Entretiens sur l'architecture
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Cette véritable encyclopédie consacrée à l'Architecture Française du XIe au XVIe siècle est un document que tout praticien de l'architecture se doit de posséder.
Eugène Viollet-le-Duc
Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc est un architecte français né le 27 janvier 1814 à Paris. Il est décédé le 17 septembre 1879 à Lausanne. Il est connu auprès du grand public pour ses restaurations de constructions médiévales. On lui doit aussi d'avoir posé les bases de l'architecture moderne. Il a été Inspecteur général des édifices diocésains, Membre de la Commission des arts et édifices religieux (en 1848), etc. Viollet-le-Duc a participé à la restauration de nombreux édifices comme la basilique de Vézelay en 1840, la cité de Carcassonne, la cathédrale de Paris, le château de Pierrefonds, etc.
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Aperçu du livre
Entretiens sur l'architecture - Eugène Viollet-le-Duc
Il a fallu la confusion des temps modernes, une longue suite de fausses doctrines, pour nous amener à l'état d'anarchie, de contradictions que nous observons aujourd'hui dans nos constructions. Encore est−il certain que de cet état transitoire il sortira des méthodes qui appartiendront à notre siècle et à notre état social. C'est à faire cesser ce chaos que doivent tendre les gens de bonne foi et qui n'ont pas de parti pris. Si nous voulons considérer les oeuvres du passé comme appartenant au passé, comme des échelons qu'il faut signaler et gravir pour arriver à la connaissance de ce qui convient à notre état social ; si nous procédons par l'analyse et non par imitation irréfléchie ; si nous cherchons à travers tant de débris des temps éloignés de nous les procédés applicables, et si nous savons dire en quoi ils sont applicables ; si, laissant de côté un enseignement suranné, nous nous appuyons chacun sur nos propres observations, nous aurons ouvert la voie et nous−mêmes pourrons la parcourir. Soumis à la domination romaine et devenus presque romains, au moins sur une partie notable du territoire de la France actuelle, nous avons adopté les méthodes de bâtir des romains. Rendus à nous−mêmes et envahis par des populations douées d'un tout autre génie que celui des romains, nous avons, pendant plusieurs siècles, flotté indécis entre des méthodes de bâtir très−différentes. à la fin du xie siècle et au commencement du xiie, nous allons chercher des modèles en orient, et nous parvenons à faire une sorte de renaissance romano−grecque, qui n'est pas sans valeur, mais qui, comme toute renaissance en fait d'art, ne pouvait fournir une longue carrière. à la fin du xiie siècle, il se manifeste un mouvement d'art bien tranché qui part de notre propre fonds et qui développe en très−peu de temps un germe fécond. Il a manqué à cette époque tout ce que nous possédons aujourd'hui, des ressources considérables, des matériaux très−variés, le fer, et toutes les richesses de l'industrie. Ce mouvement si prononcé, appuyé sur un sentiment vrai des besoins de la société moderne, s'est fourvoyé ; produit six cents ans trop tôt, il s'épuise en vains efforts devant la matière rebelle ou insuffisante ; si bien que, grâce à la mobilité de notre esprit, nous le considérons comme une erreur, et que nous allons chercher un art de seconde main, mélange de traditions diverses, pour en faire ce que nous appelons l'architecture de la renaissance. Alors c'est la forme qui domine ; les principes disparaissent, la structure n'existe pas. Puis vient cette période pâle qui commence au xviie siècle pour finir dans le chaos. C'est là, en quelques lignes, l' histoire de l'architecture chez nous, considérée au seul point de vue de la structure, c'est−à−dire du judicieux emploi de la matière. Or, toute architecture qui ne tient pas compte de la matière pour imposer une méthode de bâtir, et par suite une forme , n'est pas une architecture, et l'on ne pourra citer dans l' antiquité grecque ou romaine un seul édifice qui soit élevé en dehors de ce principe. Quelles sont donc les matières dont l' architecte a disposé de tout temps et dispose aujourd'hui ? La terre accumulée et moulée, le pisé, la brique crue, par suite la brique cuite ; puis à la place des pisés primitif s , les bétons ou agglomérations de cailloux à l'aide du mortier ; la pierre, granit, marbre, basalte, calcaire, etc. ; le bois et les métaux.
Tout d'abord rien ne paraît plus simple que de mettre en oeuvre ces matériaux ; mais quand il s'agit de faire autre chose qu' une hutte de terre ou qu'une cabane de branchages, quand il s' agit d'employer simultanément ces matériaux, de leur donner à chacun la forme et la place convenables, de ne pas les prodiguer inutilement ou de n'en être pas avare, de connaître exactement leurs propriétés et leur durée, de les poser dans les conditions les plus favorables à leur conservation et à l'utilité qu'on en veut tirer, les difficultés surgissent de tous côtés. En effet, telle matière bonne dans telle condition est mauvaise dans telle autre ; celle−ci détruit celle−là ; cette autre, par ses qualités mêmes,
s'oppose à telle fonction. Le bois enveloppé, privé d'air, se pourrit ; le fer scellé dans la maçonnerie s'oxyde, se décompose , et fait éclater la pierre ; certaines chaux produisent des sels en abondance qui détruisent les pierres qu'elles sont destinées à souder. L'expérience peu à peu conduit le constructeur à la connaissance d'une innombrable quantité de phénomènes qui se produisent dans toute structure, et il est clair que plus la structure est compliquée, c'est−à−dire plus elle se compose de matériaux variés, plus ces phénomènes se répètent. Si les égyptiens, élevant un temple en blocs calcaires juxtaposés, n' avaient qu'un petit nombre d'observations à faire sur les effets de leur structure, l'architecte qui bâtit une maison à Paris, où la pierre, la brique, le mortier, le bois, le fer, le plomb, la fonte, le zinc, l'ardoise, le plâtre, s'emploient simultanément, doit nécessairement réunir un nombre considérable d'observations pratiques. Ce qui est singulier, c'est de vouloir imiter avec cette quantité notable de matériaux des édifices bâtis à l'aide d'une seule matière. Il y a là un défaut de raisonnement sur lequel je n'ai pas besoin d'insister ; ce qui est plus étrange encore peut−être, c'est de mettre en oeuvre des matériaux médiocres avec l'intention d'imiter des constructions obtenues à l'aide de moyens d'une grande puissance : d'élever, par exemple, des colonnes composées d'un empilage d'assises basses et de les surmonter de plates−bandes appareillées, voulant simuler des monolithes ; ou faisant l' opération contraire, de construire en pleines assises de pierre des bâtisses dont l'apparence indiquerait des massifs de blocages revêtus de parements. Nous consacrons ce premier entretien à l'examen des questions de construction qui concernent seulement l'appareil et la maçonnerie. Il n'y a que trois principes généraux applicables à la structure en pierre d' appareil et de maçonnerie : 1 le principe de stabilité simple par superposition de matériaux se résolvant en des pressions verticales. 2 le principe d'agglomération produisant des masses concrètes et dérivant de l'hypogée. 3 le principe d'équilibre obtenu par des forces agissant en sens opposés. Les égyptiens et les grecs n'ont guère employé que la structure d'appareil réduite au premier principe ; les romains ont adopté le second, et les occidentaux, du xiie au xvie siècle, le troisième. S'il y a eu parfois application de deux de ces principes simultanément, la soudure est toujours apparente, et forme un produit bâtard qui n'a jamais, au point de vue de l'art, la franchise que l'on aime à trouver dans toute oeuvre d'architecture. En effet, toute architecture procède de la structure, et la première condition qu'elle doit remplir, c'est de mettre sa forme apparente d' accord avec cette structure. Si donc elle est fidèle aux principes cidessus énoncés et qu'elle adopte à la fois deux de ces principes , elle trahira ses origines différentes et manquera à la première loi, qui est l'unité. Si, en adoptant simultanément deux ou même trois principes de structure, elle cherche l'unité de forme, elle mentira au moins à deux de ces principes, peut−être à tous les trois. Il faut reconnaître que c'est l'art de mentir à ces principes que depuis longtemps on nous enseigne, quand on nous enseigne quelque chose. Les peuples de l'Asie ont adopté à la fois le système de la maçonnerie concrète et celui de la stabilité obtenue par superposition. Devant des massifs en brique crue ou cuite ou même en terre, ils ont posé des revêtements de pierre, comme pour enfermer ces blocages, peu consistants, dans des caisses. Ils ont adopté, dans l'Inde par exemple, la Chine et le royaume de Siam, la maçonnerie de moellon ou de brique agglutinée par des mortiers et revêtue de stucs. Nous retrouvons ce même principe de structure dans le Mexique, et les pyramides d'égypte elles−mêmes sont un amas de pierres énormes réunies par un mortier, devant lequel on a posé des assises régulières revêtues encore, dans l'origine, d'un stuc peint couvrant leurs angles saillants. Il semblerait donc que dans l'antiquité la plus reculée, l'art de la maçonnerie employait le mortier comme un agent nécessaire. Mais comment l'orient, d'où tous les arts dérivent, avait−il, dès une très−haute antiquité, procédé, en fait de maçonnerie, par voie d'agglomération, plutôt que d' adopter le principe qui semble le plus naturel et le plus simple, celui de superposition ? La grande race blanche aryane, qui dès les premiers temps s'est répandue des plateaux septentrionaux de l'Inde sur les terres basses et plus chaudes, ne paraît avoir eu d'autre genre de structure que la charpente, puisque partout où l'on retrouve ses origines, le principe de structure de charpenterie domine. Se précipitant au milieu des races touraniennes qui occupaient le continent indien, et qui paraissent s'être établies de toute antiquité au fond de l' orient et jusqu'au delà de la mer Caspienne en occident, ces races blanches ont été bientôt entraînées à adopter les méthodes de bâtir admises par les races conquises : or, les races jaunes ont une disposition particulière pour les travaux terriers, et par suite pour les ouvrages de maçonnerie procédant par agglomération. Il faut bien reconnaître, en présence des faits, que les races diverses qui constituent le genre humain sont douées d'aptitudes diverses. Les unes, nées sur des plateaux élevés, couverts de forêts, prennent les bois comme matériaux propres à élever leurs maisons et leurs temples. Les autres, établies au milieu d'immenses plaines marécageuses, bâtissent avec la boue et les roseaux. D'autres enfin, comme les races noires qui occupaient la haute égypte et qui sont aujourd'hui refoulées dans le Sennaar, creusaient leurs habitations sur les pentes de collines calcaires. Des premières invasions blanches au milieu de races jaunes, il a dû déjà résulter, en fait de bâtisses, un mélange souvent étrange des traditions importées par les conquérants avec les habitudes enracinées chez les peuples conquis. Ceci explique la singularité des monuments les plus anciens de l'Inde, où l'ont voit des formes empruntées à la charpenterie traduites au moyen de maçonneries de blocage recouvertes de stucs, ou même taillées dans le tuf ou dans le roc . Ceci explique comment, en égypte, des monuments reproduisent en grandes pierres superposées une structure dont l'origine est due certainement à des bâtisses de boue et de roseau. Sans nous étendre davantage sur ces origines, nous remarquerons seulement qu'il n'y a pas dans le vieil orient un principe de bâtir en maçonnerie, mais bien des mélanges de méthodes très−diverses.
Pour nous occidentaux, qui croyons devoir chercher la raison de toute chose, il n'y a pas dans ces monuments un principe applicable, suivi avec méthode, fertile en déductions. Les premiers, les grecs, ont su débrouiller ce chaos : laissant de côté les méthodes de bâtir des assyriens ou des mèdes, abandonnant l'imitation en pierre de la charpenterie qui était habituelle à certains peuples de l'Asie Mineure, ils ont franchement, et sans concession aucune, admis le premier des principes que nous avons émis ci−dessus, celui de la stabilité simple par superposition de matériaux appareillés. Découvrir un principe très−simple à travers la confusion des principes, et avoir le courage de l'appliquer sans déviation, c'est la preuve d'un génie tout particulier et qui ne se rencontre que bien rarement dans l'histoire de l'humanité. En cela les grecs ont montré de quelles aptitudes exceptionnelles ils étaient doués ; ils ont rendu un immense service à l'occident, ils lui ont appris à faire intervenir le raisonnement dans les choses d'art.
En un mot, l'architecture est devenue un art sous leurs mains, tandis qu'elle n'était, dans tout l'orient, qu'un métier plus ou moins habilement exercé. Nous appuyant sur cet exemple, nous ne cesserons de répéter qu'il n'y a pas d'art sans intervention du raisonnement. Les premiers, les grecs ont établi et appliqué cette loi ; si nous l'oublions, nous nous abaissons, et d'artistes que les grecs nous ont faits, nous retombons à l' état d'esclaves travaillant pour des maîtres fantasques. On conçoit fort bien comment et pourquoi les grecs ne pouvaient admettre le principe de maçonnerie élevée à l'aide de mortiers, de matières agglutinantes. Pour faire une maçonnerie de pisé ou même de blocage, il ne faut que des manoeuvres. Les grecs avaient placé trop haut l'art de l'architecture pour en développer les splendeurs à l'aide de moyens aussi vils, et nous voyons que bien tard encore, dans ces contrées gréco−romaines de Syrie, près d' Antioche et d'Alep, les plus humbles constructions sont élevées à l'aide de cet appareil qui exclut les blocages et ces brigades de manoeuvres organisées partout par les romains. D' ailleurs, s'il est possible de mentir au moyen de constructions faites par le système d'agglomération, cela est difficile lorsque l'on n'emploie que le mode d'appareil sans mortier ; les lois de la statique ne le permettent pas. Il faut, dans ce dernier cas, que chaque pierre ait une fonction déterminée. Les grecs avaient−ils à élever une cella précédée d'un portique, ils formaient comme une huisserie de pierre, par exemple, qu' ils remplissaient de blocs taillés seulement sur les deux parements exposés, au moyen d'une fausse équerre, afin d'éviter autant que faire se pouvait les déchets de pierre. Certains calcaires et des marbres se brisent plutôt en rhombes qu'en parallélipipèdes ; on pouvait ainsi utiliser bien des matériaux qu'il eût fallu rebuter si l'on eût voulu obtenir un appareil composé de lits horizontaux. La figure 1 fera comprendre ce que nous disons ici. Le plan de la cella ayant été tracé et ses fondations faites, on élevait les antes d'angle A, puis les jambages B de la porte, en ayant le soin de rapprocher ceux−ci au sommet, de façon à diminuer d'autant la portée du linteau et de faire tendre les pesanteurs vers le milieu du mur. Alors on remplissait les intervalles C à l'aide de blocs que l'on prenait sur le chantier en ne se donnant pas la peine de les équarrir. En effet, cet appareil (dit cyclopéen) ne présente presque toujours à la pose qu'un angle à contenter ; prenant cet angle avec une sauterelle ou fausse équerre, on allait sur le chantier chercher une pierre donnant un angle saillant correspondant à l'angle rentrant mesuré avec la sauterelle, ainsi que l'indique le détail D. Cet appareil irrégulier était maintenu par les antes et les jambages de la porte, d'autant que les pierres d'appareil de ces antes et jambages portaient souvent des tenons qui s'embrevaient dans des mortaises creusées dans les morceaux supérieurs, ainsi que l'indique le détail E.
Il y avait certes entre cette construction et celle des édifices de Ninive, par exemple, un progrès ou plutôt l'intervention d' un raisonnement qui fait défaut dans les monuments assyriens : car ceux−ci ne présentent que des blocages de brique crue revêtus de dalles de gypse ou de calcaire, comme d'un lambris décoratif.
Dans l'architecture grecque primitive, la maçonnerie prend une fonction, elle vit, pour ainsi dire, et cesse d'être un amas.
Mais dans leurs édifices d'une époque reculée, les grecs font bien voir quelle est leur origine, ils élèvent en pierre, à l'aide du raisonnement, des constructions dérivées de la charpenterie ; leur mérite, c'est cependant de n'avoir pas imité à l'aide de matériaux calcaires des formes empruntées à la charpenterie, ainsi que le faisaient les lyciens et la plupart des populations qui habitaient les côtes de l'Asie Mineure.
Quand les procédés d'extraction se perfectionnent, les grecs cessent d'employer la méthode dite cyclopéenne dans leurs maçonneries ; ils bâtissent par assises, mais leur génie ne les conduit jamais à devenir des maçons. Ce sont des appareilleurs, c'est−à−dire des assembleurs et des empileurs de pierres. L' idée de la concrétion, de l'agglomération des matières leur répugne évidemment, puisque nous voyons que bien tard, aux ive et ve siècles de notre ère, ils ne peuvent se résoudre à adopter ce mode de bâtir, et que même, à cette époque avancée, ils semblent donner à la plate−bande la préférence sur l'art appareillé. Il faut bien reconnaître d'ailleurs qu'il y a dans l'appareil le plus simple, le plus naturel, un charme puissant auquel les races occidentales sont sensibles comme par instinct. Employer de grands matériaux à propos, les couper en raison de leur fonction, les poser de façon que la structure paraisse stable, c'est, en architecture, depuis l'époque grecque, une partie essentielle de l'art de bâtir, et sous ce rapport les architectes du xiie siècle, par exemple, étaient plus près de l'art vrai que nous ne le sommes aujourd'hui. Nous verrons bientôt pourquoi. Il n'est pas nécessaire de mettre sous les yeux de nos lecteurs ici ce qu'ils trouvent partout, c'està−dire la structure d'un temple grec, par exemple. Rien d' ailleurs n'est plus simple : des blocs aussi grands qu'on pouvait se les procurer, pour les colonnes ; des plates−bandes d' un seul morceau, ou composées de deux blocs juxtaposés, portant d'une colonne à l'autre ; et pour les murs, des matériaux de dimensions médiocres ; des carreaux formant les deux parements extérieur et intérieur. Sur les architraves, des linteaux d'un seul morceau franchissant la largeur du portique ; sur ces linteaux, des dalles, ou dans certains cas, à défaut de pierres longues et résistantes, du bois. Une frise composée d'une suite de dez et de dalles de remplissage ; puis, sur ces dez, la corniche. épargne de grands blocs là où ils n'étaient pas nécessaires, et toujours des lits et joints coïncidant avec les membres de l'architecture. Si ce n'est très−savant, du moins la raison et l'oeil sont satisfaits par une structure en harmonie parfaite avec la forme. Dans tout ceci, nulle liaison obtenue par des agglutinations ; parfois quelques crampons ou queues d' aronde de bronze ou même de bois ; stabilité obtenue par superposition, et pesanteur agissant verticalement sur des points d'appui verticaux. Les romains, qui prenaient partout et admettaient tout principe pratique, n'ont pas dédaigné le système des grecs, mais ils l'ont simultanément employé avec un procédé de bâtir qui lui était absolument opposé. Ils ont employé le système concret ou d'agglomération obtenu par les mortiers.
Formant des masses épaisses composées de cailloux, de moellons, de briques, de blocages, réunis par la chaux et le sable, ils ont parfois revêtu ces noyaux de parements de pierres appareillées posées à joints vifs, sans mortier, suivant le système admis par les grecs ; ou bien, devant des murs ou massifs concrets, ils ont dressé des colonnes avec leurs entablements, suivant le principe grec ; mais jamais les romains n'ont posé de la pierre d'appareil sur mortier : ils semblaient, en admettant les deux systèmes très−différents, les respecter tous deux et ne pas permettre qu'ils fussent confondus. Ce fait est remarquable, et contribue à donner à leur maçonnerie un aspect tout particulier. Ils les confondaient si peu, ces deux principes, que nous les voyons même suivre, dans leur structure d'appareil, la méthode grecque la plus pure : comme, par exemple, de ne pas faire passer des lits de parements dans des jambages, de former ceux−ci de blocs monolithes ; de faire des antes et colonnes d'un seul morceau ; de ne pas liaisonner les pierres d'un arc très−épais, mais de le composer de plusieurs arcs juxtaposés ; d'extradosser leurs claveaux. En un mot, la structure d'appareil des romains est franchement grecque, conforme à la méthode grecque, ce qui ne les empêche pas d'adopter simultanément une méthode absolument différente, celle de la structure concrète. C'est en cela que nous devrions imiter les romains, et c'est ce que nous ne faisons pas plus dans nos constructions privées que dans nos constructions publiques. Les romains, avec leur grand sens pratique, avaient bien compris que les deux systèmes de bâtir qu'ils adoptaient pouvaient s'aider réciproquement, mais à la condition de ne pas les mélanger. Ils avaient compris qu'une colonne de granit ne peut subir aucun tassement ni aucune dépression ; qu'un support pareil posé devant un massif de blocage devait nécessairement roidir ce massif du côté où il était posé, car le massif, subissant nécessairement un retrait par suite de la dessiccation des mortiers, devait s'affaisser quelque peu, tandis que la colonne conservait toute sa hauteur. C'était, dans bien des cas, une ressource pour le constructeur. Faisant autour du colisée une croûte en pierre d'appareil, le constructeur romain sentait que cette énorme masse intérieure de maçonnerie de brique et de blocage était étayée dans son pourtour par une ceinture absolument rigide, inébranlable, ne pouvant ni subir de tassement , ni se rompre, ni se lézarder. C'était un épaulement. Si les grecs n'élevaient que de petits monuments, les romains en construisaient d'immenses, et leur méthode mixte était parfaitement appropriée à leur programme, en ce que, plaçant toujours à l'extérieur, ou sous les arcs, à l'intérieur, des constructions d'appareil sans mortier, ils faisaient ainsi que leurs maçonneries s'étayaient d'elles−mêmes, toutes les résistances rigides tendant à rejeter les pesanteurs sur les milieux : et ce qui était conforme à la bonne structure était en même temps une parure.
On ne saurait trop insister sur l'économie apportée par les romains dans leurs constructions. On constate toujours la perfection dans l'exécution, jamais excès de force. Se fiant avec raison à la bonté de leurs mortiers, ils ne donnent à leurs murs ou à leurs massifs que la section nécessaire, et arasent avec soin leurs blocages à différents niveaux, afin d'éviter les tassements inégaux et de permettre aux mortiers de durcir également. C'est un préjugé de croire que les romains ont élevé des murs d'une forte épaisseur lorsqu'ils n'avaient qu'à soutenir des charges médiocres agissant verticalement ; dans ce cas, au contraire, on peut s'étonner souvent de la faible épaisseur donnée aux murs, eu égard à leur hauteur. Dans leurs grands monuments voûtés, comme le panthéon de Rome, les salles de thermes, la section des piles est plutôt faible que forte relativement aux pesanteurs. Il est vrai que ces piles étaient étançonnées généralement par des monolithes de marbre ou de granit, et que, grâce à la méthode employée par les constructeurs , elles ne formaient qu'un seul bloc parfaitement homogène. D' ailleurs, considérant toujours les parements comme une enveloppe, une croûte, qu'ils fussent élevés en pierre, en brique ou en moellon smillé, ils avaient le soin de relier de distance en distance cette croûte avec le massif intérieur en blocage, soit par des arases de brique, des lits de pierres ou de larges plaquettes. La maçonnerie romaine était ainsi toujours composée d'une succession de cases renfermant un blocage parfaitement plein et homogène. élevaient−ils une pile (Fig 2), les constructeurs formaient des parements, soit de brique, soit de moellons smillés (les assises A étant des arases couvrant toute la surface). Entre ces parements et ces arases, ils coulaient un blocage de gros béton, laissant au−dessus de chaque arase, de distance en distance, des trous de boulins B pour faciliter l' échafaudage. S'ils voulaient revêtir ces parements de moellon ou de brique d'un placage de pierre ou de marbre, ils engageaient des assises de bandeaux C dans la maçonnerie, et les placages entraient en feuillure dans les saillies horizontales de ces bandeaux. C'était bien là de la véritable maçonnerie parfaitement appropriée aux monuments qu'ils élevaient et facile à exécuter. N'oublions point que leurs mortiers sont excellents.
Ces méthodes, sur lesquelles il semble inutile de s'étendre puisqu'elles sont connues de tout le monde, peuvent−elles être appliquées de nos jours ? Avons−nous quelque parti à en tirer ? Je le crois ; ce n' est pas toutefois en les imitant sans critique, mais en procédant comme les romains auraient fait, s'ils avaient possédé nos matériaux et nos moyens d'exécution. Adoptant simultanément le principe de la bâtisse en blocage et celui de la construction d' appareil, les romains, sans jamais confondre ces deux systèmes, ainsi que je l'ai dit, les employaient conformément à leurs propriétés, plaçant toujours la structure la moins résistante à l'intérieur, la plus rigide à l'extérieur. D'ailleurs, dans la belle construction romaine, l'enveloppe de pierre ou de marbre se présent e comme une superposition de membres d'architecture, mais non comme un revêtement banal ne faisant pas coïncider la forme avec l'appareil. Ce n'est que très−tard que les romains n'ont plus conservé cette parfaite concordance entre la forme et l'appareil, et encore voyons−nous que dans les contrées où l' art grec conserve son influence, comme en Syrie par exemple, l' appareil et la forme sont toujours d'accord. Nous pouvons observer le même fait en occident, pendant une bonne partie de notre moyen âge. Mais il ne faut pas perdre de vue que la construction ne peut ni ne doit ériger en lois les méthodes qui ne sont pas d'accord avec les habitudes du temps où l'on vit ; c'est, au contraire, aux habitudes du temps à composer le système de structure qui leur convient. Les grecs étaient divisés en petits peuples qui pouvaient se permettre ces raffinements d' exécution que nous admirons dans leurs ouvrages.
Les romains avaient le monde connu à leur disposition ; ils avaient des esclaves en nombre prodigieux, ils faisaient travailler leurs troupes, et ne se faisaient pas scrupule d' employer le mode des réquisitions. Le moyen âge avait les corvées , la main−d'oeuvre à bon marché dans certains cas, mais en revanche ne possédait que des moyens de transport insuffisants, des procédés d'extraction et des engins médiocres. Ces milieux ne sont plus les nôtres. Les matériaux nous arrivent de tous côtés facilement, à pied−d'oeuvre ; la main−d'oeuvre est chère, le temps précieux. Il serait donc raisonnable de songer à construire suivant ces nouvelles données plutôt que de penser à imiter les grecs, les romains, les constructeurs du moyen âge ou les imitateurs du siècle de Louis Xiv. Jusqu'à la renaissance il y a, dans la construction en France, une marche parfaitement logique, aussi logique que l'avaient été celle des grecs et celle des romains. Au xiie siècle, à cette époque brillante des arts, de l'architecture, de la sculpture et de la peinture, chez nous le territoire était politiquement divisé en une infinité de seigneuries ; peu de routes, peu de moyens de transport, difficulté d'aller au loin extraire et charger de lourds matériaux ; des redevances en nature, des corvées. On fait les maçonneries en petits matériaux facilement transportables et maniables, pouvant être, la plupart, montés à l'épaule ; on élève avec ces ressources de grands monuments. Mais l' architecture est faite pour une structure en moellon plutôt qu' en pierre d'appareil ; c'est un compromis entre la structure romaine de blocage et la structure d'appareil. On évite les fortes saillies qui exigent l'emploi de grandes pierres. En un mot, l'architecture se soumet sans difficultés aux moyens dont on dispose. Un peu plus tard, vers la fin du xiie siècle, l' unité politique se fait, les grandes villes s'émancipent, les ressources abondent ; on extrait, on transporte, on taille et l' on élève des matériaux de grande dimension. Ce ne sont plus des abbés ou des seigneurs laïques, renfermés dans leur domaine étroit, disposant d'un faible personnel d'ouvriers, qui construisent, mais des cités populeuses et riches ; les engins s' améliorent, les corporations se forment, et les ouvriers sont payés à beaux deniers comptants. La main−d'oeuvre se perfectionne, mais on cherche à l'épargner ; les matériaux sont abondants et bien choisis, mais on sait ce qu'ils coûtent, et on ne les prodigue pas inutilement ; toute pierre est épannelée sur panneau à la carrière et taillée sur le chantier. On n'emploie les matériaux de grande dimension que là où ils sont nécessaires.
Partout ailleurs, c'est la structure en grands moellons qui persiste. Avec le xive siècle naissent les vastes constructions civiles, bien entendues, simples, et dans lesquelles on voit apparaître un esprit méthodique poussé parfois jusqu'à l'excès.
C'est l'époque des règlements ; la structure s'en ressent, elle est régulière, suivie, surveillée : le chantier est un gouvernement dans lequel chacun a sa fonction désignée. C'est le temps des pierres d'échantillon ; les assises sont réglées, par conséquent commandées longtemps d'avance. L'architecture se ressent de cette régularité quasi administrative, elle tombe dans la sécheresse. Mais jamais on ne connut mieux la qualité des matériaux, les propriétés de chacun d'eux ; jamais les carrières ne furent exploitées avec plus de régularité et de méthode. D' ailleurs une économie sévère préside à l'emploi de la pierre. Le xve siècle bâtit bien, emploie de préférence les matériaux tendres comme plus faciles à travailler et à extraire en grands morceaux ; aussi l'architecture commence à moins tenir compte de l'appareil, mais, de fait cependant, elle ne le contrarie pas.
La renaissance oublie à peu près la structure, elle n'en tient compte ; tout lui est bon : il n'y a plus de choix dans les qualités ; il n'y a plus d'entente entre l'architecte et l' appareilleur. L'architecte donne la forme, l'appareilleur la traduit sur son épure comme il peut ou comme le lui permettent les matériaux dont il dispose. Il y a cependant des exceptions, et Philibert Delorme, par exemple, tenait grand compte de la structure, mais aussi se plaignit−il de l'ignorance de ses confrères en cette matière. Aujourd'hui nous avons renchéri, s' il est possible, sur les architectes de la renaissance, et nous sommes moins excusables, car eux du moins agissaient par entraînement, sous l'empire d'une mode plus puissante que leur volonté. Nous, nous procédons sciemment, nous connaissons parfaitement les méthodes employées par les constructeurs de l' antiquité, nous ne péchons pas par ignorance. Nous amenons dans nos chantiers, sur des chariots monstres, des pierres énormes, cubant parfois trois ou quatre mètres. Allons−nous profiter de ces magnifiques matériaux, notre architecture sera−t−elle d' accord avec leur puissance ? Non ; nous allons y évider de maigres pilastres, de minces chambranles, des bandeaux étroits ; si bien que cette pierre en oeuvre semblera être un composé de quatre ou cinq morceaux. Nous irons jusqu'à y tailler des assises basses ; oui, des assises basses avec des refends, pour imiter une architecture élevée avec des matériaux d'un cube plus faible. Dans ces blocs énormes nous scierons des claveaux de plates−bandes posés sur des barres de fer.
Nous formerons un amas appareillé en dépit de la forme que prendra l'édifice ; et quand tout est ainsi empilé, dans ce rocher grossier des centaines de tailleurs de pierre viendront ravaler l'image qu'il aura plu à l'architecte d'adopter.
Des lits ou des joints passeront dans de la sculpture ou sur des moulures, peu importe ; le plâtre, pendant quelques années, le plâtre teinté d'ocre, dissimulera ces bévues. C'est ainsi qu'à l'aide de connaissances étendues, qu'en ayant à notre disposition les nombreuses et puissantes ressources fournies par l'industrie et la civilisation modernes, nous en sommes venus à ne pouvoir donner à nos constructions le caractère, la physionomie que nous ne cessons d'admirer dans les oeuvres de nos devanciers, moins favorisés que nous sous tous les rapports.
Mais c'est que ces devanciers se servaient beaucoup de leur raisonnement, tandis que nous n'osons y recourir, dans la crainte de voir nos efforts considérés comme une tentative d' émancipation par quelques coteries qui fondent leur puissance sur l'indifférence du public éclairé, en ces matières. établissons donc d'abord ces points, savoir : que nous avons à notre disposition des matériaux et des engins inconnus jadis ; que nos besoins sont plus variés et surtout plus étendus que ne l' étaient les besoins des gens de l'antiquité et même du moyen âge ; que les matériaux étant plus nombreux et les moyens de les transporter et de les travailler plus parfaits, nous devons tenir compte et de cette profusion et de ces ressources ; que nos besoins étant autres, ou plus complexes, il faut nous conformer à ces conditions nouvelles. Ajoutons à ces lois fondamentales de l' art les raisons d'économie, plus impérieuses de notre temps qu' elles ne l'étaient autrefois, et nous pourrons marcher sur un terrain solide. Nous n'en sommes plus aux temps où un monarque contraignait des populations entières à élever une pyramide comme celle de Chéops ; nous admettons même difficilement que les ressources d'un état, c'est−à−dire la fortune publique, soit employée à satisfaire le goût ou le caprice d'un souverain, sans qu'il en résulte un avantage matériel ou moral pour tout le monde, et, passant de l'ensemble aux détails, nous arrivons à une époque où dans un monument public, il ne sera plus permis d' adopter des formes qui ne seront pas l'expression exacte des besoins à satisfaire. Or, non−seulement je ne crois pas que l' observation de ces conditions rigoureuses soit contraire à une expression d'art, mais je suis convaincu qu'elle peut seule la faire naître. Pour que l'architecte puisse appliquer ces principes, il n'a besoin que d'une grande liberté, et cette liberté nul ne peut la lui donner, s'il ne sait la conquérir.
Qu'il étudie ce qui s'est fait, et se serve de cette étude en raisonnant l'application, en partant toujours du point connu pour entrer résolûment dans la donnée imposée par les conditions nouvelles ; qu'il ne considère et n'adopte toute forme du passé que comme une expression d'un besoin existant encore ou n' existant plus, mais comme un enseignement, non comme un modèle impérieux, traditionnel, invariable ; alors, au lieu de ces étranges amas de formes empruntées de tout côté par l'effet d' une fantaisie, et qui constituent ce que l'on appelle aujourd' hui l'architecture, il pourra faire naître un art, un art dont il sera le maître, qui sera l'empreinte de notre civilisation et de nos goûts. Toute discussion sur ces matières se réduit à ceci : est−ce la lettre ou l'esprit que vous devez suivre lorsqu' il s'agit des arts antérieurs ? Si c'est la lettre , copions indifféremment les grecs, les romains, les oeuvres de la renaissance ou du moyen âge, car dans ces formes diverses de l' art il y a des productions admirables ; mais si c'est l' esprit , c'est autre chose : il ne s'agit plus alors d' adopter une forme, mais de savoir si les conditions faites aujourd'hui sont telles que vous deviez adopter cette forme ; car si les conditions sont différentes, la forme qui avait une raison d'être, et par cela même qu'elle était la parfaite observation de cette condition, n'a plus de raison d'exister et doit être rejetée. Que nous raisonnions comme Aristote, c'est fort bien fait ; mais que nous adoptions toutes ses idées, c'est une autre affaire. Or, cette distinction que les temps modernes ont si bien établie entre la façon de raisonner des anciens et leurs idées, ou leurs découvertes, ou leurs hypothèses dans le domaine de la philosophie et de la science, pourquoi ne pas l' établir dans le domaine de l'art ? Et sans aller chercher si loin, tout en lisant les oeuvres de Descartes, pensons−nous pouvoir considérer toutes ses théories comme vraies, infaillibles . Si nous nous servons de sa méthode, n'est−ce pas pour le combattre et le contredire dans bien des cas ? Comment donc, en fait d'art, mettrions−nous des matériaux en oeuvre, comme on le pouvait faire au xviie siècle, et que veulent dire, pour nous, des apparences , des formes admises en ces temps ? Que représentent−elles ? à quel besoin ou à quel goût de notre siècle répondent−elles ? Et si, par aventure, on parvenait à démontrer que ces apparences , même en ces temps, ne correspondaient pas aux besoins de la société, qu'elles n'étaient qu'une imitation assez mal comprise d'un art antérieur, que deviendrait aujourd' hui cette imitation de seconde main ? Si l'on veut imiter, fautil au moins aller aux sources. Examinons donc (car il faut entrer dans la pratique) quelles sont les méthodes de bâtir que nous fournissent nos matériaux, lorsqu'il s'agit de la maçonnerie, et quelles sont les formes imposées par ces méthodes.
Grâce aux moyens d'extraction que nous possédons aujourd'hui et aux chemins de fer, nous pouvons avoir sur les chantiers de la France des qualités très−diverses de pierres ; il s'agit de les employer suivant leurs qualités propres. Les pierres employées le plus habituellement pour les constructions, sont les calcaires ; mais il est une quantité notable de matériaux en dehors de ceuxci, dont on pourrait faire usage : tels sont, par exemple, les granits, les schistes, les grès et les laves. D'ailleurs les calcaires, même les meilleurs et les plus durs, sont presque tous décomposés par le salpêtre, ou tout au moins absorbent l' humidité du sol ou de l'atmosphère, au point de détruire les boiseries ou les peintures appliquées dans les intérieurs. Il y aurait donc avantage, dans bien des cas, à employer une méthode fort usitée chez les romains, méthode dont nous avons déjà parlé plus haut, et qui consiste à faire des massifs de blocage et brique, ou blocage seul, et à les revêtir de grands matériaux. On ne conçoit guère en effet pourquoi, par exemple, dans la construction de grands édifices, on élève des murs ou des piles de 1 m, 50 à 2 mètres d'épaisseur en pleine pierre, lorsque d'ailleurs les charges ne sont pas telles qu'elles justifient ce luxe de matériaux. La méthode des revêtements aurait l' avantage de permettre l'emploi de matières relativement chères, variées de couleur, et très−durables, comme certains calcaires compacts, des marbres, des laves ou des schistes. Si, au lieu d' appliquer à l'extérieur des édifices des colonnes ou des pilastres, comme simple ornement, on justifiait cette décoration en la faisant contribuer à la solidité, la raison et le goût n' en seraient pas offensés, et les dépenses faites produiraient au moins un résultat réel. Puisque bien rarement, dans les intérieurs de nos édifices publics ou privés, nous laissons la pierre apparente, puisque nous croyons devoir la revêtir (hormis dans quelques vestibules et escaliers) d'enduits, de boiseries et de peintures, pourquoi donc faire en pierre les parements de ces intérieurs, si nous donnons une assez forte épaisseur à ces murs pour que les matériaux ne fassent pas par paing. Que la nécessité nous oblige, dans nos façades de maisons dont les murs n'ont pas plus de 50 centimètres d'épaisseur, de former ces murs en pleine pierre, rien de plus naturel ; mais que signifient des parements intérieurs de pierre là où nous donnons 1 mètre et plus à ces murs ? Pourquoi ne pas suivre en cela la méthode si sage des romains, qui consistait à ne faire que des revêtements avec quelques boutisses, et une construction en maçonnerie beaucoup plus propre que la pierre à recevoir des enduits, de la peinture ou des boiseries ? Nous servant donc des méthodes laissées par nos devanciers, en tant qu'elles sont applicables de nos jours, et profitant de l'expérience acquise, nous a llons successivement rendre compte des moyens dont dispose aujourd'hui le constructeur en maçonnerie, confondant sous cette même dénomination la structure d'appareil et la structure concrète suivant l'usage admis. Fondations. Par la nature même du sol sur lequel les grecs ont élevé leurs édifices, ils n'ont eu que très−rarement l'occasion d'établir des fondations importantes. De préférence ils bâtissaient sur le roc, et leurs fondations ne sont, à vrai dire, que des soubassements, c'est−àdire des amas de pierres posées jointives, sans mortier. Si, dans quelques cas particuliers, il leur a fallu chercher profondément un sol incompressible, ils accumulaient par assises des pierres sèches, quelquefois cramponnées au moyen d'agrafes de fer, et élevaient sur cet amas fait avec soin leurs assises de socles. D' ailleurs le peu de poids de leurs édifices, généralement petits, n'exigeait pas des fondations d'une grande résistance. Les romains, au contraire, qui ont élevé quantité de monuments gigantesques, ne se prêtant, par leur structure concrète, à aucun mouvement, à aucun tassement, ont dû les fonder avec un luxe de précautions qui dépasse tout ce que l'on a fait depuis. Les romains allaient toujours chercher le terrain solide, si profond qu'il fût ; l'ayant rencontré, ils bloquaient dans de larges fouilles un grossier béton composé de blocs de pierre, de cailloux et d'excellent mortier, et sur ce roc factice ils élevaient leurs bâtisses. Pendant le moyen âge, on a fait de très −bonnes et de très−mauvaises fondations : c'était une question de dépense. Il n'y a pas de plus belles fondations que celles des cathédrales de Paris, d'Amiens, de Reims ; il n'en est pas de plus mauvaises que celles des cathédrales de Troyes, de Séez, de Châlons−Sur−Marne. Quand les fondations du moyen âge sont bien faites, elles sont toujours revêtues d'un parement de pierre parfaitement dressé et posé, masquant un blocage grossier jeté suivant la méthode romaine. Deux conditions essentielles se présentent pour nous, lorsque nous voulons fonder un édifice : nous devons obtenir une parfaite stabilité, parce que nos monuments sont grands, et nous soumettre à des conditions d'économie. Il est donc important d'examiner les méthodes qui peuvent satisfaire à ces exigences. Nos villes ne sont plus élevées sur des plateaux et des lieux élevés ; elles s'appuient au contraire à des cours d'eau, et sortent même souvent du milieu de marécages. Alors on ne rencontre pas toujours un fond solide, mais des terrains de rapports, des vases, des alluvions récentes, des fonds compressibles. L'industrie de l'architecte doit alors suppléer à ce que la nature lui refuse. Tous les sols vierges, c'est−à−dire présentant une stratification naturelle, sont incompressibles, sauf certains cas particuliers dont nous parlerons tout à l'heure. On fonde sur le sable, sur l'argile, sur la marne, avec autant et plus de sécurité que sur le roc ou sur le tuf : car les dépôts de sable, d'argile ou de marne sont homogènes, tassés, sans vides ; tandis qu'il arrive parfois que des roches renferment des vides ignorés, et se brisent ou glissent sous une charge puissante. Mais souvent le sol vierge se trouve à de si grandes profondeurs, qu'il en coûterait des sommes énormes pour le mettre à nu et le déblayer des terrains de rapports qui le recouvrent. Dans ce cas, pendant le moyen âge et jusqu'à nos jours, on enfonçait des pilotis dans ces terrains de rapports jusqu'au refus, sur les têtes des pilotis on arasait un radier en charpente de chêne, et sur ce radier on posait les premières assises de la maçonnerie. Ce système avait deux inconvénients : il était très−dispendieux, et si les pilotis n' étaient pas également enfoncés jusqu'à leur refus absolu, il en résultait des tassements inégaux ; par suite, des ruptures dans les constructions. Depuis le commencement du siècle, on a employé dans les fondations, comme couche inférieure, le béton, c'est−àdire un mélange de mortier de chaux hydraulique et de cailloux d' une grosseur égale. Le béton bien fait possède cette qualité de former une masse concrète, homogène, incompressible et durcissant avec le temps jusqu'à former un véritable roc que l'outil ne peut entamer. Si donc on pose sur un sol mou, compressible, une couche assez épaisse de béton, on obtient une assiette homogène qui se brise difficilement, et forme comme une sorte de radier incorruptible sur lequel on peut monter des maçonneries. Bien entendu, la couche inférieure de béton doit avoir une épaisseur proportionnée au poids qu'elle devra supporter. Mais elle possède cet avantage de répartir sur une grande surface des pesanteurs isolées, et par conséquent de diminuer les chances de tassements inégaux. Il n'est pas de si mauvais sol (à moins qu' il ne se compose que de remblais très−récents) qui ne se soit comprimé de lui−même par les infiltrations pluviales et son propre poids. Il présente donc toujours sur une large étendue une surface propre à résister à un poids donné. Toute la question est donc de répartir les poids sur une surface qui suppléera par son étendue à ce qui lui manque en densité. C'est là que l'expérience et l' observation de l'architecte doivent intervenir. Il faut considérer que les sols humides sont beaucoup moins compressibles que les sols poudreux. Si donc sur une vase imprégnée d'humidité vous jetez un plateau de béton d'un mètre d'épaisseur, par exemple, vous pourrez sur ce plateau élever un bâtiment en pierre , composé de piles isolées et de murs, d'une hauteur de 20 mètres, sans danger. Peut−être y aura−t−il un tassement, un abaissement, mais ce phénomène se produira également et sans occasionner de ruptures dans la construction. Certaines argiles pourries, qui, séchées à l'air, sont légères et n'ont pas plus de consistance que de la tourbe, à leur place naturelle sous le sol, imprégnées d'humidité, ne se comprimeront pas sous des poids énormes, à la condition qu'entre ces pesanteurs et cette vase vous aurez interposé un plateau de béton qui produira alors l'effet d'un radeau sur une couche épaisse de boue liquide. Il faut donc s'assurer si ces sols vaseux ne sont pas asséchés pendant un certain temps, et si leur degré d'humidité reste toujours le même. Nous avons vu de vieux édifices qui n'avaient subi aucun tassement, se déchirer lorsque le sol sur lequel ils reposaient avait été drainé. Ce qui est à craindre, c'est que ces sols vaseux ne viennent à s'échapper sous la compression du plateau de béton, si, par exemple, on établit des vides autour des bâtisses, comme de vastes égouts, ou même si les alentours des constructions ne sont pas maintenus très−compactes par un système de chaussées bien entretenues, ou par d'autres bâtisses voisines. Pour éviter cet inconvénient des échappements d'un sol vaseux sous le poids d'un plateau de béton, il est bon d' établir, en contre−bas du bord de ce plateau, un supplément de béton formant arrêt, ainsi que l'indique en coupe la figure 3 ; ce crochet A empêchera la vase de glisser sous la charge. Il est une autre précaution qui dans ce cas doit toujours être prise, c'est, avant de couler le béton, de répandre sur le sol vaseux une couche de bon sable ou de gravier, de quelques centimètres d' épaisseur. Cette couche de sable donne de la consistance à la vase, et surtout empêche le béton de se décomposer par son contact avec elle avant qu'il soit parfaitement pris. Bien que l'établissement d'un plateau de béton ne puisse coûter autant qu'un système général de pilotis, il ne laisse pas cependant d' occasionner des frais considérables. Si l'on doit se tenir dans des limites très−étroites comme dépense, il est un moyen qui réussit souvent et que nous recommandons à nos lecteurs, c'est de faire, non point sous la fondation du périmètre du bâtiment, mais en dehors de ce périmètre, au fond de la fouille, un mur de 50 centimètres d'épaisseur, autant de hauteur, en maçonnerie de chaux hydraulique, et de remplir tout le milieu, c'est−à−dire la surface que devra occuper le bâtiment, en bon sable bien pilonné et mouillé, ainsi que l'indique la coupe, figure 4. Sur ce faux sol on peut faire alors les maçonneries des fondations. Il y a tassement, mais tassement égal. Bien entendu, ce moyen ne saurait être employé que si les constructions à élever ne sont pas d'un trop grand poids. Il arrive encore que dans une fouille vous trouvez le lit d'un ancien ruisseau, ou une tranchée remblayée, et qu'ainsi à côté d'un sol excellent, un sol de tuf par exemple, vous avez une lacune, un vide plus ou moins étendu.
Si cette lacune n'a pas une trop grande largeur, il suffit alors de couper les parois du tuf en bizeau, de faire un déblai en dos d'âne sur le remblai, et de remplir l'intervalle vidé A (Fig 5) en béton, sans vous inquiéter d'aller chercher le fond du remblai B. Vous obtenez ainsi une sorte de voûte en béton à laquelle vous donnez une épaisseur proportionnée au poids qu' elle devra porter. Il est clair que je ne prétends pas imposer ici des règles absolues, mais des indications dont l'architecte doit être juge suivant les circonstances ; car autant de cas, autant de moyens divers. L'architecte, par suite du manque de premiers éléments, est souvent trop disposé à s'en rapporter, dans ces sortes de questions, à des avis d'entrepreneurs naturellement intéressés à ne pas diminuer les dépenses, et qui, dans la crainte d'engager leur responsabilité, sont disposés à employer des moyens qu'ils considèrent comme sûrs, si onéreux qu'ils soient. Les bétons sont une immense ressource dans les travaux de fondations, si l'on veut se rendre compte de leurs propriétés et observer la nature des sols sur lesquels on opère. Nous avons vu fonder des constructions passablement pesantes sur des vases détestables, mêlées de débris végétaux, après avoir eu le soin de percer, dans ces vases, des trous coniques, de distance en distance, qu'on remplissait de bon sable, et coulant sur le tout une couche de béton de 30 centimètres à 40 centimètres d' épaisseur, sans qu'il se produisît le moindre tassement ; si bien qu'il n'y a guère que les tourbières que l'on doit considérer aujourd'hui comme des sols absolument mauvais et dans lesquels il faut enfoncer des pilotis, si l'on veut bâtir un édifice de quelque importance. Les argiles présentent un sol excellent, incompressible, à la condition qu'on empêchera leur glissement ou leur échappement. Cela est facile sur un sol plan et homogène ; mais si les argiles sont sur le penchant d'un coteau, il y a fort à craindre qu'en les chargeant, on ne les fasse glisser ou échapper sur la pente qui leur sert d'assiette.
Alors il est indispensable de prendre les plus grandes précautions pour empêcher les eaux de sources et même les eaux pluviales de détremper ces argiles et de provoquer ainsi leur glissement. Il faut en avant des fondations établir alors des canaux de drainage, parfaitement étanches du côté des constructions, rejetant les eaux loin du plateau qui leur sert d' assiette. Soit, par exemple (Fig 6) en A, un bâtiment planté sur une pente Bc formée d'argile. Le dessous des fondations s' arase en Ab. Il sera nécessaire d'établir devant toute la longueur du mur G un canal de drainage D percé de meurtrières sur la paroi G, étanche du côté H, et dont le radier I sera posé un peu au−dessous de la première assise des fondations. Ce canal aura, cela va sans dire, une pente assez rapide, et rejettera les eaux qu'il recueillera loin des constructions. C' est là, en outre, un excellent moyen d'éviter l'humidité dans les caves H du bâtiment, et par suite le salpêtrage des assises de soubassement K. Si, par une raison d'économie, on ne peut faire un canal de drainage, faut−il au moins descendre les fondations du mur d'amont plus bas que celles du mur d'aval, ainsi que l'indique la coupe P, et enduire ce mur 0 en ciment romain à l'extérieur jusqu'à son pied. Ainsi fera−t−on que toute la partie du sol argileux R demeurera sèche, et que les eaux, devant passer en St, laisseront au−dessus d'elles une masse d'argile assez compacte et épaisse pour ne point s'échapper sous le poids des fondations d'aval, et pour résister au glissement du sous−sol V. Si le sol est composé de glaise pure, c'est−à−dire d'une matière trèsglissante et grasse, il sera bon d'enfoncer à coups de masse ( toutes les précautions susdites étant prises), sous les