Les secrets professionnels: Approche transversale
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À propos de ce livre électronique
La question du secret professionnel peut être envisagée sous de nombreux angles, notamment sous celui de la profession exercée. Pour l’avocat, cette notion est évidemment très importante, qu’elle s’applique directement au praticien, via des règles de déontologie, que celui-ci l’utilise dans son argumentation, ou qu’il s’y trouve confronté, dans divers aspects pénaux, par exemple.
Au-delà du secret professionnel de l’avocat, les auteurs de cet ouvrage analysent le secret dans le cadre des instructions et envisagent l’existence de secrets professionnels, et leurs limites, pour des professions proches de la pratique juridique : médecins, travailleurs sociaux, etc. Les relations, souvent orageuses, entre la presse et les secrets sont également commentées.
Sont ainsi abordés :
• le secret de l’enquête pénale ;
• le secret médical ;
• le secret et la presse ;
• le secret professionnel sous l’angle des articles 458 et 458bis du Code pénal ;
• le secret professionnel et les familles en difficulté.
Nul doute que le praticien, avocat, magistrat ou expert de justice, trouvera dans cet ouvrage une source d’enseignements pratiques, de nature (peut-être) à dévoiler un peu le « secret professionnel »…
Un ouvrage écrit par des professionnels, pour des professionnels
A PROPOS DES ÉDITIONS ANTHEMIS
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Aperçu du livre
Les secrets professionnels - Collectif
La collection du Jeune Barreau de Charleroi
Cette collection rassemble les actes des colloques organisés par la Conférence du Jeune Barreau de Charleroi. Ils couvrent toutes les matières du droit et sont destinés aux praticiens.
Ouvrages parus :
Ch.-É. Clesse et St. Gilson (dir.), Le droit social et les jeunes, 2011.
Chr. Guillain et A. Wustefeld (dir.), La réforme de la cour d’assises, 2011.
Chr. Guillain et A. Wustefeld (dir.), Le rôle de l’avocat dans la phase préliminaire du procès pénal à la lumière de la réforme Salduz, 2012.
Ch.-É. Clesse et A. Nayer (dir.), Du risque professionnel au bien-être, 2012.
I. Bouioukliev (dir.), La force majeure, 2013.
Ch.-É. Clesse et St. Gilson (dir.), La concurrence loyale et déloyale du travailleur, 2013.
I. Bouioukliev et P. Dhaeyer (dir.), La théorie des nullités en droit pénal, 2014.
Ch.-É. Clesse et St. Gilson (dir.), La responsabilité du travailleur, de l’employeur et de l’assuré social, 2014.
Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Communications s.p.r.l. (Limal) pour le © Anthemis s.a.
47055.pngLa version en ligne de cet ouvrage est disponible sur la bibliothèque digitale Jurisquare à l’adresse www.jurisquare.be.
Réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Fédération Wallonie-Bruxelles© 2015, Anthemis s.a.
Place Albert I, 9 B-1300 Limal
Tél. 32 (0)10 42 02 90 – [email protected] – www.anthemis.be
ISBN : 978-2-87455-885-6
Toutes reproductions ou adaptations totales ou partielles de ce livre, par quelque procédé que ce soit et notamment par photocopie, réservées pour tous pays.
Mise en page : Communications s.p.r.l.
Couverture : Vincent Steinert
Sommaire
Préface
Michel
Fadeur
Le secret professionnel de l’avocat
Pierre N
euville
Le secret de l’enquête pénale
Paul D
haeyer
et Julien M
oinil
Secret médical et justice
Jean-Pol B
eauthier
Presse et secrets
Jacques E
nglebert
Le secret professionnel en droit pénal sous l’angle des articles 458 et 458bis du Code pénal
Michaël D
onatangelo
Secret professionnel et familles en difficulté
Virginie L
uise
Préface
Dans toute relation sociale de confiance, la question doit être posée : « Qu’y a-t-il entre nous ? ». La réponse est évidente : « Un secret ».
Ce secret est l’essence même de cette confiance. Il doit donc être protégé et garanti. Il doit par nature tendre à être absolu. Il est d’ailleurs le fondement de nos libertés fondamentales.
Selon le Robert – dictionnaire historique de la langue française –, le secret est un nom masculin qui remonte au latin secretum, à savoir « un lieu écarté » et, par extension, « une pensée ou fait qui ne doit pas être révélé ». Il est la substantivation de l’adjectif secretus « séparé, à part », « solitaire, isolé, reculé », « caché » et « rare ».
Secret, substantif, a désigné dès l’origine un ensemble de connaissances réservées à quelques-uns. Il passe rapidement à l’idée d’un échange de connaissances réservées et donnant lieu à conseils, à avis, notamment dans le contexte du pouvoir politique. Cette connotation relie le mot à secrétaire.
Toutefois, le nom s’emploie aussi plus généralement pour couvrir des éléments de la vie privée qui ne doivent pas être connus de tous. Il a connu diverses fortunes mais, il s’applique encore et toujours au devoir absolu de réserve dans des circonstances professionnelles pour les avocats et pour les médecins.
« Secret professionnel » est attesté en 1875 et est institué dans l’intérêt de la profession concernée, mais aussi du client pour les avocats et du patient pour les médecins, ainsi que dans l’intérêt d’une bonne administration de la société.
Juridiquement, il revêt de la sorte un caractère d’ordre public.
À notre époque, d’innombrables citoyens ne quittent plus leur portable. Ils communiquent de la sorte de manière permanente « urbi et orbi ». Ils pensent qu’ils ont ainsi le monde entier sous les yeux et dans les oreilles. Ils étalent sans gêne, à l’insu de leur plein gré, toute leur vie même dans les détails les plus intimes… à destination de n’importe qui, voire de n’importe quoi !
N’est-il donc pas aujourd’hui incongru de parler du « secret professionnel » ?
Celui-ci est en effet perçu comme un obstacle à la transparence totale que veulent ceux qui prétendent nous diriger, une dissimulation de la réalité et de la vérité… un frein au droit à l’information en pleine expansion.
1984, le célèbre roman d’anticipation de George Orwell publié en 1949, voit son histoire se dérouler à Londres en 1984.
Constatons que Big Brother, figure métaphorique du régime policier et totalitaire, de la société de la surveillance ainsi que de la réduction des libertés, apparaît, à l’heure actuelle, comme un amateur. Son système de vidéo-surveillance et de télévision est depuis de trop nombreuses années très largement dépassé.
En effet, tout ce qui est décrit dans ce roman est arrivé : abrutissement de la population aujourd’hui par des séries et autres émissions de téléréalité, destruction larvée des outils conventionnels de culture et intrusion complète de tiers dans la vie privée, presque dans le cerveau de chacun.
Est-on si éloigné d’un des slogans du roman, « La guerre, c’est la paix – La liberté, c’est l’esclavage – L’ignorance, c’est la force » ?
Dans le monde entier, et même en Europe occidentale, les régimes nationaux et supranationaux n’ont de cesse de s’immiscer partout, pour tout savoir et tout contrôler, dans le seul objectif d’assurer leur pérennité, et cela sans la moindre considération pour l’être humain et son espace de vie.
Il est dès lors plus que nécessaire d’évoquer le secret, de lui rendre ses lettres de noblesse et d’assurer sa protection, tout particulièrement parce qu’il est professionnel.
La Charte des principes essentiels de l’avocat européen souligne que :
« Il est de l’essence de la profession d’avocat que celui-ci se voie confier par son client des informations confidentielles, qu’il ne dirait à personne d’autre – informations les plus intimes ou secrets commerciaux d’une très grande valeur – et que l’avocat doit recevoir ces informations et toutes autres sur base de la confiance. »
L’article 2.3.1. du Code de déontologie du CCBE, fruit de l’expérience et des réflexions d’avocats de cultures juridiques différentes, l’exprime de la même voix :
« Il est de la nature même de la mission de l’avocat qu’il soit dépositaire des secrets de son client et destinataire de communications confidentielles. Sans la garantie de confidentialité, il ne peut y avoir de confiance. Le secret professionnel est donc reconnu comme droit et devoir fondamental et primordial de l’avocat.
L’obligation de l’avocat relative au secret professionnel sert les intérêts de l’administration de la justice comme ceux du client. Elle doit par conséquent bénéficier d’une protection spéciale de l’État. »
À ce sujet, des attaques inqualifiables et inacceptables du secret professionnel se multiplient dans les projets de l’État.
Les Ordres communautaires et locaux de Belgique réagissent avec force et vigueur à toute atteinte de manière disproportionnée au secret professionnel et aux garanties accordées au justiciable par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La Cour constitutionnelle a rappelé que la règle du secret professionnel ne devait céder que si cela pouvait se justifier par un motif impérieux d’intérêt général et si la levée du secret était strictement proportionnée, eu égard à cet objectif.
Épinglons un arrêt du 26 septembre 2013 relatif à la nouvelle rédaction de l’article 458 du Code pénal par l’article 6 de la loi du 30 novembre 2011 modifiant la législation en ce qui concerne l’amélioration de l’approche des abus sexuels et des faits de pédophilie dans une relation d’autorité¹.
La Cour constitutionnelle y souligne que « si la protection de l’intégrité physique ou mentale des personnes mineures ou majeures vulnérables constituait un motif impérieux d’intérêt général, pareil motif ne pouvait raisonnablement justifier la mesure attaquée, compte tenu des particularités qui caractérisent la profession d’avocat, par rapport aux autres dépositaires du secret professionnel, lorsque l’information confidentielle a été communiquée à l’avocat par son client et est susceptible d’incriminer celui-ci ».
La Cour constitutionnelle ajoute :
« Le respect des règles déontologiques propres à la profession d’avocat et le recours à l’état de nécessité permettent de réaliser un juste équilibre entre les garanties fondamentales qui doivent être reconnues au justiciable, en matière pénale, et le motif impérieux d’intérêt général que constitue la protection de l’intégrité physique ou mentale des personnes mineures ou majeures vulnérables.
En effet, le recours à l’état de nécessité suppose, en l’espèce et à la différence de la disposition attaquée, que l’avocat démontre l’existence d’un péril imminent et grave qu’il est impossible d’éviter autrement que par la communication au Procureur du Roi, fût-ce en dernier recours, de l’infraction commise par son client. »
Cet arrêt rappelle que le secret professionnel – essence de la profession d’avocat – est indissociablement lié à l’indépendance de l’avocat, principale caractéristique de la profession.
Le Code de déontologie des avocats européens souligne que le conseil donné au client par l’avocat n’a aucune valeur s’il n’a été donné que par complaisance, par intérêt personnel ou sous l’effet d’une pression extérieure.
L’indépendance de l’avocat se conçoit tant à l’égard des autorités, des clients et des parties adverses, que de ses propres convictions, de sa situation patrimoniale et de ses engagements.
Ces projets gouvernementaux iconoclastes pour le secret professionnel oublient d’ailleurs que si le secret doit être qualifié d’absolu, il y a naturellement diverses exceptions de manière plus particulière en cas de conflit de valeurs.
Lorsque la valeur en question est plus importante que le respect du secret, celui-ci peut être levé. C’est le cas lorsque l’avocat reçoit la confidence de son client qu’il va de manière imminente porter atteinte à la vie ou à la santé d’autrui.
Chaque contribution de cet ouvrage vous rappellera ces principes et vous éclairera sur l’état des menaces qui guettent le secret professionnel dans l’ordre juridique étatique belge.
Je veux souligner que ces menaces viennent aussi et principalement de ceux qui font l’objet de la protection qu’ils dénoncent ou de ceux qui devraient assurer cette protection.
Beaucoup de justiciables sont en effet guidés par des médias populaires ou populistes (pléonasme ?) et veulent tout connaître, sur tout ce qui fâche, sur tout ce qui dénigre, sur tout ce qui avilit et, dès lors, sur tout ce qui est, en quelque sorte, sensationnel et à coup sûr croustillant.
Rappelez-vous ce juge d’instruction, coinçant la porte d’entrée du couloir pour permettre à ses amis journalistes de photographier un avocat mis en détention préventive. Assis dans le couloir, les menottes aux poignets, l’avocat apparaissait tête basse, abattu par une justice qui n’en portait que le nom.
La presse en avait fait ses manchettes lors de l’arrestation, des phases de règlement de la procédure et du procès correctionnel. La presse ne réserva à l’acquittement définitif qu’un entrefilet de quelques lignes, relégué entre un accident de la circulation et la nécrologie. La presse n’a jamais rien dit de la condamnation de l’État à des dommages et intérêts couvrant l’important préjudice subi par la victime du cirque médiatico-judiciaire.
Rappelez-vous il y a quelques mois cette émission télévisée qui se voulait procès d’assises pour un ancien homme politique. D’éminents spécialistes, notamment de l’art médical, se sont exprimés, sur la base du DVD d’instruction. Préalablement, de multiples efforts furent déployés par les autorités ordinales, pour, sinon empêcher cette diffusion, du moins la retarder… en vain.
Reste aujourd’hui une question sans réponse : comment le dossier d’instruction sur support informatique a-t-il été remis à des tiers ?
Existerait-il des dispositions particulières permettant à tout aboyeur médiatique d’entrer dans la procédure pénale ? Peut-être quelques articles du Code écrits à l’encre sympathique…
Dans un arrêt du 23 octobre 2014², la Cour européenne des droits de l’homme rappelle que l’article 6, § 2, de la CEDH protège le droit de toute personne à être « présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».
Considérée comme une garantie procédurale dans le cadre du procès pénal lui-même, la présomption d’innocence revêt aussi un autre aspect.
Son but général dans le cadre de ce second volet est d’empêcher, selon la Cour européenne des droits de l’homme, que :
« Des individus qui ont bénéficié d’un acquittement ou d’un abandon des poursuites soient traités par des agents ou autorités publiques comme s’ils étaient en fait coupables de l’infraction qui leur avait été imputée. Dans de telles situations, la présomption d’innocence a déjà permis – par l’application lors du procès des différentes exigences inhérentes à la garantie procédurale qu’elle offre – d’empêcher que ne soit prononcée une condamnation pénale injuste. Sans protection destinée à faire respecter dans toute procédure ultérieure un acquittement ou une décision d’abandon des poursuites, les garanties d’un procès équitable énoncées à l’article 6, § 2 risqueraient de devenir théoriques et illusoires. Ce qui est également en jeu une fois la procédure pénale achevée, c’est la réputation de l’intéressé et la manière dont celui-ci est perçu par le public. Dans une certaine mesure, la protection offerte par l’article 6, § 2, à cet égard peut recouvrir celle qu’apporte l’article 8. »
Certains au sein du monde judiciaire devraient, dans les rapports qu’ils ont avec les journalistes et autres informateurs publics, s’en souvenir de manière à la fois plus fondamentale mais aussi plus professionnelle.
C’est l’objectif secret que j’attribue à cet ouvrage.
Michel Fadeur
Bâtonnier de l’Ordre des avocats
du barreau de Charleroi
¹ C. const., 26 septembre 2013, no 127/2013.
² Cour eur. dr. h., Melo Tadeu c. Portugal, 23 octobre 2014, req. no 27785/10.
Le secret professionnel de l’avocat
Pierre Neuville
Avocat au barreau de Charleroi
Introduction
Dans notre contribution à cet ouvrage, nous voudrions proposer un tour d’horizon de ce qui a été dit et écrit par les plus éminents auteurs sur les sujets qui nous paraissent les plus importants et les plus sensibles dans ce domaine extrêmement vaste qu’est le secret professionnel de l’avocat.
Notre propos sera, par conséquent, émaillé de quelques citations et références et s’articulera de la manière suivante : la définition et la portée du secret professionnel (section 1) ; les décisions de jurisprudence les plus significatives (section 2) ; les limites contestées du secret professionnel de l’avocat (section 3) avec la loi sur le blanchiment (sous-section 1), les lois des 30 novembre 2012 et 23 février 2012 concernant la protection des personnes vulnérables (sous-section 2) et la question des écoutes téléphoniques (sous-section 3) ; le secret professionnel de l’avocat en lien avec l’assurance protection juridique (section 4) ; le strict respect du secret professionnel admettant cependant certaines exceptions (section 5).
Section 1
Définition et portée du secret professionnel de l’avocat
Saint Augustin proclamait déjà :
« Ce que j’ai appris dans le secret de la confession, je le sais moins que si je ne l’avais jamais appris. »
Le secret professionnel est, à la fois, l’un des éléments les plus simples et les plus complexes de la déontologie de la profession d’avocat.
A priori, il semble que, pour le respecter, l’avocat doive tout simplement se taire.
Cependant, il faut distinguer les éléments qu’il peut divulguer ou même qu’il doit divulguer dans l’intérêt de son client, des éléments qu’il doit garder secret¹.
Monsieur le Bâtonnier Antoine Braun enseigne que le secret professionnel est l’essence même de la profession d’avocat.
Il est d’ordre public et non contractuel, puisque sa violation constitue une infraction pénale.
La loi belge ne donne ni la définition du secret professionnel, ni un fondement à celui-ci. L’article 458 du Code pénal, qui est également applicable aux avocats, ne peut constituer le réel fondement légal du secret professionnel, même si le caractère pénal de cette disposition en assure une protection renforcée.
Le secret professionnel de l’avocat trouve aujourd’hui sa racine légale dans les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’article 6, qui prévoit le procès équitable, stipule que toute personne a droit à l’assistance d’un avocat. Ce droit ne peut être garanti que si l’avocat n’est pas obligé, par la loi ou l’autorité, d’abandonner les secrets que son client lui confie. L’article 8 garantit l’inviolabilité de la correspondance entre l’avocat et son client.
La Cour constitutionnelle a consacré, en de nombreux arrêts, que :
« Le secret professionnel de l’avocat est un principe général qui participe au respect des droits fondamentaux. »
La Convention européenne des droits de l’homme fait partie de notre droit, avec cette conséquence qu’un fondement légal en droit belge est superfétatoire.
Traditionnellement, le secret professionnel se définit comme « L’obligation, pour les personnes qui ont eu connaissance de faits confidentiels dans l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions, de ne pas les divulguer hors les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. »
L’avocat est à la fois le confident et le défenseur de son client, mais il représente aussi un rouage nécessaire à l’ordre social et au bon fonctionnement d’une justice équitable. Ce secret permet d’instaurer une confiance vis-à-vis de ce professionnel du droit, et cette confiance indispensable répond à un véritable enjeu social.
La complexité du secret professionnel est qu’il est en perpétuelle recherche d’équilibre entre les droits de l’individu et ceux de la société. En effet, comme le définit Émile Garçon, « Le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur, mais ni le médecin, ni l’avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leurs missions si les confidences qui leur sont faites n’étaient pas assurées d’un secret inviolable. »
L’avocat est débiteur et créancier du secret professionnel.
À l’échelle européenne, ce secret est aussi posé en tant que principe indispensable à toute société démocratique. Ainsi, en 1960, le Conseil des barreaux de l’Union européenne est fondé sous la forme d’une association internationale sans but lucratif et établi en Belgique. Il est le porte-parole de la profession d’avocat en Europe et l’organe représentatif d’environ un million d’avocats européens.
Une des étapes essentielles de son action fut l’adoption du Code de déontologie. À l’article 2.3.1. de ce code, le secret professionnel est proclamé « droit et devoir fondamental et primordial de l’avocat ».
Ainsi le secret professionnel trouve-t-il son origine dans la nécessité de protéger les confidences qui sont confiées à certaines personnes. Si ces personnes pouvaient être obligées de divulguer ces secrets, alors le citoyen ne se rendrait plus chez son avocat.
Le secret professionnel ne vaut pas uniquement dans l’intérêt du client, mais également dans l’intérêt de la société et vise notamment à assurer le bon fonctionnement du système judiciaire, afin de permettre que tout justiciable puisse faire appel librement à un avocat.
Les avocats doivent pouvoir présenter les garanties nécessaires de confiance dans l’intérêt général, de sorte que toute personne désirant faire appel à un avocat ait la certitude que les secrets qu’elle lui confie ne seront pas rendus publics.
De ce point de vue, le secret professionnel participe de l’ordre public. Les parties ne peuvent donc pas en disposer à leur guise.
Le secret ne protège donc pas uniquement l’intérêt du client, mais également celui de la société, avec cette conséquence que le client ne pourrait pas renoncer au secret professionnel et ne peut pas relever l’avocat de son secret. L’avocat reste toujours maître du secret, en fût-il délié par l’auteur de la confidence.
Sous la rubrique « secret professionnel », le Code de déontologie des avocats européens souligne que, sans la garantie de confidentialité, il ne peut y avoir de confiance, que le secret professionnel est ainsi reconnu comme droit et devoir fondamental et primordial de l’avocat, en ajoutant que l’obligation de l’avocat relative au secret professionnel sert les intérêts de l’administration de la Justice, comme ceux du client, et qu’elle doit, par conséquent, bénéficier d’une protection spéciale de l’État.
En son article 2.3.2°, ce même code développe une règle spécifique concernant la protection du secret, en énonçant l’obligation de base selon laquelle l’avocat doit respecter le secret de toute information confidentielle dont il a connaissance dans le cadre de son activité professionnelle, en ajoutant que cette obligation au secret n’est pas limitée dans le temps et que l’avocat fait respecter le secret professionnel par les membres de son personnel et par toute personne qui coopère avec lui dans son activité professionnelle.
Il en résulte ainsi que l’obligation au secret ne pèse pas seulement sur l’avocat, mais que celui-ci doit aussi faire respecter le secret par tous ceux qui travaillent dans son cabinet.
De même, le Code de déontologie d’Avocats.be souligne, en son article 1.2, que l’avocat est tenu au respect du secret professionnel, ainsi qu’à la discrétion et à la confidentialité relatives aux affaires dont il a la charge.
Sur le plan du principe, il importe de souligner que le secret recouvre tout ce qui a un caractère intime que le client a un intérêt moral et matériel à ne pas révéler².
Les faits couverts par le secret professionnel sont tous ceux, en général, que l’avocat apprend, dans l’exercice de la profession, soit de son client, soit de la partie adverse ou de son conseil, soit des tiers³.
Ainsi sont secrets les confidences du cabinet, les écrits du client à son conseil, les faits appris au cours d’une instruction pénale et jusqu’aux faits surpris par l’avocat à l’occasion de sa profession.
Chacun d’entre nous est conscient de ce que l’effectivité des droits de la défense de tout justiciable suppose nécessairement qu’une relation de confiance puisse être établie entre lui et l’avocat qui le conseille et le défend.
Ainsi que le souligne notre actuel Président d’Avocats.be, Monsieur le Bâtonnier Patrick Henri⁴, « Cette nécessaire relation de confiance ne peut être établie et maintenue que si le justiciable a la garantie que ce qu’il confiera à son avocat ne sera pas divulgué par celui-ci. Il en découle que la règle du secret professionnel imposée à l’avocat est un élément fondamental des droits de la défense
⁵, comme vient de l’affirmer notre Cour constitutionnelle dans son important arrêt du 26 septembre 2013 ».
Aussi bien la Cour de cassation que la Cour européenne des droits de l’homme ont consacré les mêmes principes, en des termes à peu près identiques⁶ :
« Le secret professionnel auquel sont tenus les membres du Barreau repose sur la nécessité d’assurer une entière sécurité à ceux qui se confient à eux. »
Et pourtant, affirme le Président Patrick Henri, « Harpocrate, le dieu du silence, a de plus de en plus de difficulté à résister aux assauts d’Astrée, la déesse de la transparence. »
Depuis des siècles en effet, la bataille entre Harpocrate, le dieu du secret, et Astrée, la déesse de la transparence, continue au gré des opinions publiques et politiques.
Toutefois, la mise à sa juste place du curseur des libertés, dont le secret est un des piliers, dépend ainsi de nous, comme l’affirme fort opportunément Maître Patrick Michaud, avocat au barreau de Paris.
Celui-ci s’interroge, dans un article d’avril 2012 publié dans le Cercle du Barreau, sur la question de savoir si le secret de l’avocat est attaché au principe d’une bonne administration de la Justice ou au respect de la vie privée.
En conclusion, le secret est l’élément central du principe de confiance légitime, parce qu’il n’y a pas de défense possible si celui à qui je me confie me trahit, livre mes secrets à mon adversaire ou à l’accusation.
Le secret est d’abord un contre-pouvoir et il garantit l’état de droit.
Il n’est pas institué pour le bénéfice de l’avocat, du médecin ou du confesseur, mais pour le bénéfice du public, c’est-à-dire pour un intérêt général, celui d’une société démocratique.
Nous verrons que ce secret doit aussi tenir compte d’autres impératifs et est de plus en plus souvent soumis à des droits concurrents, mais, quoi qu’il en soit, la sauvegarde des libertés individuelles de chaque citoyen impose que le cabinet de l’avocat dresse ce rempart, ce sanctuaire de liberté.
Il ne s’agit pas de corporatisme partisan, mais de la sauvegarde des libertés individuelles de chaque citoyen, ce qui impose, comme contrepartie, un impérieux devoir de strict respect de notre déontologie.
Ainsi que le souligne également Maître Patrick Michaud, « Notre secret professionnel ne doit jamais être un alibi ou encore moins un instrument de complicité des infractions pénales de nos clients et ce, dans tous les domaines de notre activité. »⁷
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Afin d’en assurer le respect, le secret professionnel de l’avocat doit bénéficier d’une protection efficace, et sa violation doit être sanctionnée adéquatement.
Le secret professionnel repose sur un ensemble de normes impératives, qu’il s’agisse de prescriptions légales pénalement sanctionnées ou de règles déontologiques, tant réglementaires qu’ordinales.
Il connaît également un renfort de sa protection par la Cour européenne des droits de l’homme.
Ce secret est absolu, d’ordre public, général et illimité dans le temps, ces caractéristiques étant essentielles pour permettre à l’avocat d’exercer son rôle : conseiller et construire une défense en puisant dans les confidences de son client.
Le secret professionnel, dans la relation avocat-client, ne peut céder que dans une situation : pour les exigences strictement nécessaires à la propre défense de l’avocat devant toute juridiction. Toutefois, même dans cette situation, l’avocat ne peut révéler que ce qui doit précisément servir à sa défense, sans pouvoir aller au-delà.
Pour l’avocat, le secret professionnel est à la fois une obligation, dont la violation est lourdement sanctionnée, aussi bien disciplinairement que pénalement (art. 458 du Code pénal), et un droit, celui de communiquer librement