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Questions théoriques et pratiques sur l'enseignement explicite
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Questions théoriques et pratiques sur l'enseignement explicite
Livre électronique601 pages6 heures

Questions théoriques et pratiques sur l'enseignement explicite

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À propos de ce livre électronique

Enseigner signifie instruire et éduquer un collectif d’élèves. Pour faciliter l’enseignement, il importe de prendre appui sur les données issues des recherches rigoureuses en éducation et de s’éloigner des idées préconçues et des pseudo-approches pédagogiques dites efficaces. En prenant résolument le parti de la recherche empirique, le présent livre offre des réponses à 11 questions qui touchent directement l’enseignement, et ce, tant sur le plan théorique que sur le plan pratique.

Un enseignant peut-il être efficace dans tous les contextes ? Doit-il varier son enseignement ? Quelles sont les limites des communautés d’apprentissage professionnelles ? Quels sont les effets des technologies et de l’enseignement virtuel sur le rendement des élèves, avec ou sans pandémie ? Pourquoi et comment consolider les apprentissages ? Pourquoi faut-il enseigner explicitement les comportements ? Voici des questions auxquelles le lectorat trouvera réponse dans cet ouvrage. Les constats qu’on peut en tirer permettront d’entrevoir les défis des enseignantes et enseignants d’aujourd’hui et d’anticiper ce dont sera faite la pédagogie de demain.
LangueFrançais
Date de sortie8 juin 2022
ISBN9782760556942
Questions théoriques et pratiques sur l'enseignement explicite
Auteur

Clermont Gauthier

Clermont Gauthier est professeur associé à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval. Ses recherches portent sur l’évolution de l’enseignement, les courants pédagogiques, l’enseignement explicite et la formation des enseignants. Il a publié, seul ou en collaboration, plus d’une quarantaine d’ouvrages sur ces thèmes.  

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    Aperçu du livre

    Questions théoriques et pratiques sur l'enseignement explicite - Clermont Gauthier

    Introduction /

    Onze questions posées sur l’enseignement

    Même si tous les trois nous appartenons à des univers culturels, générationnels et théoriques différents, nous partageons la même passion pour le métier d’enseignant et le même désir de contribuer à l’améliorer le plus possible grâce à la recherche. Cette dernière n’a pas cessé de progresser ces 40 dernières années, et nous disposons désormais de résultats de recherches empiriques qui sont de plus en plus robustes et qui couvrent les différentes facettes du métier d’enseignant. La recherche contemporaine en enseignement prend appui sur ce que les enseignants font dans les classes ; elle tente de repérer les pratiques ou les stratégies des enseignants qui sont associées aux apprentissages des élèves. Elle nous apprend aussi que lorsqu’on se donne les moyens, par des protocoles expérimentaux, d’observer et de mesurer rigoureusement ce qui se passe en classe, les stratégies efficaces ressortent avec plus de clarté. Alors, au lieu de nous appuyer sur des idées préconçues, sur le fantasme de pseudo-approches pédagogiques miracles, nous avons pris le parti de tout faire passer par le filtre critique de la recherche empirique.

    Les recherches sur l’enseignement ont fait ressortir deux grandes fonctions que poursuit l’enseignant dans son travail d’instruction et d’éducation auprès des jeunes : la gestion des apprentissages et la gestion de la classe. Dans un premier ouvrage publié en 2013 et intitulé Enseignement explicite et réussite des élèves, nous avons décrit des travaux portant sur la gestion des apprentissages, que l’on appelle aussi l’enseignement explicite des contenus. Nous y avons présenté le modèle PIC, l’acronyme désignant les phases de planification (P), d’interaction avec les élèves (I) et de consolidation des apprentissages (C). Dans un second ouvrage intitulé L’enseignement explicite des comportements et publié en 2016, nous avons abordé la seconde fonction importante de l’enseignement, soit la gestion des comportements en classe et à l’école. Nous y avons fait ressortir l’importance de mobiliser des stratégies de prévention des comportements, mais aussi des interventions correctives selon une progression validée. Nous avons fait valoir également la nécessité de ne pas se limiter au périmètre de la classe, mais aussi d’assurer des interventions cohérentes au niveau même de l’école.

    Ces deux ouvrages ont permis de faire connaître, dans l’espace francophone, des recherches menées pour la plupart dans les milieux anglo-saxons. Ils ont aussi proposé des outils concrets et validés par la recherche pour intervenir auprès des jeunes tant sur le plan des contenus à apprendre que sur celui des comportements à adopter en classe et à l’école. Depuis ces deux publications sur l’enseignement explicite des contenus et des comportements, nous avons poursuivi nos travaux sur le même thème. Ceux-ci ont notamment donné lieu à la publication d’un ouvrage collectif intitulé L’enseignement explicite dans la francophonie, dirigé par Steve Bissonnette, Érick Falardeau et Mario Richard et publié par les Presses de l’Université du Québec (PUQ), ainsi qu’à la création d’un site Internet, <http://www.enseignementexplicite.be>, centralisant des travaux de recherche et des outils concrets pour les enseignants et les formateurs d’enseignants produits par Marie Bocquillon, Antoine Derobertmasure et Marc Demeuse. Il est également possible de consulter le site en France.

    Le présent ouvrage présente plusieurs caractéristiques singulières. En le parcourant, le lecteur remarquera que chaque chapitre est coiffé d’une question à laquelle nous cherchons à répondre. On le sait, la pensée se déploie toujours mieux avec une question de départ, et celle-ci oriente l’organisation de l’argumentation dans le chapitre. Outre une question qui le guide, chaque chapitre comprend aussi un titre et un exergue qui colorent le propos qui sera discuté. Par ailleurs, comme les chapitres du livre ont été écrits à divers moments et dans différents contextes, ils présentent une certaine autonomie, chacun se suffisant pour ainsi dire à lui-même. Cela donne même au lecteur l’avantage de pouvoir commencer sa lecture par n’importe lequel et aussi de lire l’ensemble selon l’ordre qui lui convient. Il pourra sans doute relire dans un chapitre certains propos déjà effleurés dans un autre ; cette forme de reprise est propre à ce genre d’ouvrage. Mais cela ne gêne pas, au contraire, cette configuration permet de réviser le matériel et aide plutôt à consolider davantage la compréhension.

    Nous avons regroupé nos textes en deux parties. Dans la première, qui comprend sept chapitres, nous adoptons une posture critique et remettons en question certaines idées reçues qui circulent dans nos milieux.

    Au premier chapitre, nous nous demandons si un enseignant peut transcender les contextes et réussir quand même à être efficace. Cette question nous est venue en réaction à certaines affirmations voulant qu’un enseignant ou une méthode ne puisse être efficace dans tous les contextes. À partir d’une perspective historique sur la recherche en enseignement, nous avons cherché à savoir ce qui pouvait qualifier un bon enseignant. Nous avons examiné le grand projet de la constitution d’une base de connaissances en enseignement qui a permis de formaliser des stratégies pédagogiques qui sont effectivement généralisables dans plusieurs contextes. Ces stratégies telles que l’enseignement explicite peuvent être apprises par les enseignants et donner de bons résultats chez les élèves.

    Au deuxième chapitre, nous examinons l’idée reçue fort répandue selon laquelle l’enseignant doit varier son enseignement. Nous nous demandons non seulement pourquoi, mais aussi comment il faudrait varier son enseignement. Pour nous, la question n’est pas simplement de varier à tout prix les activités et les approches pédagogiques, mais bien de les varier si le besoin de guidance le nécessite et aussi en fonction de certains critères. Par exemple, sur le plan de l’apprentissage des contenus, il faut prendre en compte le niveau de compétence des élèves, la complexité de la tâche, le temps disponible et les idées enseignées (secondaires ou maîtresses). De même, sur le plan de la gestion de classe, l’enseignant prendra en compte ce qui peut maintenir ou mettre en péril son vecteur d’action.

    Au troisième chapitre, nous nous sommes demandé comment il se fait que, dans le domaine de l’enseignement, les « recettes » soient toujours vues négativement, alors que dans le domaine de l’art culinaire, elles sont valorisées. On le verra, un chercheur comme Huberman a montré que les enseignants sont foncièrement demandeurs de recettes, mais que les universitaires refusent inlassablement de leur en donner. Cette question des recettes rejoint, à certains égards, celle du contexte évoqué au chapitre 1, et des recherches ont montré que des stratégies pédagogiques (donc des recettes) s’apprennent et donnent de bons résultats auprès des élèves. Un peu comme le cuisinier, l’enseignant apprendra d’abord la base et il ajoutera sa propre couleur par la suite.

    Au quatrième chapitre, nous répondons à la question « Comment révolutionner la formation à l’enseignement ? » Pour ce faire, nous rappelons le concept de données probantes en éducation, c’est-à-dire de stratégies pédagogiques validées par des recherches rigoureuses. Nous montrons ensuite, à partir de différentes études, qu’il existe un écart considérable entre les stratégies fondées sur des données probantes et celles prodiguées aux futurs enseignants. Nous cherchons également à comprendre les causes de la résistance aux données probantes de certains chercheurs et de certains formateurs. Ce chapitre fait en quelque sorte écho aux chapitres précédents puisque, pour révolutionner la formation à l’enseignement, nous recommandons que celle-ci propose à tous les futurs enseignants des stratégies de gestion des apprentissages et de gestion de classe fondées sur des données probantes pouvant être utilisées dans différents contextes (chapitre 1), choisies selon des critères précis (chapitre 2) et permettant d’outiller les enseignants en quête de conseils concrets pour mener à bien leur métier complexe (chapitre 3). Il s’agit d’une question éthique pour les enseignants et les élèves qui leur sont confiés et qui méritent qu’on leur propose les meilleures stratégies.

    Au cinquième chapitre, nous examinons les limites des communautés d’apprentissage professionnelles (CAP), un moyen de développement professionnel largement répandu au Québec et de plus en plus dans la francophonie. L’idée d’encourager le dialogue entre les intervenants scolaires, ainsi que leur réflexivité collective, est intéressante et louable. Il convient de se demander, cependant, si le recours aux CAP est le moyen de développement professionnel le plus efficace pour améliorer la réussite des élèves. Pour ce faire, le cinquième chapitre présente brièvement des éléments essentiels d’une CAP comme décrits dans le projet CAR (collaborer, apprendre, réussir), auquel plus de 80% des centres de services scolaires québécois ont adhéré. Il établit également des liens entre le projet CAR et la dynamique collaborative qui se met en place actuellement en Belgique francophone. Ensuite, quelques recherches ayant mesuré les effets des CAP sur la réussite des élèves sont analysées. Le manque de données probantes en faveur de l’efficacité des CAP nous conduit à examiner d’autres recherches ayant mis en évidence des modalités de développement professionnel efficaces. Les résultats de ces recherches permettent également de souligner une condition d’efficacité importante des CAP qui n’est pas toujours mise en évidence : il est nécessaire que la CAP soit nourrie par des experts externes, plutôt que de fonctionner « en vase clos ».

    Au sixième chapitre, nous nous interrogeons sur les effets des technologies et de l’enseignement virtuel sur le rendement des élèves, avec ou sans pandémie. Les recherches consultées montrent que les effets des technologies utilisées en salle de classe et avec la présence des élèves sont positifs sur le rendement de ces derniers mais qu’ils sont très faibles (d = 0,00 à 0,08). Sur la base de ces résultats, il est possible d’anticiper un effet plutôt négatif d’un enseignement offert en mode virtuel et à distance sur le rendement des élèves. Or, les études réalisées sur les écoles virtuelles avant l’arrivée de la COVID-19 confirment cette assertion. De plus, les recherches menées sur ce type d’enseignement depuis l’avènement de la pandémie montrent des effets très négatifs chez les élèves du primaire, et encore plus au début de la scolarisation et pour l’ensemble des élèves à risque, tous degrés scolaires confondus. Les effets négatifs observés ne se limitent pas qu’au rendement scolaire, ils touchent également le développement des enfants. Par conséquent, l’enseignement virtuel et à distance doit être envisagé uniquement comme une solution de dépannage lorsque les écoles sont fermées.

    Au septième chapitre, nous nous demandons s’il y a, comme d’aucuns le soutiennent, des écoles de pensée en enseignement explicite. Sur un plan logique plus général, nous constatons la cohabitation d’une série d’approches instructionnistes, et l’enseignement explicite fait partie de cet ensemble, à côté de plusieurs autres. Mais sur un plan logique plus particulier, pouvons-nous dire que l’« approche enseigner plus explicitement », proposition mise en évidence dans plusieurs documents français, fait partie de l’enseignement explicite ? Nous pensons que non. Notre argumentaire prend appui sur le fait que l’enseignement explicite, dans la tradition nord-américaine, est basé sur des données probantes alors que l’« enseignement plus explicite », dans l’acception française, est un dérivé du constructivisme dont on cherche en vain les preuves d’efficacité.

    Dans la seconde partie comprenant quatre chapitres, nous abordons davantage certains aspects de l’enseignement explicite qui n’ont pas été beaucoup discutés auparavant.

    Le huitième chapitre examine la question de la rétroaction en enseignement explicite. Comment l’aborder ? Quand on reprend les six fonctions de Rosenshine et Stevens (1986), on s’aperçoit que la rétroaction y occupe une place centrale. Et quand on examine des recherches plus récentes comme celles du Handbook of Research on Feedback Instruction, on voit notamment qu’une dimension importante de la rétroaction est d’abord d’amener l’apprenant à se demander quel est l’objectif qu’il poursuit à travers sa tâche, puis de connaître son niveau de performance, et enfin, de prendre des actions pour s’améliorer et atteindre l’objectif. Il s’agit à n’en pas douter d’un rôle essentiel que l’enseignant doit jouer pour faciliter l’apprentissage de ses élèves.

    Le neuvième chapitre étudie la question de la consolidation des apprentissages. Rosenshine a signalé à de nombreuses reprises, dans ses travaux, l’importance de la consolidation. Il n’a cependant pas beaucoup approfondi cette question. Des travaux plus récents et issus principalement de la psychologie cognitive ont permis de mettre en évidence les limites de la pratique condensée de style bourrage de crâne et l’impact plus grand des pratiques espacée et intercalée, qui demandent un effort plus grand de l’apprenant. De même, les recherches ont exploré plusieurs stratégies pédagogiques qui nécessitent un certain effort de récupération de ce qui a été appris en mémoire.

    Le dixième chapitre pose la question « Pourquoi faut-il enseigner explicitement les comportements ? » La réponse est fournie en consultant les recherches menées sur le système de réponse à l’intervention (RAI) comportementale, le soutien au comportement positif (SCP). Le SCP préconise diverses interventions préventives, dont l’enseignement explicite des comportements, et ce, afin de favoriser l’adoption par les élèves des comportements désirés. L’enseignement explicite des comportements peut être également utilisé aux différents paliers de la RAI afin de venir en aide aux élèves ayant des difficultés comportementales. Les interventions préventives et correctives proposées par le SCP contribuent à la création d’un milieu scolaire où l’enseignement peut se prodiguer et l’apprentissage se réaliser dans un climat bienveillant.

    Le onzième chapitre revisite une approche d’enseignement souvent décriée à l’université, mais encore largement utilisée, à savoir l’enseignement magistral. À partir d’un point de vue historique, nous y établissons la distinction entre l’enseignement traditionnel et l’enseignement magistral, et nous montrons que la disqualification de l’enseignement magistral est en droite ligne avec la posture idéologique de la pédagogie nouvelle au XXe siècle. En prenant appui sur des stratégies d’enseignement explicite, nous montrons comment il est possible d’améliorer l’enseignement magistral au lieu de le disqualifier.

    Enfin, nous profitons de la conclusion pour réfléchir aux défis auxquels se heurtent les enseignants d’aujourd’hui et anticiper de quoi sera faite la pédagogie de demain, c’est-à-dire un art instruit de science.

    Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Marie Bocquillon¹

    Québec et Mons, le 30 novembre 2021

    1Nous tenons à remercier madame Mireille Castonguay pour sa lecture minutieuse de l’ouvrage et ses suggestions judicieuses.

    Partie I /

    Critiques d’idées reçues

    Questions théoriques

    Chapitre 1 /

    Un enseignant peut-il être efficace dans tous les contextes ?

    L’or des fous : la « loi du contexte », une autre idée reçue qui nuit à la formation et à la professionnalisation de l’enseignement

    À l’époque de la ruée vers l’or,

    la pyrite de fer a été confondue par de nombreux mineurs avec le précieux métal à cause de son éclat et de sa couleur.

    Cet épisode lui a valu le surnom d’« or des fous ».

    Didier D

    escouens

    Ce texte est né d’un agacement (mais oui, un autre !) qui nous est venu après avoir lu des propos de collègues européens francophones en sciences de l’éducation. Cela aurait d’ailleurs pu venir de la plume de mille autres tellement l’idée de la primauté absolue du contexte est répandue dans le milieu des sciences de l’éducation. Reprenons quelques citations en rafale pour mesurer l’ampleur de la conviction : « Les pratiques enseignantes ne sont pas réductibles à l’application d’une méthode ou à la réalisation d’un plan d’enseignement, car l’acte d’enseignement est contextualisé et contextualisant, puisqu’il s’exerce en contextes » (Bru, cité dans Talbot, 2012, par. 23). Puis, celle-ci : « […] car s’il existe un enseignement efficace, il n’existe pas d’enseignant efficace en tout lieu, quels que soient les circonstances et les contextes » (Bru, cité dans Talbot, 2012, par. 18). Et encore : « Les pratiques enseignantes sont parfois instables, variables, erratiques ou peu rationnelles. Il existe une grande variabilité intra et interindividuelle dans le domaine » (Bru, cité dans Talbot, 2012, par. 21). Également : « La question des apprentissages réussis ne relève sans doute guère d’un problème de méthode au sens strict du mot, ni même de type de pédagogie ou de didactique pour la simple et bonne raison que les pratiques enseignantes ne consistent jamais dans l’application stricte d’une méthode » (Bru, cité dans Talbot, 2012, par. 21). Et enfin, si tout est contexte, alors la solution pédagogique est évidemment du côté des pratiques de l’enseignant constructiviste : « [U]n enseignant facilitateur d’apprentissages, qui fait travailler ses élèves en petits groupes dans une dynamique plutôt socio-constructiviste ou (donc) active, qui évite des pratiques d’enseignement uniquement frontales, qui propose des projets » (Bru, cité dans Talbot, 2012, par. 27).

    Plusieurs questions nous habitent en parcourant cette collection de citations : un bon enseignant manifeste-t-il une efficacité suffisamment stable pour transcender les contextes ? Autrement dit, peut-il être efficace auprès de différentes catégories d’élèves, en difficulté, doués, réguliers, ou encore enseigner avec succès dans des classes de niveaux scolaires variés ou même tirer son épingle du jeu dans différents milieux socioéconomiques ? Peut-il être efficace dans la durée, appliquer avec succès une méthode d’enseignement dans divers contextes, États, pays ? Bref, l’exacerbation du contexte mérite qu’on s’y attarde et cela constitue la trame du présent texte.

    Notre propos se divise en trois sections. Étant donné que nous avons tous fréquenté l’école et que chacun a forcément sa petite idée sur ce qu’est un bon enseignant, il convient en premier lieu de revisiter quelques idées reçues qui circulent dans divers milieux à ce sujet. Ensuite, nous allons parcourir à grands traits des étapes importantes de la recherche en enseignement et mettre en terre à mesure les grains qui permettront de répondre à notre question. Enfin, sur la base de ce que nous aurons récolté, nous aborderons, dans la troisième section, la question de la nature d’un bon enseignement et proposerons une manière d’y répondre en fonction des résultats de recherche des 50 dernières années.

    1 / Quelques idées reçues au sujet du bon enseignant

    ¹

    Une idée reçue est une affirmation largement répandue dans une société, elle semble vraie et s’impose tant elle est commune. Et cela d’autant plus qu’elle peut parfois contenir une certaine part de vérité qui la rend acceptable sans autre forme d’examen. Comme elle est une réponse à une question implicite, elle nous évite de réfléchir plus avant parce qu’on la tient pour évidente. Déjà Descartes, dans son Discours de la méthode, nous racontait comment, malgré une excellente éducation dans le meilleur collège et auprès de maîtres chevronnés, et malgré un travail acharné, il s’était senti un jour obligé de remettre en doute les certitudes qu’on lui avait enseignées.

    Comme le métier d’enseignant est exercé depuis des siècles dans nos sociétés, on ne sera pas surpris de voir se répandre ici et là des idées que l’on tient pour vraies à propos de ce qui rend un enseignant excellent. Commençons donc notre démarche par revisiter brièvement quelques-unes de ces idées reçues au sujet d’un bon enseignant pour mieux s’en défaire à notre tour.

    La connaissance de la matière suffit pour être un bon enseignant. On a longtemps pensé, et plusieurs soutiennent encore sans doute cette idée, qu’il suffit que l’enseignant connaisse sa matière et le tour est joué, il saura enseigner. Dans cette perspective, le seul savoir nécessaire pour bien enseigner aux élèves se réduit alors à la connaissance de la matière. Ainsi avalise-t-on l’idée, sans autre forme de débat, que celui qui sait lire peut naturellement montrer à lire, que celui qui maîtrise la chimie peut aisément l’enseigner ou que l’historien professionnel peut facilement se transmuer en enseignant d’histoire. Mais, il y a là une formidable méprise, et celui qui exerce concrètement, au fil des jours, le métier d’enseignant sait bien que, pour réussir dans son métier, il lui faut beaucoup plus que simplement connaître sa matière, même si cette connaissance est évidemment essentielle et incontournable. Il sait qu’il lui faut aussi planifier son enseignement, organiser et superviser le travail de ses élèves, leur donner de la rétroaction, construire des activités bien adaptées à son groupe, évaluer leurs apprentissages. Il ne peut oublier non plus les inévitables problèmes de comportements. Il doit en effet être attentif aux élèves plus agités, à ceux qui sont trop tranquilles, aux plus avancés et aux trop lents. Bref, celui qui trempe dans le métier quotidiennement sait bien qu’en dépit de la grande importance de la connaissance de la matière, elle n’est en aucune façon suffisante à elle seule pour exercer le métier. Penser qu’enseigner ne consiste qu’à transmettre une matière à des élèves ou à des étudiants, c’est malheureusement réduire une activité aussi complexe que l’enseignement à une seule dimension, certes la plus évidente, mais c’est surtout s’empêcher de réfléchir aux autres savoirs et savoir-faire que ce travail nécessite pour que l’apprentissage et l’éducation adviennent.

    Enseigner ne s’apprend pas. Plusieurs soutiennent aussi qu’enseigner n’est avant tout qu’une affaire de talent. Cela s’exprime par cette sentence entendue si souvent : « Enseigner, tu l’as ou tu ne l’as pas. » Il faut bien admettre que, dans nos sociétés où l’enseignement de masse est obligatoire et institutionnalisé, les besoins abondent, et ce, bien au-delà des ressources humaines disponibles pour les combler. Le talent est une denrée plutôt rare, alors peut-on se limiter à confier le métier aux seuls talents exceptionnels pour enseigner ? Comme le soulignait à juste titre Dewey (1929), le problème avec ceux qui possèdent un tel talent c’est que, comme un trésor de pharaon, ils l’emporteront avec eux dans le secret de leur tombeau. Par ailleurs, il faut, d’une certaine manière, donner raison à cette idée que le talent est indispensable à l’exercice de n’importe quel métier et qu’en l’absence de talent, la performance est forcément limitée. Cependant, il ne faut pas oublier que le talent seul ne saurait suffire ; le travail lui est un soutien essentiel. On n’a qu’à observer les performances des sportifs, des artistes, des joueurs d’échecs, des savants pour s’en convaincre. Parler de travail, c’est mettre en évidence la nécessité d’exercer certains savoir-faire particuliers pour soutenir le talent. Les disciplines artistiques et sportives exigent des gestes techniques et des savoirs particuliers qui ont été formalisés, enseignés et appris par leurs adeptes.

    Bien enseigner est une affaire de gros bon sens. Plusieurs soutiennent, et on l’entend régulièrement dans les médias écrits et parlés, qu’il serait temps de faire œuvre de plus de bon sens en pédagogie. Cela suppose, on s’en doute, que l’on pense que le bon sens est la chose du monde la mieux partagée et qu’il n’y a en conséquence qu’un sens, le bon et, fort probablement, le sien ! Or, ce que la modernité, disons depuis le XIXe siècle, nous aura appris, c’est précisément que le sens est pluriel, qu’il varie selon les perspectives, qu’il se discute, qu’il n’y a pas de bon sens en soi, mais plusieurs variations sur le sens. Puisque l’éducation est le lieu par excellence des conflits de valeurs et de perspectives, plaider pour le bon sens, c’est se forger une chimère, c’est percevoir un monde unitaire qui n’existe pas et qui n’a peut-être jamais existé autrement que par un coup de force. Plus insidieuse encore est l’idée dérivée – que ce plaidoyer en faveur du gros bon sens a pour effet encore une fois de soutenir – qu’il n’y a rien à apprendre dans le métier, que quiconque fait œuvre de bon sens peut réussir. À plaider ainsi pour le gros bon sens, on laisse croire qu’il n’y a aucun corpus de connaissances et d’habiletés nécessaires pour exercer ce métier, et qu’il suffit de se servir de son jugement, comme si le jugement n’avait pas besoin de connaissances pour se déployer.

    Bien enseigner est une affaire d’expérience, cela « s’apprend sur le tas ». La grande majorité des enseignants soutiennent qu’ils ont appris leur métier par expérience, au gré des bons coups et des erreurs (Cormier et al., 1979-1985). Sans dénigrer les vertus de l’expérience, il n’en demeure pas moins que fonder l’apprentissage d’un métier uniquement sur l’expérience est une pratique plutôt hasardeuse, au sens où c’est laisser à chacun la tâche pénible de redécouvrir la roue par lui-même, de trouver seul (et peut-être aussi de ne pas y arriver) les stratégies efficaces qui conviennent à ses élèves. Plus encore, cela conduit finalement à remettre en question la pertinence de la formation à l’enseignement. Plaider pour l’expérience uniquement, c’est donc nuire à l’émergence d’un statut professionnel des enseignants puisqu’une profession se reconnaît notamment par la maîtrise d’un savoir distinct formalisé et acquis dans le cadre d’une formation de type universitaire.

    On le voit bien, ces quelques idées reçues que sont la connaissance de la matière, le talent, le gros bon sens ou encore l’expérience seule ne sauraient suffire pour forger et définir un bon enseignant. Ces énoncés ont même pour effet pervers d’empêcher la mise au jour de savoirs professionnels précis ; en fait, ils sont déprofessionnalisants, au sens où ils nuisent à l’émergence et à la diffusion des recherches sur l’enseignement.

    Il faut donc aller plus loin et poursuivre notre quête sur ce qui fait un bon enseignant, et voir si un enseignant efficace peut transcender les contextes. Est-ce que la recherche en enseignement pourrait nous informer ? Examinons comment et par quels chemins celle-ci a dû passer pour tenter d’y voir un peu plus clair.

    2 / L’évolution de la recherche en enseignement

    ²

    Contrairement à ce qui semble à première vue, la recherche en enseignement est assez ancienne quand on considère que, dès le début du XXe siècle, des chercheurs mettaient sur pied des projets en vue d’améliorer l’enseignement. Cependant, ce n’est que depuis une cinquantaine d’années seulement que d’importants efforts sont déployés en vue de décrire la pratique enseignante à partir de recherches menées directement dans les classes. C’est à partir de ce moment-là que l’on commence à voir émerger des résultats intéressants et cumulatifs sur les effets de la mobilisation de diverses stratégies sur l’apprentissage des élèves, autrement dit, sur ce qui fait un bon enseignant.

    Pour jeter un coup d’œil sur l’évolution de la recherche en enseignement, il convient de situer cette aventure aux États-Unis, car c’est là, il faut le reconnaître, qu’on retrouve une solide tradition de recherche empirique nettement plus organisée et financée que dans les pays francophones. Les Américains sont très productifs et conservent encore un rôle de leaders sur le plan de la recherche de terrain rigoureuse³.

    Il est possible de cerner un certain nombre de périodes importantes et d’initiatives qui marquent l’évolution de la recherche sur l’enseignement aux États-Unis : l’approche des traits de personnalité durant la première moitié du siècle ; l’évaluation des méthodes après la Deuxième Guerre ; les systèmes d’observation durant les années 1950 et 1960 ; et les approches processus-produit durant les années 1970, suivies des recherches expérimentales. Puis, au cours des années 1980, on assiste à une véritable prolifération avec les recherches sur la base de connaissances pour enseigner, celles inspirées de l’ethnométhodologie et des sciences cognitives, celles sur le praticien réflexif, celles sur les fonctions de l’enseignement, sur la valeur ajoutée, sur les Comprehensive School Reform Programs et enfin, celles sur les comparaisons internationales. Nous allons brièvement y jeter un coup d’œil.

    2.1 / Les recherches sur les qualités d’un bon enseignant

    Medley (1979) mentionne que la recherche sur l’enseignement prend son origine dans des travaux aussi éloignés de nous que ceux de Kratz en 1896. Ce dernier cherchait à répondre à notre question : qu’est-ce qui fait un bon enseignant ? Pour y arriver, il demandait aux élèves de décrire les meilleurs enseignants qu’ils avaient eus dans leur parcours scolaire, et leurs descriptions étaient ensuite analysées et synthétisées sous la forme de listes de caractéristiques du bon enseignant (Medley, 1972, p. 431). Presque 40 ans plus tard, Hart a mené à son tour une célèbre étude auprès de 10 000 élèves. Il reprenait pratiquement le même patron de recherche que Kratz et cherchait, à partir des perceptions de ces élèves, des traits caractéristiques des professeurs qu’ils aimaient le plus ou le moins. Dans ce registre de recherches menées jusqu’au milieu des années 1950, l’efficacité de l’enseignement est alors associée principalement à certains traits de personnalité de l’enseignant (un bon enseignant est enthousiaste, amical, impartial, chaleureux, il s’intéresse aux élèves, etc.) et la recherche est orientée vers l’identification de ces qualités (Medley, dans Peterson et Walberg, 1979, p. 12). Il faut savoir que les motifs à la base de ces recherches étaient surtout administratifs et visaient à améliorer le processus de sélection et d’évaluation du personnel enseignant. On a également fait appel à des experts (administrateurs scolaires, professeurs de facultés d’éducation, etc.) dont on pensait que les opinions avaient une plus grande validité que celles des élèves. Or, tout comme les qualités mentionnées par les élèves étaient, selon Medley (1972, p. 432), un mélange d’« anecdotes, de banalités et de sens commun qui n’ajoutent rien à ce qui est déjà généralement admis⁴ », celles relevées par les experts n’ont guère donné de résultats plus significatifs. Medley (1972) indique qu’une étude sérieuse et exhaustive réalisée auprès d’experts, à l’époque, a répertorié pas moins de 83 traits d’un enseignant efficace ! On s’entend qu’un tel nombre de qualités ne discrimine rien : ou bien il faut être un ange ou un extraterrestre pour toutes les posséder, ou bien ce peut être n’importe qui, du moins, si on choisit celles qui nous plaisent le plus.

    Une autre approche populaire a été d’utiliser des échelles de notation employées pour évaluer les enseignants. Déjà en 1930, on dénombrait 209 échelles de notation des comportements de l’enseignant par des juges (Barr et Emans, cités par Medley, 1979). Il est important de mentionner que ces échelles caractérisaient encore une fois les enseignants « perçus » comme efficaces (Medley, dans Peterson et Walberg, 1979). Rien ne garantissait cependant que les traits indiqués par les répondants (qu’ils soient élèves, professeurs d’université, autres enseignants, etc.) permettaient réellement aux élèves de mieux apprendre.

    Ces premières tentatives de recherche sur l’enseignement présentaient plusieurs défauts méthodologiques qui ont été signalés par la suite. Par exemple, Soar (1972) rapporte qu’en 1959, Medley et Mitzel ont étudié toutes les recherches qu’ils ont pu trouver dans lesquelles l’efficacité de l’enseignement était mesurée par les cotes (ratings) attribuées par des experts. Ils ont comparé ces cotes aux indices de progression du rendement des élèves. Leurs résultats indiquent de façon constante qu’il n’y a aucune relation significative entre ces notes de l’efficacité telles que perçues par les experts et les scores de changement chez les élèves. Rosenshine (1971a, p. 12) indique : « Dans les recherches antérieures sur l’enseignement, l’accent était mis sur l’évaluation de l’enseignant, sur l’obtention de données concernant sa formation, son intelligence, son expérience, ses résultats à divers tests de personnalité et d’attitude et sur la mise en relation de ces informations avec des mesures de gain d’apprentissage des élèves. Ces recherches se sont avérées improductives jusqu’à présent. »

    Dans la même veine, Cruickshank (1990) rapporte les conclusions de plusieurs chercheurs à ce sujet : « Il n’y a pas de consensus sur ce que sont les caractéristiques essentielles d’un enseignant compétent » (Marsh et Wilder, 1954, cité dans Cruisckshank, 1990, p. 68). En 1953, le Committee on Criteria of Teacher Effectiveness, dont les travaux ont donné lieu au premier Handbook of Research on Teaching de 1963, déplorait également que les recherches menées durant les dernières décennies, donc depuis le début du siècle, ne donnaient à peu près aucun résultat significatif (Dunkin et Biddle, 1974). Pour ces deux auteurs, outre des défauts méthodologiques et théoriques importants, les recherches sur l’enseignement révèlent la carence majeure de ne pas observer l’enseignant concrètement, dans la classe, et de se limiter à une sorte de représentation fantasmée de l’enseignant idéal sans examiner le processus même de l’enseignement en contexte réel. Il s’agit donc d’une piste de recherche qui, sans présent convaincant, n’aura pas d’avenir concluant.

    2.2 / La recherche sur les meilleures méthodes d’enseignement

    Il faut sans doute se tromper longtemps, et de toutes sortes de manières, avant de sentir la nécessité de recadrer la perspective de recherche. Un effort en ce sens a été fait dans le cadre de travaux où les chercheurs ont tenté de mesurer l’efficacité de l’enseignement non pas au regard de certains traits de l’enseignant, mais plutôt à partir du rendement des élèves soumis à diverses méthodes pédagogiques (Medley, 1979). Ce type de recherches, qui comparent quelques classes où différentes méthodes sont utilisées, présente cependant, lui aussi, plusieurs défauts méthodologiques importants qui ont été signalés à cette époque. En utilisant l’élève (et non l’enseignant) comme base d’analyse, les effets de la méthode sont alors confondus avec les différences entre les enseignants. Les méthodes n’étant pas utilisées de la même manière par les enseignants, ce ne sont donc pas les méthodes en elles-mêmes qu’on évalue, mais plutôt la manière dont les enseignants les utilisent. À cet égard, Rosenshine (1971b) souligne qu’il ne faut pas interpréter un programme d’instruction (ou une méthode) comme une seule variable et penser que tout ce qui se déroule sous le nom de Montessori, de Head Start, etc. regroupe les mêmes éléments et que toutes les classes qui reçoivent de l’enseignement

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