Y a pas de problème
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après des années de scoutisme, dès l’âge de 18 ans, influencé par la lecture de Jack Kerouac et la « beat generation », Jean-Bernard Bobis entreprend de voyager et de sillonner les routes des Indes, à pied, en stop ou en 2CV. Dans Y a pas de problème, il revient sur l’un de ses voyages.
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Aperçu du livre
Y a pas de problème - Jean-Bernard Bobis
Avant-propos
Au moment où je me décide enfin à poser ces quelques lignes sur papier pour partager avec vous mes souvenirs de ce voyage mémorable, cinquante années se sont écoulées ; cinquante années pendant lesquelles ce pays magnifique que j’ai vraiment aimé a été littéralement ravagé.
Deux ans après notre passage, ce sont les Russes, les premiers, qui envahissent le territoire pour venir soi-disant au secours du parti communiste. Les chars soviétiques vont alors saccager les villages et s’installer de manière durable. La résistance se développe avec évidemment l’aide des Américains qui arment l’opposition. Tant et si bien que les Russes reculeront et seront chassés pour être remplacés par un gouvernement islamique dirigé par les talibans.
Une coalition internationale, dont fait partie la France, réussit à s’en débarrasser pour mettre en place une république islamiste avec un président qui sera tué par les talibans. S’ensuivent des années d’instabilité qui verront entre autres la destruction des fabuleux Bouddha de Bahmiyan, patrimoine mondial de L’UNESCO, et l’assassinat dramatique du commandant Massoud, dernier espoir d’un retour hypothétique vers la démocratie.
Viennent alors les attentats du 11 septembre. Les États-Unis, convaincus de la culpabilité de Ben Laden et de sa présence sur place, déclenchent alors avec leurs alliés de l’OTAN une véritable guerre et s’installent alors dans le pays avec 30 000 hommes.
Les fiers guerriers Tamoul dont j’admirais tant l’allure de seigneurs sont devenus des Talibans, étudiants en théologie, et multiplient les exactions les plus atroces ; la lapidation des femmes infidèles n’en est qu’un exemple parmi d’autres.
Alors que, plongé dans mes souvenirs, j’écris ces lignes, dans le grand salon de ma maison d’Yzeron, la télé diffuse les infos que je n’écoute pas. Mais, soudain, un mot capte mon attention : « Afghans »… Je relâche ma souris pour me concentrer sur le reportage.
En direct de la « jungle » de Calais où la température est descendue, en cette nuit du 13 février, à -15 °C, le journaliste interroge de jeunes hommes serrés devant un brasero de fortune. Originaires de différents pays, ces migrants ont fui les guerres qui dévastent leurs pays et tentent de rallier l’Angleterre, espérant y trouver du travail et surtout la paix.
La caméra quitte le groupe et, après un panoramique sur l’ensemble du camp, revient en plan serré sur un jeune homme qui a les larmes aux yeux. C’est le froid, dit-il. Ahmid a 25 ans, il est afghan et arrive de Kaboul.
Il arrive de Kaboul, mais à pied. Il lui aura fallu un an et demi pour franchir les presque 9000 km qui le séparait de Calais. Et là, sur la ligne d’arrivée, il se voit refoulé par la police française qui veut le renvoyer dans son pays en guerre. À quelques détails près, c’est le même itinéraire que nous avions parcouru cinquante ans plus tôt. Mais en sens inverse et en voiture.
Je ne sais comment exprimer les sentiments qui m’assaillent à cet instant. Ce témoignage m’a bouleversé et remet les choses à leur juste valeur. Ce que nous avons fait il y a cinquante ans et que nous prenions pour un exploit, une performance digne des plus grands explorateurs, n’était en fait qu’un grand jeu futile qui nous aura amusés l’espace d’un été.
Je pense à Ahmid et à ses compagnons afghans.
J’admire leur volonté, leur courage. J’espère, je suis sûr, qu’un jour ils reviendront, libres, dans leur pays en paix.
Préambule
Ce récit relate un voyage qui a marqué ma jeunesse et qui a influencé le reste de ma vie.
Les faits décrits datent de plus d’un demi-siècle et ne sont fondés que sur mes propres souvenirs. Je ne dispose d’aucun écrit de cette époque qui aurait pu m’aider à les détailler. Toutes les anecdotes rapportées ont réellement eu lieu. Je me suis contenté de les mettre en avant et de faire le lien entre elles pour donner de la cohérence à la narration. Il est probable, après autant d’années, que j’ai fantasmé certaines des aventures narrées ici, mais c’est ainsi que me les restitue mon cerveau. Sans doute y a-t-il des erreurs et des imprécisions sur la chronologie mais je ne possède aucun élément qui me permettrait d’être plus précis, et ma mémoire parfois défaillante m’a refusé souvent son concours.
Ces écrits n’ont aucune prétention littéraire mais je dois bien avouer que j’ai pris énormément de plaisir à les porter sur le papier. Leur seule justification est de raconter, dans le détail, à mes enfants, qui me l’ont souvent réclamée, une histoire dont je ne leur ai rapporté que des bribes. C’est également l’occasion de dévoiler aux autres de mes proches, s’ils me lisent, quelques secrets depuis longtemps périmés.
Samedi 20 juin1970
Et merde ! Dans le bruit caractéristique d’une mécanique défaillante que je connais, hélas, trop bien, le moteur de la 2CV vient de caler… Nous ne sommes partis de Sartrouville que depuis 35 min et déjà la mécanique nous joue des tours.
Je me gare à l’arrache sur le trottoir entre un arbre et une camionnette. L’endroit n’est pas idéal pour stationner. Nous sommes à Versailles, à 200 mètres de la grande esplanade du château où déjà déambulent de nombreux piétons et autres touristes étrangers.
Jean-Paul n’a pas attendu que la voiture soit arrêtée. Rodé à la manœuvre, il a sauté en marche et s’apprête déjà à ouvrir le capot. Rien de plus facile, il tient par un élastique récupéré sur l’assise du siège arrière de la voiture.
Cependant, ce n’est certainement pas une petite panne qui va nous empêcher de réaliser notre grand projet. Et il faut bien mal connaître notre motivation et notre détermination pour s’imaginer que ce genre d’incident atteindra notre moral !
Et, en effet, il nous faudra un moral d’acier car à bord de notre 2CV qui tient plus d’un tas de ferraille que d’une automobile, nous sommes en route pour Kaboul, capitale de l’Afghanistan.
Il faut remonter quelques mois en arrière pour mieux comprendre la genèse de cette aventure.
Envie d’aventures
Septembre 1969
L’atmosphère dans ma chambre est presque irrespirable. Une vraie tabagie ! Gérard, une gitane à la main, fait des ronds de fumée. Jacques crapaute une royale blonde et Jean-Paul qui, comme d’habitude, m’a taxé une gauloise, s’assure que la fenêtre est bien fermée pour ne rien perdre des volutes de fumée qui saturent nos poumons de nicotine et de goudron. Inutile de préciser que j’ai également une gauloise à la bouche. Sans filtre.
Dans un coin de la pièce trônent les guitares. En particulier la fameuse 12 cordes de Jean-Paul qui a un son fantastique. Jean-Paul à qui j’ai appris à jouer il y a à peine un an et qui, en quelques mois, m’a totalement surpassé. Je ne comprends pas comment il fait. À leur pied, en vrac, les partitions de Dylan, Léonard Cohen et Graeme Allright.
Un minicassette raccordé sur le caisson de basse maison intégré à mon étagère diffuse en continu les standards des Rolling Stones. Il est 22 heures passées, on frappe à la porte. C’est Mémé qui nous apporte son fameux café. Elle est la seule de la famille qui soit habilitée à rentrer dans mon repère. Il faut dire que personne ne sait aussi bien qu’elle doser le breuvage à notre goût : ultra fort et archi sucré. Il faut dire également que, pour garantir mon intimité, j’ai bricolé la serrure de ma porte en bloquant volontairement le pêne et la poignée. Ainsi, pour éviter que la porte ne reste constamment ouverte, je suis donc « obligé » de fermer à clé. Cette ruse me permet d’échapper à toute entrée intempestive des parents ou de l’une de mes sœurs. (N’est-ce pas, Nadine…)
Afin de limiter au maximum les incessantes allées et venues à travers tout l’appartement et surtout éviter de réveiller Josette et Roger qui dorment à côté, désormais les copains pénètrent dans ma chambre uniquement par la fenêtre.
Nous ne sommes rentrés de Turquie que depuis quelques jours et déjà l’envie irrésistible d’une nouvelle aventure nous entraîne dans de nouveaux délires. Jacques veut partir au Nigéria, Gérard au cap Nord, Jean-Paul au Sahara et moi en Amérique du Sud…
Par terre sont étalés des cartes, des atlas et même une vieille mappemonde. Les discussions vont bon train.
Nigéria pas possible, saison des pluies, pistes impraticables.
Cap nord, trop facile, c’est pour les vieux et les familles. Sahara, trop risqué en 2CV, il faudrait un 4x4. Amérique du Sud, trop loin à cause du bateau.
Les idées continuent à fuser et, soudain, c’est comme une révélation. Pourquoi n’y avait-on pas songé plus tôt. Le bon plan c’est l’Inde ! L’Inde où les Beatles sont allés chercher l’inspiration. L’Inde des maharadjas et des vaches sacrées, l’Inde des castes et des intouchables. Le Gange et les contreforts de l’Himalaya !
Notre décision est prise. Dans 10 mois, nous partons en Inde. Chacun se charge de récolter un maximum d’informations et rendez-vous est pris dans quelques jours pour préparer notre voyage.
La bande
Comme convenu, nous nous retrouvons une semaine plus tard. Seulement, il y a du changement.
Gérard, qui prépare une formation de kiné l’année prochaine, est obligé de déclarer forfait. C’est la dernière année où l’on peut accéder à cette formation sans le bac et en deux ans seulement. Il ne peut pas se permettre de rater cette opportunité. Son père est décédé il y a 3 mois pendant notre séjour en Turquie. Sa situation financière est compliquée et il devra impérativement travailler cet été pour financer son école. C’est la mort dans l’âme qu’il nous annonce sa décision.
Entre-temps, j’ai croisé mon cousin Jacques Vivant. On ne se voit pas très souvent, mais on s’apprécie. Jacques, c’est un motard qui ne jure que par les anglaises, Triumph, Norton ou BSA. Dès qu’il a eu vent de notre projet, il m’a proposé de remplacer le pauvre Gérard qui a bien du mal à assumer sa décision. Le problème c’est qu’il n’a pas son permis voiture. Tant pis, on verra bien…
Toutefois, Jacques n’arrive pas tout seul. Il est accompagné de son copain de lycée, Alex. C’est un grand type flegmatique, longiligne polo noir, jean noir, cheveux longs, raides un peu style Cabu. Le père d’Alex est le patron du magasin de photo du boulevard Saint-Germain. Je me vois déjà renouveler mon matériel et surtout acheter à bas prix mes films super 8… Évidemment, il n’en sera rien.
Et surprise, Alex n’est pas seul. Il est venu avec Jean-Lucien, une vague relation qu’il connaît à peine mais qu’il nous propose d’intégrer à la bande. Nous sommes tous interloqués et dans un premier temps peu disposés à accepter une personne dont nous ne savons rien. La parole est donc donnée à Jean-Lucien.
Ce type est curieux. Un peu plus vieux que nous, vieux garçon, il vit chez sa grand-mère en banlieue. Pas désagréable, il est même intéressant et plutôt sympathique. Mais surtout… Surtout, il a suivi une formation complète chez Citroën sur la mécanique des 2CV ! Argument majeur. Sans plus hésiter, nous décidons d’un commun accord de l’intégrer à la bande.
Nous serons deux par voiture. Reste donc à former les binômes. Une règle simple devra être respectée. Les deux personnes du binôme devront prendre en charge et par moitié l’ensemble des frais et emmerdements divers relatifs à leur voiture. Aménagements, mécanique, essence, péages et pannes.
Premier binôme : Jacques et Jacques V
Jacques : Le bon élève. Il est le seul à avoir eu son Bac l’année dernière et vient de terminer sa première année de prépa pour véto à Maisons-Alfort. On s’est rencontré en première au lycée de Sartrouville. Esprit inventif, il est souvent à l’origine d’un grand nombre des farces hilarantes qui ont considérablement enrichi notre année scolaire.
Des années plus tard, je ris encore au souvenir du bec bunsen dans le sac de la grosse et stupide Lebelair en cours de chimie ou encore le tuyau d’essence débranché sur le Solex de cette lèche-cul de Lozingot.
Comment oublier les plombs envoyés discrètement en rafale sur le tuyau du poêle grâce à un ingénieux système de lime à ongles. Le bruit rendait fou Gallet, notre prof de maths. Ancien militaire, son niveau de maths n’atteignait pas celui d’un élève de quatrième. Devenu notre bête noire, le pauvre n’a jamais compris ce qu’il se passait.
Et encore les cours de latin. Nous étions, Jacques et moi, les deux seuls garçons dans cette classe de filles studieuses et laborieuses à avoir pris l’option latin. Grâce à une fausse lettre authentifiée par le cachet de l’école primaire dont le père de Jacques était directeur, nous nous étions procuré la traduction des versions latines réservées au corps enseignant et utilisées par notre prof. Évidemment, à chaque composition, nous finissions toujours premier et deuxième. Par pure provocation, nous sortions en avance avant la fin de l’épreuve en nous vantant de l’avoir trouvée facile.
Et ce qui devait arriver arriva… La frustration des filles était telle qu’elles finirent par nous dénoncer. Cette fraude a fini par remonter aux oreilles de Josette, qui enseignait dans le même lycée. Heureusement, la prof qui n’était pas dupe et nous aimait bien ne nous a pas chargés. Toutefois, nous avons dû refaire cette composition mais sans la traduction. Jacques s’est lamentablement vautré. Quant à moi pour qui le latin est un atavisme, je m’en suis pas trop mal sorti au grand dam des filles qui auraient sûrement préféré me voir dernier…
Mais je m’égare, Jacques donc vient de racheter une vieille Deuch qui n’a pas l’air en trop mauvais état. À première vue, elle ne devrait pas nécessiter de gros travaux mécaniques avant de partir.
Jacques V : Mon cousin. On l’a vu, son principal problème c’est qu’il ne conduit pas. Il faudra donc assurer des relais de façon à soulager son partenaire. À son poste de copilote, il pourra se consacrer à dessiner puisqu’il veut rentrer aux beaux-arts. C’est lui qui sera chargé de la tenue du carnet de bord.
Deuxième binôme : Alex et Jean-Lucien.
La 2CV est fournie par Jean-Lucien. Elle est relativement récente (à peine 12 ans) et a été remise entièrement en état par JL.
ALEX : Le mauvais élève. Jacques V a passé le Bac en même temps que lui, il raconte : « J’étais en train de rédiger ma dissert et je vois passer Alex dans la cour les mains dans les poches avec 10 min de retard… Une demi-heure plus tard, je le revois passer dans l’autre sens mains dans les poches. Il avait fini. » Vous ne me croirez pas : il n’a pas été reçu !
Jean-Lucien : Sérieux (un peu trop) mais