De l'esclavage chez les nations chrétiennes
Par Patrice Larroque
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De l'esclavage chez les nations chrétiennes - Patrice Larroque
Patrice Larroque
De l'esclavage chez les nations chrétiennes
Publié par Good Press, 2022
EAN 4064066321482
Table des matières
AVANT-PROPOS
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
Réponse à madame Mary Meynieu
Première Réponse à M. Leymarie
Deuxième Réponse à M. Leymarie
Réponse à M. Cochin
APPENDICE
AVANT-PROPOS
Table des matières
Si une religion eût condamné en principe l’esclavage et l’eût aboli en fait quand elle l’aurait pu, cela ne prouverait pas qu’elle fût vraie, car on peut mêler de sages prescriptions et de bonnes actions à des dogmes faux; mais cela constituerait un mérite qu’il faudrait s’empresser de lui reconnaître et de proclamer au besoin, quelque éloigné que l’on fût de croire à ses dogmes: il n’y aurait là qu’un acte de simple justice. D’un autre côté, il est évident qu’une religion vraie doit condamner l’esclavage comme dégradant à la fois le maître et l’esclave, et que les disciples de cette religion doivent travailler de tout leur pouvoir à l’abolition de ce legs odieux de la barbarie antique. C’est pour cela sans doute que les modernes apologistes du christianisme ont dit si souvent et fait redire par la foule de leurs adeptes qu’il avait aboli l’esclavage. C’est là un de ces nombreux mensonges auxquels certains auteurs finissent par croire à force de les répéter. Si l’on se fût contenté de dire que l’esprit de charité qui règne habituellement dans les Évangiles était opposé à l’institution de l’esclavage, cela serait vrai. Mais on a affirmé maintes fois que la religion chrétienne condamnait en principe l’esclavage; plus souvent encore on a donné comme un fait qu’elle l’avait aboli. Je me propose de faire voir que ces deux assertions, ainsi posées, ne sont pas soutenables.
CHAPITRE PREMIER
Table des matières
LA RELIGION CHRÉTIENNE NE CONDAMNE POINT EN PRINCIPE L’ESCLAVAGE
Dans les récits légendaires des évangélistes, Jésus n’a jamais formellement condamné l’esclavage. On trouve cet aveu dans les livres mêmes dont les auteurs prétendent que le christianisme a aboli l’esclavage: «Nous ne
«lisons nulle part, dit M. l’abbé Thérou, qu’il
«ait exhorté les maîtres à affranchir leurs esclaves .»
««Le christianisme, est-il dit
«également dans le journal protestant Le
«Semeur, a amené l’abolition de l’esclavage,
«et cependant il n’y a pas dans l’Évangile un
«seul mot à ce sujet .» Non-seulement Jésus, dans les Évangiles, n’a jamais condamné formellement l’esclavage, mais on pourrait. soutenir qu’il lui a plutôt été favorable, au moins indirectement, d’abord dans une de ses paraboles, où il dit, sans aucune expression de blâme, que l’esclave qui a connu la volonté de son maître et qui ne s’y est pas conformé recevra force coups, tandis que celui qui n’a pas connu cette volonté ne recevra qu’un petit nombre de coups , en second lieu dans un passage où, s’adressant à ses disciples qu’il suppose possesseurs d’esclaves, il demande si le maître est l’obligé de son esclave parce que celui-ci a fait ce qu’on lui avait commandé, et il ajoute: Je ne le pense pas . Si l’on ne trouve pas dans les Évangiles la condamnation directe et expresse de l’esclavage, peut-être la découvre-t-on dans les écrits des deux principaux interprètes de la doctrine de Jésus? Pas davantage. Non- seulement Paul et Pierre, dans leurs Épîtres, n’ont pas un mot pour condamner l’esclavage ni pour recommander aux maîtres d’affranchir leurs esclaves, mais au contraire le peu qu’ils disent sur cette matière est conforme au principe de l’esclavage. Dans la 1re Épître aux Corinthiens, Paul enseigne que l’esclave n’a point à s’inquiéter de son état, comme s’il était indifférent pour la responsabilité morale qui incombe à un homme adulte, d’être le maître de ses actes ou d’être la chose d’un autre homme. Dans l’Epître aux Ephésiens, il recommande aux esclaves d’obéir à leurs maîtres avec crainte et tremblement comme au Christ . Dans l’Epître aux Colossiens, après avoir dit qu’aux yeux de Dieu il n’y a aucune différence entre l’esclave et l’homme libre , au lieu de proclamer l’égalité naturelle des droits parmi les hommes, et par conséquent l’illégitimité de l’esclavage et le devoir des maîtres d’affranchir leurs esclaves, il recommande à ces derniers d’obéir en tout à leurs maîtres , et, au chapitre suivant, v. 1er, il recommande aux maîtres de traiter leurs esclaves avec équité, comme si l’équité était possible dans les rapports entre deux hommes dont l’un possède l’autre comme une chose, rapports qui constituent, par le fait même de leur persistance, une iniquité souveraine. Dans la 1re Epître à Timothée, il veut que les esclaves regardent leurs maîtres comme dignes de tout honneur , à ceux qui ont des maîtres chrétiens il recommande de servir encore mieux , il ajoute que telle est la saine doctrine de Jésus-Christ et que cette doctrine est selon la piété, et il appelle orgueilleux et ignorant quiconque en enseigne une autre . Enfin, dans l’Epître à Tite, il recommande encore aux esclaves de plaire en toutes choses à leurs maîtres, afin d’orner la doctrine du Sauveur . Ceux qui prétendent que le christianisme a aboli l’esclavage, invoquent surtout le verset de l’Epître aux Colossiens, que j’ai cité tout à l’heure et où il est dit que devant Dieu il n’y a ni esclave ni homme libre; mais ils ont grand soin de l’isoler des autres textes dont je donne le relevé et qui prouvent avec la dernière évidence que Paul, en disant qu’il n’y a pas, en religion, de distinction entre l’esclave et l’homme libre, n’entendait nullement dire pour cela qu’il dût en être de même parmi les hommes. Cette interprétation de sa pensée trouverait au besoin une confirmation dans le verset de l’Epître aux Galates, où en confondant l’homme et la femme comme l’esclave et l’homme libre dans l’unité mystique du Christ , il n’entend manifestement pas faire disparaître la différence de fonctions et de devoirs, que la nature et la société ont établie entre les deux sexes.
Pierre, dans sa 1re Epître, recommande également aux esclaves d’être soumis avec crainte à leurs maîtres . Après cela, on attend naturellement des recommandations pour les maîtres, à qui Paul défendait au moins la dureté. Point du tout. Pierre n’a absolument aucune recommandation à leur faire, tant il est apparemment convaincu de la légitimité de leurs droits.
Certains traducteurs auraient-ils cherché à se faire illusion à eux-mêmes et à donner le change aux autres sur la portée de ces textes, en traduisant le mot latin servus de la Vulgate par le mot serviteur, qui, dans notre langue, a une acception générale et peut s’appliquer au simple domestique à gages, demeurant toujours libre, aussi bien qu’à l’esclave proprement dit? Pour être fidèle, il fallait absolument traduire par esclave, et l’emploi du mot vague de serviteur semble ici une véritable fraude. Car d’abord, si l’on excepte le verset 18 du chapitre 2 de la 1" Epître de Pierre, l’expression grecque δoυ̃λoς des textes originaux, dans tous les passages que j’ai cités, signifie esclave proprement dit et ne peut pas signifier autre chose. En second lieu, dans ces mêmes chapitres de l’Epître aux Ephésiens et de l’Epître aux Colossiens, où Paul recommande si expressément d’obéir en tout aux maîtres comme au Christ, il oppose à l’homme libre le serviteur auquel il s’adresse, et, dans ces deux derniers passages, nos traducteurs eux-mêmes rendent par esclave le mot servus de la Vulgate; il est donc évident que Paul veut parler de l’espèce de serviteur qui n’est pas libre, c’est-à-dire du véritable esclave. Si les preuves n’étaient pas déjà surabondantes, on pourrait ajouter que, dans l’Epître à Philémon, il lui demande de recevoir en grâce le serviteur Onésime, qu’il lui renvoie; ce qui signifie fort clairement que ce serviteur n’était pas libre de quitter son maître, et que par conséquent il était esclave et esclave d’un chrétien que Paul appelle son ami et son aide.
Non-seulement donc les livres du Nouveau Testament n’ont pas un seul texte formel contre l’esclavage, mais ce qu’ils en disent est favorable à son principe.
D’un autre côté, il ne faut pas oublier que le christianisme, prenant pour point de départ les livres de l’Ancien Testament, les déclare révélés et inspirés par l’Esprit-Saint, tout aussi bien que les livres du Nouveau Testament. Or l’esclavage trouve une justification dans des textes exprès de l’Ancien Testament. Dans la Genèse, ch. 9, v. 25, Noé, en punition du péché de Cham, maudit Chanaan et le condamne à la servitude, et non-seulement l’auteur sacré ne désavoue pas cette condamnation, mais c’est sur la malédiction et l’asservissement des peuples de Chanaan qu’il fait reposer en grande partie l’histoire religieuse du peuple d’Israël. Au Lévitique, ch. 25, v. 44-46, Dieu permet aux Juifs d’avoir des esclaves étrangers. Déjà dans l’Exode, ch. 21, v. 2-6, Moyse avait institué, à l’égard des Juifs achetés par leurs compatriotes, un esclavage en apparence mitigé, mais que les dispositions des versets 4-6 rendent aussi odieux que possible. Au chapitre 29, v. 19, du livre des Proverbes, il est dit que ce n’est pas avec des paroles que l’on corrige un esclave. En effet, la parole, expression de la pensée et du sentiment, s’adresse à des personnes. Or les esclaves, aux yeux de leurs maîtres, ne sont pas des personnes, mais des choses comme les hôtes de somme. Les marchands et les possesseurs d’esclaves sont encore aujourd’hui de cet avis, et par conséquent ceux d’entre eux qui sont chrétiens, peuvent appliquer en toute sûreté de conscience les autres modes de correction que chacun sait et dont le livre de l’Ecclésiastique nous donne le détail suivant. A l’esclave il faut comme à l’âne, ni plus ni moins, de la pâture, des coups et du travail. Toutefois, comme il ne pourrait être astreint à manger au râtelier de l’âne, il reçoit du pain; mais par combien de désavantages est compensé ce privilége qu’il a sur son compagnon d’infortune! L’âne ne connaît que le joug et la courroie; lorsque sa peau est devenue calleuse et qu’il a fourni sa tâche, il peut reposer en paix. L’esclave ayant une tendance perpétuelle à vouloir être libre; on ne doit point lui lâcher la main, mais il faut l’assouplir par un travail continu; il faut, s’il a un mauvais vouloir, s’il n’obéit pas, le dompter par la torture et par les fers aux pieds . Ne dirait on pas que ces règles ont été tracées de nos jours par un conducteur de nègres? Le juif, le chrétien, qui les croit dictées par Dieu même, a-t-il le droit de demander l’abolition de l’esclavage? Ceux qui aujourd’hui encore exploitent les hommes comme des bêtes ne peuvent-ils pas venir, la Bible à la main, répondre qu’ils ne font que mettre en pratique les préceptes que juifs et chrétiens proclament divins? Pour que la dérision s’ajoute à la cruauté, ces prescriptions sont immédiatement suivies de paroles doucereuses qui recommandent d’aimer comme soi-même et de traiter en frère un esclave fidèle, parce que, dit le texte au possesseur, tu l’as acquis dans le sang de l’âme, ce qui est un motif très-peu intelligible . Quelle moquerie ne serait-ce pas que d’oser dire que l’on aime comme soi-même et que l’on traite en frère un de ses semblables que l’on retient dans l’esclavage? La première chose à faire, si l’on éprouvait réellement de pareils sentiments, ne serait-elle pas de se hâter de briser ses chaînes? On pourrait croire que c’est là ce qu’a voulu dire l’auteur sacré, dans un autre endroit où il recommande de ne pas priver de la liberté et de ne pas laisser dans l’indigence un esclave semé . Mais, dans ce dernier passage, il ne peut évidemment être question que de l’esclave d’origine hébraïque et qui devait être libéré la septième année, tandis que l’esclave de race étrangère devait demeurer, ainsi que sa progéniture, un objet de possession perpétuelle. Il demeure donc établi que les livres soit de l’Ancien soit du Nouveau Testament, loin de condamner l’esclavage, lui fournissent au contraire un appui. Un chrétien conséquent ne doit donc pas se croire le droit de le condamner comme une chose radicalement mauvaise de sa nature; il ne peut pas le regarder comme contraire à la justice, sans se déclarer par là même plus éclairé et plus saint que son Dieu, et sans s’inscrire contre les révélations qu’il dit en avoir reçues. Aussi n’existe-t-il aucune décision de l’Église qui ait déclaré essentiellement mauvais le fait de posséder des esclaves, et qui ait ordonné de les