliques.
1.1 — Saint Clément.
1.2 — Saint Ignace.
1.3 — Saint Polycarpe et les Actes de son martyre.
1.4 — Le Pseudo-Barnabé.
1.5 — La Doctrine des douze apôtres.
1.6 — L'homélie appelée Deuxième épître de saint Clément.
1.7 — Hermas.
1.8 — Papias et les presbytres.
1.9 — Le symbole des apôtres.
2. Les apologistes du deuxième siècle.
2.1 — Aperçu général.
2.2 — Apologies perdues. Aristide.
2.3 — Saint Justin.
2.4 — Tatien.
2.5 — Athénagore.
2.6 — Théophile d'Antioche.
2.7 — L'Épître à Diognète.
2.8 — Minucius Felix.
3. La littérature hérétique et apocryphe au deuxième siècle
3.1 — La littérature judéo-chrétienne.
3.2 — La littérature gnostique.
3.3 — La littérature montaniste.
3.4 — La littérature apocryphe. Apocryphes chrétiens de l'Ancien Testament.
3.5 — Apocryphes du Nouveau Testament. Les évangiles.
3.6 — Actes apocryphes des apôtres.
3.7 — Épîtres apocryphes.
3.8 — Apocalypses apocryphes.
4. Les adversaires de l'hérésie au deuxième siècle
4.1 — Écrivains antignostiques. Hégésippe.
4.2 — Saint Irénée.
4.3 — Écrivains antimontanistes et autres.
5. Les écrivains orientaux du troisième siècle
5.1 — Alexandrins et Égyptiens. Clément.
5.2 — Origène.
5.3 — Denys d'Alexandrie et auteurs moins importants.
5.4 — Syriens et Palestiniens. Jules Africain ; Pamphile ; auteurs moins importants.
5.5 — Écrits anonymes et disciplinaires.
5.6 — Ecrivains d'Asie Mineure. Saint Grégoire le Thaumaturge, Methodius.
6. Les écrivains occidentaux du troisième siècle
6.1 — Écrivains d'Afrique. Tertullien.
6.2 — Saint Cyprien.
6.3 — Commodien et anonymes contemporains.
6.4 — Arnobe et Lactance.
6.5 — Les écrivains de Rome. Saint Hippolyte.
6.6 — Novatien et les papes du troisième siècle.
6.7 — Écrivains de Gaule et de Pannonie. Victorin de Pettau.
Appendice : les Actes des martyrs
II. Apogée de la littérature patristique
7. La littérature grecque hétérodoxe
7.1 — Les ariens.
7.2 — Apollinaire et ses disciples.
7.3 — Nestorius et les nestoriens.
8. Les écrivains d'Alexandrie et de l'Égypte
8.1 — Saint Athanase.
8.2 — Didyme.
8.3 — Saint Cyrille d'Alexandrie.
8.4 — Auteurs moins importants. Évêques et moines.
9. Les écrivains de l'Asie Mineure et de la Thrace
9.1 — Saint Basile.
9.2 — Saint Grégoire de Nazianze.
9.3 — Saint Grégoire de Nysse.
9.4 — Amphiloque.
9.5 — Historiens et hagiographes.
9.6 — Auteurs moins importants.
10. Les écrivains d'Antioche et de la Syrie
10.1 — Eusèbe de Césarée.
10.2 — Saint Cyrille de Jérusalem.
10.3 — Saint Épiphane
10.4 — Diodore de Tarse et Théodore de Mopsueste.
10.5 — Saint Jean Chrysostome.
10.6 — Théodoret et le groupe des Orientaux.
10.7 — Auteurs moins importants.
10.8 — les Constitutions apostoliques et autres écrits disciplinaires.
11. Les écrivains de langue syriaque
11.1 — Aphraate et saint Éphrem.
11.2 — Auteurs moins importants.
12. Les écrivains de l'Occident
12.1 — Écrivains hétérodoxes.
12.2 — Saint Hilaire.
12.3 — Autres adversaires de l'arianisme.
12.4 — Les adversaires du novatianisme, du donatisme et du priscillianisme.
12.5 — Saint Ambroise et les évêques de la fin du ive siècle.
12.6 — Historiens et chronographes. Rufin, Sulpice Sévère.
12.7 — Les poètes. Prudence, saint Paulin de Nole.
12.8 — Saint Jérôme.
12.9 — Saint Augustin.
12.10 — Les disciples et amis de saint Augustin. Saint Prosper.
12.11 — Les écrivains du sud de la Gaule. Cassien.
12.12 — Saint Léon et les écrivains d'Italie de 400 à 461.
IIII. Décadence et fin de la littérature patristique
13. Les Grecs
13.1 — Écrivains hétérodoxes. Sévère d'Antioche.
13.2 — Le Pseudo-Denys l'Aréopagite.
13.3 — Les adversaires du monophysisme. Léonce de Byzance.
13.4 — Les adversaires du monothélisme. Saint Maxime le Confesseur.
13.5 — Exégètes et orateurs.
13.6 — Historiens et hagiographes. Evagrius.
13.7 — Auteurs ascétiques et canonistes. Saint Jean Climaque.
13.8 — Poètes.
13.9 — Les défenseurs des saintes images. Saint Jean Damascène.
14. Écrivains syriens et arméniens
14.1 — Syriens.
14. — Arméniens.
15. Les Latins
15.1 — Gallo-romains et gallo-francs. Théologiens, homélistes et moralistes. Saint Césaire d'Arles.
15.2 — Historiens et hagiographes. Grégoire de Tours.
15.3 — Poètes. Saint Sidoine Apollinaire.
15.4 — Écrivains d'Afrique. Théologiens, exégètes, canonistes. Saint Fulgence.
15.5 — Historiens et poètes. Victor de Vita.
15.6 — Écrivains d'Italie. Auteurs moins importants.
15.7 — Boèce et Cassiodore.
15.8 — Saint Grégoire le Grand.
15.9 — Écrivains d'Espagne. Saint Isidore de Séville.
◊ Avant-Propos
Ce livre est, en partie, le fruit des loisirs que la guerre m'a donnés, et il est aussi, à sa façon, un livre de guerre.
Si l'on excepte, en effet, les deux volumes de Mgr Batiffol et de M. Rubens Duval sur « La littérature grecque » et « La littérature syriaque » dans la Bibliothèque de l'enseignement de l'histoire ecclésiastique, nous n'avons pas, en français, de manuels récents de Patrologie autres que des ouvrages traduits de l'allemand les Pères de l'Église traduits de Bardenhewer et les Éléments de Patrologie traduits de Rauschen. Le premier, en trois volumes in-8o est excellent, mais un peu considérable et un peu cher pour le commun des lecteurs ; le second a dû pratiquement être abandonné comme livre d'enseignement : tous deux ont le tort d'être des traductions. Il a donc paru à quelques personnes que, en ce moment, il y avait place, en cette matière, pour un livre français de dimension réduite qui ne présenterait pas les inconvénients des deux autres, et elles m'ont pressé de l'écrire, en ajoutant que ce serait à mon Histoire des dogmes un complément utile. J'ai cédé à leurs conseils et présente ici au public le résultat de mon travail.
Quelques mots sur la façon dont je l'ai conçu et le but que je m'y suis proposé.
Mon intention n'a pas été de composer un gros ouvrage d'érudition. Des ouvrages de ce genre existent déjà chez nous ou ailleurs, et les spécialistes sauront bien les trouver. Les lecteurs que j'ai eus en vue sont d'abord les séminaristes et les prêtres, pour qui la connaissance des Pères de l'Église est un complément de leur science théologique et historique ; puis les laïques qui désirent joindre à leurs études des littératures profanes une étude au moins sommaire de l'ancienne littérature chrétienne, et aussi cette armée de jeunes candidats et candidates aux brevets d'instruction religieuse qui doivent, d'après leurs programmes, posséder sur ce sujet des notions élémentaires sans doute, mais exactes et précises. Or ces diverses catégories de lecteurs et de lectrices n'ont que faire d'une liste complète des auteurs chrétiens qui ont tenu une plume dans l'antiquité, et d'un bilan de leurs œuvres qui en relèverait les moindres parcelles. Ils veulent plutôt être renseignés sur les écrivains principaux dont l'autorité est universelle, qui ont vécu dans notre pays ou dont ils ont rencontré les noms dans leurs lectures, savoir ce qu'ont été ces hommes, par quels ouvrages surtout ils sont devenus célèbres, ce que ces ouvrages contiennent en gros, quelles études dans notre langue ils pourraient consulter avec intérêt sur ces matières, etc. Un exposé des discussions critiques et des hypothèses nouvelles serait pour eux inutile, parce que souvent hors de leur portée et indifférent au but qu'ils poursuivent, qui est de se mettre au courant des résultats acquis et certains.
D'après ces considérations, je n'ai pas craint de m'étendre un peu longuement sur les auteurs de premier ordre, de donner une appréciation de leur caractère, de leur talent, de leur style — la seule chose que retiennent beaucoup de lecteurs, — de mentionner au complet ou à peu près leurs écrits et d'ébaucher des principaux de ces écrits une courte analyse. Quant aux auteurs secondaires, j'en ai traité plus brièvement, et un grand nombre de troisième ordre n'ont reçu qu'une simple mention. Encore trouvera-t-on probablement que, pour ces derniers, j'ai été trop large et qu'il eût mieux valu en passer beaucoup entièrement sous silence. Mais « abondance de biens ne nuit pas », et il ne tiendra qu'au lecteur de négliger ce qui lui est inutile.
C'est d'après ces mêmes considérations que j'ai traduit autant que possible en français les titres grecs et latins des ouvrages mentionnés, que j'ai signalé, quand il en existe, les traductions françaises de ces ouvrages, que, dans les études et travaux à consulter, j'ai indiqué avant tout les travaux français et d'une lecture plus facile, que j'ai écarté les articles de revue en langue étrangère dont mes lecteurs ne sauraient pratiquement profiter. Tout cela était nécessaire pour alléger le volume et l'adapter à son but.
La division en trois périodes — période des trois premiers siècles, périodes d'apogée et de décadence — est classique et s'imposait d'elle-même ; on en peut dire autant de la division en chapitres. Si nous descendons aux sous-divisions, il eût fallu, pour garder une marche absolument logique, les multiplier beaucoup et partager, par exemple, les chapitres en articles, les articles en paragraphes et ceux-ci encore en numéros. C'est ce qu'a fait Bardenhewer et ce que l'on fait souvent dans les manuels techniques d'enseignement. Pour ce Précis, ce morcellement m'a paru excessif et capable plutôt d'embrouiller le lecteur. Mais celui-ci pourra d'ailleurs démêler aisément l'ordre que j'ai suivi et réduire, s'il le veut, en un tableau synoptique toute l'histoire de la littérature patristique : il lui suffira pour cela d'un peu d'attention. Quant au principe adopté pour grouper les auteurs, il varie suivant les périodes. C'est tantôt le caractère de leurs ouvrages, tantôt leur ordre chronologique ou leur distribution géographique qui m'a guidé. Aucune règle absolue ne pouvait convenir ici.
Puisse ce modeste travail contribuer à faire connaître mieux ceux qui furent, aux origines de l'Église, les Pères de notre foi, et les chefs-d'œuvre que leur zèle et leur génie nous ont laissés.
Lyon, le 11 février 1918.
Principales abréviations
P. G. = Patrologiae cursus completus… accurante J.-P. Migne, séries graeca (Paris, 1857-1866).
P. L. = Patrologiae cursus completus… accurante J.-P. Migne, séries latina (Paris, 1844-1855).
C. S. E. L. = Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum (Vindobonae, 1866 et suiv.).
Christ. Schriftst. = Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten drei Jahrhunderte (Leipzig, 1897 et suiv.).
T. U. = Texte und Untersuchungen sur Geschichte der altchristlichen Literatur (Leipzig, 1882 et suiv.).
D. C. B. = A Dictionary of Christian Biography, edited by W. Smith and H. Wace (London, 1877-1887).
◊ INTRODUCTION
◊ 1. Notions préliminaires. Objet de cet ouvrage.
On entend par littérature chrétienne l'ensemble des écrits composés par des chrétiens sur des sujets chrétiens. Par cette définition se trouvent exclus les ouvrages profanes composés par des chrétiens, comme le sont de nos jours une foule de livres de science positive ou d'histoire, aussi bien que les ouvrages des non-chrétiens portant sur des sujets chrétiens : le Discours véritable de Celse par exemple.
La littérature chrétienne ancienne est celle des premiers siècles chrétiens, de l'antiquité chrétienne. On s'accorde généralement à fixer la fin de cette antiquité, pour l'Église grecque, à la mort de saint Jean Damascène (vers 749) et, pour l'Église latine, à celle de saint Grégoire le Grand (604) ou mieux de saint Isidore de Séville (636), moment où des éléments nouveaux, empruntés au monde barbare, viennent modifier sensiblement la pureté du génie latin.
Ainsi entendue, l'ancienne littérature chrétienne embrasse et les écrits du Nouveau Testament — écrits essentiellement chrétiens, œuvres de chrétiens, — et les écrits des hérétiques que l'on peut encore appeler chrétiens. C'est ainsi que l'ont comprise et qu'en ont traité M. Harnack dans son Histoire de l'ancienne littérature chrétienne jusqu'à Eusèbe, et Mgr Batiffol dans sa Littérature grecque.
D'autres auteurs — et c'est le plus grand nombre jusqu'ici parmi les catholiques — ont exclu de leurs histoires non seulement les livres du Nouveau Testament, objets d'études indépendantes, mais aussi les écrits des hérétiques notoires, condamnés par l'Église. Ils ont eu tendance ainsi à réduire l'histoire de l'ancienne littérature chrétienne à l'histoire des écrits des Pères de l'Église, à une Patrologie.
Le nom de Père de l'Église, qui a son origine dans le nom de Père, donné dès le deuxième siècle aux évêquesa, est devenu courant au ve siècle pour désigner les anciens écrivains ecclésiastiques — ordinairement des évêques — morts dans la foi et la communion de l'Église. Il ne convient toutefois strictement, d'après les théologiens modernes, qu'aux écrivains qui réunissent les quatre conditions suivantes : orthodoxie doctrinale, sainteté de la vie, approbation de l'Église, ancienneté. Mais pratiquement, on l'étend à bien des auteurs qui ne réalisent pas, intégralement du moins, les trois premières conditions. Personne, par exemple, ne songe à éliminer de la liste des Pères Tertullien, Origène, Eusèbe de Césarée, Fauste de Riez et beaucoup d'autres. Les erreurs qu'on leur reproche n'ont pas tellement contaminé leurs ouvrages qu'ils soient plus dangereux qu'utiles, et que le bien ne s'y montre supérieur au mal. C'est à eux, en tout cas, que convient éminemment le titre d'écrivains ecclésiastiques.
[Pour être Docteur de l'Église l'antiquité n'est pas requise, mais, outre les trois autres qualités demandées pour les Pères, il faut une science éminente et une déclaration spéciale de l'autorité ecclésiastique. L'Église latine reconnaît particulièrement quatre grands docteurs : saint Ambroise, saint Jérôme, saint Augustin et saint Grégoire ; l'Église grecque admet trois grands docteurs œcuméniques : saint Basile, saint Grégoire de Nazianze et saint Jean Chrysostome.]
Quelle que soit l'étendue que l'on donne au nom de Père de l'Église, la Patrologie est l'exposé de la vie et des œuvres de ceux que l'on désigne par ce nom. Elle reste donc, en définitive, une partie de l'Histoire de l'ancienne littérature chrétienne, puisqu'elle laisse en dehors de ses recherches et les écrits canoniques du Nouveau Testament, et les écrits formellement et foncièrement hétérodoxes. On comprend cependant que, sur ce dernier point, il existe pour les auteurs de patrologie une certaine tolérance. Comme la connaissance des œuvres des hérétiques est souvent nécessaire pour comprendre les réfutations qu'y ont opposées les Pères, la plupart de ces auteurs n'hésitent pas à en mentionner et à en faire connaître les principales. C'est ce que nous ferons ici nous-même. Nous ne dirons rien des écrits du Nouveau Testament ; mais nous signalerons, en partie du moins et brièvement, les livres hétérodoxes qui ont eu cours dans l'antiquité.
Une question seulement se pose ici : la Patrologie, outre l'histoire de la vie et des œuvres des Pères, doit-elle comprendre un exposé de leur doctrine ; doit-elle fournir les éléments d'une théologie patristique ?
Théoriquement, on l'affirme ; en fait, la chose est difficile à réaliser. Une patrologie qui voudrait exposer, même succinctement, l'enseignement de chaque Père sur toute la doctrine chrétienne devrait être très étendue et se répéter sans cesse. Que si elle négligeait ce que cet enseignement a de commun avec celui des autres Pères, et se bornait à signaler ce qu'il offre d'original et de singulier, elle risquerait fort de donner de l'auteur une impression fausse et de n'en présenter que des vues incomplètes. Aussi pensons-nous qu'il vaut mieux résolument séparer la Patrologie de la Patristique et traiter de la doctrine des Pères dans l'Histoire des dogmes. Les deux sciences ne peuvent que gagner à être ainsi étudiées chacune pour soi. Tout au plus la Patrologie peut-elle indiquer, pour certains Pères, les doctrines qu'ils ont le plus mises en relief.
[Ce défaut de laisser une impression fausse est arrivé à Nirschl, Fessler, Rauschen et même à Bardenhewer. L'idée de Nirschl de citer, à la suite de la notice sur chaque Père, quelques-uns de ses textes les plus importants, a été reprise et scientifiquement réalisée par J.
Rouet de Journel
, Enchiridion patristicum, 3e édit., Friburgi Brisgoviae. 1920. Cet ouvrage suppléera abondamment à ce que nous ne disons pas ici.]
◊ 2. Principaux travaux sur la patrologie et l'histoire de l'ancienne littérature chrétienne.
L'histoire de l'ancienne littérature chrétienne n'étant qu'une partie de l'histoire générale de l'Église, tous les historiens de l'Église anciens et modernes ont touché plus ou moins à ce sujet.
Pour l'antiquité toutefois, la source principale est Eusèbe. Bien qu'Eusèbe n'ait point rédigé d'ouvrage spécial sur les auteurs chrétiens qui l'ont précédé, son Histoire contient sur eux et sur leurs écrits une foule de notices d'autant plus précieuses que beaucoup de ces écrits ont disparu et ne sont connus que par lui.
Saint Jérôme, le premier, à la prière du laïque Dexter, composa, en 392, un catalogue développé des anciens écrivains chrétiens et de leurs œuvres. C'est le De viris illustribus, qui comprend 135 notices. Il doit beaucoup à Eusèbe et, dans la partie propre à saint Jérôme, offre bien des lacunes et des erreurs. Mais il a le mérite d'être venu le premier, et d'avoir amorcé les travaux qui suivirent.
Le catalogue de saint Jérôme, en effet, fut continué sous le même titre par Gennadius de Marseille, qui le conduisit jusque vers la fin du ve siècle. Gennadius a ajouté 97 ou 98 notices, dont quelques-unes peut-être ont été interpolées.
Et enfin l'œuvre de Gennadius fut continuée à son tour, et toujours sans changement de titre, d'abord par saint Isidore de Séville († 636), puis par saint Ildefonse de Tolède († 667).
En Orient, il faut nommer le patriarche Photius († 891), dont la Bibliothèque contient 279 notices d'auteurs ou d'ouvrages lus par lui, et qu'il est parfois seul à nous faire connaître.
Le moyen âge n'a pas négligé l'histoire littéraire chrétienne. Entre tous, signalons le précieux Catalogue d'Ebedjésus, métropolitain de Nisibe, écrit en 1298 (édité dans Assemani, Bibliotheca orientalis, III, 1) et le savant ouvrage de l'abbé Jean Trithemius, De scriptoribus ecclesiasticis, écrit en 1494. Cependant, comme ce dernier livre s'occupe surtout des écrivains postérieurs à l'époque patristique, nous pouvons le négliger ici.
Du xviie et du xviiie siècle, outre les Mémoires de Tillemont, toujours à consulter, les histoires de l'ancienne littérature chrétienne le plus souvent citées sont celles de W. Cave, Scriptorum ecclesiasticorum historia litteraria, Londres, 1688, complétée par H. Wharton en 1689, édit. d'Oxford, 1740-1743 ; de Fabricius, Bibliotheca graeca, seu notitia scriptorum veterum graecorum, 1705-1728, rééditée par J. Chr. Harlez, Hambourg, 1790-1809 ; de L. Ellies du Pin, Nouvelle bibliothèque des auteurs ecclésiastiques, Paris, 1686-1714 (à l'index) ; du bénédictin D. R. Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, Paris, 1729-1763 ; réédition en 1858-1869.
Le xixe et le xxe siècle ont été féconds en travaux plus ou moins développés sur notre sujet. Pour ne citer que les principaux et les plus récents, toute la période des six ou sept premiers siècles a été traitée dans les ouvrages catholiques de J. Nirschl, Lehrbuch der Patrologie und Patristik, Mainz, 1881-1885, 3 vol. ; Fessler-Jungmann, lnstitutiones patr ologiae, Œniponti, 1890-1896, 2 vol. (excellent, surtout pour les Pères latins de basse époque, du v au viie siècle) ; O. Bardenhewer, Patrologie, 3e édit., Fribourg-en-Br., 1910, un vol. ; traduction française par MM. Godet et Verschaffel, Les Pères de l'Église, Paris, 1905, 3 vol. ; H. Kihn, Patrologie, Paderborn, 1904-1903, 2 vol. ; G. Rauschen, Grundriss der Patrologie, 3e édit., 1903 ; traduct. franc, par E. Ricard, Éléments de Patrologie et d'Histoire des dogmes, 2e édit., Paris, 1911, un vol. ; et dans l'ouvrage protestant (moins utile) de H. Jordan, Geschichte der altchristlichen Literatur, Leipzig, 1911, un vol. — D'autres œuvres également, ou même plus importantes, n'ont embrassé qu'une partie du sujet : A. Harnack, Geschichte der altchristlichen Literatur bis Eusebius, 2 parties en 3 vol., Leipzig, 1893-1904 ; G. Krueger, Geschichte der altchristlichen Literatur in den ersten drei Jahrhunderten, Fribourg-en-Br., 1895, supplément en 1897 : A. Ehrhard, dans K. Krumbacher, Geschichte der byzantinischen Literatur, 2e éd., Munich, 1897 ; O. Staehlin, dans W. von Christ, Griechische Literaturgeschichte, 5e édit., Munich, 1914 ; A. Ebert, Allgemeine Geschichte der Literatur des Mittelalters im Abendlande, 2e édit., 1889 ; trad. franc, par Aymeric et Condamin, 3 vol., Paris, 1883 ; P. Batiffol, Anciennes littératures chrétiennes : La littérature grecque, 4e édit., Paris, 1905 ; R. Duval, Anc. litt. chrét. : La littérature syriaque, 3e éd., Paris, 1907 ; P. Monceaux, Histoire littéraire de l'Afrique chrétienne, 5 vol. parus, Paris, 1901-1920 ; P. de Labriolle, Hist. de la littér. latine chrét., Paris, 1920.
C'est à quelques-uns de ces ouvrages qu'il se faut adresser dès que l'on veut entreprendre sur les Pères ou anciens écrivains ecclésiastiques une étude un peu complète. Le présent volume n'est qu'un manuel modeste qui fournira des indications précises, mais forcément restreintes.
a – Cf. Martyrium Polycarpi,
xii
, 2 : (Πολύκαρπος) ὁ πατὴρ τῶν χριστιανῶν, Polycarpe le père des chrétiens.
◊ 3. Principales collections patrologiques.
On peut distinguer, dans le travail d'édition des Pères et écrivains ecclésiastiques, comme trois moments successifs. Un premier moment qui est celui des éditions princeps par les érudits du xvie siècle, les Estienne, Froben, Erasme, etc. Plusieurs de ces éditions, devenues rares, ont acquis la valeur des manuscrits qu'elles ont reproduits, et qui depuis se sont perdus. Un second moment est celui des éditions des xviie et xviiie siècles par les bénédictins de Saint-Maur, les jésuites, les oratoriens, etc. Ce sont les plus souvent citées. Enfin, depuis une trentaine d'années, de nouvelles découvertes et de nouvelles facilités pour consulter les manuscrits ont provoqué un nouveau travail d'éditions. On en verra ci-dessous les résultats.
La première grande collection qui ait été faite des anciens écrivains ecclésiastiques est celle de Marguerin de la Bigne, chanoine de Bayeux († 1589). Sa Bibliotheca sanctorum Patrum, en neuf volumes infolio (Paris, 1575-1579), contenait le texte de plus de 200 auteurs de l'antiquité et du moyen âge. Cette œuvre qui, en se développant, devint la Maxima Bibliotheca veterum Patrum de Lyon, en 27 volumes in-folio (1677), fut complétée, corrigée ou même supplantée par les collections analogues de Fr. Combéfis, O. P. († 1679), en 1648 et 1672 ; de J. B. Cotelier († 1686), en 1677-1686 ; de Bernard de Montfaucon († 1741), en 1706, et surtout de l'oratorien Andr. Gallandi († 1779), en 1765-1781 et 1788. La collection toutefois qui les a pratiquement toutes remplacées est celle de J.-P. Migne, Patrologiae cursus completus. Elle comprend deux séries : la série des Pères latins, qui va des origines à Innocent III (1216) et compte 217 volumes (Paris, 1844-1855) ; la série des Pères grecs, qui va jusqu'au concile de Florence (1439) et compte 162 volumes (Paris, 1857-1866)a. Que dans une œuvre aussi colossale il y ait des points faibles et des parties à refaire ; qu'on y trouve çà et là quelques lacunes, et aussi quelques répétitions ou hors-d'œuvre, on n'en saurait être surpris. L'ensemble n'en reste pas moins fort remarquable. Venant après Mai, Routh, et conseillé par Pitra, Migne profitait des travaux et des connaissances de ces grands érudits. Le choix qu'il a fait des éditions anciennes à reproduire est presque toujours excellent : il les a améliorées encore par les dissertations et études de date plus récente qu'il y a jointes. Sa collection est à peu près complète, d'un format commode, d'un prix relativement modéré ; la langue latine, partout adoptée pour les traductions et les notes, en favorise l'emploi universel. Malgré les critiques dont elles ont été l'objet, les Patrologies de Migne se sont imposées et s'imposeront encore longtemps comme ouvrage fondamental.
Depuis Migne cependant, trois grandes collections ont été publiées ou sont en cours de publication pour améliorer et compléter son œuvre.
D'abord les Monumenta Germaniae historica, Auctores antiquissimi, Berolini, 1877-1898, 13 vol. in-4o. Puis, Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum, editum cons. et impens. Academiae litterarum Caesareae Vindobonensis, Vindobonae, 1866 et suiv. Éditions très soignées, bien que de valeur inégale ; format in-8o commode ; tout est en latin. La publication se poursuit sans ordre chronologique. Enfin, Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten drei Jahrhunderte, publiés par l'Académie de Berlin, Leipzig, 1897 et suiv. ; une trentaine de vol. parus. Editions critiques très savantes, sans traduction. Les introductions et l'apparat critique sont en allemand.
Les collections que nous venons de mentionner ne comprennent que les auteurs grecs et latins. Pour les écrivains des langues orientales, on ne possédait guère jusqu'ici que le grand ouvrage de J. S. Assemani, Bibliotheca orientalis clementino-vaticana, Romae, 1719-1728, 4 vol., qui est moins une collection qu'un catalogue développé d'auteurs et de manuscrits. De nos jours, deux ou trois grandes collections ont commencé à combler cette lacune :
R. Graftin, Patrologia syriaca, Paris, 1894 et suiv. (2 vol. seulement), continuée pratiquement par R. Graffin et F. Nau, Patrologia orientalis, Paris, 1903 et suiv., 14 vol. parus. Les textes syriaques, coptes, arabes, éthiopiens, etc. sont accompagnés d'une traduction latine, française ou anglaise. Aucun ordre chronologique n'est suivi, et le même volume contient des ouvrages de langues différentes.
J. B. Chabot, I. Guidi, H. Hyvernat, B. Carra de Vaux, Corpus scriptorum christianorum orientalium, Paris, 1903 et suiv. La collection est divisée en quatre séries : écrivains syriens, coptes, arabes, éthiopiens, distingués par la couleur de la couverture. Les traductions sont éditées (et vendues) à part du texte.
Indépendamment de ces grands et coûteux ouvrages, on a du reste, à l'usage surtout des étudiants, publié ou commencé à publier des collections plus modestes et d'une évidente utilité. Tels, en France, les Textes et documents pour l'étude historique du christianisme de MM. H. Hemmer et P. Lejay, Paris, 1904 et suiv. ; format in-16 commode, textes accompagnés d'une traduction française. En Allemagne, outre la collection de H. Hurter, SS. Patrum opuscula selecta, Œniponti, 1868-1885 (48 vol.), 2e série, 1884-1892 (6 vol.), on a les collections de G. Krueger, Sarnmlung, etc., Fribourg-en-Br., 1891-1896, 2e série, 1901 et suiv. ; de H. Lietzmann, Kleine Texte, etc., Bonn, 1902 et suiv. ; de G. Rauschen, Florilegium patristicum, Bonnae, 1904 et suiv. En Angleterre, on a les Cambridge patristic texts d'A. J. Mason, Cambridge, 1899, suiv. ; en Italie, la Bibliotheca SS. Patrum de J. Vizzini, Romae, 1902 et suiv.
Signalons enfin, comme comprenant à la fois des textes et des études critiques, trois publications importantes :
Textes et recherches (Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur), Leipzig, 1882 et suiv. Trois séries in-8o, sous la direction d'O. von Gebhardt, A. Harnack et C. Schmidt.
Texts and Studies, Cambridge, 1891 et suiv., in-8o, sous la direction de M. Armitage Robinson.
Revue de l'Orient chrétien, Paris, 1896 et suiv., in-8o, sous la direction de M. Nau.
Plusieurs de ces publications permettent aux lecteurs même non spécialisés de prendre contact avec la littérature patristique, et d'en lire les productions les plus remarquables. Si la plupart de ces productions ne peuvent lutter avec les œuvres classiques pour la pureté de la langue et l'élégance de la forme, en revanche elles les dépassent sûrement par l'intérêt du but poursuivi, par l'élévation de l'idéal moral, et par l'intensité de foi et de zèle qui animait leurs auteurs.
L'histoire de l'ancienne littérature chrétienne se partage naturellement en trois périodes :
la période qui va des origines au concile de Nicée (325) ou mieux à la paix de Constantin (313) ;
la période d'épanouissement et d'apogée, qui va de la paix de Constantin à la mort de saint Léon le Grand (461) ;
enfin la période d'affaiblissement et de décadence, jusqu'en 636 en Occident, jusqu'en 750 en Orient.
Nous suivrons cette division.
◊ PREMIÈRE PÉRIODE
Les Pères des trois premiers siècles
◊ 1
Les Pères apostoliques.
On donne le nom de Pères apostoliques à un certain nombre d'écrivains ou d'écrits (dont plusieurs sont anonymes) qui datent de la fin du ier ou de la première moitié du iie siècle. Ce nom vient de ce que ces auteurs sont censés avoir connu les apôtres, et représentent un enseignement immédiatement ou presque immédiatement dérivé du leur. Leurs ouvrages continuent la littérature des évangiles et des écrits apostoliques.
D'autre part, ces ouvrages n'offrent ni l'intensité de sentiment des œuvres canoniques, ni la plénitude de pensée théologique de la littérature postérieure. Si l'on excepte saint Ignace, leurs auteurs y montrent peu de puissance et d'élan intellectuels, preuve que le christianisme s'est recruté d'abord dans un milieu peu lettré. Ils n'en ont pas moins pour nous une très grande valeur, soit à cause de leur ancienneté, soit parce qu'ils témoignent de la façon dont les chrétiens de la seconde et de la troisième génération avaient compris l'œuvre de Jésus-Christ et des apôtres.
On compte une dizaine environ de Pères apostoliques. La moitié de leurs écrits se compose d'épîtres (Clément, Ignace, Polycarpe, Pseudo-Barnabé) ; l'autre moitié de traités doctrinaux, parénétiques ou disciplinaires (la Didachè, la Secunda, Clementis, Hermas, Papias, le Symbole des apôtres).
[L'édition des Pères apostoliques de Migne (P. G.,
i, ii, v
) est absolument insuffisante. Il faut pratiquement se servir de celle de F. X.
Funk
, Patres apostolici, Tubingae, 1901, en 2 vol. avec traduct. latine et notes (le deuxième volume a été revu et réédité par F.
Diekamp
en 1913), ou des éditions séparées de la collection Hemmer et Lejay. On a encore les édit. mineures (sans traduction ni notes) de
Funk
et de
Harnack, Gerhardt
et
Zahn
. Voir
Freppel
, Les Pères apostoliques et leur époque, Paris, 4e éd., 1885.]
◊ 1.1 — Saint Clément.
D'après la tradition la plus sûre, saint Clément fut le troisième successeur de saint Pierre, le quatrième évêque de Rome (Pierre, Lin, Anaclet, Clément). Rien n'établit qu'il faille l'identifier, avec le Clément dont parle saint Paul (Philipp.4.3), encore moins avec le consul Flavius Clemens, cousin de Domitien, décapité en 95 ou 96. Mais il a dû connaître les apôtres, et c'était peut-être un affranchi ou un fils d'affranchi de la gens Flavia d'où il aura tiré son nom. Quoi qu'on en décide, Clément fut certainement un pontife remarquable par quelque endroit, car il a laissé dans l'Église un souvenir profond. Outre une deuxième épître qui n'est pas de lui, on lui a attribué deux épîtres aux vierges, deux épîtres à Jacques, le frère du Seigneur, la collection des homélies dites clémentines, et on lui a fait jouer dans le roman des Récognitions un des rôles principaux. A la fin du ive siècle, Rome l'honorait comme un martyr ; mais les actes que l'on donne comme ceux de son martyre ne lui appartiennent pas ; ce sont les actes d'un autre Clément, martyr grec inhumé à Cherson, avec qui on l'a confondu.
On possède du pape Clément un seul écrit authentique : c'est une épître aux Corinthiens, contenue dans deux manuscrits grecs, l'Alexandrinus, probablement du ve siècle (actuellement au British Museum), et le Constantinopolitanus ou mieux le Hierosolymitanus, daté de 1056, actuellement à Jérusalem. Le premier est incomplet de la portion 57.6 à 63.4 ; le second est complet. Il en existe de plus une version latine très littérale, qui paraît remonter au iie siècle, une version syriaque et deux versions coptes incomplètes.
Cette épître ne porte pas de nom d'auteur. Elle se présente, dès le début, comme une lettre de « l'Église de Dieu qui séjourne à Rome à l'Église de Dieu qui séjourne à Corinthe ». Mais bien qu'écrivant au nom d'une collectivité, il est certain que son auteur est un personnage unique et que cet auteur est Clément. La preuve décisive en est fournie par le témoignage de Denys de Corinthe (vers 170-175) on ne peut mieux placé pour être bien renseigné (Eusèbe, H. E., 4.23.11). On y peut joindre les témoignages d'Hégésippe, de Clément d'Alexandrie et même de saint Irénée (Adv. haer., 3.3.3). Saint Polycarpe a connu certainement notre écrit, puisqu'il s'est efforcé de l'imiter dans son épître aux Philippiens, et cette circonstance seule prouve qu'il remontait à peu près au temps de saint Clément.
Or le pontificat de Clément se place entre les années 92 et 101. D'autre part, sa lettre a été rédigée au sortir d'une persécution qui paraît être celle de Domitien. Celle-ci s'est terminée en 95 ou 96. C'est donc entre les années 95-98 que Clément a écrit aux Corinthiens.
L'occasion qui l'y invita fut un schisme qui se produisit dans l'Église de Corinthe. Un ou deux meneurs (47.5-6) y avaient soulevé la masse des fidèles contre les presbytres, dont plusieurs, de vie irréprochable, avaient été destitués de leurs fonctions. Nous ignorons ce dont on les accusait. L'Église de Rome eut connaissance de ces troubles par la rumeur publique, car il ne semble pas, malgré ce qui est dit 1.1, qu'elle ait été avisée par l'Église de Corinthe elle-même, ni sollicitée d'intervenir. Mais Clément était papeb et il intervint. Il intervint pour ramener la paix dans les esprits et indiquer les remèdes à la situation.
Son épître se divise en deux grandes parties. Une partie générale (ch. 4 à 38) comprend une série d'exhortations à pratiquer les vertus de charité, de pénitence, d'obéissance, d'humilité, de foi etc., propres à maintenir la bonne harmonie entre les fidèles. Elle est coupée (ch. 23 à 30) par un développement sur la certitude et la gloire de la résurrection future. La seconde partie (ch. 39 à 59) vise particulièrement les faits signalés à Corinthe. C'est Dieu qui a établi l'ordre de la hiérarchie ecclésiastique. Dieu a envoyé Jésus-Christ ; Jésus-Christ a établi les apôtres ; les apôtres ont, à leur tour, établi des évêques et des diacres, lesquels se sont, quand il l'a fallu, choisi des successeurs. A ces hommes on doit la soumission et l'obéissance. Ç'a donc été une faute de destituer les presbytres de leurs fonctions. Les coupables doivent faire pénitence et s'éloigner, pour un temps, de Corinthe, afin que la paix y revienne. — L'écrit se continue par une longue prière (59.3 à ch. 61) où alternent les louanges de Dieu et les supplications pour les chrétiens et aussi pour les princes ; et il s'achève sur de nouvelles exhortations à la concorde et des souhaits spirituels (ch. 62 à 65).
L'épître de saint Clément a joui dans l'antiquité de la plus haute estime, au point d'être mise par quelques auteurs au nombre des écrits inspirés. Saint Irénée l'appelle une lettre « très forte » ; Eusèbe une lettre « grande et admirable », et ce dernier témoigne qu'en beaucoup d'Églises elle était lue publiquement dans les réunions des fidèles (H.E., 3.16). Elle mérite cette estime par l'heureux mélange d'énergie et de douceur qui s'y rencontre ; par la finesse d'observation, la délicatesse de touche et l'élévation des sentiments dont l'auteur y fait preuve partout. La grande prière de la fin est d'une inspiration très haute. Il est fâcheux que l'abus des citations de l'Ancien Testament, dans la première partie surtout, brise parfois le développement et l'élan de la pensée.
Au point de vue théologique, l'épître de saint Clément a une importance considérable. Elle est « l'épiphanie de la primauté romaine », la première manifestation du sentiment qu'on en avait à Rome. Elle contient aussi la première affirmation patristique du droit divin de la hiérarchie (42.1,2,4 ; 44.2).
◊ 1.2 — Saint Ignace.
Saint Ignace, appelé aussi Théophore, avait, suivant la tradition, succédé à Evodius, premier évêque d'Antioche après saint Pierre (Eusèbe, H. E., 3.12). De sa jeunesse et même de son épiscopat on ne sait rien de certain. On soupçonne seulement qu'il était né dans le paganisme et s'était plus tard converti.
Il était évêque d'Antiochec, quand une persécution dont on ignore le motif s'abattit sur son Église. Il en fut la plus noble et peut-être l'unique victime. Condamné aux bêtes, Ignace dut prendre le chemin de Rome pour y subir son supplice.
Le voyage se fit tantôt par terre et tantôt par mer. Il passa à Philadelphie de Lydie, et de là arriva à Smyrne par la route de terre. A Smyrne, il fut accueilli par l'évêque Polycarpe, et reçut des délégations des églises voisines, d'Éphèse, de Magnésie et de Tralles avec leurs évêques respectifs, Onésime, Damas et Polybe. C'est à Smyrne qu'il écrivit ses lettres aux Ephésiens, aux Magnésiens, aux Tralliens et aux Romains. Puis de Smyrne il vint à Troas, et y écrivit ses lettres aux Églises de Philadelphie et de Smyrne, et la lettre à Polycarpe. Un vaisseau le transporta ensuite à Néapolis d'où partait la route de terre qui, passant par Philippes et Thessalonique, aboutissait à Dyrrachium (Durazzo), en face de l'Italie. Les Philippiens reçurent Ignace avec vénération et, après son départ, écrivirent à Polycarpe pour le prier de faire porter par son courrier la lettre qu'ils destinaient aux chrétiens d'Antioche, et lui demander de leur envoyer à eux, Philippiens, ce qu'il possédait des lettres d'Ignace. C'est le dernier renseignement que nous ayons sur l'évêque d'Antioche. Il souffrit à Rome la mort qu'il avait désirée ; mais les deux relations de son martyre qui nous restent (Martyrium romanum, Martyrium antiochenum) sont légendaires.
Les lettres de saint Ignace nous sont parvenues en trois recensions différentes :
Une recension longue qui, outre les sept lettres susdites en une forme plus développée, comprend six autres lettres : une lettre de Marie de Cassobola à Ignace, et cinq lettres d'Ignace à Marie de Cassobola, aux Tarsiens, aux Antiochiens, à Héron et aux Philippiens : en tout treize lettresd.
Une recension courte, en syriaque, qui comprend seulement, sous une forme très abrégée, les trois épîtres à Polycarpe, aux Ephésiens et aux Romainse.
Enfin une recension moyenne, qui comprend les sept épîtres aux Ephésiens, aux Magnésiens, aux Tralliens ; aux Romains, aux Philadelphiens, aux Smyrniotes et à Polycarpe dans un texte moins développé que celui de la recension longue, plus développé que celui de la recension courte.
Or, de l'aveu actuellement unanime, ni la recension longue, ni la recension courte n'ont droit à représenter l'œuvre authentique d'Ignacef. Celle-ci, si elle s'est conservée quelque part, l'a été dans la recension moyenne. Mais l'a-t-elle été même dans la recension moyenne ? Autrement dit, les sept épîtres de la recension moyenne sont-elles authentiques ?
A cette question, longtemps et âprement débattue, il faut répondre par l'affirmative. Les considérations intrinsèques, les seules à peu près que l'on puisse invoquer contre cette solution, n'ont vraiment aucune force, et ne sauraient prévaloir contre les témoignages d'Eusèbe (H.E., 3.22,36,38), d'Origène (In Cantic. canticor., prolog. ; In Lucam, homil. vi), de saint Irénée (Adv haer., 5.28.4) et de saint Polycarpe (Ad Philipp., xiii). Sauf quelques auteurs obstinés, les critiques même protestants et rationalistes se mettent d'ailleurs sur ce sujet de plus en plus d'accord avec les catholiques. On peut dire que l'authenticité des épîtres ignatiennes est un point acquis.
A quelle date ces épîtres ont-elles été écrites ? A une date évidemment qui coïncide sensiblement avec celle de la mort de saint Ignace. Or celle-ci ne saurait être exactement fixée. Une seule chose paraît certaine : c'est qu'Ignace fut martyrisé sous Trajan (98-117). Les actes du martyre donnent la neuvième année de Trajan (107), saint Jérôme (De vir. ill., 16) la onzième année (109). On ne se trompera guère en plaçant ce martyre et par conséquent la composition des lettres autour de l'an 110.
Le but principal que se propose Ignace dans toutes ses épîtres — sauf celle aux Romains — est de précautionner les fidèles à qui il écrit contre les erreurs et les divisions que tâchaient de semer parmi eux certains missionnaires de l'hérésie et du schisme. La doctrine que ceux-ci s'efforçaient de propager était une sorte de gnosticisme judaïsant : d'un côté, ils poussaient à la conservation des pratiques juives ; de l'autre, ils étaient docètes et, ne voyaient dans l'humanité de Jésus-Christ qu'une apparence irréelle. De plus, ils se séparaient du gros de la communauté, et tenaient à part leurs conventicules liturgiques. Saint Ignace combat leurs prétentions en affirmant que le judaïsme est périmé, et