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Voyage au pays des peintres
Voyage au pays des peintres
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Livre électronique354 pages5 heures

Voyage au pays des peintres

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À propos de ce livre électronique

DigiCat vous présente cette édition spéciale de «Voyage au pays des peintres», de Mario Proth. Pour notre maison d'édition, chaque trace écrite appartient au patrimoine de l'humanité. Tous les livres DigiCat ont été soigneusement reproduits, puis réédités dans un nouveau format moderne. Les ouvrages vous sont proposés sous forme imprimée et sous forme électronique. DigiCat espère que vous accorderez à cette oeuvre la reconnaissance et l'enthousiasme qu'elle mérite en tant que classique de la littérature mondiale.
LangueFrançais
ÉditeurDigiCat
Date de sortie6 déc. 2022
ISBN8596547442219
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    Voyage au pays des peintres - Mario Proth

    Mario Proth

    Voyage au pays des peintres

    EAN 8596547442219

    DigiCat, 2022

    Contact: [email protected]

    Table des matières

    AU LECTEUR

    CHAPITRE PREMIER

    CHAPITRE II

    CHAPITRE III

    CHAPITRE IV

    CHAPITRE V

    CHAPITRE IV

    CHAPITRE V

    CHAPITRE VI

    CHAPITRE VII

    CHAPITRE VIII

    CHAPITRE IX

    CHAPITRE X

    CHAPITRE XI

    CHAPITRE XII

    CHAPITRE XIII

    CHAPITRE XIV

    CHAPITRE XV

    CHAPITRE XVI

    00003.jpg

    A ALLAIN-TARGÉ

    MARIO PROTH

    CAROLUS DURAN

    Gloria Maria Medicis.

    00004.jpg

    AU LECTEUR

    Table des matières

    Enfin!

    Elle est venue, la grande Année, celle qu’ont rêvée, préparée, créée de toute leur sagesse prévoyante et de leur patience parfois héroïque tous nos patriotes, celle qu’ont attendue curieusement, anxieusement même, les esprits libres, les consciences éclairées du monde entier. Délivrée des tyrannicules ridicules du Seize-Mai, la France a parachevé son œuvre. Au jour dès longtemps fixé, à l’heure dite et redite, l’immense Exposition universelle a été ouverte coràm populis, car la plupart des peuples étaient au rendez-vous. Le Président a présidé, la cascade a débuté, le canon a tonné, les fanfares ont éclaté. Paris, pour la première fois depuis l’Année Terrible, Paris, le glorieux maudit, s’est réjoui, pavoisé, illuminé. Les veuillotins, sacristains et théatins ont écumé. La fête était complète.

    Aussi bien le 1er mai 1878 s’inscrira-t-il parmi les dates les plus resplendissantes de l’histoire inaugurée en 1789. Le 1er mai 1878 est la préface éloquente de l’ouverture bien lointaine encore, mais moins peut-être qu’on ne le pense, des états généraux d’Europe. Au Champ-de-Mars, désormais si mal appelé, où fut proclamée, il y a un siècle, la Fédération des Français, le Mai nouveau a précipité la Fédération des peuples.

    Écrasée, humiliée, abandonnée, bafouée, niée, tenue pour morte en 1871, la France a réussi en 1878 ce qu’ont manqué en 1873 la monarchie autrichienne, en 1876 la république américaine. Vaincue hier par le gigantesque effort d’une haine séculaire, la France aujourd’hui a vaincu par l’irrésistible élan de la fraternité. Elle a, d’un pas sûr et pressé, repris son rang officiel à l’avant-garde des nations. Et le nom que lui avait donné Michelet: Grande Amitié, le monde, repentant et charmé, le lui a rendu. Ayant gagné la bataille du progrès, elle dicte l’ultimatum de l’avenir: Travail et Paix. Par ce prodigieux relèvement, la Révolution française est justifiée, garantie. 1870 a vu son épreuve. 1878 a vu son apothéose.

    Puissent nos artistes, ouvrant l’âme et les yeux, bien voir, eux aussi, et bien comprendre. Long sera cette fois notre Voyage au pays des Peintres, une manière de tour du monde. Nombreuses seront nos stations, et nous aurons de omni re artisticâ et quibusdam aliis toute occasion, comme tout loisir, de longuement deviser ensemble. Il nous sera une fois donné d’étudier à l’aise et de librement célébrer, dans sa plus haute manifestation, cette «idée internationale», consolation du présent, Évangile de l’humanité future. Puisqu’un tournoi unique nous est offert dans cette cité d’élection, asile de la critique lumineuse et loyale, nous pourrons, en toute connaissance de cause, à l’art étranger mesurer notre art national, et savoir à peu près ce qu’il tient de génie français dans le génie humain.

    Il en tient beauçoup, la chose est sûre, mais pas tant que s’efforcent de le croire, ou de le faire croire, des chauvins naïfs et incorrigibles. L’idée française, ou, pour mieux dire, l’esprit de 89, a fait de par le monde un chemin rapide et indéniable. Son action universelle est manifeste. Il a provoqué, il a vivement aidé l’émancipation politique, industrielle, économique, sociale des peuples, et partant leur émancipation littéraire et artistique. Là est la vraie supériorité, l’inappréciable bienfait de la France, et là sera son éternelle gloire. Mais, précisément parce que son initiative généreuse et puissante a eu plein effet, la France ne doit point sommeiller sur ses lauriers glorieusement, longuement, et chèrement gagnés.

    «Un peuple, quel qu’il soit,» écrivions-nous il y

    «a vingt ans, «ne peut aspirer à conquérir ou à garder

    «la direction du monde intellectuel qu’à la seule condition

    «de s’assimiler tous les génies, toutes les

    «intelligences, toutes les aspirations, tous les soleils que le

    «dieu Nature a répandus sur la surface du globe. Le

    «jour où tous les peuples conviés à son hospitalité

    «retrouveront chez lui ce que l’Anglais appelle le at

    «home, lui aussi alors il sera chez lui partout; il sera le

    «peuple-roi sacré de la seule royauté désormais pos-

    «sible, l’intelligence universelle.

    «Et mieux encore, le progrès définitif et vraiment

    «souhaitable ne s’accomplira que le jour où tous

    «les peuples, chacun avec les moyens que lui assurent

    «sa position et l’imagination que lui prête son soleil,

    «auront conquis la même couronne.

    «Après l’égalité des esclaves, celle des dieux.

    «Chacun chantera et dansera à sa manière. La nature se

    «chargera toujours de l’infinie variété des types, des

    «aptitudes, des poèmes, des coutumes. Sur des bases

    «partout les mêmes s’élèveront des édifices aussi

    «différents qu’on voudra de formes et de couleurs,

    «et la diversité sera belle alors, car elle sera l’harmonie.»

    Or, depuis vingt ans, les choses ont singulièrement marché. De ces édifices, témoignages merveilleux de l’immense effort du XIXe siècle, les fondations partout sont jetées. Chez certains peuples même, leur construction s’élève à une hauteur déjà considérable. Chaque race aujourd’hui se développe librement, ou peu s’en faut, avec son énergie, sa virtualité, son enseignement propres, vers sa propre destinée.

    Ce progrès général que nous avons presque partout constaté, nous croyons l’avoir suffisamment indiqué. Il nous a ravi, parce qu’il réalise le desideratum de la Révolution française, et parce qu’il excitera dans notre pays, revenu des jalousies bêtes et des orgueils mal placés, une ardente émulation. Dans l’art comme dans l’industrie, la France est, sinon dépassée encore, mais serrée de fort près. Caveant consules! Telle sera du moins notre conclusion, sur laquelle nous ne voulons point anticiper.

    Sans doute nous aurons commis, dans nos appréciations des arts et des peuples divers, plus d’une erreur. Et dans nos vagations plus d’une divagation se sera glissée. Certaines critiques, ou certains éloges, paraîtront à ceux-ci ou à ceux-là mai fondés. D’avance nous acceptons, et instamment nous sollicitons, le redressement de nos erreurs. Mais aussi notre évident amour de l’humanité, notre enthousiasme facile, plaideront pour nous, et notre ignorance aura pour circonstance atténuante notre sincérité. Encore une fois, nous ne sommes qu’un simple voyageur, mais non un missionnaire, ni même un critique. Nous nous impressionnons, nous ne jugeons pas.

    A la France appartiennent les premiers chapitres de ce livre et le dernier, le long exorde et la courte péroraison. Logiquement il débute par une étude, écourtée cette fois, de notre Salon annuel, et il se termine, non par une revue des salles françaises au Champ-de-Mars, fort inutile après les trois précédents volumes, mais par quelques menus propos sur l’art français comparé aux arts étrangers. Que ces premiers chapitres et ce dernier soient légers à nos susceptibles compatriotes! Parfois notre polémique leur doit sembler un peu bien vive contre les doctrines et les œuvres; mais volontiers nous insistons, comme dans notre premier volume, sur notre respect absolu des intentions et des personnes.

    Nous ne parlerons guère, en 1878, que peinture et sculpture. L’aquarelle, les dessins, la gravure, toutes les gravures, la céramique, toutes les céramiques, l’architecture, toutes les architectures, l’art moderne et le Musée rétrospectif entraient dans notre premier projet. Nous voulions parler de tout, et autre chose encore, dans cette quatrième et probablement dernière année, synthèse et conclusion de notre Voyage au pays des Peintres. Bien vaste était notre ambition, bien plus étroit fut notre courage. Mais, en revanche, que de sottises et que d’ignorance nous nous sommes épargnées!

    Qu’était-ce d’ailleurs qu’un semestre pour ce travail énorme et quasiment impraticable? L’Exposition a semblé longue aux exposants éloignés de leurs foyers, et aux Parisiens dérangés dans leurs petites habitudes. Pour les studieux, elle n’a fait que passer. Quand on la ferma, la moitié de ce livre à peine était écrite. Pour la gent exigeante et terrible des actualistes, il paraît un peu tard, c’est possible. Mais tant d’événements, et si considérables, ont depuis novembre détourné l’attention publique du Champ-de-Mars et de ses pompes dispersées! La vie moderne enfin est si compliquée! D’autres travaux plus pressants encombrèrent notre voie. Nous eûmes autre chose à écrire, et notre nouvel éditeur, le plus vivant aujourd’hui et le plus occupé de notre librairie d’art, M. Ludovic Baschet, eut autre chose à éditer. Nos collaborateurs enfin, les artistes, avaient aussi, je le parierais, autre chose en tète que nos dessins.

    Bref, que ce livre, humble document de l’Exposition universelle de 1878, dure dans les recoins obscurs des bibliothèques autant que son souvenir, à elle, dans la mémoire des nations, et cela lui fera sur la planche une jolie petite éternité !

    Paris, 2 Avril 1879.

    MARIO PROTH

    ALFRED ROLL

    Portrait de M. Jules Simon

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    CHAPITRE PREMIER

    Table des matières

    SOMMAIRE: Donc M. Vibert, un beau matin.... — L’ange de l’Institut. — Et M. Vibert comprit. — Anch’io! — Un homme venait de mourir. — Ange et farceur. — On dit monsieur Thiers. — Le Père-Lachaise est l’antichambre de l’olympe. — Quatre municipaux et trois fantassins. — La Commune? non, mais une femme commune. — Le pavé de l’ours à la tête d’un dieu. — L’historiographie n’est point l’histoire. — O cette Maria! — Sous votre arbre, bons pères. — Tout autre que Carolus Duran. — La direction des postes olympiennes. — La Renaissance est là ! — Carolus et Tiepolo. — Un plafond plafonnant de plafonnerie. — M. Ranvier et son Aurore parisienne. — Que diable rêvait cette Nuit? — Une modestie réglementaire. — M. Roll et les augures. — Jules Simon ou Jules Janus? — On a ses jours et aussi ses années. — Et M. de Chateaubriand? — Le Jules Simon de 1878. — Encore un Bonaparte en Égypte! — Une photochromie économique et mirifique. — M. Detaille, laissez l’Afrique à M. Benjamin Constant. — Ils sont effroyables, ces misérable. — Hélas! je n’ai pas vu l’Orient. — MM. Paul Colin et Destrem. — Le manitou aux vaches. — M. Escalier et son panneau. — Tous caquettent et tous coquettent.

    Donc M. Vibert, un beau matin, se réveilla tout rempli d’une joie pétulante et pure. Un ange lui était apparu pendant la douceur d’une profonde nuit, l’ange de l’Institut, reconnaissable à ceci, qu’il a pour vêtement une épée de salon, et pour ailes lui battant aux épaules deux pans d’habit à la françaisé, brodés de palmes vertes. Et l’ange lui avait dit: «Relève enfin ton front superbe. Dédaigneux des clameurs d’une critique envieuse et basse, cours où ta destinée t’appelle. Toi aussi, je te l’assure en vérité, tu seras un grand peintre d’histoire. Rien ne te sera plus facile, crois-moi, que ce genre inférieur; avec une toile hors mesure et ton chic suprême, l’on s’en tire. Brosse-nous une belle affaire, et les peuples applaudiront. Et sur le seuil du Temple auguste, Cabanel te lancera par une trompette d’airain le ps’t, pss’t des jours solennels.» Et M. Vibert comprit. Cet ange de l’Institut a la parole si claire. «Anch’io! s’écria-t-il. Attends un peu, critique basse et envieuse, tu vas voir ma noble vengeance! Anch’io! je secouerai la poussière de mes sandales, désormais académiques, sur le seuil de l’Antichambre de Monseigneur. Tu ne me reverras plus, Boutique du nouveau commis. Anch’io!» Et il releva son front définitivement superbe. Et il chercha. Et il trouva.

    Justement, un homme de quelque célébrité venait de mourir, M. Thiers, pour ne vous rien céler. Quelles funérailles! il vous en souvient. Hector le Troyen, Alexandre le Macédonien, Washington l’Américain, en eurent-ils jamais de pareilles? Le doute est permis. «O l’actualité magnifique! pensa M. Vibert. Ma belle affaire, je la tiens.» Et, séances tenantes, il brossa de M. Thiers l’apothéose que voilà.

    Et les peuples n’applaudissent point. Leur en vouloir est au-dessus de nos forces. O trop confiant M. Vibert! vous n’écouterez plus, je gage, les plaisanteries de cet angélique farceur. Il vous a mal conseillé, et vous avez mal choisi, et plus mal encore vous avez peint. Votre talent, si léger, s’est égaré dans une grosse aventure qu’eût soigneusement évitée le génie d’un Delacroix. Une actualité, si énorme qu’elle soit, appartient au Journal Illustré. Entre elle et la légende il y a ce long espace, l’histoire. Et d’ailleurs on divinise, après des siècles de gloire, un poète quelquefois, un homme politique jamais, alors surtout qu’il compte six mois à peine de postérité. Le héros de M. Vibert sera-t-il quelque jour divinisé ? Je ne sais, car toujours on l’appellera M. Thiers.

    Un dieu, d’ordinaire, n’est ni couché, ni mort, et le Père-Lachaise n’est que l’antichambre de l’olympe. Un dieu plane, ou il agit. Il juge, il guerroie, il foudroie, ou il se promène dans quelque campagne élyséenne. On ne se l’imagine pas étendu sur un catafalque, même en carton pâte, et flanqué de coqs gaulois. La meilleure figure de votre tableau est celle de cette belle dame en deuil, la France, n’est-ce pas? Mais pourquoi recouvre-t-elle le défunt tout justement de la partie rouge du drapeau tricolore? Et s’explique-t-on comment, si ce geste est spontané, l’étoffe ne recouvre point aussi toute cette batterie de cuisine de la gloire, cette quincaillerie officielle? On dirait un vieux magistrat ou quelque professeur de Faculté, enseveli par testament dans sa robe écarlate, avec toutes ses décorations. Gros effet, et bien théâtral, et bien vulgaire. Votre mort est ressemblant à peine, jaune, mal embaumé, renfrogné, guère imposant. Où donc est le million d’hommes qui escorta jusqu’à sa. tombe le Président? De cette apothéose immense et authentique, la seule qui vous eût dû inspirer, vous nous avez conservé un corbillard de première classe, quatre municipaux, trois fantassins, et une hotte de couronnes d’immortelles. C’est peu, c’est triste, c’est banal, c’est laid. Dans les nues, ces ombres de grognards qui défilent, avec des gestes héroïques, sans doute elles nous évoquent l’Histoire du Consulat et de l’Empire. Mais ces rééditions, ces dilutions, ou, pour parler franc, ces «resucées» de la rengaine Raffet et Cie, n’ont vraiment plus de quoi nous toucher...

    Il est dans cette œuvre toute une part considérable sur laquelle volontiers nous aurions gardé le silence. Abattue et rebattue, gisante sur son rouge étendard, essayant, en un dernier effort, d’allumer à sa torche l’écusson de Paris, cette mégère échevelée? non, mal peignée seulement, cette Euménide de barrière, c’est la pétroleuse poncive, invention des gazetiers de l’an 1871. D’aucuns y voient la Commune. Je n’y vois qu’une femme commune. A l’horizon, ces batteries en travail, ces monuments en feu, nous connaissons cela. Il fut un temps où cela se vendait fort bien, mais les marchands de photographies n’en veulent plus. Pourquoi, ô artiste, oubliant le libérateur du territoire, avoir à cette apothéose infligé ce souvenir sombre? Pourquoi avoir, maladroit fidèle, jeté à la tête de ce dieu endormi le pavé de l’ours de la guerre civile? Croyez-vous donc que M. Thiers tut si heureux d’avoir Paris à conquérir? Quand l’histoire se fera de ces journées lugubres, bien des choses étranges seront démontrées. Jusque-là, comme en un vaudeville célèbre, la consigne est de ronfler. Tandis que les plus apeurés se rassurent, et que les plus implacables fléchissent, alors que par-devant l’Europe accourue Victor Hugo proclame cette amnistie que tous réclament, votre pétroleuse, ô peintre, arrive un peu tard!... N’insistons pas. M. Vibert, homme d’esprit libéral et galant homme, saura bien prendre sa revanche. Il y a dans son œuvre des qualités incontestables; de l’habileté surtout, et du mouvement qu’il faudra ordonner. Ni critique, ni pédant, nous ne le condamnerons point à l’historiette forcée. Qu’il reste dans l’histoire désormais, c’est son droit et presque son devoir. Il y a, dans son effort même, toute une volonté de favorable augure. Mais cette Muse-là, qu’il ne l’oublie point, sévère entre toutes, n’accorde ses restreintes faveurs qu’aux réfléchis, aux patients, aux sincères.

    Et maintenant retournez-vous, et de toute votre attention, avec tous vos souvenirs et toute votre justice, contemplez ce plafond de Carolus Duran. Quel titre et quel sujet! Ce n’est point l’histoire, cette fille légitime et si jeune encore de l’esprit moderne, c’est l’historiographie, cette impudente bâtarde, cette vieille courtisane, qui les a dictés. Aussi bien

    Le latin dans les mots bravant l’honnêteté,

    nous lisons au livret cette audacieuse légende qui n’a de pudeur qu’en sa brièveté : Gloria Mariœ Medicis. Certes, notre siècle songeait peu à cette apothéose. Une gloire en 1878, une gloire encore à cette bête et odieuse femme, si funeste à notre pays, à cette créature des jésuites et complice de Ravaillac! Une gloire à cette épaisse tonton qui, sans Richelieu, eût perdu la France, et qui lui amena tant de malheurs, et aussi tant d’aventuriers qui firent souche! A cette gloire extraordinairement posthume, et indéfiniment attardée, il n’était qu’un refuge à peu près explicable, le palais du Luxembourg, que cette Maria fit bâtir, que Rubens lui décora, et qui attend le plafond de Carolus Duran. O commande officielle, voilà de tes coups! Au Panthéon le catéchisme, au Luxembourg la turlutaine monarchique. Le système est complet vraiment, d’un mécanisme ingénieux et subtil, faisant tout honneur à l’esprit d’intrigue de nos révérends administrateurs. Pour que l’arbre, par leurs soins planté, l’arbre de l’ignorance du bien et du mal, porte les fruits rêvés, il ne manque plus que deux conditions, fort aisées d’ailleurs à obtenir: un retour bienveillant du siècle en arrière, et la complicité de la nation française. Sous votre arbre, bons pères, espérez, cela viendra.

    Tout autre que le talent robuste et nerveux de Carolus Duran eût été fatalement inférieur à sa lourde tâche, et il ne fallait rien moins que son prestigieux pinceau pour écrire sur ce thème plus que menteur une belle page de rhétorique décorative. Notre brillant coloriste a soutenu, jusqu’au bout, cette gageure avec un rare bonheur, justifié par une habileté surprenante. Le temps, disons-le une fois pour toutes, nous pressera trop cette année pour qu’il nous soit loisible d’entrer en un récit détaillé de chaque composition, et de l’œuvre présente nous ne tracerons qu’une esquisse rapide avec plus rapide commentaire.

    Dans un imperturbable azur, au seuil d’un temple de gloire, circulaire, aux sveltes colonnes, gracieux et léger, trône une reine tout de blanc habillée. Une douce et jolie blonde, reine de Perrault qui ne garde, s’entend, de l’historique Maria que la plus idéaliste des ressemblances. Une Religion, une Charité, chastes et sévères, une Vérité, toute nue, belle et hardie comme le Mensonge, une Renommée, point paresseuse, assistent et célèbrent la divinité du jour, et de gentes nymphes donnent la volée aux pigeons voyageurs que chargea la direction des postes olympiennes de distribuer aux mortels «la bonne nouvelle».

    Très-bonne assurément, si l’on en juge par l’allégresse bruyante et l’entrain sans pareil des spectateurs d’en bas. O la pittoresque vision et le tohu-bohu charmant que voilà ! C’est un rêve, mieux encore, c’est une évocation. La Renaissance, l’incomparable Renaissance est là qui tressaille, s’exalte et défile sous nos yeux, avec ses balcons aux riches draperies où s’accoudent les élégantes beautés, ses coursiers empanachés, ses cavaliers superbes, souples dans l’armure, fiers sous le casque, ses patriciennes de noble allure et ses paysannes sculpturales, ses costumes chatoyants et ses nudités radieuses, ses pages endiablés, ses varlets bigarrés, ses Maures en vrai bronze et ses nègres plastiques, ses mannes de fruits, ses corbeilles de fleurs, ses guirlandes de femmes, ses feux et ses sourires, sa luxuriante jeunesse et son Messidor éternel, sa cour du Décaméron et son peuple d’opéra. Que de groupes variés, que d’attitudes heureuses et de personnages bien campés! Cette foule se meut, ce mouvement est sonore, ces bouches crient, ces mains applaudissent, ces regards se cherchent, ces gestes s’appellent, cette peinture éclate et chante. Cette couleur, ce bruit, ce brio, c’est bien une fête, c’est la Fête! Et sans contredit la meilleure et la plus vivante part de l’œuvre, celle où s’affirme le plus librement ce talent de Carolus Duran, avant tout épris des réalités magnifiques, visiblement rebelle aux errements des académiques mythologies.

    La Gloire de Marie de Médicis a éveillé chez nombre de personnes, chez nous particulièrement, qui fréquentâmes beaucoup ce maître à Venise, le souvenir de Tiepolo. Il y a, certes, entre les deux manières, entre les deux verves, de très-frappantes analogies. Par sa couleur, du reste, comme par son entente de la composition, Carolus Duran est parmi nous le représentant le plus accrédité de l’école vénitienne. Il l’a longuement et fructueusement étudiée. Très-personnel, fort indiscipliné, il ne la copie point. Il la rappelle, et il en continue librement la très-libérale et scientifique tradition. Sa filiation directe est au seizième siècle; son tempérament, sa volonté, son idéal sont au dix-neuvième. Les défauts même et les imperfections de son œuvre trahissent cet amour impérieux de la vie, cet irrésistible sentiment de la réalité, caractères distinctifs de notre époque. Poncif et convaincu, il eût installé sa divinité au sixième étage de l’empyrée, au lieu de l’asseoir en quelque sorte parmi ses terrestres fidèles. Il eût donné moins de carrière au peuple et plus d’importance aux allégories. Il eût été plus respectueux, plus calme, plus ordonné, moins touffu, moins tumultuaire, moins bruyant. Un mot encore. Les ignorants, les savantissimes et les amis ont amèrement critiqué l’équilibre instable, la perspective singulière des dispositions architecturales, et tout de suite ils ont péremptoirement décidé que ce plafond ne plafonne pas. Quoique très-ignorant, nous ne trancherons point cette grave question. Quand aura paru ce livre, la Gloire sera en place, et alors seulement, avec tout le monde, nous jugerons si ce plafond est, comme dirait Rabelais, un plafond plafonnant de plafonnerie. Ce que dès maintenant avec tout le monde nous savons et jugeons, c’est que l’on chercherait inutilement parmi les Nestors de l’Institut, et que l’on trouverait difficilement parmi les peintres de l’âge de Carolus Duran, un gaillard capable de mener à meilleure fin une telle entreprise. Et nous ne doutons pas que, prochainement délivrée des influences rétrogades et cléricales, la République française ne propose à M. Carolus Duran quelque autre Gloire humaine, moderne, historique et sensée, véritablement digne de son éloquent et magistral talent.

    Et celui-là, plafonnera-t-il, au palais de la Légion d’honneur, le plafond de M. Ranvier? J’en accepte l’augure. En tout cas, il se présente fort bien sur la cymaise du salon carré. L’Aurore! simple et éternel sujet, jamais rebattu, jamais menteur. Nul apparemment ne pouvait mieux inspirer ce peintre aimable que ses défauts ont cette fois servi peut-être autant que ses qualités. Aurore jolie et blonde, qui laisse aller son rose voile aux mains d’un génie impatient. Élégante et fugitive souveraine de ce ciel doux et tendre comme un ciel de boudoir, elle séduira sans effort les quelques vertueux qui se hasarderont à la contempler. Aurore discrète, elle ne troublera point de ses rayons bien appris le sommeil savant du paresseux, ni le repos à peine commençant du veilleur attardé, ni le long baiser, si court, de Romeo et Juliette. C’est une aurore parisienne. Et cette joueuse de cymbales assise sur la nue, et son coq rutilant, aux ailes éployées, au bec largement ouvert, et ces génies qui collent leurs petites bouches à leurs grands clairons, ils attendent, je gage, un geste de leur patronne pour frapper, chanter, sonner la vie nouvelle, car ils n’ont point réveillé encore cette Nuit que vous voyez là, si belle et si bellement accoudée, poursuivant quelque divin songe où pourrait bien jouer son rôle un camarade fort connu de ce gamin céleste qui la regarde malignement, en soufflant sa lampe. Tout est esprit, tout est nuances, rêve, crépuscule, dans cette œuvre si bien comprise et si bien venue, le chef-d’œuvre de son auteur. Tout, sauf les carnations éblouissantes des divinités athéniennes qui emplissent de leurs radieuses personnes cet adorable firmament. Mais encore, la gaze et la brume les enveloppent. Elles flirtent avec un quartier de lune, elles coquettent avec l’étoile du matin; elles sont séduisantes et chastes. Elles glissent, immortelles, et n’appuient pas. Qu’on se rassure en haut lieu, les intéressantes pupilles de la Légion pourront arrêter sur ce plafond un candide regard, sans que leur modestie réglementaire en demeure le moindrement effarouchée.

    Il n’est point au Salon carré que cette imposante trinité d’allégories.

    Tout à côté de M. Thiers canonisé, voici, par une piquante coïncidence, la très-fidèle et très-véridique effigie de son plus intime et plus apprécié collaborateur, Jules Simon, œuvre nouvelle et non la moins durable de Roll. Participant au destin de l’original, ce portrait a subi mainte attaque. Contre cette toile la critique a fait houle, comme si souvent contre l’homme d’État la vague des partis. Et jamais plus qu’en cette occurrence elle n’a justifié le vieux Boileau. Jamais peut-être la critique ne fut plus aisée, plus banalement facile, jamais l’art ne fut plus difficile.

    M. Roll, ont dit les augures, M. Roll s’est trompé. Il n’a été que vigoureux, le très-vigoureux auteur de la Chasseresse et de l’Inondation. Vigueur inutile et intempestive! Il a prodigué la force là où il fallait quasiment exagérer la finesse. Il nous devait un Jules Simon complet, c’est-à-dire complexe, que dis-je, un Jules Janus, mi-parti causeur et mi-parti orateur, souriant beaucoup à droite et à gauche, tonitruant un peu, malin surtout et ironique, et onctueux et épiscopal. L’un d’eux même, et un admirateur plus ou moins adroit du philosophe, s’est écrié : «Il peint M. Simon à la suie, quand l’eau de rose bénite n’eût pas été de trop.» Si ce coloriste de l’avenir nous a récréé, vous le devinez sans peine.

    Eh là ! là ! bonnes gens, augurales personnes, la réflexion vous est-elle donc interdite? M. Jules Simon, nature très-complexe, en effet, nature d’artiste s’il en fut, n’a point la physionomie stéréotypée, faussement légendaire, le masque de commande qu’il vous plaît de lui attribuer. Il a ses jours, comme tout le monde. Il a aussi ses mois, voire ses années, comme tout artiste. Le brutal Seize-Mai l’a cruellement frappé dans sa plus plus haute ambition, dans son plus légitime orgueil. Une coupe débordante lui a été versée, coupe d’amertume, de fiel, d’ingratitude et d’outrages, qu’il a dû vider jusqu’à l’extrême lie. Que le goût lui en remonte incessamment aux lèvres et gêne un peu le sourire demandé, qu’il oublie rarement et même qu’il se souvienne toujours, cela vous étonne-t-il, observateurs légers? Quand M. de Chateaubriand, autre artiste, fut jeté sans phrases, en cinq minutes, à la porte du ministère par son doux Roy, cet épais Louis XVIII qui conserve encore parmi les imbéciles quelque renom d’esprit, croyez-vous qu’il offrit de longtemps à ses contemporains un visage rasséréné ? Sa colère fut si grande, qu’il la fit immortelle. Aux angoisses morales ajoutez une maladie qui fut longue et dangereuse, et vous comprendrez pourquoi, à peine convalescent de sa double torture, le modèle de

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