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Le gazon ... plus vert de l'autre côté de la clôture ?
Le gazon ... plus vert de l'autre côté de la clôture ?
Le gazon ... plus vert de l'autre côté de la clôture ?
Livre électronique431 pages5 heures

Le gazon ... plus vert de l'autre côté de la clôture ?

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À propos de ce livre électronique

Alexandre Trudeau se questionne. Sa femme semble s'être lassée de lui ; ses enfants le considèrent comme un primate d'une autre époque, bon qu'à payer les comptes ; sa carrière de journaliste stagne et manque de piquant. Tel un passager resté sur le quai, il regarde défiler sa vie, les mains dans les poches.

Comment en est-il arrivé là ?

Devenant bien malgré lui le sujet d'une expérimentation nocturne complètement insolite, le quarantenaire sceptique sera projeté dans des réalités alternatives qui auraient toutes pu être la sienne… s'il avait succombé aux charmes de certaines femmes ayant marqué son parcours.

A chaque détour, ce voyage au coeur de l'interdit défiera son côté cartésien et ses convictions d'une manière aussi loufoque que percutante. Au terme de cette aventure, Alexandre trouvera-t-il toujours le gazon plus vert chez les voisines ?

Une seule nuit. Six nouvelles vies. Encore et toujours le même 10 juin…
LangueFrançais
Date de sortie21 mars 2018
ISBN9782897830373
Le gazon ... plus vert de l'autre côté de la clôture ?
Auteur

Amélie Dubois

Amélie Dubois est une artiste en illustration qui a fait son chemin à travers l’animation et les effets visuels pour le cinéma et la télévision. Elle se consacre maintenant à son propre univers à travers l’illustration. Originaire de Montréal, elle demeure aujourd’hui en Mauricie et c’est de son atelier qu’elle crée et sort marcher, toujours en compagnie de son chien Lulu.

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    Le gazon ... plus vert de l'autre côté de la clôture ? - Amélie Dubois

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    De la même auteure

    chez Les Éditeurs réunis

    La fois où… j’ai suivi les flèches jaunes, 2016

    Ce qui se passe à Cuba reste à Cuba !, 2015

    Le gazon… toujours plus vert chez le voisin ?, 2014

    Ce qui se passe au congrès reste au congrès !, 2013

    Ce qui se passe au Mexique reste au Mexique !, 2012

    Oui, je le veux… et vite !, 2012

    Série « Chick Lit »

    1. La consœurie qui boit le champagne, 2011

    2. Une consœur à la mer !, 2011

    3. 104, avenue de la Consœurie, 2011

    4. Vie de couple à saveur d’Orient, 2012

    5. Soleil, nuages et autres cadeaux du ciel, 2013

    6. S’aimer à l’européenne, 2014

    LogoFB.tif facebook.com/pages/Amélie-Dubois

    Twitter.jpg ame_dubois

    ameliedubois.com

    À la mémoire de Jean-Pierre Dubois

    (1951-2017)

    Cette dédicace, tu l’attendais depuis longtemps.

    Te gardant la surprise, j’avais si hâte

    de te voir ouvrir le roman.

    Hélas, tu t’es envolé beaucoup trop tôt…

    Mon 13e roman est pour toi, papa.

    – Ton écrivine qui t’aime pour toujours

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    Ma vie, le matin du 10 juin

    236195.jpg

    L’alarme du cadran de Claire sonne. C’est un amalgame de tambours rythmés dont la cadence s’accentue jusqu’à atteindre le tempo d’une fanfare d’enfants de huit ans inscrite à la discipline du sprint aux Olympiques de la musique. Mon cerveau reconnaît le son – depuis le temps –, mais un déni fort efficace fait toujours en sorte que je l’entende pour ensuite immédiatement en faire abstraction. Chaque matin, Claire se lève avant que l’amplitude sonore me perce les tympans. Je me tourne sur le côté, presque déjà rendormi. Ma femme soupire. Elle soupire fort. Ah. Mon cerveau n’a pas de blindage contre ça. Or, je n’ai jamais compris pourquoi elle se lève si tôt. Trop tôt. Je sais, elle doit se doucher, se maquiller, se peigner, parfois même s’épiler, tandis que, dans mon cas, je n’ai qu’à me raser un jour sur trois, m’envoyer trois petits coups d’eau fraîche dans le visage pour finir de me réveiller, puis me voilà prêt pour ma journée.

    Malgré tout, je ne sais vraiment pas pourquoi elle se lève si tôt.

    Bien sûr, il y a les lunchs à faire, mais à mon avis, elle se donne trop de mal à ce propos. Je pourrais sans problème me contenter d’un sandwich de la machine distributrice au journal et nous pourrions payer le dîner aux enfants, ce qu’elle refuse en prétextant que nous payons déjà l’épicerie, donc à quoi bon dépenser en surplus pour les repas du midi. Je sais, mais elle se donne trop de mal. Toujours. Les enfants sont grands, le service de cafétéria de leur école est convenable et peu coûteux. Il me semble qu’elle soufflerait un peu si nous coupions dans l’épicerie et qu’elle oubliait les lunchs. Parfois, on dirait qu’elle aime bien se compliquer la vie pour justifier ses soupirs. Comme feu mon grand-père Alphonse Jr, qui était toujours ravi d’aller à l’hôpital juste pour pouvoir se plaindre ensuite. Étant donné sa santé béton, plutôt rares étaient les raisons réelles de s’apitoyer. Les médecins ne lui trouvaient jamais rien. « À mon âge, je dois ben être malade, ils trouveront ! », clamait-il chaque fois en revenant bredouille de ses rendez-vous. Il est mort à quatre-vingt-trois ans, en pleine santé, fauché par une ambulance. « Tu veux pas attendre ton tour, eh bien voilà, tant pis ! », avait semblé lui dire la vie de façon ironique. Alphonse père avait, quant à lui, été happé à l’âge de soixante ans par la carriole du magasin général. Mort sur le coup. Tragique destin familial d’écrasés. Reste à voir ce que la vie me réserve.

    236236.jpg

    En me réveillant à nouveau au son de ma propre alarme, j’agrippe mon téléphone. Je m’étais bien rendormi. Je rêvais que je jouais au paquet voleur avec Edgar Fruitier devant la statue de la Liberté.

    Eh bien.

    Voyons voir du coup ce que j’ai au programme dans mon agenda électronique : entrevue avec un cultivateur maraîcher de Cookshire-Eaton qui a vu sa plantation bio se faire massacrer par les insectes, rédaction de mon article pour demain à propos des accusations portées contre un éleveur de beagles forcé de fermer son élevage pour cause de maltraitance animale, rencontre de production au journal, lunch avec Pierre.

    Ce dernier point me rendant fort heureux, je me lève en sifflotant. Pierre, c’est mon collègue et bon ami. Un vieux frère. Au moment où je pénètre dans la salle de bain, le tsunami qui y règne – comme chaque matin – m’étourdit, aussi comme chaque matin. Un truc auquel je ne m’habitue pas. Des pots de crèmes de toutes les formes inimaginables se dressent en une imposante muraille de Chine derrière l’évier. Une barrière hors de prix contre les ravages du temps, à base d’extraits condensés de n’importe quoi et promettant la jeunesse éternelle. À côté d’elle, des étuis de cosmétiques débordent un peu partout comme s’ils se remplissaient toujours davantage chaque nuit. Des commandes faites en ligne doivent sûrement être livrées à même les trousses. Prêtes à bondir, quelques barrettes à cheveux qui ressemblent à des sauterelles géantes de l’Afrique occidentale me fixent.

    Je relève la lunette de la toilette pour pisser. Avant de tirer la chasse, je la rebaisse. Je le jure. Voilà entre autres un des crimes pour lesquels je suis accusé à tort dans cette maison, et ce, depuis des lustres : le siège de toilette levé faisant tomber les filles dans le trou. Infraction pénale punissable de pendaison par les couilles sur la place publique. Je rebaisse toujours la lunette de la toilette et, pourtant, je me fais accuser du contraire au minimum une fois par jour. Ce n’est pas moi. Malgré mon innocence, les testicules me remontent chaque fois dans le gorgoton.

    En sortant, je croise justement celui que je sais coupable depuis le jour de sa naissance. Mon fils. On a dû tout d’abord lui apprendre à remonter la lunette pour éviter les petites gouttes disgracieuses sur celle-ci. Plusieurs mois d’acharnement. Il a finalement compris, mais il ne rebaisse pas le truc depuis. Ça n’entre pas dans sa tête, on dirait. Les cheveux ébouriffés comme les poils d’un dessous de bras, il fonce entre le cadrage et moi, en m’accrochant au passage tel un bloqueur offensif un soir de Super Bowl. Un grognement caverneux d’ordre préhistorique égaie sa lancée de la victoire vers les toilettes. Il soulève la lunette et il commence à pisser sans même attendre que je sorte. Je sais depuis toujours que c’est lui, mais un mâle ne va quand même pas livrer un confrère à la potence. Surtout lorsqu’il s’agit du fruit de sa propre chair. Lorsqu’il ira vivre en appartement avec une fille, il comprendra tout. Pour l’instant, je ne choisis pas ce combat. Il y en a bien d’autres à mener dans cette vie.

    En approchant de ma tendre épouse, qui besogne à la cuisine, je lui plaque un doux baiser sur la joue :

    — Bon matin, ma chérie !

    — Il faut que tu paies le gars du gazon aujourd’hui…

    « Bon matin toi aussi, mon chéri ! » aurait bien commencé la matinée à mon sens.

    — Oh, je n’aurai pas le temps de passer à la banque avant d’aller au journal… Toi ?

    — On appelle ça le partage des tâches, Alexandre. Ce n’est pas comme si nous n’en avions jamais parlé. Tu t’occupes du type du gazon, je gère la femme de ménage. Je fais le lavage, tu sors les poubelles. D’autres exemples, ou ça va comme ça ?

    — Chérie… On va trouver une solution !

    Dans la vie, il y a toujours une solution. Toujours. Même pour la guerre en Syrie, il existe des pistes de solutions, donc je crois bien que c’est aussi le cas pour notre important litige de guichet automatique. Dans la mesure du possible, je me fais une mission de trouver une solution. C’est mon rôle. De toute façon, le vieux sénile de jardinier qui s’occupe de notre terrain peut bien attendre quelques jours. Claire ne semble pas de très bonne humeur ce matin. Elle travaille beaucoup, elle est fatiguée, je le sais, d’où mon idée d’alléger ses matinées en oubliant les lunchs, question de lui permettre de dormir, mais bon, ma proposition est chaque fois refusée au conseil.

    Le coupable de la cuvette entre dans la cuisine. Je me tais, ça vaut mieux pour lui. Mes couilles se serrent tout de même un peu.

    — J’ai faim ! Qu’est-ce qu’on mange ?

    — Des toasts et des céréales, ce matin. Je suis pressée.

    — Baaah… J’aurais préféré des crêpes.

    Mmm. C’est vrai que ce serait bon, des crêpes.

    — Des crêpes ? Oui, j’ai juste ça à faire, me lever trois heures avant tout le monde pour faire des crêpes alors que j’ai travaillé jusqu’à minuit à l’hôpital, hier. Ce sera des toasts, c’est tout !

    Ouin, ce ne serait pas bon, des crêpes, finalement. Ma femme devient très ironique lorsqu’elle est irritée. Ma charmante fille fait à son tour son entrée en scène. Si elle demande aussi des crêpes, nous serons tous cuits à la vapeur. Ou pire encore, dans la mijoteuse pendant huit heures. Longue agonie menant à une mort fondante.

    — Je suis la seule de ma classe à pas avoir de iPad. Vous me marginalisez auprès de mes pairs et j’en souffrirai grandement dans ma future vie d’adulte, élabore Laurie, les yeux bien accrochés à son téléphone portable.

    Pas de mention à propos des crêpes. Bien.

    Ma femme respire par le nez de façon audible, comme si elle désirait tous nous inhaler. Elle réplique à notre fille :

    — Bon, qu’est-ce qu’il faut pas entendre ce matin.

    — Je veux un iPad, bon !

    — Laurie ! Ça suffit ! s’impatiente finalement Claire en faisant face au frigo.

    — C’est injuste ! Je veux aller vivre en famille d’accueil !

    Ma fille aime le drame. Elle carbure à tous ces films de filles débiles où une tragédie de vêtements-pareils-à-ceux-de-la-plus-belle-fille-de-la-classe n’attend pas l’autre. L’histoire de la famille d’accueil revient si souvent que ça m’amuse. Je me déplace vers la fenêtre pour aller y lire mon journal sur la tablette, bien installé dans mon fauteuil. « Mon » journal, c’est le cas de le dire ici, car c’est celui pour lequel je travaille.

    — Alex, dis quelque chose, s’il te plaît ?

    À propos de quoi ? Du iPad ou des crêpes ? J’ai perdu le fil. Je tente la première option en y allant par logique d’ordre décroissant des événements litigieux.

    — Ma grande fille, on va reparler de tout ça une autre fois…, déclaré-je d’un ton désintéressé, mon attention étant attirée par l’horrible photo que le chef de pupitre a jointe à mon article d’hier.

    — Ça aurait été bon, des crêpes…

    Les plaintes de mon fils ne me parviennent qu’en sourdine. La première photo que j’ai soumise était vraiment meilleure que celle-là et elle dépeignait davantage ce que j’essaie d’expliquer en dénonçant le dysfonctionnement du nouveau carrefour giratoire du secteur Saint-Élie. Pourquoi personne ne m’écoute dans ce journal ?

    Bienvenue dans ma vie, où personne ne m’écoute jamais. Mon opinion est comme de la merde en boîte dont même les bénévoles de la guignolée ne veulent pas.

    Mon patron m’exaspère. Il ne sait même pas écrire, le pauvre. Comment peut-on diriger un journal quand on ne sait pas écrire ?

    Il me semble que le minimum, en tant que chef de pupitre, serait d’avoir été journaliste avant, non ? Lui, il était avocat avant d’obtenir le poste. Avocat ? Quel est le lien entre le journalisme et le droit ? S’il était reporter judiciaire, OK, mais là, il fait de la gestion de contenu.

    Ceci dit, j’aime bien mon boulot, mais parfois je trouve ça ennuyant même si je m’occupe des faits divers et que c’est une rubrique toujours en mouvement. Certains jours, il n’y a juste pas de nouvelles. Dans ce temps-là, on cherche des embryons de problèmes là où il n’y en a pas. Ou on en crée, c’est selon. Je me souviens d’une semaine tranquille en hiver où absolument rien ne se passait. J’avais fini par hériter d’un article sur un téléférique tombé en panne à la station de ski du mont Orford – avec témoignages d’usagers la morve au nez et mécontents. Puis d’un second article sur le destin enlevant d’un husky qui avait avalé une figurine de schtroumpf – le grognon, si ma mémoire est bonne. La radiographie abdominale du chien en haut de page donnait un certain tonus médical à mon article futile. Les skieurs s’étaient mouchés. Le chien avait expulsé la figurine le soir même, honorant probablement à cet instant et plus que jamais le tempérament grognon du petit homme bleu. Quelles nouvelles cruciales et essentielles ! Je me sentais dans le très bas-fond de mes qualifications journalistiques. Autant je trouve à certains moments mon emploi utile et intéressant, autant à d’autres, je me demande si je sers réellement à quelque chose. J’aimerais connaître un destin plus percutant. Comme dans « faire une différence ». Mais je ne sais pas comment, donc je ne fais rien.

    Suis-je inutile ?

    Ce n’était pas mon rêve ultime de carrière, mais j’apprécie la stabilité que mon emploi me procure, malgré les imprévus qui règnent parfois au sein de mes journées. Je visais haut quand j’étais aux études : la télé, les reportages-chocs, le journalisme international. Mais quand j’ai fondé ma famille avec Claire, l’idée de s’éloigner de l’Estrie a rapidement été remisée aux oubliettes. Question de priorités. D’impossibilité, plutôt. Les grandes aspirations s’estompent quand on a une famille. La vie est faite comme ça. L’équipe au journal est correcte. Je suis un des vieux routards de la boîte, avec Gaston Bouthiller, alias Gass, qui s’occupe des sports. La coupe à Montréal, hein, mon Gass ! ? Il la déteste pour mourir, la Sainte-Flanelle. Si au moins il était passé du côté d’Ottawa à la place… Eh bien non. Pas un soleil ne brille sans qu’il nous reparle du but d’Alain Côté, des frères Stastny ou de Michel Bergeron. Notre Gass est un petit gars de Québec au cœur toujours tatoué des ruines du grand « N » des Fleurdelisés.

    J’en ai vu du monde passer au journal depuis le temps. Des gens qui grimpent les échelons vers de nouveaux défis excitants ou ceux qui virent tout simplement leur capot de bord, blasés des crottes de husky schtroumpfantes et des coulées de morve du mont Orford. Souvent, ce sont de jeunes trentenaires de la génération Y, que j’appelle les oiseaux qui changent tout le temps de branche. Entre les séparations et les horaires de garde partagée, ils courent tous après le bonheur absolu. Quelque chose de mieux. J’ai toujours été un homme qui apprécie ce qu’il a et qui s’en contente. Je me demande même parfois si je ne manque pas d’ambition. Si je n’ai pas perdu, au fil des années qui passent, la fougue qui m’animait durant mes études universitaires.

    Suis-je un indifférent blasé ?

    À l’époque où j’ai rencontré Claire, au cégep, le monde m’appartenait. Mes aspirations professionnelles n’avaient pas de plafond. Je serais parti en stage en Irak pieds nus dans un champ de mines si on me l’avait demandé. J’étais un citoyen du monde engagé, et ce monde, je voulais le parcourir, en entier, et le changer à ma façon. Je voulais faire une différence. Aujourd’hui, je suis un citoyen de Fleurimont qui paie ses taxes foncières deux jours pile-poil avant l’échéance par virement préenregistré à la coopérative financière Desjardins et je rêve à mon tout inclus à Cuba pendant trois ans, parce que l’on ne peut pas se permettre de voyager chaque année. Je me suis perdu quelque part entre le vouloir et le pouvoir. Je me sens comme une lavette de quartier résidentiel pour qui allumer le barbecue en bedaine le samedi midi se classe dans la catégorie « prise de risque ». C’est très dangereux, le propane…

    Or, j’aime bien ma vie de famille. Je pense. Bien que mes enfants soient ce que je possède de plus précieux, comme on dit, je les trouve empotés. C’est vrai. Il me semble qu’à leur âge j’étais débrouillard, curieux, aventurier. Aujourd’hui, leur curiosité aventurière se limite à se balader sur la rue d’en face pour chasser des Pokémons invisibles. Mon fils paraît dépourvu de toute ambition, hormis celle de se faire pousser les cheveux pour exaspérer sa mère. Ma fille, quant à elle, raccourcit ses vêtements de deux pouces chaque été pour les mêmes raisons, je crois. Sauf que, dans ce cas, c’est moi que ça exaspère. Bientôt, il ne restera plus rien. Un simple fil lui passant entre les fesses. Un fil à trous et effiloché, bien sûr. Son bas de maillot de bain est plus généreux en tissu pour couvrir les fesses que ses shorts de cette année. Les tailles sont hautes, certes, mais le bas a été raccourci en échange. C’est comme un bandeau de taille, sans manches de jambes. Je ne veux même pas imaginer ce que ce sera l’été prochain.

    La valeur de l’argent est une donnée inconnue pour eux. Une tablette est rendue un besoin essentiel se situant au même niveau que la brosse à dents. Un cadeau de Noël en dessous du cinéma maison ou de la croisière de deux semaines en Grèce n’en est plus vraiment un. On leur donne depuis des années des cartes-cadeaux qu’ils accumulent en pile près de leur chaise le soir de Noël. Bientôt, ils nous diront : « Écoutez, Noël n’a rien de bien spécial au fond, pouvez-vous glisser mes cartes-cadeaux sous la porte de ma chambre ? Je vais retourner jouer à FarmVille. »

    Au moins, il faut se dire qu’à Noël nous réussissons à leur faire enlever leurs écouteurs pour le réveillon. C’est qu’ils respirent par ce truc. La race humaine s’adapte aux changements de l’environnement. On connaît tous le fameux exemple des dents de sagesse. Nous faisons maintenant face à une génération de mutants ayant des branchies dans le canal auditif. Sûrement un effet secondaire des gaz de schiste dans l’eau potable.

    Le pire désespoir lucide de tout parent en ce bas monde reste, par contre, lié à la tentative de transmission des passions, qui se résume toujours en fin de compte à une déconfiture totale. C’est comme tirer des cartouches à blanc en direction de la lune ; même en y mettant beaucoup d’efforts, impossible d’atteindre la cible. Ce qui nous faisait plaisir à nous, enfant, ne fait plus ni chaud ni froid à nos héritiers : hocher la tête au rythme d’un bon vieux rock, aller aux pommes, laver la voiture avec son père le dimanche, écouter un ruisseau en forêt ou son grand-père nous raconter sa vie pendant des heures, regarder des photos imprimées avec la date et le lieu inscrits derrière. « Han ? Des photos, ça peut s’imprimer, genre ? Rapport ? » Écouter mon grand-père paternel était une religion. Un moment d’anthologie à saveur politique, historique, sociale, voire psychologique. Il y avait lui, sur une chaise berçante, et nous, ses disciples en cercle tout autour, semi-asphyxiés par la fumée sucrée de sa pipe qui nous encrassait les poumons de bonheur. Puis, il y avait aussi ses fameuses histoires de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale. Mon grand-père avait été chauffeur pour l’armée canadienne durant ces deux guerres. Pour la première, à titre de cadet de l’armée, et pour la deuxième, comme chauffeur aguerri. Il ne conduisait pas de char d’assaut. Il opérait au civil en transportant à bon port les hauts gradés ou les têtes dirigeantes. Quelle fierté pour lui et pour nous. La seule « guerre » à laquelle mes enfants accordent de l’importance se résume au Printemps érable de 2012. Parce que, oui, de gauche sans trop savoir pourquoi, ils se découvrent un malin plaisir à se rallier à tout ce qui semble à leurs yeux un peu anarchique, donc forcément juste et bon. Les policiers qui maltraitent des populations de pauvres étudiants innocents, l’industrie agroalimentaire qui étiquette « bio » avec des autocollants faits de papier non recyclé, les micro-ondes qui causent le TDAH, l’interdiction des mariages de trans homosexuels polygames à l’église, les poules pas élevées en liberté auprès de leur famille immédiate, alouette. C’est bien. Je ne dis pas que c’est mal. Mais je trouve parfois que leurs opinions manquent de nuances. Qu’ils s’approprient des idées sans chercher à voir plus loin que le bout du bouton sur le bout de leur nez. Et lorsque je leur fais part de mon avis, ils répliquent que je suis un vieux dépassé, bon pour le CHSLD et/ou le compost. Je n’avais pas vu venir le moment où, à quarante-quatre ans, je serais un vieux sénile fini. Ce truc est vraiment arrivé par surprise et, faut-il le dire, trop vite. Le fameux jour où mon fils m’a dit, avec l’accent de Provence qu’il utilise lors des discussions sérieuses : « Tu vois, ton âge avancé fait que tu manques de rigueur, genre. » Comment voulez-vous qu’un père de famille se prépare à un tel crochet ? Tout de suite après, il m’avait annoncé qu’il avait aimé la page Facebook d’une compagnie de Granby qui enterrait les cendres des défunts dans des urnes biodégradables ensemencées dans le but de faire un grand cimetière d’arbres, puis il m’avait demandé si j’étais intéressé.

    Taboire.

    J’avais un modèle de relation père-fils en tête quand Mathis est né. Ça impliquait deux gants de baseball, une balle, un grand champ vert sous un soleil agréable, permettant l’éclosion de conversations amicales et profondes à propos des filles, de l’avenir, de la vie. À la place, mon charmant fils me traite de fossile rétrograde quand je lui exprime mon opinion sur le conflit syrien. Malgré mon titre de journaliste, je n’ai même pas droit à une mince considération de la part de ma progéniture. Avec ma fille, je n’en parle même pas. Si, aux yeux de mon fils, je suis un vieux croulant, aux yeux de ma fille, je ne suis un bipède bon qu’à faire le taxi et à payer les comptes. Je le sens. Et dans sa vie féminine complexe et remplie de règles douloureuses, d’épilation du bikini et de drames à propos de son bal des finissants qui n’aura pourtant lieu que dans deux ans, je peine à trouver une brèche pour enrichir nos liens. Elle reste un grand mystère explosif à mes yeux.

    Suis-je un bon père ?

    Claire soupire. Elle bourrasse un peu en rangeant des trucs dans le frigo.

    Elle semble à bout de nerfs, ma Claire. Je le sais, mais, en même temps, je ne sais pas quoi faire. Puis, quand je tente quelque chose, dans une proportion de huit fois sur dix, c’est la mauvaise chose. Je lui tape sur le système, on dirait. C’est dans l’air du temps, la fatigue, l’épuisement, les gens à bout de souffle, mais on fait quoi pour remédier à ça ? On balance tout en l’air pour aller traverser l’Atlantique sur un voilier ? Une famille par année fait la une à ce sujet dans les journaux, mais on n’a jamais de nouvelles d’eux après. Je pense qu’ils crèvent tous en mer et que les médias préfèrent ne pas revenir sur leur triste sort. De toute façon, Claire n’a pas le pied marin. Son appréciation de l’eau se résume à la laisser couler du robinet jusqu’à la limite de la chaleur supportable chaque fois qu’elle se lave les mains ; je la vois faire ça depuis que je la connais. Du soft masochisme propre.

    Forcément, après seize ans de mariage et encore plus d’années de vie commune, je la connais, ma Claire. Mais une grande partie d’elle reste pour moi un mystère. Ma femme a plusieurs personnalités. Cinq en tout.

    1. Il y a la Claire préoccupée. Je le vois tout de suite quand c’est elle qui se trouve devant moi. Elle ne m’écoute que d’une oreille. Elle attend quelque chose, le nez au vent. Elle réfléchit à tue-tête. Elle se pose des questions. Une grande bulle impénétrable l’enveloppe, tel un ballon. Elle n’est pas en colère, juste préoccupée. La plupart du temps, lorsque je lui demande ce qui ne va pas, elle me répond : « Rien, rien », puis elle se remet en attente de plus belle. Les rares fois où je découvre enfin la source de son inquiétude, je peux la rassurer, mais la plupart du temps elle redevient normale sans que j’aie aucun détail à propos de ce qui la préoccupait. Attendait-elle un appel important ? Un texto ? Une confirmation du Saint-Esprit par télépathie ? Aucune idée.

    2. Il y a aussi la Claire hyperactive. Lorsque ma femme se lève un samedi matin de congé, c’est souvent à elle que j’ai affaire. Elle court à la cuisine, entreprend une brassée de lavage, cuisine une sauce à spaghetti et fait le ménage du frigo, et ce, en même temps qu’elle répare une couture sur le manteau de printemps de Laurie, par exemple. Son frère avait supposément tiré dessus en sortant de l’autobus pour lui éviter un trou d’eau. Par gentillesse. Dans sa version à elle, il l’a poussée devant une voiture pour la tuer, mais il a changé d’idée à la dernière minute par peur de ne pas avoir de cadeau à sa fête.

    Ceci dit, Claire est joviale dans ce mode de fonctionnement hyperactif ; elle se sent en contrôle de la situation, à condition que je ne sois pas dans ses pattes. Je tente toujours de déduire quels seront ses déplacements dans la maison pour ne pas me trouver sur sa route et risquer de nuire à sa course folle avec le panier à linge. Elle me reproche souvent de ne pas voir les choses à faire dans la maison. La vérité : elle a raison. Outre la chaîne de toilette à rattacher deux fois par année et les ampoules à changer à la même fréquence, le reste m’apparaît comme un peu flou. Mais, pour ma défense, j’ai fait le lavage une fois à nos débuts de cohabitation et elle m’a illico retiré ce privilège. Une histoire de chemisier qui n’allait pas à la sécheuse, si ma mémoire est bonne. Comme je ne cuisine pas très bien non plus, nous divisons les tâches de façon tout à fait sexiste et genrée. Mon terrain de jeu pour opérer se limite au sous-sol, au garage et à l’extérieur de la maison. Là, je vois les « choses à faire ». Le reste, c’est son territoire, et à mon avis, c’est ce qu’elle veut. La première fois qu’elle a accepté d’engager une femme de ménage pour souffler un peu, elle a paniqué la semaine précédente pour tout ranger, puis la suivante, car elle ne retrouvait plus rien dans la maison. Cette pauvre femme n’est jamais revenue. Mais pourquoi donc engager une femme de ménage si c’est pour s’empresser de nettoyer avant qu’elle arrive ? Claire me répondrait : « Ben là, de quoi on va avoir l’air si elle arrive et que c’est sale ! ? » Actuellement, la femme de ménage, qui vient toutes les deux semaines, ne déplace rien de ce que Claire a rangé avant sa venue ; tellement que je ne sais même pas en quoi consiste sa contribution.

    3. Sinon, la troisième Claire est l’anxieuse, aussi appelée la « Claire-et-si ». Dans ce cas, je connais habituellement la nature de l’inquiétude. « Et s’il était arrivé quelque chose à Mathis ? » « Et si Laurie avait été kidnappée par un maniaque ? » « Et s’il arrivait quelque chose à mes parents durant nos vacances ? » Cette Claire-ci est mignonne. Avec elle, je me sens utile. Je la rassure, la prends dans mes bras, lui dis que tout va bien aller. Je me sens protecteur et réconfortant. Je suis bon là-dedans. Je me trouve bon. Ça ne change souvent rien aux inquiétudes en question, mais le temps

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