L'orage mécanique
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Aperçu du livre
L'orage mécanique - Philippe Auguste Rosso
L’orage mécanique
Philippe Auguste Rosso
L’orage mécanique
LES ÉDITIONS DU NET
70, quai Dion Bouton 92800 Puteaux
À ma famille
À mon fils
À mes proches qui reposent en paix
© Les Éditions du Net, 2012
ISBN : 978-2-312-00624-6
Avertissement
Ce livre est une fiction. Les noms des personnages et de certaines institutions sont des créations imaginaires de l’auteur et ne doivent pas être considérés comme réels. Toute ressemblance avec des individus ou des organisations, réels ou fictifs, existants ou ayant existé, est purement fortuite.
Prologue
Nord-ouest de la Méditerranée.
Samedi 31 mai 1986 - 23 h 29 mn 47 s…
Une gigantesque machine thermodynamique, somme toute naturelle, surplombe actuellement le littoral de la Costa Brava, celui des Bouches-du-Rhône, et le sud du département du Var.
Les Baléares, la Corse et la Sardaigne ne sont pas épargnées par l’inquiétante masse nuageuse, puisqu’elle les a entièrement recouvertes trois heures auparavant.
Toutes ces zones géographiques délimitent un phénomène orageux qui a pris naissance en plein milieu de ce périmètre, au cours de la nuit précédente.
L’air exceptionnellement chaud et l’humidité lui ont permis de s’alimenter des heures durant jusqu’à lui donner une ampleur considérable, d’autant plus que les cumulo-nimbus se sont amassés entre eux pour ne former qu’un immense monobloc, stagnant, faute de vent, sur cette partie nord-occidentale de la Méditerranée.
Seul point rationnel, et positif, son épaisseur n’est pas exceptionnelle. Avec une base qui se situe à environ 800 m du sol et une couche supérieure qui culmine à des milliers de mètres d’altitude — son sommet atteint les 10 km — elle reste, toutes proportions gardées, dans la moyenne des nuages à grand développement vertical.
S’il a désormais cessé de croître, couvrant une superficie d’environ 350 000 km², nul ne sait comment cette belle mécanique va évoluer dans les heures à venir.
À l’intérieur des centres météorologiques du pourtour méditerranéen, et plus particulièrement ceux des pays concernés par l’orage, c’est l’effervescence qui règne depuis le début de la soirée. Les prévisionnistes de garde continuent de scruter les images radar avec une extrême attention. De mémoire d’homme, ils n’ont jamais enregistré pareille couverture nuageuse.
La pluie n’a pas encore touché terre, mais de violentes trombes d’eau s’abattent en pleine mer au grand dam des navigateurs coincés sous le déluge et les éclairs. Le ballet d’éclairs, qui embrase le large, annonce la couleur aux populations côtières tout en distrayant les inconditionnels du genre regroupés sur les plages, ou d’autres points d’observation, afin de contempler l’orage du siècle, tant redouté par les météorologues.
L’éclair....
Zone des Baléares, Espagne
À plusieurs milles nautiques au nord-est de Minorque
Un luxueux voilier de quinze mètres de long, battant pavillon italien, se dirige en ce moment même vers Minorque : il est 23 h 30 min.
Les six navigateurs italiens qui se trouvent à bord, amis et conjointement propriétaires du bateau, ont quitté Livourne la veille, en fin d’après-midi. Ils souhaitent visiter l’ensemble des îles Baléares, mais avant de faire escale à Minorque, première destination de leur périple, il reste 30 milles nautiques à parcourir dans des conditions climatiques épouvantables.
Pour pallier la fatigue, due à cette longue et mouvementée traversée, ils avaient prévu de piloter le monocoque en prenant le quart à tour de rôle. Suite au gros temps, ils se sont réorganisés afin que ce soit le plus chevronné d’entre eux qui gère la gouverne. La voilure a été repliée quelques heures auparavant, et par conséquent la navigation se fait au moteur à la vitesse de 11 nœuds.
S’ils continuent de voguer à cette cadence, en se tablant sur la distance à couvrir, sauf écart ou perte de direction, ils mouilleront dans le port de Mahón aux environs de 3 h du matin, ce qui leur laisse encore trois heures et demie d’angoisse et d’anxiété à affronter avant de mettre pied à terre.
La peur a supplanté la gaîté du voyage.
Depuis qu’ils ont dépassés la Sardaigne, les trombes d’eau s’abattent sans discontinuer. La visibilité est mauvaise, et les éclairs qui se sont intensifiés n’arrangent guère la situation, cependant, les six hommes ne peuvent plus changer de cap, faute de surplus en carburant.
Les chances qu’un éclair puisse frapper et incendier le navire de plaisance à n’importe quel instant s’accroissent, et ils ont de bonnes raisons de s’inquiéter puisqu’ils sont au cœur de l’orage. Celui qu’ils viennent de voir était tellement proche qu’ils ont ressenti sa chaleur et faiblement perçus une déflagration ... différente de celle du tonnerre !
L’intense luminosité de l’éclair les a éblouis, tous sans exception. Là, ce n’était point un feu de Saint-Elme. Ils en étaient absolument persuadés.
Une minute s’est écoulée.
Les éclairs arrêtent leur ballet, la pluie s’interrompt. Les six hommes sont stupéfaits et ils lèvent la tête vers le ciel. Mais avant même d’avoir eu le temps de se poser des questions, ils entendent des craquements émis au loin par les nuages.
Le phénomène sonore s’amplifie, il se rapproche très vite.
Estimant très anormal tout ce qui arrive, Umberto, le pilote chevronné, confie provisoirement la barre à un membre du groupe, puis, descend dans la cabine principale pour relever ces événements sur le journal de bord.
En premier lieu, il note l’heure du mystérieux flash, à la seconde près, soit 23 h 30 mn 02 s, avec une remarque concernant ses effets. Ceux-ci écrits, il s’apprête à rajouter des annotations sur les étranges craquements et regarde sa montre pour être précis :
23 h 31 mn 44 s....
.... Les instruments de bord se détraquent, le sonar explose, les petits luminaires et le plafonnier s’éteignent. Des étincelles s’échappent de certains appareils électriques, de la fumée commence à se dégager, l’air devient désagréable à respirer à l’intérieur du voilier.
Il y a urgence et pas de temps à perdre à chercher une torche électrique. De fait, Umberto se précipite d’abord, en tâtonnant, vers un extincteur à poudre.
Quelques secondes plus tard, alors qu’il pulvérise de la poudre sur des éléments incandescents, à deux doigts de prendre feu, Umberto a l’impression que le bateau se soulève. Ce n’est pas qu’une simple impression pour les cinq amis, restés sur le pont, qui assistent à un spectacle insolite et menaçant : leur bateau est en train de sortir de l’eau, jusqu’à la quille.
Le voilier ne s’élèvera pas davantage, il est trop lourd, mais en replongeant violemment, il envoie deux personnes par-dessus bord.
Umberto n’a rien vu, par contre, il a bien senti le bateau retomber de sa hauteur et s’est retrouvé un bref instant collé au plafond. Sans parler de la fumée qu’il a inhalée et de la poudre avalée.
Les trois autres, à plat ventre contre leur gré sur le pont, ont manqué de finir à la mer, et pour éviter d’être surpris une seconde fois, ils accrochent aussitôt le mousqueton, fixé au bout de la sangle de leur gilet de sauvetage, à l’une des barres métalliques du garde-corps qui entoure le navire.
Leur navigation de plaisance s’est muée en navigation sportive, voire en navigation de combat... et personne pour barrer.
Le voilier à la dérive se met à tanguer, l’ondulation est forte, des vagues arrivent par à-coups, elles ne sont pas hautes, mais puissantes.
Remis debout après un somptueux vol plané, Umberto remonte en toussotant pour reprendre la gouverne afin d’éviter le chavirage.
En outre, les inquiétants craquements résonnent de tous les côtés.
Les yeux et la gorge d’Umberto sont irrités, et ça le gêne dans sa manœuvre. Malgré cela, il se bat comme un beau diable et tient fermement la barre d’un navire livré à des éléments qui se déchaînent de plus belle. Ses trois compagnons, bien assurés cette fois-ci, essaient tant bien que mal, dans l’obscurité, de ramener au moyen de gaffes leurs deux amis jetés à la mer, qui peinent à rejoindre le voilier.
La perturbation et les craquements assourdissants désorientent les quatre hommes, ils doivent abandonner leurs combats respectifs, la gouverne et deux compagnons à la mer. C’est le sauve-qui-peut général, le chacun pour soi.
Umberto a cessé de rivaliser face aux éléments, ses bras tremblent, ses tympans pareillement, il est épuisé, irrité physiquement et psychologiquement, il a lâché prise pour aller se mettre en sécurité. Il vient juste de se sangler que le voilier se soulève par l’arrière.
Tous les ustensiles ferreux, non fixés, voire mal fixés, sont aspirés. Seules les parties métalliques, comme le mât, le moteur ou l’hélice résistent, et leur robustesse entraîne petit à petit le voilier vers une trajectoire qui ne lui est normalement pas destinée.
La quille du navire émerge une nouvelle fois de l’eau, sauf que le voilier se présente perpendiculairement à la mer. Il se dresse lentement, levé par l’arrière. Ce basculement forme une paroi abrupte qui oblige les quatre navigateurs, placés à tribord, à se retenir là où ils peuvent.
L’attraction s’est extrêmement renforcée, le voilier est à la verticale, sa proue pointe dans la mer et il reste tel quel. Il semble retenu par une tenaille invisible qui attend pour le relâcher.
Un des quatre navigateurs est suspendu dans le vide, maintenu par sa sangle, les trois autres se sont agrippés aux fins cordages de sécurité du garde-corps. Paradoxalement, ils se retrouvent prisonniers dans leur gilet de sauvetage. Les mousquetons, solidement verrouillés sur la barre du garde-corps, sont à plus d’un mètre au-dessus de leur tête, quant aux sangles, elles se sont coincées autour de leur corps.
De par l’extraordinaire position du navire, les sangles se resserrent, entravant la circulation du sang et la respiration. Étant donné qu’ils n’ont pas de couteau à portée de main pour les sectionner, ils ne pourront pas se délier, alors, ils se cramponnent aux cordages pour ralentir la suffocation.
Tout espoir est anéanti, subitement, la tenaille invisible ouvre ses pinces, laissant le voilier sombrer et emmener avec lui, dans les profondeurs noirâtres, ses quatre occupants.
Abandonnés à leur triste sort, et à bout de souffle, les deux naufragés se forcent à garder la tête sous l’eau, car ils ne supportent plus d’entendre ces maudits craquements. De temps à autre, ils remontent à la surface au dernier moment pour respirer, à la limite de l’évanouissement : le bruit n’est pas perceptible sous l’eau.
À 23 h 35 mn 28 s, le phénomène s’achève dans un terrible fracas.
Dans cette zone, il a excédé les trois minutes.
Les deux survivants, par ailleurs toujours naufragés, ne pousseront pas de cri de soulagement. Ils sont à 55 km des côtes minorquines. L’épreuve n’est pas terminée : sans le passage d’un bateau, ils pourraient mourir d’épuisement, d’autant plus qu’ils ont énormément perdus d’énergie.
Île de Minorque, Baléares
Villacarlos
Si Minorque est moins fréquentée et moins développée en matière d’infrastructures touristiques que Majorque, sa grande sœur, elle a l’avantage de présenter des aspects naturels mieux préservés. C’est une plate-forme battue par les vents et bordée par de hautes falaises au sud. Les villes sont de petites dimensions et se combinent harmonieusement avec le paysage.
Au milieu de ces communes, Villacarlos, abritée au bord d’une immense et longue crique à l’extrémité sud-est de l’île, tire partie de sa proximité avec la Méditerranée et de sa situation géographique pour attirer les voyageurs de passage.
Sur le rivage de Villacarlos, quelques vacanciers s’adonnent aux joies de la baignade nocturne ou profitent d’une température de l’air encore clémente pour continuer diverses activités. Ceux-là ont en commun d’avoir préféré le camping sauvage aux différents campings aménagés.
Une dizaine de jeunes étudiants anglais, à Villacarlos depuis deux jours, ont justement choisi ce style de tourisme pour leurs vacances estivales, quelque peu avancées.
Bien que la soirée soit largement entamée, trois garçons se baignent encore, le reste du groupe, quatre filles et deux garçons, est assis autour du feu. Ils discutent et rigolent entre eux, s’arrêtant parfois dans leur enthousiasme pour regarder les éclairs. Quand les garçons poussent des hurlements hystériques après chaque coup de tonnerre, leurs copines s’effrayent au moindre grondement des nuages, prêtes à rentrer dans les tentes au cas où le ciel leur tomberait sur la tête.
Un autre groupe d’adeptes du camping sauvage a élu domicile à côté des anglais, en fin d’après-midi.
Ces voisins, sept campeurs hollandais, ne se préoccupent nullement des éclairs et du tonnerre. Ce qui les intéresse se trouve sous leur nez, puisqu’ils terminent un barbecue commencé au début de la soirée.
Quant aux habitants de Villacarlos, vue l’heure, ils sont paisiblement installés dans leurs demeures, et les fêtards ont déserté la ville afin de passer la nuit à Mahón, ville principale qui compte des milliers d’âmes et des établissements plus propices à recevoir les insomniaques et les noctambules venus des quatre coins de Minorque.
Pendant que ces derniers batifolent dans les night-clubs de Mahón, les campeurs réunis sur la plage de Villacarlos sont intrigués et affolés par une forte luminosité qui rayonne et illumine l’horizon.
Tous les témoins de la scène ont été momentanément aveuglés. Ce flash, d’au moins cinq à six secondes,