Son Duc, suite de Sa Duchesse
Par Lucinda Brant
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À propos de ce livre électronique
L’harmonie domestique est une fois encore menacée à la villa, cette fois-ci par l’une des anciennes maîtresses du duc : la comtesse Duras-Valfons soutient que Roxton est le père de son fils de quelques mois, une affirmation soutenue par les vieilles tantes Salvan. Résolues à s’en prendre à Son Duc, elles espèrent aussi embarrasser la duchesse en l’entraînant dans le scandale. Tous les nobles français sont possiblement au courant de l’affirmation choquante de la comtesse quant à la paternité de son fils, tous à l’exception de la duchesse. Quand elle apprend la vérité, Antonia gère ce drame familial à sa manière inimitable.
Lucinda Brant
LUCINDA BRANT is a New York Times and USA Today bestselling author of Georgian historical romances & mysteries. Her award-winning novels have variously been described as from 'the Golden Age of romance with a modern voice', and 'heart wrenching drama with a happily ever after'.Lucinda lives most days in the 18th Century (heaven!) and is addicted to Pinterest. Come join her in her 18th Century world: http://www.pinterest.com/lucindabrant/
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Avis sur Son Duc, suite de Sa Duchesse
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Aperçu du livre
Son Duc, suite de Sa Duchesse - Lucinda Brant
Publié par Sprigleaf Pty Ltd
ISBN 978-1-922985-02-6 (v2300407)
Lucinda Brant logoSon Duc, suite de Sa Duchesse .
Copyright © 2023 Lucinda Brant, tous droits réservés.
Traduction : Marion Gabillard.
Édition : Gaelle Ty R So.
Visuel et conception : Sprigleaf.
Référence de l’œuvre originale de la couverture : Portrait de Duval de l’Épinoy, marquis de Saint-Vrain, par Maurice-Quentin de La Tour.
Le fleuron du cavalier à tricorne a été conçu par Sprigleaf.
Le visuel à trois feuilles de Sprigleaf est une marque déposée appartenant à Sprigleaf Pty Ltd. La silhouette d’un couple georgien est une marque déposée appartenant à Lucinda Brant.
Également disponible en livres numériques et autres langues.
pour
Cathie
TABLE DES MATIÈRES
Dramatis personae
Un
Deux
Trois
Quatre
Cinq
Six
Sept
Huit
Neuf
Dix
Onze
Twelve
Treize
Quatorze
Quinze
Seize
Dix-sept
Dix-huit
Dix-neuf
Vingt
Vingt-et-un
Vingt-deux
Vingt-trois
Vingt-quatre
Vingt-cinq
Vingt-six
Vingt-sept
Dans les coulisses
Remerciements
L'histoire continue dans…
La traductrice
L'auteur
DRAMATIS PERSONAE
La famille Roxton et son personnel
Roxton……le duc de Roxton, dit monsieur le duc
Antonia……la duchesse de Roxton, dite madame la duchesse ou la comtesse de Roucy
Vallentine……Lucian, Lord Vallentine, meilleur ami de Roxton et époux de sa sœur
Estée……Lady Vallentine, dite madame, épouse de Vallentine et sœur de Roxton
Martin……Martin Ellicott, ancien valet de Roxton et parrain de Julian
Julian……petit garçon de Roxton et Antonia, dit Juju
Gabrielle……femme de chambre d’Antonia, sœur cadette d’Yvette, Rose et Giselle
Céleste et Cécile……nourrices morvandelles qui s’occupent de Julian
George Geraghty……valet de Roxton
Jean-Luc Levron……fils biologique du père de Roxton, le marquis d’Alston, et de sa maîtresse, une marionnettiste
Augusta Fitzstuart……la comtesse de Strathsay, grand-mère d’Antonia
La famille Salvan et son personnel
Les vieilles tantes……les sœurs de Philippe, ancien comte de Salvan, tantes maternelles de Roxton et tantes paternelles de Salvan
Tante Philippa……la marquise de Touraine-Brissac, dite madame Touraine-Brissac, mère d’Alphonse, duc de Touraine, et grand-mère d’Élisabeth-Louise et de Michelle Haudry
Tante Victoire……la comtesse de Chavigny
Tante Sophie-Adélaïde……une nonne, sœur jumelle de Victoire
Madeleine-Julie Salvan Hesham……benjamine des sœurs Salvan, marquise d’Alston, mère de Roxton et Estée, morte en 1734
Salvan……Jean-Honoré Gabriel Salvan, comte de Salvan, fils de Philippe, ancien comte de Salvan, cousin germain de Roxton et neveu des vieilles tantes
Chevalier Montbelliard……dit cousin Hugh, héritier du comte de Salvan
Michelle Haudry……dite madame Haudry, belle-fille d’un fermier général, fille d’Alphonse, duc de Touraine, et petite-fille de Philippa, marquise de Touraine-Brissac
Alphonse……duc de Touraine, fils unique de madame Touraine-Brissac, cousin germain et proche ami de Roxton, père de Michelle Haudry et Élisabeth-Louise Salvan Gondi Touraine
Élisabeth-Louise……sœur de Michelle Haudry, petite-fille de madame Touraine-Brissac
Thérèse……la comtesse Duras-Valfons, ancienne maîtresse de Roxton, épouse du baron Thesiger, sœur du marquis de Chesnay et mère de Robert, un bébé
Gustave……marquis de Chesnay, ami de Roxton, frère de Thérèse Duras-Valfons
Richard « Ricky » Thesiger……le baron Thesiger, époux de Thérèse Duras-Valfons, dont elle est séparée
Giselle……femme de chambre d’Élisabeth-Louise, sœur de Gabrielle
Personnages historiques présents ou mentionnés
Louis……Louis xv (1710-1774), roi de France, dit « le Bien-Aimé », roi du 1 er septembre 1715 jusqu’à sa mort
Madame de Pompadour……Jeanne-Antoinette Poisson (1721-1764), marquise de Pompadour, maîtresse en titre du roi
Comte d’Hozier……Louis-Pierre d’Hozier (1685-1767), généalogiste du roi, garde de l’Armorial général de France et juge d’armes de France
Marquis of Dreux-Brézé……Joachim de Dreux-Brézé (1710-1781), grand maître des cérémonies de France
Duc de Bouillon……Charles-Godefroy de La Tour d’Auvergne (1706-1771), grand chambellan de France
Duc de Richelieu……Louis-François-Armand de Vignerot du Plessis de Richelieu (1696-1788), dit Armand, premier gentilhomme de la chambre
Marie Leszczynska……reine de France et épouse du roi Louis xv (1703-1768)
Comte de Maurepas……Jean-Frédéric Phélypeaux (1701-1781), secrétaire d’État à la Maison du roi, homme politique français
Monsieur de Marville……Claude-Henry Feydeau de Marville (1705-1787), lieutenant général de police de Paris
UN
HÔTEL ROXTON, RUE SAINT-HONORÉ, PARIS. DÉBUT NOVEMBRE 1746
Le portier rondelet et impérieux de l’Hôtel Roxton recula en titubant et s’inclina si bas que son nez aurait percuté ses genoux si son ventre ne l’avait pas arrêté. Il aperçut des bottes en cuir poli et le scintillement d’un fourreau ornementé dans les plis soyeux d’une roquelaure noire à plusieurs épaisseurs quand l’aristocrate traversa le carrelage en marbre noir et blanc du vestibule caverneux.
— Monsieur le duc ! Quel… q-quel p-pl-plaisir de vous voir ici ! bégaya-t-il en se redressant. Nous… nous ne vous attendions pas ! Quelle surprise !
— C’était le but, Christophe, répondit le duc de Roxton d’une voix traînante. De vous… hum… surprendre tous.
Le portier claqua des doigts et deux valets de pied en livrée refermèrent les lourds battants de la porte d’entrée. Deux autres de leurs collègues s’avancèrent et débarrassèrent leur noble maître de son tricorne en feutre, de sa cape hivernale et de son épée. Quand Roxton retira ses gants en cuir noirs et les tendit dans le vide, l’un d’entre eux les récupéra immédiatement.
Le duc s’apprêtait à continuer sur sa lancée et à monter le large escalier en marbre quand un grondement sourd au-dessus de sa tête l’arrêta. Ce n’était pas un orage qui tonnait, mais son armée de domestiques discrets qui passait à l’action. Ce bruit ne manquait jamais de lui procurer un sentiment de bien-être et de dessiner un petit sourire satisfait sur ses lèvres. C’était assurément son carrosse vide qui, en franchissant le portail principal, avait alerté son personnel de son arrivée.
Plus tôt, il avait indiqué à son cocher de le déposer au jardin des Tuileries, puis d’attendre vingt minutes avant de poursuivre sa route sans lui jusqu’à l’entrée principale de son hôtel particulier de la rue Saint-Honoré. Quant à lui, il s’était avancé le long de l’avenue bordée d’arbres, puis il était entré dans sa demeure parisienne par un portail latéral. Ce portail, aménagé dans un haut mur, donnait accès aux Tuileries par le fond de son vaste jardin privé.
Ayant retrouvé son territoire, il s’était tranquillement promené dans le bosquet de châtaigniers, puis il avait traversé les jardins d’agrément pour rejoindre une colonnade et était passé sous une grande arche débouchant sur la vaste cour d’entrée qui donnait sur la rue. En arrivant devant la double porte d’entrée, il l’avait trouvée barrée et fermée à clé pour empêcher que quelqu’un ne s’introduise dans la demeure, ce qui avait plu au duc. Il avait utilisé le lourd heurtoir en argent pour signaler son arrivée.
Pendant sa promenade, il avait été arrêté pas moins de quatre fois, tout d’abord par les gardes postés devant le portail latéral, puis par deux de leurs collègues, membres d’une petite force armée qui patrouillait tout le périmètre intérieur de la propriété matin, midi et soir. Même l’un des ratisseurs qui s’occupaient du quadrillage des chemins de gravier dans les jardins d’agrément l’avait audacieusement interpellé. Enfin, sous la colonnade, son jardinier en chef s’était séparé d’un groupe d’hommes penchés sur un ensemble de plans étalés sur une table à tréteaux et lui avait demandé ce qu’il faisait là. Comme avec les gardes et le ratisseur, il n’avait eu qu’à relever le menton afin que son visage ne soit plus caché par son tricorne pour que le jardinier le reconnaisse. Le duc avait été satisfait de voir tous ses domestiques écarquiller les yeux d’un air alarmé avant de les baisser immédiatement et de s’incliner en une révérence silencieuse et respectueuse.
Il était resté quelques instants avec son jardinier en chef et avait consulté les plans que les hommes examinaient, des plans pour des roseraies sous serre qu’il voulait faire construire près du potager. Satisfait de leurs progrès, il les avait laissés en se disant qu’il faudrait qu’il complimente son régisseur, qui veillait à ce que son personnel reste sur le qui-vive et fasse respecter ses consignes ; personne, sous aucun prétexte, ne devait être autorisé à franchir le portail, sauf s’il s’agissait de quelqu’un que la famille proche de monsieur le duc connaissait personnellement ou si cette personne avait une raison d’être à l’hôtel qui avait d’abord été approuvée par le régisseur. La sécurité et le bien-être de la duchesse et du petit lord passaient avant tout. Peu importe que le duc et sa famille résident pour l’heure dans le hameau de Versailles – ces consignes devaient toujours être respectées. Ainsi, avec le temps, ces règles deviendraient un réflexe, non seulement pour tous ceux qui travaillaient pour lui, mais aussi pour les membres de sa famille étendue.
Il pensait principalement à sa sœur Estée et à ses levers et soirées auxquels pouvait assister la société parisienne. Au fil des ans, Estée était devenue une hôtesse assez reconnue pour les membres de l’aristocratie qui fuyaient les salons littéraires, car ils n’étaient pas à la hauteur des sujets de conversation, qu’ils trouvaient donc ennuyeux au possible. Il savait que ses réunions étaient dédiées aux commérages de la société, en particulier sur ce qu’il se passait à la cour, que ces commérages soient vrais ou inventés de toutes pièces. Par ailleurs, le duc était un ami proche de Sa Majesté, et le fait qu’Estée refuse dédaigneusement de parler de cette amitié avec ses pairs suffisait pour qu’ils la croient, elle aussi, dans la confidence du roi. Ce n’était pas le cas. Roxton ne lui disait rien et elle savait qu’elle n’avait pas intérêt à lui poser des questions.
Il avait jusque-là accordé très peu d’importance au salon de sa sœur et à ceux qui s’y réunissaient, mais maintenant qu’il était marié, il était plus méfiant à propos des visiteurs qui venaient chez lui et des fréquentations de sa sœur. L’un d’eux en particulier, un cousin du côté de leur mère, était devenu un visiteur régulier de son salon. Aux dires de tous, le chevalier Montbelliard était un jeune homme inoffensif de réputation. Mais il était l’héritier du comte de Salvan, aristocrate tombé en disgrâce et ennemi juré de Roxton, et cela aurait dû suffire pour qu’Estée garde ses distances. Mais elle n’en avait rien fait. D’ailleurs, il avait récemment appris qu’elle s’était jointe au chœur de leurs cousins Salvan qui, par le biais d’une pétition adressée au roi pour le compte de Montbelliard, réclamaient que le jeune homme soit reçu à la cour.
Mais ce n’était pas à cause des réceptions de sa sœur ou du chevalier qu’il avait pris sur lui de quitter sa duchesse et de revenir à Paris pour la journée.
Estée lui avait écrit pour lui dire qu’il y avait un problème de très haute importance, qui aurait des conséquences terribles pour la famille s’il ne le réglait pas immédiatement. Elle n’osait pas coucher la nature de ce problème sur le papier, de crainte que sa lettre ne tombe entre de mauvaises mains. Cette crainte était une mise en garde, et elle ne lui en avait pas parlé directement, mais l’avait évoquée dans une lettre envoyée à son mari. Le duc en avait déduit qu’elle avait des raisons de croire que sa correspondance était ouverte et lue par monsieur de Marville, le lieutenant général de police de Paris.
Le duc n’était pas surpris. Les lettres des aristocrates français qui résidaient à Paris étaient ouvertes et lues par la police parisienne, ce n’était un secret pour personne. C’était la seule façon pour Louis d’avoir une véritable idée de ce que ses nobles pensaient et prévoyaient de faire. Mais Roxton n’appartenait pas à l’aristocratie française, et si Louis voulait savoir ce qu’il pensait, il l’interrogeait directement. Non. Cette fois-ci, il était question de quelque chose – ou de quelqu’un – d’autre. Il supposait que sa sœur en savait plus que ce qu’elle révélait dans sa lettre, il était donc revenu à Paris sans attendre, dès le lendemain.
Mais maintenant qu’il était de retour dans le cadre opulent de son hôtel, il prit son temps pour monter les marches le menant aux appartements que sa sœur partageait avec son mari. Il avait besoin d’un instant pour se préparer à un entretien à la fin duquel, il le savait grâce à ses longues années d’expérience, Estée ferait son numéro et lui se retrouverait aux limites de sa tolérance. Il ne s’attendait pas vraiment à ce que ses nausées matinales aient modéré ses émotions. Il lui suffit de faire un pas dans son boudoir pour savoir que c’était trop demander.
Il la trouva prostrée au milieu des coussins en soie rebondis de sa méridienne dorée, en déshabillé. Elle avait relevé un bras sur son front lisse et écrasait un mouchoir bordé de dentelle dans son poing. Son visage était caché derrière les volants en dentelle des engageantes qui entouraient ses coudes, mais il ne la pensait pas endormie. Néanmoins, quand sa bonne lui souffla nerveusement que monsieur le duc était arrivé et qu’elle ne se redressa pas, il préféra accorder le bénéfice du doute à sa sœur plutôt que de la penser impolie.
— Vous disiez que c’était une question de vie ou de… hum… mort, dit-il de sa voix caressante et quelque peu sinistre en la regardant à travers son lorgnon. Me voilà donc.
DEUX
Derrière son voile de ruches en dentelle, Estée Vallentine écarquilla les yeux. Elle ne s’attendait pas à l’arrivée de son frère, mais à celle de son mari. À l’instant où le carrosse du duc avait franchi le portail, on l’avait mise au courant. Ses dames de compagnie étaient venues la prévenir précipitamment, les yeux tout aussi écarquillés, légèrement essoufflées tant elles étaient nerveuses et excitées que monsieur le duc soit rentré ! Mais Estée ne les avait pas crues. Elle ne serait pas dupée une deuxième fois.
Avaient-elles oublié ce qu’il s’était passé à peine une semaine plus tôt, quand le carrosse du duc s’était arrêté devant la porte d’entrée, semant la panique chez tous les domestiques ? Elles l’avaient tirée du lit pour lui annoncer la nouvelle et elle en était sortie d’un bond, avait prestement enfilé une robe de chambre en soie pour qu’on l’apprête devant sa coiffeuse, puis elle s’était installée sur sa méridienne, les traits figés en une expression de grande souffrance, prête à recevoir son frère.
Mais cette fois-là, ce n’était pas son frère dans le carrosse, mais son barbare de valet !
C’était pour cette raison que cette fois-ci, elle avait ricané quand on lui avait annoncé que monsieur le duc était rentré. Et après les lettres qu’elle avait envoyées à son mari, elle s’attendait à ce qu’il rentre de Versailles, inquiet pour son bien-être. Après tout, c’était son enfant qu’elle portait, et c’était à cause de lui qu’elle souffrait des pires nausées matinales que n’importe quelle femme enceinte, dans toute l’histoire des grossesses, avait eu à subir.
Mais que ce soit son frère ou son mari, cela importait peu. Ils méritaient tous les deux de savoir à quel point elle se sentait souffrante et délaissée. Elle avait donc arrêté de manger son petit déjeuner et s’était installée sur sa méridienne, un bras relevé sur le front, les yeux fermés, son air accablé dissimulé sous la dentelle de ses engageantes.
Mais quand son visiteur la salua, elle ne put se tromper : il s’agissait bien de la voix douce et traînante de son frère. Et si elle était amèrement déçue que son mari ne se soit pas précipité à son chevet, elle était secrètement ravie que le duc ait quitté sa villa pour lui rendre visite, sans doute à cause de la mise en garde sous-entendue dans la lettre qu’elle avait envoyée à son mari. Mais cela ne l’empêcha pas de rester boudeuse et d’exploiter sa condition exceptionnelle, même si elle savait que le duc verrait immédiatement clair dans son jeu.
— Je me meurs, Roxton, et tout le monde s’en moque ! annonça-t-elle d’un ton maussade, sans chercher à se redresser pour le saluer et en prenant une grande inspiration tremblotante. Mon mari m’a abandonnée. Ma famille est partie, me laissant errer toute seule dans cette maison vide, avec des domestiques qui se moquent complètement de savoir si je vis ou si je meurs. Pourquoi, oh, pourquoi m’avez-vous mariée à un homme qui a autant de compassion que-que… qui n’a aucune compassion ! Je suis tellement souffrante que je parviens à peine à m’exprimer !
Le duc ne la contredit pas.
— Je le vois bien, lança-t-il malicieusement en regardant autour de lui, à la recherche d’un endroit où s’asseoir. Mais vous vous sentirez peut-être un peu mieux si vous finissez votre superbe petit déjeuner. En particulier ce croissant exquis que vous avez déjà à moitié mangé. Et votre chocolat sera moins bon quand il aura refroidi.
À travers son lorgnon, il lançait un regard éloquent vers la table basse, qui ployait sous le poids des plateaux en argent et des assiettes en porcelaine remplis d’un assortiment de viennoiseries fraîches, de viandes froides et de fruits frais, ainsi que d’une chocolatière en argent monogrammée et d’une tasse de chocolat chaud.
Estée Vallentine fit la moue et se redressa difficilement. Elle resserra sa robe de chambre diaphane autour de ses épaules et indiqua à sa bonne de s’avancer et de débarrasser son attirail féminin entassé au bout de la méridienne : des échantillons de tissu, des bobines d’épais rubans en satin et plusieurs vêtements.
— Avez-vous déjà pris votre petit déjeuner ? demanda-t-elle d’un ton plus conciliant.
— Oui. Mais je boirais bien une tasse de café.
— Du café pour monsieur le duc, ordonna Estée à sa bonne, qui avait à présent les bras chargés. Et dites à Jeanne qu’il ne faut pas nous déranger, sauf pour apporter le café !
Roxton souleva avec précaution l’un des épais coussins en soie par une grande pampille et le laissa tomber par terre. Il releva les basques de sa redingote en velours noire et se percha au bord de la méridienne, puis il fit face à sa sœur.
— Vous calomniez votre époux. S’il séjourne avec nous, c’est parce que vous lui avez demandé de partir et… hum… de ne pas revenir.
— En effet. Mais je ne pensais pas qu’il s’exécuterait.
— Alors vous ne le connaissez pas aussi bien que vous le pensez. Lucian fait ce qu’on lui dit de faire. Et c’est ce que vous lui avez dit de faire.
Estée tordit sa jolie bouche en une grimace.
— Parfois… Non ! Pas parfois… La plupart du temps… j’ai l’impression qu’il vous aime, vous, plus qu’il ne m’aime moi.
Le duc haussa une épaule.
— C’est bien possible. Mais rassurez-vous, vous êtes la seule femme qu’il aime. Puis-je vous donner votre assiette ? Vous vous sentirez mieux après avoir mangé. En tout cas, selon les conseils de votre médecin.
Estée se redressa, horrifiée.
— Vous lui avez demandé de m’espionner ?
— Non. Je lui ai demandé de me tenir informé de l’état de santé de ma sœur. Je ressens une inquiétude fraternelle bien naturelle pour le bien-être de ma sœur, en particulier dans votre état actuel. Et votre médecin ne m’en parle que quand je l’interroge.
— Comme c’est délicat de sa part !
— Je suis de cet avis, répondit-il nonchalamment en lui tendant une assiette en porcelaine de Sèvres qui contenait une poire coupée en fines tranches