Alarme blanche: En bord de Sèvre
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À propos de ce livre électronique
Quel rapport entre la destruction d’oeuvres d’art et la pose d’une bombe à la cérémonie des voeux de l’équipe municipale ? Fatalement, en janvier 2015, la police pense d’abord à une action terroriste. D’autant plus que des Ouzbecks traînent en ville. Dans une ambiance tendue où tout ce qui est étranger devient suspect, Macéo déambule de bar en café avec sa grâce habituelle, au grand dam d’un inspecteur Papier ayant pris du galon. Sur fond de trafic de cocaïne, du parc des expositions de Noron aux tours du Pontreau, du quartier de Souché à celui de Surimeau, Papier et Macéo tentent, chacun à sa manière, de traverser l’orage.
Le contrebassiste Macéo est de retour pour une troisième enquête policière singulière dans la ville de Niort, en apparence paisible mais où, pourtant, les choses sont plus compliquées qu'elles ne paraissent...
EXTRAIT
Finalement, Papier était peut-être un bon flic. Il se révéla que sa décision était la bonne : le sac abritait une modeste ration d'explosif accompagnée d'un méchant détonateur dont le déclenchement pendant le buffet n'aurait sans doute tué personne. Mais la panique suivant l'explosion aurait eu toutes les chances d'être bien plus dommageable ! Etonnamment, ce que retinrent les quotidiens dominicaux, ce ne furent pas les vies ou les blessures épargnées, mais la conclusion escamotée de la cérémonie : "Attentat déjoué aux voeux du maire, le buffet annulé". Qui pourrait dire après cela que les Niortais n'ont pas le sens des priorités !
CE QU'EN DIT LA CRITIQUE
"P. Guillemoteau s'inspire des faits divers du crû, y rajoute une petite note ouzbèke, et nous fait visiter la ville en suivant Macéo dans ses pérégrinations. Cette ville qui, après tout, n'est peut-être pas complètement sans attrait, comme le pensent Houellebecq et le capitaine Papier. Et bien sûr, la musique et l'humour sont omniprésents. Bref, une chouette sale histoire qui ne manque pas de sel, dans le décor gris de la neige fondue qui s'accumule sur l'esplanade des Halles.
Un temps idéal pour entrer dans un bar (avec ou sans Sinatra), ouvrir le canard local qui nous informe avec son habituelle pertinence de la sortie de "ARME blanche en bord de Sèvre", jurer un bon coup, et commander un petit noir à la noisette, n'est-ce pas ?" Bobby The Rasta Lama sur Babelio
"Sans démagogie, ni concession à l'air du temps, l'auteur nous entraîne dans un récit haletant plein de rebondissements dont la chute elle-même demeure en suspens.
Les personnages "secondaires" accompagnant Macéo dans ce troisième roman, gagnent en épaisseur et se voient offrir un nouvel éclairage - on pense plus précisément à Spider qui se révèle être plus complexe qu'il n'y paraissait jusqu'alors." Philos sur Babelio
A PROPOS DE L'AUTEUR
Ce n’est pas un hasard si l’action du premier roman de Philippe Guillemoteau se déroule dans le monde du spectacle. Depuis près de quarante ans, il chante sur les scènes hexagonales. Fauché par le punk en 1977, il dérive ensuite progressivement vers la chanson. De l’écriture de refrains à celle de livres, il n’y a qu’un pas franchi avec bonheur au tournant du siècle. Né en Charente-Maritime, il vit à Niort depuis la fin des années quatre-vingt et s’intéresse particulièrement à l’histoire et à la culture en Poitou-Charentes. Pour preuve, l’ouvrage Micro Faunes paru chez Patrimoines et Médias en 2008 dans lequel il radiographie la création musicale en Deux-Sèvres depuis le milieu du XXe siècle.
En savoir plus sur Philippe Guillemoteau
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Aperçu du livre
Alarme blanche - Philippe Guillemoteau
ALARME BLANCHE
EN BORD DE SÈVRE
Philippe Guillemoteau
ALARME BLANCHE
EN BORD DE SÈVRE
© 2019 – – 79260 La Crèche
Tous droits réservés pour tous pays
Du même auteur
— Secrets d’Égypte en bord de Sèvre, Édition La Geste, 2017
— Règlements de contes en bord de Sèvre, Édition La Geste, 2016
— Micro Faunes – 30 ans de création musicale en Deux-Sèvres, Édition Patrimoine et Médias, 2008
AVERTISSEMENT
Secrets d’Égypte, second volet des aventures du musicien niortais Macéo, se terminait dans la nuit de Noël 2014. Le présent volume débute juste après, en janvier 2015. Bien que les intrigues des deux épisodes soient complètement distinctes, plusieurs personnages de ce roman ont encore à l’esprit les événements qui se sont déroulés quelques semaines plus tôt comme, par exemple, l’agression subie par le contrebassiste en novembre 2014. Sans que cela soit nécessaire à la compréhension d’Alarme blanche, le lecteur curieux pourra se reporter au précédent livre de la série.
Presque tous les lieux évoqués dans ce roman existent mais plusieurs noms ont été modifiés. J’ai essayé, dans la mesure du possible, de respecter la chronique des faits divers de la période concernée. En revanche, malgré ce qu’en penseront certains Niortais, tous les personnages développés (à l’exception de ceux précisés en fin de volume) sont des créations de mon imagination. Je reprends donc à mon compte, sans hésitation, la formule traditionnelle : toute ressemblance avec des personnes etc… ne serait que pure coïncidence.
Philippe Guillemoteau
Quand on s’accroche au vent, c’est normal qu’on dérive
Michel Boutet – J’ai paumé les rames, 1978
Ce n’est pas parce qu’on regarde tous la même chose qu’on se raconte la même histoire
Yannick Jaulin – Comme vider la mer avec une cuiller, 2015
Chapitre 1
La lame pénétra au-dessus de l’arcade sourcilière gauche, à la limite du cuir chevelu, déchira l’œil, écorcha une narine puis lacéra la bouche d’une horrible balafre qui descendit depuis les profondes rides des commissures jusqu’au menton. Tout cela fut opéré sans bruit, sans un souffle autre que celui du Déchireur. Il leva le bras pour renouveler son geste mais le suspendit. Ça n’était pas utile, l’affaire était réglée : Keith Richard était défiguré, méconnaissable.
Chapitre 2
Samedi 10 janvier 2015,
fin de matinée
Macéo n’avait jamais vu tant de monde en ville. Au sein de la foule compacte, il eut du mal à se glisser jusqu’à la mairie. L’entrée principale, en haut du grand escalier, était flanquée, sur toute la hauteur du bâtiment, de larges banderoles verticales : vive la Liberté, vive la République, vive la France, soulignés d’un drapeau tricolore. Les élus, toutes tendances confondues, occupaient les marches, bravant le crachin qui salissait le ciel, la députée sur le même degré que le nouveau maire élu neuf mois plus tôt. Le temps d’une gestation. Installés au balcon du salon d’Honneur, les journalistes bénéficiaient de la vue plongeante sur la rue de l’Hôtel de ville. Le lendemain, sous la manchette « Niort : 6000 « Charlie » défendent les valeurs de la République », les photos seraient éloquentes : une marée humaine, aucune banderole syndicale ou partisane, quelques parapluies et, partout, brandie à bout de bras, une unique affirmation : « Je suis Charlie » !
Ceux qui n’avaient pas imprimé le message tendaient vers le ciel des crayons, des stylos, symboles de leur émotion et de leur attachement à la liberté d’expression… La France traumatisée. Le jour suivant, 11 janvier, des millions d’inconnus sous le choc, dans tout le pays, adresseraient un hommage silencieux aux victimes des attentats : Charlie Hebdo, Montrouge, l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes… Des noms qui reviendraient souvent dans l’actualité et resteraient un point de référence, le début d’un redoutable scénario. Après les fusillades, l’heure était au recueillement et à la solidarité. Autour de Macéo, quelques personnes pleuraient. Dans les yeux des autres, il pouvait lire la détermination, parfois la colère. Au fil des visages, il découvrait la diversité des sentiments que provoquaient ces massacres, si près de nous.
Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, Macéo jouait le périscope. Encombré de dix centimètres qu’il jugeait excessifs, il avait tendance à se voûter, à tenter de passer inaperçu, au point de détourner parfois les yeux. À l’occasion, il savait cacher sa gêne derrière l’humour ou, plus souvent, la dérision. Ce jour-là, dans la foule, sa taille était un atout. Pour l’heure, il cherchait à rejoindre son ami Spider. Il avait beau fouiller du regard les groupes silencieux, les silhouettes emmitouflées se ressemblaient toutes dans cette foule estompée par la bruine. Pas de Spider !
Une pancarte protégée par un film plastique attira son attention, sans texte, sans image précise, mais éclaboussée d’une couleur vivante, quelque part entre le vert et le bleu, une abstraction régénératrice, une respiration, un espoir tranchant la grisaille environnante. Macéo n’aurait pas su décrire ce qu’il voyait sur ce carton à peine plus grand que les tirages brandis par la foule, mais c’était à la fois une communion et une parole. Ça lui chantait quelque chose. Il en fut profondément troublé. L’affiche était tenue par une jeune femme, peut-être une adolescente. Seuls ses cheveux, coiffés en une lourde tresse débordant la capuche du vêtement de pluie qui masquait son visage, laissaient deviner sa féminité. Cette personne était-elle responsable de l’étrange émotion qu’il venait de ressentir ?
Ce dessin – il fallait bien désigner la chose par un mot ! – révélait une maturité inattendue chez quelqu’un qui lui paraissait très jeune d’allure. Intrigué, il s’approcha. Pour se donner une contenance, tout en regardant l’image, il sortit tabac et papier, roula une cigarette et l’alluma en protégeant la flamme du briquet du creux de la paume. Spontanément, il tendit le matériel à l’inconnue qui le refusa d’un mouvement de la tête. Toujours fixant l’éclaboussure, à voix basse pour ne pas troubler le recueillement alentour, il demanda :
— C’est vous qui avez peint cela ?
Nouveau hochement, de haut en bas, cette fois-ci.
L’attitude n’incitait pas à l’échange. Il se pencha et chuchota :
— Je voulais vous dire que cela représente exactement ce que je ressens.
Troisième inclinaison du chef, plus discrète, accompagnée d’un inaudible remerciement :
— ‘ci !
Le moment n’était pas favorable pour engager une conversation et, visiblement, son interlocutrice – si l’on peut dire – n’y tenait pas. Il se laissa glisser vers le parvis des Halles au moment où s’élevaient les premières notes d’une Marseillaise entonnée par la foule. Il n’avait jamais aimé cette chanson aux accents par trop guerriers.
Spider était de l’autre côté de la Sèvre, chez Jean-Claude, l’un des nombreux troquets de la rue Baugier. Pourtant proche du centre, c’était un secteur où le commerce avait du mal à s’installer dans la durée, comme si le fleuve marquait une frontière, pareillement à l’époque où ces lieux n’étaient qu’un faubourg. Au fil des fermetures de magasins, ne s’installaient là que des bars et des restaurants, ce qui en faisait l’une des rares rues vivantes de la ville passées 19 heures. L’établissement de Jean-Claude en était le plus ancien.
Un rade sans caractère particulier, tables en formica et banquettes en skaï. On voyait bien que le mobilier aurait dû être changé, mais le patron était un homme d’habitudes et de fidélité. Son épouse Jeannette en était la preuve vivante : depuis aussi longtemps que le bar existait, elle préparait omelettes et croque-monsieur dans le réduit mal aéré qui faisait office de cuisine, un endroit où les mots traçabilité, marche en avant et normes sanitaires pouvaient passer pour des offenses. Si le choix des deux amis s’était porté sur ce refuge démodé, c’était d’abord affaire de musique. Chez Jean-Claude, le programme était à l’image du propriétaire : à l’épreuve du temps ! Dans sa jeunesse, derrière une batterie, le taulier avait tapé les baluches avec le père de Macéo. Il en avait gardé le goût des rythmes qui secouent, des cuivres qui chauffent et des guitaristes qui font hurler la rapière. À son panthéon, il avait inscrit James Brown et Santana, les chevelus d’Aerosmith, beaucoup de bluesmen et, à l’occasion, quelques pincées de musiques plus calmes. Quand Macéo poussa la porte, il trouva Spider assis au comptoir, bière à la main. En sourdine, la sono jouait Leonard Cohen : Avalanche.
— Ça fait vingt minutes que j’essaie de faire comprendre à ce bougnat qu’il pourrait passer quelque chose d’un peu plus joyeux, râla Spider. Il paraît qu’aujourd’hui, ça ne serait pas convenable. J’suis tout seul ici, qui ça pourrait gêner ?
Chose inhabituelle à cette heure apéritive, les lieux étaient déserts. Ils se rempliraient à coup sûr à la dispersion de la manifestation.
— Alors, c’était bien, la grande réconciliation ? ironisa le buveur.
— Un monde fou ! Encore plus qu’en 95, contre Juppé et la réforme des retraites.
— 95 ! Quel âge tu avais, toi, en 1995 ?
Macéo calcula rapidement :
— J’étais encore au bahut… Dix-sept ans, j’avais dix-sept ans.
— Me fais pas croire que tu t’intéressais aux retraites à dix-sept ans !
— Grave erreur, Spider ! On s’intéresse à tout à cet âge-là, répondit Macéo, l’œil malin. Même aux filles qui vont dans les manifs ! Rien à voir avec l’ambiance de ce matin.
— Ça devait être glauque, ouais. Tout le monde les yeux fixés sur le drapeau…
— Penses-en ce que tu veux, c’était digne. C’est peut-être mieux que tu ne sois pas venu. Tu n’aurais pas pu t’empêcher de foutre la merde.
Malgré ses cinquante-cinq ans bien tassés, Spider avait conservé un côté adolescent rebelle. Il se méfiait comme d’un show télé de tout ce qui était lisse, consensuel, convenu. Son surnom lui venait d’un tatouage maori rapporté de Nouvelle-Zélande : une large et inquiétante araignée stylisée recouvrait la peau de son crâne chauve, les pattes s’agrippant à ses épaisses rouflaquettes. Le reste de sa physionomie n’était pas plus rassurant. Nez écrasé, balafre au menton, carrure de déménageur… Instinctivement, les gens s’écartaient lorsqu’il ôtait son casque après avoir stationné son antique Triumph Bonneville. Quant à savoir de quoi il vivait, l’homme n’était pas bavard sur le sujet, mais il n’occupait assurément pas un emploi de bureau. On l’imaginait plutôt à l’affût de menus trafics et de services opportuns. Des services, il en avait déjà rendus quelques-uns à son ami¹. Autant Spider était pragmatique et débrouillard, autant Macéo se révélait parfois déroutant de naïveté et désarmé devant les bifurcations du quotidien. Parfois inquiet de ce qu’était sa vie, le musicien s’interrogeait alors sur ce qui rythmait réellement la succession des semaines : les cours de contrebasse qu’il donnait aux élèves du conservatoire ou le passage des amoureuses entre ses draps. Macéo était séduisant. Un regard gris-clair qui attirait l’attention, tranchant sur sa peau mate, un visage doux aux lignes presque féminines, d’épais cheveux châtains qui bouclaient et, malgré sa taille – ou peut-être à cause de son air dégingandé – une impression générale de fragilité touchante qui agissait sur les femmes comme le pollen sur les abeilles. Pourtant, à bientôt trente-sept ans, aucune de ses aventures n’avait duré plus de quelques mois, déroutées qu’étaient ses compagnes par sa personnalité instable, ses manies de vieux garçon et son manque d’intérêt pour ce qui n’était pas musical. De fait, le contrebassiste vivait dans un monde d’hommes et sa maîtresse la plus fidèle restait sa bonne vieille grand-mère au ventre d’épicéa dont il prenait un soin maniaque.
Spider reprit :
— Tu vois, quand des milliers de personnes regardent en même temps un drapeau, quelle que soit ses couleurs, moi, ça me ferait presque peur !
— « Sitôt qu’on est plus de quatre, on est une bande de cons »… C’est du Brassens dans le texte, renchérit Jean-Claude en tirant une pression pour le musicien.
Répartie immédiate du tatoué :
— Alors, chez toi, ça doit bander ferme, sur les coups de 18 heures !
Macéo but une gorgée et tempéra :
— C’est bon, les gars, vous n’allez pas commencer. Aujourd’hui, c’est fraternité et chômage technique : mon concert de ce samedi est annulé.
Les deux autres réagirent :
— Annulé ! Par qui ?
— Pour quelle raison ?
— La sécurité, le respect, la peur… Est-ce que je sais moi ? Sophie, cette jeune chanteuse que j’accompagne, devait se produire ce soir au Soundcheck. Mais la préfecture est intervenue. Renforcement des contrôles, examen des sacs, tout ça… Le patron n’avait pas prévu le coup. Ni les sous.
Spider commenta :
— C’est le bon moment pour acheter des actions dans les sociétés de sécurité. Si la parano s’installe jusqu’à Niort ! On n’a plus qu’à se renfermer tout le week-end chez Jean-Claude pour écouter des disques. J’apporterai mes Guns and Roses et toi tes vieux Pink Floyd. On pourra s’écharper toute la nuit ! Il va en crever, l’aubergiste.
1. lire Règlements de contes en bord de Sèvre et Secrets d’Égypte en bord de Sèvre, dans la même collection
Chapitre 3
Mercredi 14 janvier,
fin d’après-midi.
— Tu l’as eu, toi ?
Macéo referma la porte de la boutique. Une quinzaine de bacs de trente-trois tours, quelques platines, un comptoir, deux fauteuils. Aux murs, des tirages grands formats de clichés artistiques, des affiches de spectacles, un présentoir pour les annonces de concerts… Un espace boisé et accueillant. Après des années d’itinérance de marchés en bourses aux disques, Vincent avait ouvert, rue Brisson, ce magasin abrité dans l’une des cellules fraîchement rénovées sous la dalle des Halles. Proposant uniquement des vinyles, neufs ou d’occasion, il avait eu de la persévérance – certains auraient dénoncé de l’inconscience – creusant son sillon, évidemment, même après que les usines de pressage eurent été mises en sommeil et que l’objet eut disparu des rayons de supermarchés. La rédemption du son analogique et le retour en grâce de la pochette carton étaient arrivés au bon moment. Les frémissements du marché l’avaient encouragé à se poser et ménager ses lombaires, lasses de soulever des casiers trop chargés. C’est lourd, le vinyle ! Plus qu’un client, Macéo était un complice dans cette forme d’intégrisme qui consiste à comparer les différents pressages du Fun House des Stooges, la version US étant forcément plus dense que l’européenne. Quoique la réédition japonaise… Bref, l’antre de Vincent était devenu la spélonque du musicien qui posa à nouveau sa question :
— Tu l’as eu ?
Le disquaire, déjà en conversation avec un client, se tourna vers le contrebassiste :
— Salut, Macéo. Attends, je termine avec Jean-Luc. De quel disque parles-tu ?
— Non, je parle de Charlie. Le nouveau, tu l’as eu ?
— Mais personne ne l’a eu, Macéo. Bernique ! Pour ça, il aurait fallu se lever bien plus tôt que nous. Tu as vu l’heure ? Il fait déjà nuit, je vais bientôt fermer !
— C’est fou, ils étaient tous en rupture dès l’ouverture. Même au conservatoire, personne ne l’a trouvé.
Le mercredi était la journée la plus chargée du professeur de contrebasse. Depuis le matin, les gamins se succédaient en cours à un rythme soutenu. Pas le temps de descendre en ville, juste celui de quelques cigarettes grillées sur le parking du Centre Du Guesclin, une ancienne caserne de cavalerie regroupant écoles de danse, de musique, d’arts plastiques et plusieurs organismes ayant pour point commun la formation et l’éducation.
Vincent reprit :
— Il y a des choses plus graves que de ne pas trouver Charlie. Tu connais Jean-Luc ?
Pour la première fois depuis qu’il était entré dans la boutique, Macéo s’intéressa à l’homme appuyé contre un bac de vinyles. La cinquantaine, pull noir, jean râpé et blouson de cuir marron usé, barbe de quelques jours, grisonnante, les traits marqués mais un visage ouvert qui lui disait quelque chose : déjà croisé dans les concerts. Il tendit la main.
— Salut. Qu’est-ce qu’on écoute, là ?
— Rolling Stones, toujours. Enfin, souvent. C’est une vidéo pirate du concert de juin dernier à Paris, filmé par un copain avec son téléphone. Le son est pourri, hein ?
— T’es pas obligé !
— Ben, si. Quand même, c’est les Stones !
— T’es resté bloqué ?
La question de Macéo n’avait rien d’ironique. Elle relevait plutôt de la compassion. Vincent intervint :
— Jean-Luc est un fan des Stones. Il les a vus plusieurs fois. Il les a même peints.
Le musicien haussa les sourcils :
— En vrai ?
— Comment ça, en vrai ? J’ai vraiment peint des portraits des Rolling Stones, oui. Mais ils