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Les secrets de Camaret: Les enquêtes de Laure Saint-Donge - Tome 20
Les secrets de Camaret: Les enquêtes de Laure Saint-Donge - Tome 20
Les secrets de Camaret: Les enquêtes de Laure Saint-Donge - Tome 20
Livre électronique271 pages4 heures

Les secrets de Camaret: Les enquêtes de Laure Saint-Donge - Tome 20

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À propos de ce livre électronique

Encore un féminicide de plus cette année, Laure Saint-Donge est sur l'affaire... Mais ce drame a-t-il une explication aussi simple ?

Céline Beauchamp l’attend avec impatience, ce vide-greniers à Camaret ! Elle n’imagine évidemment pas qu’elle va s’y faire assassiner sous les yeux de sa meilleure amie. Aucun doute sur l’identité de son meurtrier : ce ne peut être que son ex-mari, une brute déjà condamnée pour violences conjugales, qui se suicide le soir même. Un simple fait divers comme on en voit beaucoup trop ? Et si les apparences étaient trompeuses ? Une histoire pas si simple pour la vingtième enquête de Laure Saint-Donge, la belle LSD…

Plongez-vous dans la 20ème aventure de la célèbre enquêtrice, Laure Saint-Donge !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Amoureux de la Bretagne et du Trégor depuis toujours, Michel Courat y a exercé comme vétérinaire pendant une quinzaine d’années avant de partir s’occuper de la protection des animaux dans les Cornouailles anglaises pendant neuf ans. De 2008 à 2016, il a travaillé à Bruxelles en tant qu’expert en bien-être animal pour une ONG européenne. Même s’il est maintenant en retraite à Locquirec, il apporte son expérience au sein de l’OABA (Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir).
LangueFrançais
Date de sortie19 juil. 2021
ISBN9782355506710
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    Aperçu du livre

    Les secrets de Camaret - Michel Courat

    REMERCIEMENTS

    -Biscuiterie de Camaret, Camaret

    -Brigade de gendarmerie, Crozon

    -Brigade de gendarmerie, Lanmeur

    -Café Chez Tilly, Locquirec

    -Champagne François-Denizon, 51700 Verneuil

    -Distillerie des Menhirs, Plomelin

    -Distillerie Warenghem, Lannion

    -Garage Daniellou, Lanmeur

    -Groupe de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux (GRIMP), Camaret

    -Hôtel de France, Camaret

    -Hôtel-Restaurant Le Styvel, Camaret

    -Le Bilitis, Plounérin

    -Office de tourisme, Camaret

    -Quai des saveurs, Camaret

    -U Express, Camaret

    I

    Camaret, presqu’île de Crozon, rue Saint-Pol-Roux

    Dès qu’il avait franchi le pas de la porte elle s’était méfiée. Mais elle ne pensait pas que la gifle serait si appuyée. La frappe d’une violence inouïe l’avait projetée à terre. Bien sûr, elle s’était efforcée d’amortir sa chute avec son bras, mais son autre joue et sa tempe avaient heurté le carrelage avec une telle force qu’elle avait failli perdre conscience.

    Elle restait au sol, immobile, cherchant en vain à retrouver suffisamment d’énergie pour se relever, ou, au moins, pour pouvoir parler. Sa tête n’était plus qu’une douleur et des étoiles virevoltaient devant ses yeux. Bien plus de trente-six. L’ombre de Sylvester Stallone et de Rocky flotta un instant devant ses yeux à demi fermés ; elle n’était pas loin du KO, et ne pouvait espérer aucun coup de gong salvateur. Son cerveau aux abonnés absents pendant quelques secondes lui permit d’oublier brièvement l’intensité des brûlures. Plus assez d’énergie pour se frotter les zones endolories, alors que les éclairs de souffrance se multipliaient. Dans sa tête passait un TGV sans fin, dont chaque wagon résonnait comme un nouveau gant de boxe venant martyriser un peu plus ses neurones. Elle aurait aimé lever la tête, pour que ses yeux puissent lui exprimer tout le venin et la haine qu’il méritait, mais ses muscles refusaient tout service.

    Au-dessus d’elle, sa bière à la main, il rota bruyamment avant de lui lancer avec un petit rire sardonique :

    — Alors, on joue moins les putains maintenant ? T’es pas très aguichante comme ça, tu sais ! Tiens ! Habille-toi un peu !

    Et il lui balança le plaid qui recouvrait le sofa du salon, afin de recouvrir ses jambes, dénudées jusqu’à mi-cuisse.

    Il éructa encore une fois, sans la moindre discrétion, descendit une nouvelle rasade de sa Stella, et lui donna un coup de pied dans le bas des reins, comme pour parachever sa démonstration de bassesse et de lâcheté. Malgré la douleur, elle ne poussa qu’un râle étouffé, avant de s’évanouir. Lui s’assit sur le canapé usé jusqu’à la corde, maculé de taches diverses, mit ses pieds sur la table basse couverte de canettes vides et lâcha une flatulence dont l’odeur le fit rire aux éclats. Le temps de prendre la zappette, et il regardait un match de foot à la télé, insultant les joueurs des deux équipes à tour de rôle. Moins de dix minutes plus tard, il ronflait comme un sonneur. Il s’était endormi sans un regard pour la forme gisant à terre, et se laissait bercer par les bras de Sucellos – dieu de la bière dans la mythologie celtique gauloise – depuis près d’un quart d’heure quand elle réussit enfin à se mouvoir.

    Elle dut prendre sur elle et rassembler tout son courage pour retrouver la position debout. Elle était chancelante, mais à peu près verticale.

    Ainsi s’achevait un samedi presque ordinaire pour Céline Beauchamp. Avec ces nouveaux coups elle avait reçu une partie de ce salaire de la peur et de la torture qu’elle acceptait, sans révolte aucune, pour vivre aux côtés de cet homme, de cette brute, qu’elle ne pouvait s’empêcher d’aimer. Huit ans de vie commune. Et presque autant d’années émaillées d’épisodes de violences, tantôt psychologiques, tantôt physiques ou sexuelles. Aujourd’hui elle avait eu droit au grand jeu, parce que c’était le premier jour depuis début avril où il faisait beau et chaud. Une journée idéale pour essayer ce petit combishort qu’elle s’était trouvé pendant les soldes de janvier et qu’elle n’avait jamais eu l’occasion de porter auparavant.

    À son retour au domicile conjugal, dans un état éthylique avancé, il n’avait pas apprécié du tout de la voir dans cette tenue et, comble de l’impudence pour Bertrand Beauchamp, d’apprendre en même temps qu’elle était allée travailler habillée ainsi.

    Seule et mince consolation pour Céline, leurs deux enfants, Florian et Théa, au lit depuis longtemps, n’avaient pas assisté à la scène. Pour une fois.

    Elle aurait pu profiter du sommeil de son salaud de mari pour appeler la gendarmerie, mais un petit diablotin caché au fond de sa conscience lui avait soufflé, comme chaque fois ou presque, de curieuses pensées : « Il n’a pas tout à fait tort… Je n’aurais pas dû m’habiller si court. En fait c’est aussi ma faute, etc. » Un sentiment de culpabilité paradoxal souvent rencontré chez les femmes battues ou violées, vous diront les psys, confortablement installés dans leur fauteuil.

    Elle se traîna jusqu’à son lit, ultime calvaire, avant de pouvoir avaler des comprimés antalgiques et des tranquillisants, et de s’écrouler comme une masse.

    *

    Plus de trois ans maintenant que Céline a réussi à s’arracher à l’emprise, et aux coups, de son bourreau. Un parcours d’obstacles et d’absurdités administratives difficile à imaginer. Malgré les protections diverses dont elle bénéficie, elle n’a jamais eu totalement confiance dans leur efficacité. Pendant ces trois dernières années elle a surtout essayé de surmonter cette peur permanente, cette angoisse de le voir surgir à toute heure du jour ou de la nuit. Sept cent trente jours et autant de nuits à redouter aussi qu’il ne s’en prenne à SES enfants… qui sont pourtant aussi ceux de cet être abject. Sans aide, elle n’aurait, sans aucun doute, pas pu franchir toutes ces montagnes, remplir toutes ces paperasses, subir tous ces sous-entendus, affronter tous ces regards, même s’ils sont devenus plus bienveillants depuis que les violences faites aux femmes sont enfin reconnues, et que des mesures plus appropriées ont été mises en place. Celle qui l’a aidée sans relâche dans ce marathon judiciaire et administratif, celle qui lui a essuyé les yeux quand le blues ou la peur revenait trop fort, Nicole, son amie de toujours, se tient aujourd’hui à ses côtés dans le vieux Kangoo qui les mène vers la chapelle Notre-Dame-de-Rocamadour. L’un des monuments emblématiques de Camaret, ornement ecclésiastique indissociable de ce port breton au charme si particulier, situé au bout du monde, au bout de la presqu’île de Crozon en tout cas. Il n’est même pas 6 heures du matin en ce premier samedi de mai, et le Sillon, cette digue de roc et de béton qui conduit aussi à la tour Vauban, surnommée ici la Tour dorée ne s’éveille pas paisiblement, contrairement aux autres jours. Devant la Renault des deux femmes, pas moins de quatre voitures, en file indienne, et à hauteur de la première, deux silhouettes portant un gilet jaune fluorescent. Des courageux et matinaux bénévoles de Camarasso un conglomérat d’associations locales qui organisent comme chaque année leur grand vide-greniers, véritable point de départ de la saison touristique proprement dite. Et occasion non négligeable de récolter de l’argent pour le financement de leurs activités respectives… Pour chaque véhicule la même procédure. Au tour de Céline et de Nicole de s’y prêter. Mais avant, politesse oblige, elles saluent les maîtres d’œuvre de cette cérémonie bon enfant.

    — Salut, Yann, salut, Gwendal, alors c’est pas trop le bordel ?

    — Tiens ! Les deux plus belles filles de Camaret ! Déjà sorties du lit ?

    — On nous l’avait jamais faite, celle-là ! répond Céline. Vous avez la forme dès le matin, bravo !

    — On n’a pas la forme, on a la pêche ! Mais plus à la sardine…

    Et l’auteur de cette blagounette à quarante centimes d’euro de s’esclaffer, en même temps que les passagères du Kangoo.

    — Ni à la langouste, je présume ? enchaîne Nicole avec un sourire. C’est comme d’habitude ?

    — Eh oui, ma chérie, on ne change pas une méthode qui gagne. Tu me donnes dix euros, tu pioches un papier dans mon chapeau, et cela te donne le numéro de ton stand. Cette année, on a pu avoir tout l’espace qui va de l’arrière de la tour jusqu’au bout du quai. Comme d’habitude, vous laissez bien de l’espace pour le passage des pompiers et pour l’accès aux ateliers du bout du parking.

    Un couvre-chef sans forme, et bien défraîchi, qui a dû appartenir à Crocodile Dundee, le jour où il s’est fait bouffer par la bestiole qu’il convoitait. À l’intérieur, un monceau de petits papiers pliés en deux.

    Nicole plonge sa main tout au fond et en ressort le numéro 13. Un nombre qui a le don de mettre Céline en joie.

    — Le 13 ! Mon numéro porte-bonheur ! Super !

    — Et en plus c’est facile à trouver, c’est tout au fond, juste derrière la tour, à hauteur du pont-levis. Allez, zou ! En piste ! On attend deux cents exposants, et on espère au moins cinq mille visiteurs ! Bonne journée à vous. En plus la météo est parfaite : quelques nuages mais surtout du soleil. Faites bien gaffe à ne pas rater votre créneau en rangeant la voiture, vous allez être au bout du parking, au bord de l’eau… Veinardes !

    Tenant son volant d’une main, Céline regarde ce chiffre avec une joie évidente.

    — Le 13, mon nombre fétiche. Je peux te dire qu’on va cartonner !

    *

    Camaret, hôtel de France

    Assis contre la tête de lit, Hugues ne peut détacher ses yeux de ce spectacle dont il se délecte chaque fois. Dans l’embrasure de la porte de la chambre se découpe la silhouette de Laure, sortant juste de la salle de bains. Même si une serviette couvre son corps du haut de ses seins jusqu’à mi-cuisse, il déguste des pupilles ce port de tête digne d’une déesse, cette chute d’épaules d’une élégance rare, et ces jambes fines et musclées à la fois. Dans les rayons du soleil levant, il la dévore avec une volupté oculaire non dissimulée, toujours envoûté par ses prunelles vert d’eau, ses cheveux blonds, courts et bouclés, parsemés de quelques mèches teintées. Elle n’a pas remis de pansement sur sa cicatrice*, et, miracle des jeux d’ombres et de lumières, sa joue droite apparaît tout à fait normale, donnant à son visage l’éclat qu’elle avait avant ce reportage tragique en Iraq qui l’avait défigurée. Un sourire mystérieux et enjôleur aux lèvres, elle savoure ce moment de gloire anatomique, échangeant un regard sans équivoque avec son compagnon, avant de s’asseoir sur le lit, tout près de lui, et de lui offrir ses lèvres et sa langue en guise de petit-déjeuner. Manifestement, ils ont tous deux très bon appétit, et il ne se passe guère de temps avant que leur lit ne se retrouve soumis à douce épreuve.

    Quand l’armistice de leur tendre guerre sonne, à peine cinq minutes s’écoulent avant que le room service ne frappe à leur porte. Le temps pour LSD de cacher sa nudité sous les draps, Hugues a déjà enfilé sa robe de chambre, si vite qu’il a oublié d’attacher la ceinture, et a déjà ouvert à la jeune femme souriante qui leur apporte, sur un plateau, deux flûtes et une bouteille de champagne, du Roederer, baignant dans les glaçons. Heureusement, le champ visuel de l’employée est limité, et ne lui permet pas d’apercevoir le service trois pièces de monsieur Demaître. Lequel s’empresse de réintégrer le lit en préservant son intimité et en évitant un possible remake des aventures de DSK au Sofitel de New York. Une aventure qui lui a valu une double débandade précoce avant les élections présidentielles. Ce ne sont pas les vendeurs de Flanby (ND) et de scooters qui lui en voudront. Dans la couche de Laure et d’Hugues, deux verres s’entre-choquent et deux regards amoureux s’entrelacent.

    — Bienvenue à Camaret-sur-Mer, mon amour !

    — Je t’aime ! se contente de répondre Laure avec un poutou langoureux à la clé.

    Le temps de boire, avec une lenteur toute relative, leurs bulles de ce matin pas comme les autres, et Hugues redevient quelque peu sérieux, comme un pharmacien se le doit.

    — Tu crois que tu as eu raison de ne pas remettre ton pansement ? Tu n’as pas peur des risques d’infection ?

    — BHL* me l’a dit hier. Ses craintes d’avoir repéré des signes de début de rejet de la greffe ont diminué. Depuis son précédent examen, les choses ont bien évolué. Les microscopiques points noirs qui l’inquiétaient s’estompent. Manifestement les nouveaux médicaments qu’il m’a donnés marchent bien, et j’ai freiné un peu sur le lambig…

    — Mais pas sur le champagne !

    Et il lui ressert une flûte.

    — Je sais ! Mais promis, je commence mon régime lundi.

    *

    Ambiance beaucoup moins glamour et enjouée derrière la tour Vauban. Pas moins de trois voitures bleu gendarme et un fourgon empêchent tout accès au stand no 13 du vide-greniers. En prime, une rubalise jaune et noir GENDARMERIE NATIONALE – ZONE INTERDITE a été déployée sur un large périmètre, décourageant tout curieux épris d’hémoglobine. L’accès au Sillon, appelé ici « la digue », cette ancienne bande de galets protégeant le port de Camaret jusqu’au début du XIXe siècle – date de sa transformation en mur de défense par le génie militaire –, s’est trouvé également condamné, au grand désappointement des nombreux visiteurs, dont certains ont marché des centaines de mètres pour se rendre à cette brocante réputée bien au-delà de la presqu’île de Crozon. Promeneurs ou badauds venus des autres stands en seraient de toute façon pour leurs frais puisqu’il n’y a pas la moindre trace de sang sur les lieux du drame. Deux techniciens en identification criminelle, les fameux TIC, examinent chaque centimètre carré du territoire délimité tandis que le légiste agenouillé finit d’examiner le corps étalé sur le sol.

    Pendant que le médecin finit son examen, la jeune femme, visiblement marquée, est montée dans le Trafic avec le major Paugam et une gendarme OPJ (Officier de police judiciaire) qui cherche à trouver les paroles les plus apaisantes possibles, une mission bien difficile dans des circonstances semblables.

    — Vous savez que rien ne vous oblige à nous répondre maintenant, c’est clair, précise le sous-officier. Vous êtes encore en état de choc, et nos questions peuvent attendre ce soir ou demain.

    La jeune militaire s’efforce d’arrondir encore plus les angles.

    — Vous ne voulez pas boire un peu d’eau ?

    Larmes aux yeux, voix hoquetante, la rescapée prend sur elle pour commencer à balbutier quelques mots.

    — Merci, je n’ai pas soif ! Et je voudrais répondre à vos questions au plus vite, des fois que ce salaud soit encore dans le secteur.

    Un pâle sourire éclaire les lèvres du major :

    — Merci pour votre courage, Madame, mais vous savez, entre le moment où vous vous êtes rendu compte du drame, le moment où on est arrivés et le moment où on a pu bloquer la zone, c’est clair, il a dû s’écouler plus d’une demi-heure. Celui qui a fait ça avait largement le temps de partir tranquillement par la digue sans attirer l’attention. Et il a pu tout aussi bien, c’est clair, repartir par la mer. Autant dire que les chances qu’il soit resté sur zone sont infimes. D’où l’importance de votre témoignage si rapide, il nous laisse une minuscule chance qu’il soit encore à proximité. Certains criminels éprouvent une curiosité morbide, et aiment rester sur place, avec un sentiment d’invincibilité qu’on a de la peine à imaginer. Mais il ne faut pas se faire beaucoup d’illusions, c’est clair.

    — Le salopard ! – Dans ses yeux brillent des éclairs de colère. Alors vous pensez qu’il s’est déjà échappé ?

    — J’en ai bien peur, c’est clair. Voilà pourquoi tout ce que vous pourrez nous dire, nous donner comme détails est extrêmement important. Vous êtes la seule qui puisse nous aider à retrouver le ou la meurtrière. Ou tout au moins à pouvoir nous donner un début de piste. Pourriez-vous me raconter tout ce que vous avez vu ? Mais évidemment, procédure oblige, j’aurais d’abord besoin de vos nom et prénom, adresse, profession…

    Des yeux rougis regardent le gendarme. Le sourire est triste quand vient la réponse.

    — Morellec, c’est mon nom, et Nicole, mon prénom, j’habite rue de Verdun, pas très loin de l’église Saint-Rémi. Je suis infirmière à l’EHPAD de Camaret. Vous savez, en fait, je n’ai pas vu grand-chose. J’étais en train de commencer à disposer le stand ; il faisait encore sombre, et j’ai trouvé que Céline mettait beaucoup de temps à rapporter de nouvelles affaires du coffre de la voiture. Je l’ai appelée, mais elle n’a pas répondu, et comme je ne pouvais pas la voir, à cause de la porte du Kangoo et de la pénombre, je suis allée vérifier ce qu’elle faisait. – Un temps d’hésitation et elle reprend, d’une voix chargée d’émotion : Et là je l’ai vue à genoux, par terre, avec le haut du corps et la tête écroulés dans les cartons et les cageots. J’ai cru qu’elle avait fait un malaise. Alors j’ai crié pour essayer de la réveiller, je lui ai donné deux ou trois claques pour la faire réagir… Elle ne bougeait toujours pas, je l’ai tirée par la ceinture de son jean, tout en maintenant sa tête, et je l’ai posée sur le sol, le plus doucement possible, en PLS. Position latérale de sécurité.

    — Et vous n’avez appelé personne à ce moment-là pour vous aider ?

    — Les choses sont allées tellement vite ! Je n’ai pas vraiment réfléchi… Pour moi, elle était tombée dans les pommes, j’essayais de la réanimer comme je pouvais…

    — Vous n’avez pas contrôlé son pouls, ou sa respiration ? Vous êtes infirmière.

    Un court silence, et Nicole reprend avec un air presque penaud :

    — Non ! Non ! J’avoue que je n’y ai pas pensé une seconde. J’étais bouleversée. J’ai plutôt pensé à une crise d’hypoglycémie ou un truc comme ça. Et de toute façon je ne voyais pas assez clair pour savoir si elle respirait. Je voulais lui faire avaler un sucre, mais il fallait qu’elle se réveille d’abord. Alors je lui ai versé sur la figure une des bouteilles d’eau qu’on avait apportées. Évidemment, ça n’a rien fait. Je l’ai encore secouée pendant une trentaine de secondes, et là seulement j’ai demandé aux gens des stands voisins de venir m’aider. Y a un monsieur qui s’est penché sur elle, et qui a dit qu’elle ne respirait plus et qu’il n’y avait plus de pouls. Il a essayé de lui faire des massages cardiaques pendant que sa femme lui faisait du bouche-à-bouche. Quelqu’un d’autre a appelé les pompiers, mais quand ils sont arrivés, ils n’ont pu que constater qu’elle était morte. – Un silence, et elle répète : Morte, Céline est morte !

    Les joues ruisselantes de larmes elle crie quand elle ajoute :

    — Putain ! On ne meurt pas d’une crise cardiaque à 34 ans ! C’est dégueulasse…

    La gendarme essaie de la consoler au mieux tandis que le major Paugam, surnommé C’est clair par ses subordonnés – vous l’aviez deviné, non* ? –, lui laisse quelques secondes de répit avant de reprendre, de sa voix la plus douce possible :

    — Je comprends votre tristesse, mais à ce stade, c’est clair, rien ne permet de confirmer qu’il s’agit d’une crise cardiaque. Les procédures en cas de mort suspecte sur un lieu public veulent qu’un médecin légiste examine votre amie. Et après, suivant ses conclusions, le procureur peut décider d’effectuer des examens complémentaires…

    — Vous voulez dire une autopsie ? – Le regard outré de Nicole parle beaucoup mieux que des mots – Vous ne voulez pas dire qu’on va la charcuter ?

    — Rassurez-vous, Madame, examen complémentaire cela veut dire beaucoup d’autres choses : une prise de sang avec recherche d’alcool, de médicaments ou de toxiques, une inspection externe du corps, une analyse de substances trouvées sur ses vêtements, des traces ADN, des objets anormaux dans son environnement… Ne vous inquiétez pas, nous avons malheureusement l’habitude, et l’autopsie de votre amie ne sera que l’ultime recours si des doutes subsistent sur l’origine de sa mort. Par contre, j’aurais besoin, comme pour vous, de renseignements sur son état civil et sa profession.

    Renseignements pris, le major continue :

    — Elle avait un mari, des enfants, des parents ?

    — Deux enfants. Florian et Théa. Huit et six ans. Ils sont justement chez les parents de Céline, à Morgat. Je vais vous écrire leur adresse.

    — Et le mari ?

    — Manifestement, répond-elle d’une voix brusque, vous n’êtes pas au courant de tous vos dossiers. Céline a… Céline avait déposé plusieurs mains courantes à la gendarmerie du temps où elle vivait avec lui. Et comme cela ne changeait rien, j’ai fini par la convaincre, il y a un peu plus de trois ans, de contacter une association de femmes victimes de violences conjugales. Là, elle a trouvé toutes les aides à la fois psychologiques, administratives, pratiques et judiciaires dont elle avait besoin. Elle a porté plainte contre lui et obtenu une ordonnance de protection avec le juge aux affaires familiales. C’est elle qui avait conservé la maison et la garde des enfants, lui a été condamné à six mois de prison mais avec sursis, donc elle vivait quand même avec la crainte qu’il ne revienne et ne s’en prenne à elle ou aux petits, même s’il n’avait pas le droit de l’approcher. En fait, quand Céline paraissait heureuse, on sentait chez elle une forme d’inquiétude

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