Le peuple des seuils: Un village français
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À propos de ce livre électronique
Dans ce roman, le lecteur, du coin de l’œil et par mimétisme, devient observateur de l’étonnante réalité d’un petit hameau français de la Flandre.
À l’inverse du reste du territoire national où l’on pouvait jouir ou mourir de la solitude la plus totale, les habitants de ce hameau déploient des stratagèmes insoupçonnés pour offrir, bon gré mal gré, à chacun un lien de cohésion du plus solide par une forte culture de la régurgitation verbale et de douces rumeurs. Les deux Guerres mondiales ont apporté dans leurs vagues d’horreurs quelques tendances funestes qui restent, cent ans après, bien ancrées dans les mœurs locales... une certaine France profonde régie par l’extrême luminosité de l’homme en parfaite harmonie avec sa part la plus sombre...
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Aperçu du livre
Le peuple des seuils - Sidi Miloud Bel Asri
Le peuple des seuils
Sidi Miloud Bel Asri
Le peuple des seuils
Un village français
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
Du même auteur
La prière du pommier, Les Éditions du Net
Avertissement
La vie d’un être au quotidien, l’histoire et la littérature m’ont fourni quelques-uns des personnages de ce hameau. Toute autre ressemblance avec des individus vivants ou ayant réellement ou fictivement existé ne serait être que rumeur et colportage de ragoût infondés de mon imagination.
© Les Éditions du Net, 2016
ISBN : 978-2-312-04540-5
À mon père, Moulay Hassan
Le hameau
J’habitais, au temps de ma jeunesse, une vieille chère maison dans les arbres, un minuscule hameau, plein de murmures de feuillages et d’eau vive.
Georges Bernanos
Je suis le voyant de la nuit
l’auditeur du silence
car le silence aussi
s’habille d’une peau sonore
René Daumal
À cinq heures du matin, comme tous les matins, le grincement et le cahotement d’un vieux tracteur qui s’enorgueillit de tenir encore la route à la pointe de l’aube invitaient à une première expression de vie du village. Le croassement de la mécanique à bout de souffle et racornie par les stigmates temporels et les sillons des champs, aussi âgée que le fermier se répercutait aimablement sur les vitres des habitations. Chacun reconnaissait, même derrière les persiennes fermées, l’incontournable passage du vieil oncle Georges qui ouvrait le passage de la nuit au jour. La lumière jaune des phares qui révélait au fur et à mesure la silhouette des arbres, bordant les fossés le long de la route, s’estompait alors avec la forme du tracteur qui disparaissait à l’horizon.
Cette liminaire présence d’activité signalait que le sommeil des villageois allait en decrescendo jusqu’à son tarissement au chant du coq, puis l’angélus de six heures tintait dans le ciel, pour appeler les fidèles des alentours à réciter les trois Ave pour bénir un nouveau jour, une habitude locale depuis le premier Concordat.
Et déjà au loin, on devinait l’antique chevauchée avunculaire, on n’entendait plus bringuebaler la mécanique du tracteur, mais à chaque déformation de la route, à chaque giclée des phares vers le ciel, les étoiles s’éteignaient, comme l’on éteignait jadis les becs de gaz.
Cette petite contrée flamande était parvenue assurément à conserver son charme d’autrefois. Elle avait tout pour séduire : ses maisons anciennes, ses sentiers pavés, ses beffrois, ses héroïques champs de bataille, et son atout majeur, sa bière légendaire et depuis peu son vin local considéré comme un phénomène étonnant, comme si Bacchus s’était fourvoyé involontairement chez son cousin Gambrinus. En effet, dans ces lignes oblongues, sur les façades les plus ensoleillées, concurrençant des champs de marguerites, quelques personnages farfelus avaient eu la bonne et audacieuse idée de planter quelques pieds de vigne en des terres plus connues pour être le pays de la bière et des champs de houblonnières en guirlande.
La conscience Ch’timi, comme il était coutume d’appeler l’identité de cette contrée, imposait cet état d’esprit qu’il ne fût pas toujours vain de s’efforcer d’atteindre, dans une obstination absolue, tels un rêve ou un mirage qui prolongeaient l’attitude opiniâtre des Nordistes dans le moindre geste du quotidien. Un trait de civilisation, disait-on, avait permis de surmonter durant des siècles les vicissitudes d’une histoire mouvementée de va-et-vient entre divers royaumes. Un trait, bien avant l’Union européenne, reliait les populations des Flandres, bien que séparées par des frontières théoriques.
C’était là, à quelques lieues des monts de Flandre, par un jour nuageux et, sur la terre encore mouillée d’une averse de nuit, que nous avions déposé nos valises dans un hameau, qui fut un temps sur la zone de front et déclaré village martyr pendant les deux Guerres mondiales. Un lieu-dit, qui ambitionna un moment d’accéder au rang de commune, garda sur son sol toutes les désolations du passé et toutes les entités humaines, qu’elles soient espagnoles, belges et françaises.
Le hameau, après avoir vacillé entre plusieurs monarchies par le biais de guerres ou de mariages, était tombé dans l’escarcelle de la maison des princes d’Isenghien, et marqué particulièrement par l’un des plus célèbres seigneurs en la personne du successeur du fameux maréchal-comte d’Artagnan comme gouverneur d’Arras, Louis de Gand de Mérode de Montmorency, maréchal de la cour à Versailles et accessoirement époux en dernières noces d’une princesse de Monaco. Un Prince dont le souvenir est partout dans le pays. Les traces nobiliaires et les vestiges de l’art de la séduction font naturellement partie du patrimoine de ces lieux. Le hameau en arbore les armoiries avec la devise de la maison princière « Je maintiendrai ». En conséquence, il n’était pas envisageable évidemment de laisser mourir cet héritage, d’autant plus ce valeureux prince rendit l’âme sans laisser d’héritier, même après trois mariages. Un pareil trésor devait être réclamé haut et fort dans l’espoir qu’il atterrisse en hoirie à quelques personnages du hameau. Un souhait savamment entretenu de père en fils jusqu’à nos jours…
Tout ordinairement, presque tous les habitants du hameau, dont l’existence se résumait dans le plaisir, selon la formule consacrée, d’ouvrir à l’aurore leurs volets, et au crépuscule de les refermer, étaient, soit derrière leurs rideaux soit au seuil de leur maison, en alerte, les yeux bien écarquillés, pour ne pas manquer la moindre miette du spectacle du nouvel arrivant qui constituait un événement de la plus haute importance.
Le hameau voulait tout savoir concernant le nouvel habitant, ses origines, son emploi, en somme d’établir son pedigree, afin de jauger immédiatement la valeur minière de ce qui pourrait en être extrait de croustillant.
Toute âme y était déshabillée jusqu’à sa totale nudité, jusqu’à sa complète transparence. Nulle escapade ni refuge n’étaient possibles. Tout un chacun était logé à la même enseigne, livré à l’appétit des yeux, sans protection ni exception dans une parfaite maîtrise du noble art du clabaudage.
Pour qu’un village divulgue des spécificités étranges et endémiques de ses gens, il faut nécessairement avoir été pendant de longues années un sociétaire ou une cible, ou les deux à la fois, de certaines de leurs pratiques. On ne sortait jamais indifférent de cette expérience, voire indemne. Bien longtemps après avoir quitté le village, précisément ce hameau en particulier, des traces indélébiles restaient profondes dans la chair. Certains s’en sont sortis meurtris, d’autres enrichis, beaucoup les deux à la fois. Il n’y avait ni altruisme ni malveillance de la part du hameau. Les habitants de ce lieu vous renvoyaient, tel un miroir réfléchissant, les aspérités de votre être à la face du monde.
Le peuple des seuils avait pour lui tout le temps où le moindre nouveau détail, la plus infime curiosité lui permettait de consumer le moment avec la plus haute des délicatesses comme si la vie des autres, avec leurs vicissitudes, leurs malheurs, leurs défaites autant que leurs bonheurs et leurs joies, était extrêmement agréable à regarder.
Ici tout se savait, le visible comme l’invisible. Plus la porte d’un foyer était fermée, plus le quartier lisait à livre