Le Sang des Aigles: Les Enquêtes d'Hadrien Allonfleur sous le Second Empire
Par Irène Chauvy
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À propos de ce livre électronique
À son retour de l’île de La Réunion, Hadrien Allonfleur apprend que son meilleur ami, Camille Laurens, s’est enfui après avoir assassiné un agent de la Préfecture de police. Il est accusé d’appartenir à une société secrète et de fomenter un attentat contre Napoléon III. Hadrien serait un de ses complices. Traqué par la police, il trouve refuge auprès d’Amboise Martefon, un ex-inspecteur de la Sûreté parisienne. Il va devoir prouver l’innocence de Camille, sauvegarder son honneur de capitaine des cent-gardes et éviter de terminer ses jours au bagne. Mais ce n’est pas la seule surprise que lui a réservée Camille qui détient des documents susceptibles de porter atteinte à la réputation des Bonaparte.
Des documents que la princesse Mathilde, la cousine de l’Empereur, et Napoléon III lui-même veulent récupérer, chacun ayant une idée particulière de leur contenu. Allonfleur, poursuivi par la brigade politique, arpente sans répit les rues parisiennes, interroge, cherche, court, n’en oublie pas de faire quelques rencontres féminines ; tandis que Martefon, assis sur un fauteuil confortable, envoie ses plus fidèles indicateurs enquêter pour lui. Malgré les dangers encourus, les fausses pistes, un complot à déjouer, un ami à sauver, des secrets de famille à préserver, Hadrien Allonfleur n’en perdra pas pour autant sa nonchalance, mais prouvera qu’il ne manque ni d’intrépidité et ni de sagacité.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Irène Chauvy est aussi l’auteure des Enquêtes de Jane Cardel sous la IIIe République. Passionnée de littérature et d’histoire, elle a commencé à écrire en 2008. La période qu’elle choisit comme cadre de ses romans, s’est fait tout naturellement après la lecture d’auteurs tels que Théodore Zeldin, Alain Corbin, Pierre Miquel... Car, plus que les événements, c’est l’histoire des mentalités qui l’intéresse et la fascine. Cette époque fut foisonnante tant sur le plan des réalisations techniques et industrielles que sur celui des idées et cela ne pouvait pas échapper au flair et à l’imagination d’Irène Chauvy.
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Aperçu du livre
Le Sang des Aigles - Irène Chauvy
Généalogie succincte des BONAPARTE
Arbre_ge_ne_alogique.jpgLISTES DES PERSONNAGES
(par ordre alphabétique)
Personnages fictifs récurrents dans la série des Enquêtes d’Hadrien Allonfleur
Amboise Martefon : ex-inspecteur de la Sûreté à la Préfecture de police de Paris, collabore aux enquêtes du capitaine Hadrien Allonfleur
Antoine Bartoli : médecin ; Hadrien Allonfleur a fait sa connaissance à Chambéry
Bevior (docteur) : médecin légiste à la morgue de Paris
Camille Laurens : ami d’Hadrien, médecin à l’Hôtel-Dieu et médecin légiste suppléant à la morgue de Paris
Céleste Levert : épouse de Julius Levert
Eugène Passet : notaire, cousin d’Héloïse
Julie Marot : ancienne maîtresse d’Hadrien Allonfleur
Julius Levert : professeur au Muséum d’histoire naturelle de Paris, époux de Céleste
Héloïse Campestre : auteur à succès de romances (nom de plume : Virginie Cambon), cousine d’Eugène Passet
Lilarose : fille de Marguerite Allanvil, veuve
Marguerite Allanvil : mère de Lilarose, gouvernante d’Amboise Martefon
Rosalie Louvenois : demi-sœur d’Amboise Martefon
Simon Allonfleur : père décédé d’Hadrien Allonfleur
Vladimir : ancien officier russe, devenu chiffonnier, indicateur d’Amboise Martefon
Personnages historiques
Alphonse Louis Hyrvoix : commissaire de police de la ville de Paris, inspecteur général de la police des résidences impériales
Michel Lagrange : chef du service de renseignements à la Préfecture de police de Paris
Nadar (dit) : Félix Tournachon, écrivain, photographe, caricaturiste, aéronaute
Chapitre 1
Marseille, janvier 1866
Je sus immédiatement qu’ils étaient là pour moi. Deux hommes se tenaient immobiles, scrutant la foule mouvante et bruyante, gênant le travail des portefaix et des débardeurs déjà à l’œuvre auprès d’engins élévateurs. Je ne ressentis aucune peur, uniquement de l’agacement, car ils faisaient obstacle à mes projets.
Le débarquement de l’Érymanthe se terminait. La lumière était voilée malgré le soleil matinal ; le vent, le mistral, soufflait fort. Je suivais la longue file des voyageurs encore ensommeillés, hébétés par le bruit, les cris et les appels, pressés de monter dans un des omnibus de la Compagnie des messageries impériales qui nous conduiraient dans un des hôtels de la ville ou à la gare Saint-Charles, dont les murs austères surplombaient Marseille.
Le retour de l’île de La Réunion avait été interminable. J’avais bu trop d’alcool, insuffisamment cependant pour m’étourdir et m’empêcher de penser durant les heures de solitude de la journée. Le soir, je me rendais sur le pont-promenade et le sel soulevé par l’écume des vagues se collait à mes joues, effaçant celui de mes larmes. Après une pause au Caire, passée dans une chambre poussiéreuse puis le transbordement à Alexandrie en chemin de fer, enfin j’étais à Marseille, bientôt à Paris, chez moi.
Depuis une semaine, j’étais parfaitement sobre. Mon cœur était morne, mais mon œil était redevenu alerte. Par égard pour Héloïse, je refusais qu’il en fût autrement, car à mon arrivée à Paris, ma première démarche serait de rencontrer son cousin, Eugène Passet.
Un pisteur s’était approché de moi pour me vanter le confort d’un hôtel et ce fut en m’écartant de lui afin d’échapper à son bagout insistant que je les avais aperçus. Le premier, de corpulence moyenne, allait tête nue, avait le front dégarni, une moustache fournie et de larges favoris. Je reconnus le commissaire Hyrvoix. Le second, plus courtaud, se tenait en retrait, le visage ombré par son haut-de-forme. Ils auraient pu être des magasiniers, des commis aux écritures, employés par la compagnie des docks. Ils avaient attendu que je les remarque ; ils marchèrent alors vers moi d’un pas tranquille avec une calme assurance, sans se cacher.
Je n’avais avec moi qu’un bagage en cuir. Les formalités nécessaires au déchargement de mes deux caisses de rhum et leur transport jusqu’à Paris avaient été effectuées par les Messageries impériales et je m’étais attardé sur le quai, intéressé et fasciné par son activité intense et organisée. Accolé au bassin Napoléon, le port de la Joliette, inauguré deux ans plus tôt, était encombré de barriques, de treuils grinçants, de sacs de jute bombés. C’étaient autant de barrières qui allaient me permettre de me dissimuler aux yeux des deux policiers. Des chevaux placides attelés à des charrettes attendaient leur chargement ; des embarcations à fond plat, utilisées comme quais flottants, tutoyaient l’impressionnante structure d’un paquebot flanqué de grues roulantes. Des ouvriers se pressaient sur ces barges, leurs épaules ployant sous de lourds ballots.
Je repoussai le pisteur si prévenant, sautai une palissade et courus vers les docks, la partie industrielle du port de Marseille. Je distinguai leurs entrepôts flambant neufs, forteresses de pierre conquises sur la mer.
Je longeai un fourgon et me retrouvai nez à nez avec un homme aux biceps développés et moustache courte. Il avait cru à un voleur et se planta devant moi, les pieds en mouvement, les poings à hauteur du visage, prêt à se battre. Ma tenue de bourgeois le surprit, un instant seulement, que je mis à profit pour pointer ma canne sur son estomac afin de le faire reculer. De ma main libre, je sortis de la poche de mon pantalon, au jugé, un billet de cent francs.
— Pour la blouse et la casquette !
Il eut un gros rire d’acceptation et peu après me les lança. En me contorsionnant, je quittai ma redingote, la jetai à terre et la poussai du pied vers lui avec l’argent et mon haut-de-forme. Il ne les ramassa pas et désigna mon sac d’un index impérieux. J’allais refuser quand deux débardeurs de son acabit m’ont entouré. Je n’ai pas pris le temps de négocier. Je lançai mon bagage sur le premier, frappai avec ma canne le deuxième à l’épaule et en tournoyant, d’un coup armé de savate¹, je fis tomber le dernier… Et je m’enfuis. L’air de La Réunion et l’alcool n’avaient pas épuisé mes forces et j’en fus absurdement content.
Quelques dizaines de mètres plus loin, n’étant plus la cible de regards curieux, j’adoptai une allure plus calme et laissai la gare maritime derrière moi. Je dénouai ma cravate en soie noire, posai à regret ma canne dans une encoignure de porte cochère, quittai mes gants et abandonnai le tout dans une impasse. Je mis la chemise du débardeur et inclinai la visière en cuir de la casquette sur mon front.
La porte d’un marchand de vin était ouverte ; à l’intérieur, les manchons de gaz étaient encore allumés. Je respirai les odeurs acides de bière brune, mélangées à la sciure qu’un serveur armé d’un balai poussait sur le seuil. Je me fis violence pour m’éloigner alors que je n’avais qu’une envie : boire jusqu’à l’oubli de moi-même.
Après des détours et retours par précaution, je remontai la rue Impériale. La ville cahotait entre tradition et modernité. Tout était neuf ou en train de le devenir : les chaussées, la jeunesse des arbres qui les bordaient et la construction de bâtiments qui avait conduit à la disparition de nombre de vieux quartiers. Notre baron² aurait pu en signer l’alignement à l’horizontale, la disposition des corniches et la hauteur réglementée. L’animation était fiévreuse malgré le peu de commerces installés. Les piétons étaient présents, mais moins que les déblais, les grues à mortier, les charpentiers, les maçons sur des échafaudages, qui œuvraient en faisant voler une poussière grise à laquelle peu de passants échappaient. Je croisai des employés de bureau aux cravates fraîchement nouées, des hommes de peine aux blouses rapiécées, des domestiques pimpantes portant des paniers en osier au bras ou sur la tête et l’inévitable chiffonnier dont la moisson de la nuit pesait sur son dos. Rien qui ne fut si différent de Paris aux mêmes heures matinales du moins si j’en oubliais les pêcheurs : je les trouvai à la Canebière, chiquant du tabac et remaillant des filets aux odeurs de grand large.
La nouvelle rue Impériale reliait le vieux port à celui de la Joliette, avec ses entrepôts neufs et ses navires ouvrant Marseille aux voyageurs en provenance d’Extrême-Orient. Mais la pauvreté dans les ruelles épargnées valait celle qui perdurait à Paris dans les quartiers non encore mis à la mode haussmannienne.
Je m’arrêtai devant un estaminet des pieds-humides : sur un simple fourneau, calé sur un bout de trottoir, chauffait une cafetière en fer-blanc. Je payai deux sous un café noir et fort que me servit dans une tasse sans anse une femme âgée, emmitouflée dans des châles tricotés au crochet. Je vérifiai à nouveau que je n’étais pas suivi avant de revenir sur mes pas pour rejoindre la place d’Aix et atteindre la gare. Je renonçai à m’approcher d’un guichet pour acheter un billet pour Lyon et sa correspondance pour Paris. Trop de risques en perspective, mais il fut facile de me mêler au ballet des porteurs. Je poussai un chariot le long de l’embarcadère jusqu’à un fourgon en tête de convoi. En gratification, j’avais reçu vingt centimes donnés par une main indifférente. Je sautai dans le wagon et commençai à entasser les bagages que l’on me tendait. Quand il fut plein, je me faufilai entre deux malles-cabines sans être interpellé. La porte en tôle percée fut tirée, les verrous émirent un grincement d’enfer. J’entendis le sifflet du chef de gare et le train se mit à rouler. Je calculai qu’avant notre arrivée à Lyon, à raison d’une vitesse d’environ 40 à 50 kilomètres par heure, due à des arrêts fréquents, j’avais devant moi une bonne partie de la journée à passer entre ces quatre murs en ferraille, caché derrière des coffres de voyage. Ça sentait le cuir, la graisse des essieux, le chien, les odeurs de fumée ; je ne doutais pas de me retrouver bientôt avec le dos cassé d’un vieillard et de souffrir d’une surdité momentanée à cause du fracas terrible des roues à moyeux sur les rails.
Je pris sur moi et m’essayai à réfléchir, mes pensées rythmées par les secousses et le vacarme.
Chapitre 2
Ainsi, le commissaire Hyrvoix était venu s’assurer de mon débarquement. Pourquoi m’étais-je immédiatement méfié de ses intentions ? Je m’étais enfui lorsque j’avais reconnu sa stature rigide, son visage inexpressif et ses favoris en bataille. Sa redingote ajustée était déboutonnée et il caressait d’une main distraite sa chaîne de montre à gros maillons en argent, suspendue à son gilet de soie noire. Un homme semblable à tant d’autres, mais que je croisais trop souvent à mon goût dans les couloirs du palais des Tuileries, au château de Compiègne ou à Saint-Cloud. Était-ce la manifestation de mon intuition dont mes amis se moquaient ? Une prescience qui, j’en étais persuadé, s’était affinée durant les semaines que j’avais passées à l’île de La Réunion. Ou plus prosaïquement son révolver ostensiblement visible ? Pourtant, quoi de plus normal, compte tenu des fonctions qu’il exerçait. Je portais, moi aussi, à la ceinture une arme dans un étui en cuir brun, une poivrière Lefaucheux³ dont je ne me séparais qu’avec réticence.
Le commissaire Alphonse Louis Hyrvoix était chargé de la protection rapprochée de l’Empereur. Une vingtaine d’inspecteurs étaient sous ses ordres et tournaient, rôdaient dans les couloirs des résidences impériales, prêts à agir à la moindre alerte. Les mauvaises langues soupçonnaient également le policier de pourvoir Sa Majesté en distractions féminines.
Il existait un contentieux entre nous qui datait de trois ans. Hyrvoix ne me faisait pas confiance, me pensant détenteur d’informations compromettantes sur des personnes haut placées, certaines faisant partie de la cour. En quoi il ne se trompait pas, mais c’était une vieille histoire. Sachant que je m’étais concilié la faveur de l’Empereur, il se contentait de se tenir aux aguets, attendant patiemment un faux pas de ma part. Ce moment était-il arrivé ? Sinon, quelle était la raison de sa présence à Marseille ? Je n’en trouvai aucune sérieuse. À moins que… mais ce n’était que vaine hypothèse : avait-il été envoyé par Sa Majesté pour me confier une nouvelle mission ?
L’entrée en gare de Perrache à Lyon se fit dans l’après-midi. Les porteurs crurent me voir monter et non descendre du fourgon. Je donnai un coup de main pour quelques bagages, me dispensai de longer le débarcadère et dès que j’en eus l’occasion, me glissai à l’extérieur par une porte de service.
Personne ne semblait m’avoir suivi. J’avais froid, mal aux épaules, manquais de sommeil et comme prévu j’étais à moitié sourd. J’entrai dans une brasserie quelques rues plus loin. L’établissement était modeste, les tables n’étaient pas en marbre et le velours rouge des banquettes était élimé. Je patientai, buvant eau de Seltz et cafés, portant attention au va-et-vient des habitués du matin et aux miroirs embués qui déformaient les visages.
Je ne cessais de m’interroger sur la présence du commissaire Hyrvoix et de l’un de ses agents sur le port de Marseille, attendant mon débarquement de l’Érymanthe. Voulaient-ils m’intimider ? M’entraîner dans un de ces chantiers de démolition pour me torturer à l’abri des regards ? Comptaient-ils me faire avouer par la violence où je gardais jalousement une liste de vingt noms, dont l’existence empêchait plus d’un de dormir sereinement dans la soie de son lit ? Ou alors, ai-je songé en me moquant de mon imagination, Hyrvoix avait-il résolu d’en finir avec moi une bonne fois pour toutes en me tuant derrière un pan de mur effondré puis, l’affaire réglée, dissimuler mon cadavre sous des monceaux de briques et de plâtre ? Je me devais d’être honnête avec moi-même : ce qui m’arrivait n’était pas pour me déplaire. Même si j’exagérais les intentions d’un homme qui jouissait de la confiance de l’Empereur, cela me détournait opportunément de mes ruminations moroses.
Par fatigue, par fatalisme ou parce que je misais sur la chance, je décidai de prendre l’express pour Paris le soir même. Toujours costumé en débardeur, je retournai dans la gare et m’approchai d’un guichet. J’achetai un billet de troisième qui me fit mieux comprendre la signification du mot « confortable ». En effet, en classe inférieure, les wagons n’avaient pas de commodités, les passagers ne bénéficiaient pas l’hiver de boules chaudes comme ceux des premières. Le compartiment offrait une trentaine de sièges, les banquettes lattées étaient en teak, du bois poli et non verni. Malgré les avertissements des contrôleurs, l’espace restant fut vite encombré de sacs, de malles en carton et même d’une cage à lapins ; il m’était impossible d’étendre mes jambes, mais je préférai ma place à celle des mécaniciens et des chauffeurs. La locomotive Crampton, surnommée le lévrier du rail, les laissait à découvert au fil des saisons, en butte à la pluie, au vent et aux rafales de neige, à la chaleur et aux projections de cendre, de coke ou de houille. Un mécanicien économe de combustible recevait un salaire cinq fois plus élevé que la paye d’un employé de bureau, à qui toutefois il ne serait pas venu à l’esprit de l’envier.
Le convoi entra dans la capitale à l’heure où les maraîchers s’apprêtaient à quitter le carreau des Halles. Au sortir de la gare, je me mêlai à la cohue du boulevard Mazas et partis d’un bon pas en direction de la rue Saint-Antoine.
Installé dans un café près de l’étude de notaire d’Eugène, j’attendis au comptoir, un verre de vin blanc devant moi, sans avoir le goût d’y toucher et surveillant les passants.
Quand j’aperçus le cousin d’Héloïse en train de marcher sur le trottoir d’en face sans son allure sautillante coutumière, j’attendis quelques minutes avant de sortir. Je traversai la chaussée et grimpai derrière lui l’escalier raide jusqu’à son bureau.
Chapitre 3
Me rendre rue Saint-Jacques chez Céleste et Julius qui m’hébergeaient quand j’étais à Paris, il n’en était pas question. Au vu de l’accueil dont j’avais fait l’objet à Marseille, je craignais que leur appartement ne fût surveillé, de même celui d’Amboise Martefon. Or, je me refusais à faire courir le moindre risque à mes amis. Que me restait-il alors comme alternative si ce n’était de réfléchir, encore et encore ?
Mais avant de mettre mon esprit en branle, j’avais besoin de me laver et de me raser. Je pariai avec moi-même qu’Hyrvoix me croyait encore à Marseille, du moins ma lassitude m’inclina à le penser, et je me rendis dans un établissement de bains, situé rue de la Victoire au nord du boulevard des Italiens. La maison Néothermes s’était bâti au fil des années une solide réputation. Ses clients bénéficiaient entre autres de douches à vapeur aromatisée qui satisfaisaient les plus exigeants. Les salons étaient chauffés et mes pieds foulèrent des tapis épais. Je comptai sur un bain turc pour me donner un regain de vitalité, effacer la poussière de mon corps, mais aussi venir à bout de cet épuisement nerveux que je ressentais depuis que j’avais quitté Eugène. Lui raconter les circonstances de la mort d’Héloïse m’avait rendu bégayant et je m’en voulais de cet accès de faiblesse. Dans la salle de billard, j’aperçus quelques connaissances qui ne me virent pas. Je demeurai dans une cabine plusieurs heures, m’assoupissant, rejetant toute songerie triste. Je m’enivrai de ce luxe jusqu’à ce que le froid me saisisse et me rappelle à ma situation présente. J’eus subitement honte d’être vivant. Je remis ma tenue de débardeur qui m’avait valu à l’accueil des haussements de sourcils. Le vêtement sentait la transpiration, celle de l’homme qui souffre et sue sous la lourdeur des charges. Ma peau s’en imprégna pour me punir des plaisirs sensuels que je venais de m’offrir.
J’avais choisi de me rendre chez Martefon quitte à lui faire courir un risque, non sans avoir pesé le pour et le contre. Depuis mon arrivée à Paris, je n’avais observé aucun signe d’une filature et cela m’avait rassuré. Peut-être avais-je manqué de discernement et aurais-je dû accepter la confrontation avec le commissaire Hyrvoix . Mais seule m’importait alors ma rencontre avec le cousin d’Héloïse. Je m’y étais préparé, répétant les paroles que je lui dirais, et ne ressentais aucunement l’envie de me résigner à un quelconque retard.
Je marchai d’un bon pas vers le quai des Orfèvres où logeait Amboise Martefon. Je rentrai la tête dans les épaules. J’avançai vite sur les trottoirs quand ils existaient, me tenant éloigné des bouches grises des portes cochères, restant à l’affût lors du passage de fiacres et de berlines. J’évitai les rues qui ne comportaient pas de réverbères et surveillai la présence d’excavations indiquées par des palissades ou par la lueur bleue des lampes à charbon des démolisseurs encore à l’œuvre.
La nuit était déjà sur la ville. Les blanchisseuses avaient quitté les bateaux-lavoirs, lesquels n’étaient plus que des masses sombres amarrées aux berges, d’où s’en détachait l’ombre claire des auvents. Repoussée dans les vieux quartiers, derrière les boulevards aux boutiques au luxe tapageur, vivait et continuait à s’affairer en s’usant les yeux une multitude de façonniers. Les conditions de travail se modifiaient, les tâches pour la fabrication d’un même article se multipliaient, m’avait expliqué mon meilleur ami, le docteur Camille Laurens qui visitait ces ouvriers en chambre. Ils étaient logés pour la plupart dans des soupentes insalubres et mal éclairées ou dans les combles d’immeubles de rapport quand ces pièces étroites n’étaient pas réservées à la domesticité. Menuisiers, tourneurs, selliers, couturières, brodeuses, giletiers et tant d’autres, étaient employés par des négociants de vêtements, de passementerie, de mobilier ou spécialisés en cuir et peaux. Tous ces gagne-petit étaient au service de la Ville Lumière, de ses fêtes, de ses décors somptueux, de ses parvenus jamais satisfaits, tonnait Camille en se prenant pour un tribun populaire.
C’était aussi l’heure où les derniers omnibus auraient dû faire le plein sur les lignes les moins utilisées durant la journée. Je croisai des ouvriers sortant des ateliers, en bourgeron de travail ou en costume de velours à côtes, la casquette plate enfoncée sur le crâne, au regard vide, qui entamaient à pied le long trajet de retour en direction des anciennes barrières d’octroi. Ils allaient retrouver à Belleville, Ménilmontant ou Charonne un logement froid et mal aéré qu’ils partageaient avec d’autres célibataires ou femme et enfants souvent nombreux. Même si la place dans un omnibus ne coûtait que 30 à 60 centimes en fonction des correspondances, c’était autant qu’ils auraient à ôter de leur salaire journalier. Le bel immeuble conçu par le préfet Haussmann n’était pas pour ces marcheurs silencieux, éreintés par plus de douze heures laborieuses. Paris ne serait jamais la ville pour tous, comme l’avait imaginé Napoléon III au temps où il n’était ni Empereur ni président de la République.
Je frissonnai dans ma veste en coutil épais, mais sans collet pour me protéger la nuque du froid. L’hiver cependant n’était pas aussi rude que l’on aurait pu le prévoir en cette fin de mois de janvier. Il faisait étonnamment doux. Les estaminets allumaient leurs becs de gaz, chassant de la pénombre les absintheurs assis en compagnie de leur solitude. Il était encore tôt pour que les cabarets et les restaurants résonnent de chansons et de rires aigus, mais c’était l’heure où les cuisiniers s’activaient ; déjà, des odeurs de nourriture grasse s’échappaient des soupiraux et la fumée humide des fourneaux faisait miroiter le macadam.
Je ne m’attardai pas sur le Pont-Neuf. Un sifflement avait retenti derrière moi. Il fut repris plus loin en avant, côté quai des Orfèvres. J’ouvris l’étui de mon arme et gardai mes doigts sur la crosse de mon revolver. Des caquètements furent suivis de clapotis sonores : des canards venaient de raser l’eau de la Seine. Le Pont-Neuf n’était plus le coupe-gorge des siècles précédents que l’on se plaisait à décrire : ce n’était qu’un pont ordinaire, le plus long de Paris, où l’affluence existait de nuit comme de jour. Les rires provenant d’équipages qui filaient vers la rue de Rivoli, les encouragements des cochers pour forcer l’allure de leurs chevaux m’accompagnèrent lorsque je le traversai. Sautillant devant moi, un marchand de coco se pressait, ses gobelets d’étain accrochés en bandoulière. Son bidon calé sur ses épaules lui dessinait une silhouette de bossu.
J’arrivai à quelque distance de l’immeuble dont Amboise Martefon était propriétaire. Pas d’ostentation, pas d’opulence, mais une maison tout en hauteur qui avait une histoire et dont Martefon entretenait les murs avec dévotion. Elle lui avait été léguée par une vieille dame reconnaissante. Avant de connaître la vérité, cet héritage m’avait intrigué d’autant plus que Martefon avait gardé un silence persistant sur le nom et les intentions de sa bienfaitrice.
Je serrai les poings, l’esprit gagné par une appréhension confuse. Six mois plus tôt, cet inspecteur de la Sûreté, désormais pensionné de l’Administration (mon bras droit, ainsi se désignait-il avec raison) avait été grièvement blessé lors de l’enquête criminelle que nous menions à Chamonix. À la veille de mon départ pour La Réunion, sa santé inspirait encore de fortes inquiétudes. Néanmoins, je peinais à croire que je me retrouverais sans cet homme bougon et insupportable à mes côtés. Sa présence m’était devenue indispensable malgré nos caractères dissemblables et notre différence d’âge.
Martefon avait soixante ans, certainement plus, mais se refusait à aller au-delà. Quant à moi j’entrais dans ma trente et unième année et j’avais le grade de capitaine dans le corps des cent-gardes⁴. Depuis plusieurs mois, je n’en exerçais plus les fonctions (à l’instar d’un aide de camp honoraire qui ne relève que de l’Empereur et qui lui rend compte directement).
Il avait fallu du temps pour nous apprivoiser : Martefon voulant m’apprendre les arcanes du métier d’agent de la Sûreté, moi m’y refusant, protestant de la qualité de mes intuitions. Et puis, cause de discussions sans fin, Martefon savait bien des secrets concernant mon passé qu’il prenait plaisir à distiller… pour me ménager, arguait-il avec mauvaise foi.
Un découragement subit m’avait fait ralentir le pas, m’incitant à me méfier de l’éclairage dispensé par les lanternes rondes des candélabres, jusqu’à ce que j’aperçoive un éclat de lumière perçant derrière les volets du deuxième étage de sa maison, provenant du salon où l’ancien policier se tenait le plus souvent. Je respirai librement. Mais