Délinquante
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À propos de ce livre électronique
Sa réputation de rebelle la talonne jusqu’à l’école où elle fait face à de l’intimidation. Toutes les raisons sont bonnes pour Naomi de se retirer et d’être solitaire, se réfugiant à tout moment dans le garage tenu par son père. Elle se prend d’affection pour Milo, un jeune homme au passé trouble, qui lui semblera d’abord une menace, mais qui deviendra bientôt son allié. De fil en aiguille, Naomi réussira, non sans difficulté, à faire la lumière sur les activités illicites de ses parents. Mais qui en sortira gagnant ? Parviendra-t-elle à canaliser sa fougue et à se bâtir un avenir meilleur ?
Marie-Soleil Hébert
La tête en constante ébullition, Marie-Soleil Hébert signe ici un roman chavirant qui nous transporte dans un univers à la fois dur et réaliste, où les orages et les éclaircies de l’adolescence tiennent le premier rôle.
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Aperçu du livre
Délinquante - Marie-Soleil Hébert
1
Je m’appelle Naomi, j’ai seize ans et, à ce que l’on dit de moi, je suis délinquante. Il y a six mois, la police m’a conduite ici, dans ce centre jeunesse. Je suis issue d’un milieu ni trop pauvre ni trop riche. Mes parents nagent dans ce monde où tout va trop vite. Ma mère et mon père, comme plusieurs autres, sont victimes du temps. Communication inexistante entre eux, manque de moments libres dans leur horaire, accumulation de fatigue, factures qui s’empilent. Ce sont malheureusement des obstacles auxquels plusieurs familles doivent faire face. Il y en a cependant pour qui c’est plus facile de s’en sortir, mais pour mes parents, c’est plutôt le contraire.
Ce soir-là, ma mère s’est plainte qu’il n’y avait plus rien dans le frigo. Mon père venait de finir sa semaine au garage qui, selon ses dires, frôlait les cinquante heures. Il a pété un plomb, jamais il n’avait été aussi en colère. Il a d’abord frappé ma petite maman au visage, puis à la tête. Sans réfléchir, j’ai empoigné la chaise de cuisine et je la lui ai lancée, l’atteignant derrière la tête. Mon geste a dû le provoquer, car, sans attendre, il m’a poussée si violemment que je me suis retrouvée étendue sur la table de cuisine. Il est ensuite devenu fou, il me martelait de coups partout sur le corps. Pour me défaire de son emprise, je suis parvenue à le frapper entre les jambes avant de m’enfuir. Ma mère était là, regardant la scène, impuissante, le visage convulsé par la peur. Jamais je ne l’avais vue si terrorisée. Affolée, je me suis dirigée vers l’extérieur où la voisine qui sortait ses ordures m’a aperçue. Voyant l’état dans lequel je me trouvais, elle a immédiatement prévenu la police. Elle n’a pas hésité à s’occuper de moi le temps que les agents arrivent. Ma seule erreur a été de vouloir défendre celle qui m’a donné la vie.
Je vis au centre depuis six mois maintenant. Mes parents ont consulté alors que moi j’ai dû faire une thérapie pour contrôler mes émotions et mes impulsions. Je retourne chez moi ce midi, j’espère que ce triste épisode sera derrière nous. Ma mère a refusé de porter plainte contre mon père. Elle a raconté aux policiers que c’est moi qui avais commencé la bousculade et que c’est lui qui nous avait séparées. J’ai raconté la même version qu’elle, car, selon ses dires, il l’aurait maltraitée encore si elle avait dit la vérité. J’ai donc un dossier judiciaire maintenant pour coups et blessures. J’ai continué à raconter la même histoire afin de la protéger même si, au fond, je n’étais coupable de rien. Je n’ai fait que la défendre.
10650.jpgAujourd’hui, Mélanie, ma travailleuse sociale, m’aide à préparer mon retour au bercail. Ma famille m’a pardonné. En fait, c’est plutôt moi qui ai pardonné, et je me suis bien comportée au centre. Je ne suis pas de nature violente, et j’avoue que je ne suis pas la seule dans cette situation, les centres jeunesse débordent d’enfants innocents. Mon opinion sur les jeunes qui fréquentent ces lieux d’hébergement a vite changé. Certes, il y a quelques délinquants, mais il y en a plusieurs qui s’y trouvent en raison de leurs parents qui ne peuvent pas assurer leur santé ni leur sécurité. Dans les dernières semaines, je suis allée dans ma famille pour y passer quelques heures, et l’ambiance était agréable. Pendant mon séjour ici, la maison a été vendue. Mes parents en ont acheté une autre dans le quartier voisin. Nous sommes loin du luxe dans lequel nous vivions, mais mon père a enfin ce qu’il désire : son garage derrière chez nous. Maman, quant à elle, s’est trouvé un petit boulot dans un resto du coin. Évidemment, « déménagement » rime avec « nouvelle école ». C’est donc dans deux semaines que je ferai mon entrée en cinquième secondaire, dans une école publique. Ce sera tout un changement pour moi, car avant cette soirée où tout a déboulé, j’allais dans une école privée.
Mélanie attend avec moi, me rappelant qu’à tout moment je peux lui téléphoner si je sens que mon agressivité remonte. Si seulement elle savait qu’au fond de moi il n’y a aucune trace de malice. Je me contente de lui sourire.
Mon père arrive enfin avec dix minutes de retard.
— Hé ! Mon chat ! Prête à revenir à la maison ?
— Où est maman ?
Mélanie me reprend, me demandant d’abord de saluer mon père. Je lève les yeux au ciel et, au moment où je m’apprête à ouvrir la bouche, il répond :
— Édith avait mal à la tête, elle se repose.
C’est étrange, mais j’ai soudainement un mauvais feeling qui est accentué lorsque mon regard est attiré par une tache de sang au bas de son chandail. Je deviens tout à coup anxieuse, et il me tarde de constater par moi-même si ce qu’il dit est vrai.
— On n’a pas de temps à perdre avec les questions, j’ai un client qui doit passer pour sa voiture.
Il n’a donc pas changé, lui… Parler le moins possible, voilà la règle qu’il faut respecter depuis toujours.
C’est avec tristesse que je quitte le centre. Justin, Charlotte et quelques autres amis viennent me dire au revoir. Même si elle ne parle plus, Charlotte est sans aucun doute celle avec qui je m’entendais le mieux, elle va me manquer. La Direction de la protection de la jeunesse s’inquiète puisque soudainement elle n’a plus émis un son. Les intervenants cherchent à savoir si elle est maltraitée. J’ai bien essayé de lui tirer les vers du nez, mais elle m’a suppliée du regard de la respecter.
Mélanie me demande discrètement si je suis correcte. Je me contente de la saluer d’un geste de la main en marchant derrière mon père. Je suis chargée comme un mulet, il n’a même pas eu la bonté de m’offrir de porter mes sacs. Le trajet vers notre nouvelle maison se déroule dans un silence presque gênant.
10653.jpgChez moi, à mon grand soulagement, tout semble sous contrôle, maman se repose vraiment en raison d’un mal de tête. Elle ne porte aucune trace de violence, du moins, pas de blessure apparente. Elle m’accueille de son très beau sourire, je me blottis tout contre elle. Le sang séché sur le chandail de mon père était dû à une coupure qu’il s’est faite à un doigt. D’ailleurs, dès notre arrivée, ma mère s’informe pour savoir s’il a mal, ce qui me fait remarquer le pansement à sa main. Peut-être que je le juge trop sévèrement. Maman m’avait avisée qu’il n’était pas redevenu celui avec qui nous avions du plaisir. Depuis son traumatisme crânien, il a des sautes d’humeur incontrôlables.
J’ai droit à un repas en famille comme avant son accident, dans une atmosphère conviviale, mais il flotte tout de même dans l’air un petit je ne sais quoi que je ne parviens pas à identifier. Mes parents me posent beaucoup de questions sur ma vie au centre, mais je souhaite ne plus y penser. Je crois en avoir raconté suffisamment lors de mes visites ici, les week-ends. Voyant mon désintérêt à poursuivre sur le sujet, ma mère se met à me parler de son nouvel emploi. Le malaise persiste, c’est comme s’ils ne savaient pas quoi dire. Ce climat étrange est peut-être causé par le fait que nous savons très bien tous les trois que je n’ai pas amorcé la bataille ce soir-là, mais à les entendre parler, j’ai pourtant l’impression de vraiment être la coupable. Mes propres parents refusent de reconnaître leurs torts et cela m’attriste énormément. Après avoir desservi la table, je vais retrouver mon père dans le garage. Je fais le tour de ma voiture qui est au même endroit que la semaine dernière. J’ai cru que mon père l’aurait vendue, mais je suis contente que malgré leurs problèmes financiers, elle soit encore là.
— J’ai vraiment hâte de reprendre mon projet…
— Il est presque terminé. Tout est comme avant que tu partes, mon chat. Tu sais quoi faire, les règles n’ont pas changé, tes heures travaillées dans le garage te serviront à payer les pièces manquantes. Ce soir, par contre, je veux être seul, alors je te demanderais de sortir, j’ai un rendez-vous.
Les conversations avec cet homme ont déjà été plus amusantes, mais il reste calme. Je suppose donc que c’est un pas dans la bonne direction. Peut-être a-t-il compris que la violence ne mène à rien.
Je réalise soudainement que mon père semble très fatigué. Compte tenu de son état d’épuisement, je trouve normal qu’il puisse s’emporter un peu, nous devons l’aider davantage pour alléger ses nombreuses tâches. C’est d’ailleurs en partie pour cette raison que tous les soirs je travaille dans son garage. En fait, ce n’est rien de nouveau pour moi, car je nage dans ce milieu depuis ma tendre enfance. Mon grand-père, avant de mourir, était propriétaire de plusieurs concessionnaires qu’il a légués à ses cinq fils, mais les frères se sont disputés, ce qui a fait perdre beaucoup d’argent à mon père. Il a même perdu son emploi. Ma mère aussi a perdu le sien, puisqu’elle y était comptable.
Mon père a toujours rêvé d’avoir un fils et il n’a jamais caché être déçu d’avoir eu une fille, mais comme la vie m’a mise sur son chemin, je fais tout pour le rendre fier. Au début, la mécanique ne m’attirait pas trop, mais quand j’ai réalisé que de m’y intéresser me permettait de vivre des moments de qualité avec lui, je me suis dit qu’à la longue j’y prendrais goût. Lorsque j’ai appris que la Golf GTI de mon oncle était à moi à la suite d’un accident, je ne savais plus comment le remercier. Cette voiture deviendrait unique et elle serait la mienne, c’était ma motivation. À l’époque où mon père travaillait au concessionnaire automobile, il avait moins de disponibilités pour m’aider, mais maintenant que le garage est derrière la maison, ce sera plus facile et je pourrai y passer plus de temps.
Je ne m’oppose donc pas à sa demande et je retourne dans la maison pour ranger un peu ma chambre, puis je me couche en espérant que demain tout se déroulera bien pour ma première journée dans ma nouvelle école.
2
La secrétaire de l’école fait glisser mon horaire sur le bureau qui nous sépare. Le sourire devait vraiment être en option lorsque ses parents l’ont conçue. Je me retiens pour ne pas exprimer tout haut ce que je pense tout bas.
— Tu devrais vite t’habituer à cet environnement, mais l’on est loin du collège privé que tu fréquentais l’an dernier.
Sans même lui répondre, je m’empresse de quitter le secrétariat. Elle m’a donné les indications à suivre pour me rendre à mon premier cours, mais j’ai dû mal comprendre parce que je me retrouve plutôt au gymnase. Je vais probablement être en retard, mais ça m’est égal. Franchement, j’ai des ennuis pires que celui de ne pas trouver un local. Disons que ma journée a mal commencé…
Mes parents se disputaient déjà pour une histoire de facture impayée quand je suis partie ce matin. Question d’épargner ma mère, j’ai de nouveau proposé à mon père de l’aider ce soir. Cependant, la dispute concernant la facture a fait ressurgir de douloureux souvenirs, et je m’inquiète pour maman. Et s’il lui faisait du mal ? Les deux dernières semaines passées à la maison se sont bien déroulées pour moi, mais un peu moins pour ma mère. Mon père m’a fait prendre conscience qu’il existe plusieurs types de violence, qu’en plus d’être physique, elle peut également s’avérer verbale ou psychologique. Cette vie où nous avions une jolie maison me manque, tout comme ce temps où nous allions en vacances tous ensemble chaque année. Je me demande bien ce qui a pu arriver pour que mon père devienne détraqué à ce point. Nous supposons que sa chute en moto a causé son état. Oserai-je lui poser la question un de ces jours ?
Tout en repensant à la façon dont il m’a serré le bras ce matin, simplement parce que je l’ai supplié de cesser de crier après ma mère, j’avance dans le corridor sans trop savoir où je vais. Trop absorbée par mes pensées, j’entre soudainement en collision avec une armoire à glace que je n’avais pas vue venir, ce qui m’arrête net. J’observe celui qui me bloque le chemin. Il doit faire presque six pieds quatre. Mon cinq pieds cinq pouces me paraît bien petit à côté de lui. Plusieurs autres jeunes me regardent comme si je venais de faire une bêtise. Dans les yeux du garçon, je détecte une lueur de défi. Il ne me semble pas inconnu, mais il m’est difficile de me souvenir exactement où je l’ai vu auparavant.
— Naomi… que fais-tu ici ? Je croyais que tu fréquentais l’académie !
La mémoire me revient. En sixième année, sa sœur était dans la même classe que moi. Plusieurs filles s’amusaient à la malmener et j’avais pris sa défense à plusieurs reprises. Je me rappelle aussi l’avoir croisé quelques fois dans des fêtes, enfin, je pense.
— Je viens tout juste de déménager… Désolée, je dois trouver mon local.
— Montre-moi ton horaire.
— Pas la peine, je vais trouver !
Je pars sans lui laisser la chance de m’aider. Jeune, il avait beaucoup d’acné, il était maigrichon tout comme sa sœur, mais là, wow ! Il a vraiment fière allure.
Quelques secondes avant que la cloche sonne, je m’installe tout au fond de la classe en regardant discrètement autour de moi. Je reconnais quelques étudiantes qui fréquentaient l’académie où j’allais, mais elles n’étaient pas mes amies. Mon ancienne école ne garde dans ses rangs que les élèves les plus doués et, lorsque certains ont des difficultés, ils doivent retourner au public, mais, en ce qui me concerne, mes parents n’ont tout simplement plus les moyens de me payer ce luxe. Au centre, je devais étudier sur place.
— Hé ! Naomi ! J’espère que tu ne vas pas attaquer le prof ! dit l’une d’elles.
Je l’ignore, ce genre de comportement ne mérite pas d’attention. Cette fille, Abby, si je me souviens bien, était la vedette de l’équipe de cheerleaders de l’académie. Je me demande comment elle peut être au courant de mon histoire. Pour ajouter à mon infortune, les parents de mes anciennes amies ont tous interdit à leurs filles de me fréquenter, ce qui me fait réaliser que c’est un petit monde, les nouvelles font vite le tour. Ça m’attriste d’avoir perdu mes copines, mais je me console en me disant que je m’en ferai fort probablement de nouvelles bientôt. Quand l’enseignant entre, Abby pousse son audace un peu trop loin.
— Monsieur Roy, je vous suggère d’être prudent… Cette fille a battu ses parents.
— Ta gueule, Abby ! lui dis-je.
Le professeur s’approche d’elle en me jetant un regard au passage.
— Mesdemoiselles ! Abby, ton commentaire est complètement inutile, ce n’est pas sur cette note qu’on va commencer l’année. Si Naomi est ici, c’est que tout ira bien… Excuse-toi immédiatement !
— Excuse… Naostone !
Je lève les yeux au ciel. Cette fille ne souhaite qu’une chose, c’est que tout le monde la remarque. Je sors mon cahier en écoutant les directives du professeur. Je suis parfaitement consciente qu’après cette petite scène, il me sera peut-être plus difficile de passer inaperçue. J’apprendrai rapidement que lorsque Abby fait un commentaire, l’école en entier en parle pendant des jours, et ce, jusqu’à sa prochaine attaque.
En attendant, je sors dîner au parc. Ici, personne ne me regarde étrangement, mais je ne cesse de me demander où elle a pêché ce surnom de « Naostone », c’est franchement ridicule. Je termine à peine mon sandwich, assise dans les gradins, lorsque l’équipe de football arrive sur le terrain. Les joueurs font quelques tours au pas de course avant de s’installer pour faire des exercices. De là où je me trouve, je reconnais l’armoire à glace. Sur son chandail, il y a un « C », l’identifiant comme étant le capitaine. J’en déduis donc qu’il doit être un mec populaire. Tous ses coéquipiers le suivent et exécutent ses directives, c’est beau de les voir évoluer tous ensemble. Cinq minutes avant le début des cours de l’après-midi, je retourne vers l’école, espérant que l’ambiance sera meilleure que ce matin.
10655.jpgÀ la dernière période, je choisis une table libre tout au fond de la salle. Un jeune homme aux cheveux longs, habillé tout en noir, prend la place voisine de la mienne avant de chuchoter :
— C’est toi, Naostone ?
— Je suppose, dis-je en murmurant.
Ce con agit comme s’il me connaissait, j’imagine que ma réputation est déjà faite.
— Je m’appelle Jason. On m’a dit de venir vers toi pour avoir de quoi fumer.
Je rigole, n’arrêtant pas de faire tourner mon crayon entre mes doigts.
— Demande à un autre… on t’a mal informé.
À quelques tables devant moi, je fixe longuement le capitaine qui s’installe.
— Tu connais Mikaël ! Il a déjà une copine… Abby ne tolérera jamais que tu aies un œil sur lui. Quoiqu’ils sont comme chien et chat, ce qui fait qu’on ne sait jamais s’ils sont ensemble ou pas. Les rumeurs circulent qu’elle court deux lièvres à la fois.
Je ne réponds pas, mais je ne peux m’empêcher de me questionner. Pourquoi présume-t-il que je pourrais avoir un œil sur lui ? Ils sont vraiment étranges, les jeunes, ici !
Notre enseignante distribue un document qui nous informe sur le prochain travail à effectuer, puis elle explique qu’au haut de la première page apparaît un chiffre et que nous devons trouver l’élève qui a le même que nous. Elle conclut en nous indiquant que c’est avec cette personne que nous ferons équipe pour l’année. Les étudiants, qui pour la plupart s’étaient installés avec un ami, se mettent à rouspéter, mais l’enseignante leur rappelle que nous sommes ici pour apprendre et non pour nous amuser ou discuter. Sur ces mots, chacun part à la recherche de son partenaire. Quand Mikaël s’assoit sur la chaise voisine de la mienne, je me contente de lui faire un sourire timide. Je regarde sur le haut de sa feuille et je constate qu’il a le même chiffre que moi, ce sera donc mon coéquipier jusqu’à la fin de l’année. Il semble être le seul à être en accord avec le fait de ne pas pouvoir choisir son partenaire. Je suis tout à coup suspicieuse, il doit certainement y avoir quelque chose qui cloche, surtout après l’événement de ce matin. À présent, je suis persuadée d’avoir la réputation d’une fille que les gens doivent fuir comme la peste. Au milieu de la période, Jason glisse discrètement un bout de papier sur notre table, message que mon voisin ne se gêne pas pour lire. Sans même essayer de m’approprier le mémo, je lui dis qu’il peut le jeter puisque je n’ai rien à vendre, mais il insiste :
— Ce n’est que son numéro de téléphone, il souhaite peut-être devenir ton ami !
— Ben, moi, non… Tu peux le garder si tu veux.
Je continue de faire mon travail lorsqu’il se met à me parler tout bas.
— Tu es différente, je veux dire… avant, tu étais plus… comme un garçon !
Je lui chuchote, presque au creux de l’oreille.
— Mon changement de sexe n’a pas fonctionné…
Il rigole en me regardant de côté.
— C’est joli, tes cheveux longs… Je t’ai toujours vue avec les cheveux courts.
— On change en vieillissant, faut croire. Tu parles comme si tu me connaissais depuis longtemps. La sixième année, c’était il y a cinq ans.
— Nous avons des amis en commun, et Abby allait à l’académie. On s’est souvent retrouvés aux mêmes partys.
Je replonge le nez dans mon cahier avant d’enlever ma veste. Je reste surprise lorsqu’il passe son doigt sur l’ecchymose gentiment offerte par la main de mon père ce matin. Je repousse ma chaise afin d’être le plus loin possible de lui.
— Ne t’éloigne pas trop, nous avons un travail à commencer.
— Tenons-nous-en à ça, et fais-moi plaisir, garde tes mains pour toi.
— Dis-moi, comment t’es-tu fait cette blessure ?
— Ça ne te regarde pas… Sors ton cahier, on perd du temps.
Nous convenons d’effectuer une partie du travail chacun de notre côté et de les jumeler avant de le remettre, ce qui nous fait chacun une dizaine de questions à compléter.
10657.jpgAprès les classes, je m’empresse d’aller chercher mes manuels dans mon casier et je me mets à courir pour rentrer chez moi. Je ne dois surtout pas arriver en retard, mes tâches au garage doivent être terminées avant que mon père revienne de son rendez-vous. Je sais pratiquement tout faire sur une voiture, changer les pneus, réparer une crevaison, les changements d’huile et de freins. Je fais donc tout ce qui est inscrit sur le tableau. Ma mère est venue me porter une salade parce que je n’ai même pas pris le temps de m’arrêter pour souper.
Une fois toutes les tâches exécutées, je monte prendre une douche avant de commencer mes devoirs. Mon père fait irruption dans ma chambre sans même s’annoncer.
— Où est ta mère ?
— Aucune idée, je croyais qu’elle était en bas !
Il claque la porte de ma chambre, puis il fait de même avec celle menant à l’extérieur. Par ma fenêtre, je le vois entrer dans le garage. Je ferme le rideau, puis je me couche en remontant la couverture sur mon nez.
Quelques heures plus tard, j’entends ma mère rentrer, suivie de peu par mon père qui fait trembler la maison en claquant une fois de plus la porte d’entrée. Je m’avance près du corridor pour écouter ce qu’ils disent. Toutefois, j’aurais très bien pu rester dans mon lit et je n’aurais rien manqué tellement il crie à tue-tête.
— Édith ! Où étais-tu ?
— Mario… Je suis désolée… C’était la dernière fois, je te jure !
— Regarde tout ce que nous avons à payer… Tu es complètement folle !
— Je n’ai pas réfléchi, j’étais persuadée de revenir avec plus. Je te promets…
J’entends mes parents se chamailler. Des coups sont donnés, mais cette fois, je n’y vais pas, je me contente de laisser les larmes couler sur mes joues sans que je comprenne quoi que ce soit à ce dont il est question.
3
À la première période, je suis en éducation physique. Après m’être changée, j’ai accroché mes vêtements dans mon casier, mais à la fin du cours, j’ai réalisé qu’ils avaient disparu. Le professeur ainsi que quelques élèves m’ont aidée à chercher, sans succès. Je dois donc passer la journée entière dans ma tenue de sport. À la dernière période, c’est mon cours d’anglais, et je me trouve dans la même classe qu’Abby. Sans grande surprise, madame a son mot à dire.
— Hé ! Naostone… les gymnases sont au bout du couloir ! dit-elle en se moquant de moi.
Tout comme les jours précédents, je l’ignore, refusant de tomber dans le panneau, car je sais qu’elle me provoque. Je m’installe donc à l’opposé de l’endroit où elle se trouve. Il doit rester moins de trente minutes à la journée lorsque la secrétaire me convoque au bureau du directeur. Mon cœur bat vite. Et s’il était arrivé malheur à ma mère ? Je rassemble mes