Notre-Dame-d'Amour
Par Jean Aicard
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À propos de ce livre électronique
Jean Aicard
Jean François Victor Aicard, né le 4 février 1848 à Toulon et mort le 13 mai 1921 à Paris 7e, est un poète, romancier et dramaturge français.
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Aperçu du livre
Notre-Dame-d'Amour - Jean Aicard
Notre-Dame-d'Amour
Notre-Dame-d'Amour
DÉDICACE
I – NOTRE-DAME-D’AMOUR.
II – LA TARDARASSE GUETTE LA CAILLE.
III – LE REMORDS DE MARTÉGAS.
IV – À QUI LE CHEVAL ?
V – LE SULTAN ET SON SÉRAIL.
VI – LE CONSEIL DES BÊTES.
VII – LA COCARDE DE ZANETTE.
VIII – ROSSELINE.
IX – CE QUE ZANETTE IGNORE.
X – ZANETTE ET ROSSELINE.
XI – DOMPTEUR.
XII – LA POURSUITE.
XIII – L’ÉCURIE DE MAITRE AUGIAS.
XIV – NOTRE-DAME-D’AMOUR, EXAUCEZ-MOI !
XV – LA BELLE ET LA BÊTE.
XVI – LE CHEVALIER.
XVII – NOBLESSE.
XVIII – LE SÉDEN.
XIX – À QUI LE CHEVAL ?
XX – DEUX BONNES AMES.
XXI – LE PLAT DE LENTILLES.
XXII – TOUJOURS.
XXIII – L’AMOUR SOUFFLE OU IL VEUT.
XXIV – PARJURE.
XXV – L’ABRIVADE.
XXVI – AUX ARÈNES.
XXVII – LE GRAND JOUR.
XXVIII – UNE VENDETTA.
XXIX – NOTRE-DAME-D’AMOUR.
Page de copyright
Notre-Dame-d'Amour
Jean Aicard
DÉDICACE
À Mademoiselle Madeleine Aicard
Ma bonne vieille tante,
Pourquoi je vous dédie ce livre ? Parce qu’on y voit passer deux figures qui, je le sais, vous toucheront.
C’est, d’abord, dans la chapelle abandonnée, la pauvre statuette de Notre-Dame-d’Amour.
C’est, ensuite, la vieille mère du gardian Pastorel… Ne trouvez-vous pas qu’elle ressemble un peu à la vôtre, à ma grand’mère ? Et n’est-ce pas que, pour cela, vous aimerez mon livre ?
Votre neveu dévoué,
Jean Aicard.
I – NOTRE-DAME-D’AMOUR.
Zanette, c’était son nom de Jeanne, de Jeannette, comme elle le prononçait en zézayant, lorsqu’elle était toute petite. Tel il lui était resté. Ce qui, aussi, lui était resté, c’était sa grâce d’enfance, on ne sait quoi de tout mignon, de plus jeune qu’elle-même. Elle était belle de ses beaux seize ans, de son profil de Grecque, et de ses cheveux noirs, qui, sous le hennin à l’arlésienne, pendaient lourdement sur la blancheur dorée de son cou.
Elle avait seize ans avec l’air d’en avoir douze. Pourtant, on sentait la vie jeune et forte palpiter dans la chapelle, c’est-à-dire dans l’entre-bâillement des fichus aux plis innombrables, qui laissent voir un peu de la poitrine nue sur laquelle brille la croix d’or suspendue à la chaînette des grand’mères.
Zanette vivait à la ferme de la Sirène, bien tranquille à soigner ses poules, ses lapins, auprès de son père, maître Augias, le bayle. À l’ordinaire elle allait en Arles tous les dimanches.
Et bien souvent, assise au bord du Petit Rhône, seule, sous les saules et les aubes, elle rêvait en regardant l’eau, l’eau qui s’en allait vers la mer, vers la mer si grande, où des bateaux vont et viennent, comme des bêtes de rêve, comme de grands oiseaux aux ailes blanches… Un songe d’inconnu accompagnait toujours Zanette. Ses beaux seize ans espéraient.
… N’est-ce pas qu’elle porte un joli nom, la ferme de la Sirène ? La Sirène (la Sereno) si vous interrogez les paysans, ils vous le diront, est un oiseau de passage, qui jamais ne s’arrête chez nous, et qui traverse seulement notre ciel, très haut. Quelquefois, le laboureur, en novembre, arrête son attelage, parce qu’il a entendu une harmonie lointaine, confuse, comme un son prolongé de viole ou de mandoline…
Et il écoute, en rêvant…
Ce sont les sirènes qui passent là-haut, tout là-haut. Elles sont plus petites que des tourterelles et leurs plumes miroitantes ont toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. On ne sait pas si la musique qu’elles font sort de leur gosier ou vient simplement de le vibration de leurs ailes. On croit plutôt que leur vol est harmonieux. Leur voix y ajoute une seule note qui, de temps en temps, scande et domine la mélodie des ailes… Un jour, dit-on, comme on venait à peine de construire le château et sa ferme, une sirène un instant se posa sur le bouquet de tamaris en fleurs que les maçons plantent au bout d’une perche, sur la toiture, dès qu’elle est achevée. Et le château, et la ferme qui le touche, furent, voilà bien longtemps, baptisés du nom qu’ils portent encore.
Entre la ferme et la château, une vieille chapelle décrépite, où jadis on disait la messe, se dresse, étroite et longue.
On la dirait bâtie sur le modèle des huttes camarguaises.
Les huttes sont en « tape », en argile desséchée, recouvertes de roseaux, et la chapelle est en moellons, et recouverte de pierres plates, mais les deux toits ont la même forme, celle d’un bateau long, la quille en l’air ; et sur leurs toitures, les cabanes, aussi bien que la chapelle, portent toutes une croix penchée, comme renversée en arrière. Toutes ces croix penchantes font songer au mistral éternel qui incline ainsi un peu tous les arbres des plaines provençales, dans la même direction. Tous ils gardent un peu la marque du vent maître, « magistral », à qui les Romains avaient élevé un temple, comme à la puissance divine, protectrice de ce pays qu’il balaye et assainit sans cesse… Elles donnent encore, les petites croix qu’on plante ainsi à dessein penchées, l’impression des choses de la religion, à la fois vaincues et résistantes.
Elles sont là, tenaces mais inclinées, jamais arrachées mais toujours penchantes, et elles disent le triomphe obstiné d’une foi sans relâche battue des vents…
Bien délaissée en effet, la petite chapelle. On n’y dit plus la messe. Et pourtant, les gens du château et de la ferme ne l’abandonnent pas ; ordre est donné à Zanette par les maîtres du château, riches négociants qui habitent Marseille, — de tirer, aux jours de fête, — de dessous l’autel qui forme placard, — les vêtements sacerdotaux précieusement enfermés là, et de les visiter avec soin, d’en éloigner les fourmis, les araignées, les tarentes.
Cette chapelle est consacrée à la Vierge, qui porte aussi le nom de Notre-Dame-d’Amour.
Hélas ! même parmi les saints du saint paradis, il y a des humbles et des glorieux ! Il y a, hélas ! par le monde, des Notre-Dames illustres, vénérées de tous, à qui on apporte chaque jour des présents magnifiques, des robes de soie, des couronnes de perles, des colliers de diamants ! Il y a des Notre-Dames à Lyon, à Paris, à Lourdes, à la Salette, — l’univers le sait. Et peut-être aucune d’elles n’a un si beau nom que la petite Notre-Dame qui, en Camargue, inconnue du monde, délaissée même des gens du pays, habite une pauvre chapelle décrépitée, semblable à la plus pauvre des cabanes de ce désert !… Notre-Dame-d’Amour ! c’est sous ce nom charmant que la chapelle est connue de tout le pays. Mais si Notre-Dame-d’Amour est aussi connue que Saint-Trophime d’Arles ou les Saintes-Maries-de-la-Mer, elle n’est pas visitée comme eux, tant s’en faut ! Et dans sa niche de pierre, au-dessus de l’humble autel où brillent deux candélabres de cuivre et un tabernacle de bois doré, la Notre-Dame, dorée également, ne voit plus à ses genoux que Zanette.
Du moins est-ce tous les jours, dès l’aube, que Zanette vient lui adresser sa prière, depuis sa petite enfance.
Pauvre Notre-Dame-d’Amour, que son nom adorable ne protège pas contre l’abandon ! Elle est pourtant jolie à voir, grande, oh ! grande comme une enfant de dix ans, vêtue, par-dessus la robe de bois doré, d’une robe en vraie étoffe, jadis blanche, toute piquée de fleurettes bleues. Elle est coiffée d’un velours d’Arlèse, bleu également, frappé de roses pâles ; elle a, aux oreilles, des pendeloques de cuivre ; au cou, un collier de perles de verre, et ses mains et sa figure furent sans doute dorées bien solidement par un maître-ouvrier, puisque la dorure du visage et des mains reluit au soleil, comme neuve, quand Zanette ouvre la porte, chaque matin. Elle a pourtant plus de cent ans, la douce Notre-Dame-d’Amour, qui sourit aux humbles ex-voto suspendus aux murailles, tableaux naïfs, béquilles, fusils crevés offerts par des chasseurs, petits bateaux jadis apportés par des marins sauvés du naufrage.
Aussi, pourquoi, ô Notre-Dame-d’Amour, pourquoi ne faites-vous point de miracles ? Voyez, aux Saintes-Maries-de-la-Mer — à cinq lieues d’ici, au sud, — voyez l’église crénelée, de six cents ans plus vieille que vous, et voyez comme les pèlerins s’y pressent tous les ans, au 24 mai ! Ce jour-là, les saintes châsses, qui contiennent les os des deux saintes Maries, Jacobé et Salomé, descendent en grande cérémonie, du haut de la voûte. On leur tend les bras. On les supplie, on les touche. Et les Saintes guérissent quelquefois les paralysés. Elles ne sont pas toujours justes. On ne sait pas pourquoi, on ne saura jamais pourquoi elles guérissent celui-ci au lieu de celui-là, — mais à tous également elles donnent l’espérance, c’est-à-dire le meilleur de la vie.
Et c’est pourquoi chaque année, des milliers de pèlerins en caravane, visitent leur église…
Que ne les imitez-vous, pauvre Notre-Dame ? Vous êtes leur reine pourtant, et la propre mère de Dieu, et c’est elles qu’on visite seules, c’est elles et même sainte Sare, qui fut leur servante, et dont les reliques, dans la crypte souterraine de l’église, sont vénérées surtout des bohémiens ! Et vous, vous, ô Notre-Dame, vous êtes toute seule ici, dans une toute petite chapelle froide, sans honneur et sans prière… sinon celle d’une petite fille. Il est vrai qu’elle est jolie et qu’elle est sage, et peut-être l’aimez-vous… Protégez-la donc, ô Notre-Dame-d’Amour ! Et donnez-lui l’amour vrai. Qu’elle aime et qu’elle soit aimée. C’est, des destinées de la terre, la plus humaine et la plus divine !
Chaque matin, Zanette, avant toute chose, sort de la ferme pour aller dans la chapelle. Elle ouvre la porte. Le rayon horizontal du matin entre bien vite avec elle et fait resplendir le visage d’or de la vierge. Zanette va s’agenouiller au pied de l’autel. Sa coiffe du matin enserre étroitement son haut chignon au-dessus duquel elle se termine en deux petites cornes pointues, toutes blanches, qui font sourire les anges. Elle fait le signe de la croix et sa main touche un peu au passage la petite croix qui luit sur sa poitrine nue, dans l’entre-bâillement de ses fichus arlésiens… Et elle prie, agenouillée dans les plis nombreux de sa jupe d’indienne, un peu courte, qui découvre ses pattes fines de perdrix de Crau ; ses gros bas de fille sage, jadis tricotés par sa mère, qui est morte depuis trois ans.
— Protégez mon père, bonne Notre-Dame ! Je n’ai plus que lui sur cette terre. Gardez-moi de tout mal, bonne vierge d’amour. Gardez-moi du mauvais amour. Et quelque jour, si je le mérite, accordez-moi d’avoir un amoureux que j’aime…
Ce Jean Pastorel peut-être, qui aux dernières courses des plaines de Meyran, vint, — comme s’il m’eût connue et aimée, — m’offrir la cocarde qu’il avait prise, si hardiment, au front du taureau en colère !
Or, voici comment il se faisait que la dévotion de Zanette à Notre-Dame d’Amour était si fervente ; sa foi, si entière.
Quand elle était toute enfant, à six ans, Zanette avait un chien qu’elle aimait beaucoup, d’un de ces amours passionnés des tous petits pour les bêtes. Ce chien, dans l’écurie, où il couchait, fut blessé d’une ruade par un cheval malade. Zanette parvint à pénétrer, toute seule, dans la chapelle du château, et elle supplia Notre-Dame de la protéger, en cette circonstance, de tout son divin pouvoir, en sauvant le chien bien-aimé. Hélas ! il arriva que juste à l’heure où elle venait de faire cette prière, le chien mourut, et l’enfant révoltée déclara qu’elle ne demanderait plus rien à une Notre-Dame si méchante !… Elle s’exaltait dans cette idée, quand le vétérinaire, arrivé d’Arles pour voir le cheval, ayant demandé à examiner le chien mort, déclara que l’accident du coup de pied mortel était une chance heureuse, le chien étant bien et dûment enragé quoique l’horrible maladie ne se fût pas déclarée encore… L’apparente malice de Notre-Dame était donc un miracle de bonté…
C’est de ce jour-là que Zanette ne jurait plus que par Notre-Dame-d’Amour.
II – LA TARDARASSE GUETTE LA CAILLE.
Pour bien comprendre pourquoi le gardian Martégas n’avait pas le droit, véritablement, d’aimer Zanette, il faut savoir quel « marrias », quel homme de rien était ce grand diable de vingt-six ans, à grosse barbe noire et inculte, carré d’épaules, puissant comme un taureau, de haute mine sous son feutre aux bords plats et larges. Avec sa figure de franchise, c’était un traître, un homme dont on ne savait jamais l’idée. Oui, il avait une figure ouverte qui, au premier abord, vous trompait, mais ceux qui savent lire dans les yeux, voyaient dans les siens (des yeux gris piquetés de petits points d’or comme ceux des chats) un trouble mauvais pareil au brouillard qui, en Camargue, se traîne au-dessus des marais, cachant les trous, les fondrières, les pièges…
Quelque chose sortait de ces yeux-là d’implacablement malin ; mais de malin sans esprit, sans clarté… Ce n’était pas un éclair de mal, oh non ! une fumée plutôt, comme celle qui sort des « lorons », ces trous mystérieux, ouverts ça et là parmi les marécages de Camargue, et qui exhalent sans cesse une buée, la chaleur des dangereux ferments de dessous, le souffle des enfers fiévreux, faits de moisissure croupissante. Il avait une mauvaise âme, bien sûr, ce Martégas, et vraiment c’était effrayant de penser qu’il essayait de faire sa cour à Zanette, qu’il rêvait d’en faire sa femme, « le gueux ! » — ou même sa maîtresse ! Voyez-vous cela, la mignonne fermière du mas de la Sirène, épousant ce lourd coquin ! une petite caille mariée à la lardarasse, l’oiseau de proie, le faux aigle des Alpilles, au front bas, aux grosses serres dures, au bec fait pour déchirer les proies mortes et corrompues… Ce pesant animal, avoir à lui cette jolie poulette de chaume !
On ne voyait pas ça, non, pour sûr ! Ni au physique ni au moral, ces deux êtres ne se pourraient rapprocher.
On tremblait à l’idée d’un tel sacrilège. Et pourtant il s’était mis ce projet en tête, — « le gueux ! » — de plaire à Zanette ! ou de la prendre sans lui plaire, de ruse ou de force !
Zanette, jolie comme un cœur, avec sa coiffe arlésienne, avec son fichu aux mille plis qui s’ouvrait galamment pour