Chypre: Le chagrin d'une île
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À propos de ce livre électronique
Un territoire en guerre et en quête de paix : voici l’incontournable réalité de Chypre, cette île d’Aphrodite blessée au cœur par l’invasion turque de 1974, qui la divise encore aujourd’hui. La beauté de ses sites balnéaires, la grandeur de ses monuments et les trésors de son passé ne peuvent masquer cette balafre qui ronge ses habitants de part et d’autre de cette terre aux croisées de l’Europe et de l’Orient.
Chypre est le fruit d’une histoire mêlée, dominée par son héritage grec. Cette île dont la pointe vise le Proche-Orient, telle une lance posée sur la Méditerranée, fut toujours convoitée. Les Chypriotes sont par essence des survivants, habitués à vivre à la marge de l’Europe.
Ce petit livre n’est pas un guide. Il est un moment de vérité. Une tentative de raconter la souffrance d’un peuple sans cesser, jamais, d’entrevoir la lueur d’un avenir réconcilié.
Un grand récit suivi d’entretiens avec Sevgul Uludag (Le nationalisme nous empêche d'être Chypriote), Nikos Trimikliotis (Nous sommes de plus en plus nombreux à croire en une fédération) et Andreas Hatzikiriakos (Chypre appartient bien à deux mondes et depuis longtemps).
Une plongée dans le riche héritage multiculturel de Chypre, la souffrance d'un pays divisé, l'intimité et les espoirs de son peuple.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Journaliste franco-grecque, Angélique Kourounis est correspondante permanente à Athènes pour Radio France, la Radio Suisse Romande, Charlie Hebdo et La Libre Belgique. Chypre a toujours été pour elle une odyssée. Y revenir est un plaisir qu’elle partage formidablement.
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Aperçu du livre
Chypre - Angélique Kourounis
AVANT-PROPOS
Pourquoi Chypre ?
À Famagouste, dans le nord de Chypre occupé, la ville fantôme de Varosha s’est vidée de ses habitants qui ont fui en août 1974 les bombardements, le napalm et l’avancée des troupes turques. Ceinturée de barbelés, de grillages et de barils bétonnés, étroitement surveillée par l’armée turque, elle jouxte les palaces étoilés pour touristes fortunés côté chypriote turc, et côté chypriote grec, la station balnéaire type sex and sun d’Aghia Napa, si prisée par les jeunes Britanniques.
Si on laisse ces hôtels clinquants et cette bruyante station balnéaire derrière nous, on plonge d’un seul coup, à quelques mètres de là, la mer toujours à nos côtés, dans le Moyen Âge des Templiers ou la Renaissance des Vénitiens. Famagouste est une ville musée à ciel ouvert où il fait si bon se perdre dans les ruelles pavées. On peut faire le tour des remparts, s’arrêter aux 13 bastions et imaginer les batailles sanglantes entre Génois et Vénitiens pour le contrôle du port de commerce, le plus important de la région au dix-septième siècle. Mais on peut aussi tourner la tête vers le sud-est et voir, du haut de ces bastions pratiquement intacts, la ville morte de Varosha qui végète.
Famagouste, c’est comme Carcassonne, les costumes en moins, la mélancolie en plus. Il y a les monuments entretenus, les cathédrales devenues mosquées, mais il y a aussi au coin d’une rue, çà et là, des vestiges orphelins de toute attention, des ruines abandonnées où il n’est pas rare de voir des enfants jouer au foot. La mort, la fête, une constante dans le pays…
À Chypre il y a une théâtralisation du conflit. Les scènes de guerre se succèdent, les unes après les autres, s’intègrent dans le paysage, se mêlent au quotidien et on se surprend à être happé par ce surréalisme grandeur nature. On hésite, on n’ose pas et puis finalement, oui, on s’assoit et on commande un café. On prend même plaisir à le boire dans ce décor insolite. Il invite à la réflexion. On est partagé entre l’insouciance du visiteur en vacances et la découverte de blessures auxquelles rien ne prépare. Cette dualité m’attire comme un aimant. Cela me magnétise, cela me hante et cela m’habite depuis des années.
Des paysages uniques
L’île de Chypre est belle. Très belle. Malgré le chaos de son urbanisme inexistant, malgré la laideur de sa modernité clinquante, il suffit de sortir des villes pour trouver des paysages uniques. Des couleurs à couper le souffle. Des terres plates à perte de vue qu’un palmier, tout seul, comme tombé du ciel, domine, majestueux.
Les palmiers semblent être les colonnes de Chypre qui tiennent le ciel à distance. Ils rappellent le Levant qui n’est jamais loin. Ils surgissent çà et là sans aucune logique, pour le plaisir des yeux. Un peu comme les anciennes chapelles ou les cathédrales gothiques abandonnées que l’on découvre au détour d’une longue promenade.
Souvent, un seul des murs est encore debout, un bout de flèche le chapeaute, on devine la nef, l’autel. Parfois des carcasses de cloîtres les prolongent. On imagine les sculptures sacrées dans leurs alcôves aveugles, on touche les pierres polies par le temps, on s’enivre des senteurs de la Méditerranée où se mélangent le thym, l’origan, la sarriette, et on s’évade dans les épopées historiques qui ont pu s’y dérouler, il y a quelques centaines d’années. On suit l’envolée de ces essaims d’oiseaux noirs si propres à Chypre, à la tombée du jour entre chien et loup. Là où le ciel n’est plus qu’une palette de couleurs ambrées. Chypre fait rêver. Nulle part ailleurs la tombée du jour est si mystique, si chargée.
Si Chypre était une couleur, elle serait ocre comme la couleur des grandes pierres rectangulaires de ces anciennes maisons chypriotes où s’accroche le soleil, « les maisons coloniales », comme m’a dit récemment une amie. Coloniales, oui, mais de quels colonisateurs ?
La prestance de leurs parterres rappelle les Britanniques. Les petites terrasses arquées, les Vénitiens. Les cours intérieures, les Ottomans. Les tonnelles qui les ornent, les Arabes. Les immenses cheminées qui trônent dans la pièce centrale, les châteaux des Francs. Les colonnes austères devant l’entrée, les Grecs.
Certains de ces peuples ont même laissé des « traces » – symbole de l’identité chypriote –, des deux côtés de la ligne verte. À Chypre on conduit à gauche à cause des Britanniques et on boit la commandaria léguée par les Templiers et les Francs. Sucrée comme du porto, c’est l’une des deux boissons nationales. L’autre est la zivania, une eau-de-vie de raisin proche de la grappa qui a fait son apparition sous les Vénitiens.
Tous sont passés par là
« Tout peuple qui veut conquérir l’Orient doit partir de Chypre » écrivait en 1887 l’historien voyageur anglais, William Hepworth Dixon. « C’est ce que firent Alexandre le Grand, Auguste, Richard Cœur de Lion et Saint Louis. Tout peuple qui veut conquérir l’Occident doit partir de Chypre. C’est ce que firent Sargon, Ptolémée, Cyrus, Haroun el-Rachid ». Ces mots, écrits dix ans à peine après que la perfide Albion eut loué Chypre aux Ottomans, résument la situation et ne présagent rien de bon. Avec le recul on peut ajouter : « Tous ceux qui veulent contrôler la Méditerranée orientale, s’y installent ».
Du haut de notre modernité, on peut voir dans les pourtours de Chypre une espèce de porte-avions pointé vers le Moyen-Orient. Une situation géographique cher payée, très convoitée, et dont l’intérêt variait en fonction de la géopolitique du moment.
Au seizième siècle, elle était importante pour les Ottomans car, au centre de cette mer devenue le lac privé de la Sublime Porte, elle était possédée par les Vénitiens. C’est à partir de là que les corsaires et les pirates attaquaient les bateaux ottomans.