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Fumée
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Livre électronique237 pages3 heures

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À propos de ce livre électronique

Grigori Litvinof attend que sa fiancée Tatiana vienne le rejoindre à Baden-Baden et côtoie ses nombreux compatriotes russes en villégiature. Parmi eux, il croise Irène, qu'il a passionnément aimée quelques années auparavant mais qui l'avait quitté pour faire un meilleur mariage.
Roman de l'amour inoubliable et de ses illusions, galerie de portrait des Russes à l'étranger, Fumée est un des grands derniers romans de Tourgueniev.

Traduction intégrale et préface de Génia Pavloutzky, 1937.

EXTRAIT

Il y avait foule ce 10 août 1862 à quatre heures de l’après-midi devant la célèbre « Potinière » de Baden-Baden. Il faisait un temps splendide ; tout aux alentours, les arbres verts, les claires maisons de la coquette station, les montagnes ondoyantes, tout s’étalait avec un air de fête sous les rayons d’un soleil clément ; tout souriait aveuglément, avec une confiance charmante, et c’était ce même sourire indéfini qui flânait sur les figures jeunes et vieilles, belles et laides. Même les visages peints des cocottes parisiennes ne rompaient pas l’atmosphère générale de jubilation, et les rubans multicolores, les plumes, les reflets d’or et d’acier sur les chapeaux et les violettes rappelaient involontairement au regard l’animation brillante et les jeux frivoles des fleurs printanières et des ailes irisées : seule la sèche et gutturale crécelle du jargon français qui traînait partout, n’arrivait ni à remplacer ni à égaler le babil des oiseaux.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Ivan Sergueïevitch Tourgueniev est un écrivain, romancier, nouvelliste et dramaturge russe né le 28 octobre 1818 à Orel et mort le 22 août 1883 à Bougival. Son nom était autrefois orthographié à tort Tourguénieff ou Tourguéneff.
LangueFrançais
Date de sortie23 mai 2018
ISBN9782371240926
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    Aperçu du livre

    Fumée - Ivan Tourgueniev

    (1925)

    INTRODUCTION

    IVAN TOURGUENIEF est né en 1818 et mort en 1883. Il appartient à cette admirable pléiade d’écrivains qui s’épanouissent en Russie au cours du XIXe siècle, malgré l’oppression politique, sociale et intellectuelle. La fameuse intelliguentzia portera au tsarisme les coups les plus efficaces et les plus profonds ; parmi ces précurseurs Tourguenief tient une place de premier plan.

    Un peu plus jeune que Pouchkine, il est de la génération de Dostoïevsky et de Tolstoï, le prédécesseur de Maxime Gorki. Il était issu d’une famille de gros propriétaires provinciaux, peu faite pour le comprendre et avec laquelle il ne s’entendit jamais. Attiré vers l’étranger, il profita de la liberté relative dont il jouissait pour aller, à l’âge de 28 ans, passer trois ans à l’université de Berlin. En 1852 il publie les célèbres Récits d’un chasseur, violent réquisitoire contre le servage qui sévissait alors dans toute la Russie. On sait que la condition des moujiks russes était cent fois pire que celle des paysans français avant 1789. Attachés au sol qu’ils n’avaient pas le droit de quitter, astreints à la corvée, aux redevances, soumis au bon plaisir de leur maître, ils menaient une vie misérable et famélique, à peine reconnus comme des hommes.

    On pouvait trouver dans les journaux des annonces du genre de celle-ci : « À vendre, un perruquier et une vache de bonne race ». Le retentissement des Récits d’un chasseur fut énorme ; le Tsar Alexandre II devait reconnaître par la suite que le livre de Tourguenief « avait été pour beaucoup dans la résolution qu’il avait prise d’abolir le servage ». Mais sur le moment le résultat le plus immédiat fut d’envoyer l’auteur en prison. C’était un avertissement. Désormais Tourguenief préférant l’exil à l’atmosphère étouffante de son pays, s’installe à l’étranger, ne faisant plus que de brefs séjours en Russie. Il vit d’abord en Allemagne et se fait construire une villa à Baden-Baden, la ville d’eau dont il a décrit la vie mondaine et artificielle dans Fumée ; puis en France après 1870 où il devait jouir jusqu’à sa mort d’une grande notoriété dans les milieux littéraires.

    L’intelliguentzia russe était alors partagée en deux tendances ; les Slavophiles et les Occidentaux. Les premiers pensaient que tout ce qui venait de l’Europe risquait de corrompre et les institutions et les mœurs originales de la Russie ; ils déclaraient que la Russie pouvait suivre un développement propre sans rien emprunter à l’étranger. Les autres au contraire estimaient que la Russie n’avait d’autres moyens de rattraper son retard que de se mettre, sans arrière-pensée, à l’école des civilisations occidentales ; qu’il fallait leur emprunter leurs techniques, leurs mœurs, leurs institutions politiques. Par instinct libéral, autant que par suite de son exil, Tourguenief se range délibérément du côté des occidentaux ; il n’a que sarcasmes, dans Fumée en particulier, pour cette ignorance naïve qui prétend exalter le génie inventif d’un peuple qui en plein XIXe siècle conserve encore le servage, la famine et l’autocratie absolue et dont la civilisation présente un retard de deux siècles. À cet égard Potoughine est dans Fumée son porte-parole le plus fidèle.

    Cette absence de génie inventif, Tourguenief se la serait volontiers attribuée à lui-même — sans doute avec quelque injustice. Mais il a toujours considéré le rôle de l’écrivain comme analogue à celui du peintre ; il a décrit scrupuleusement tous les milieux qu’il a traversés excluant l’imagination de son œuvre pour ne conserver que l’observation minutieuse. Fumée ne fait pas exception à la règle, c’est une peinture minutieuse et il faut bien le dire, peu flatteuse des Russes à l’étranger : aristocrates et militaires ignorants, grossiers et jouisseurs ; intellectuels naïfs, bavards, coupeurs de cheveux en quatre et incapables de toute action positive. Pourtant derrière ce tableau assez sombre, il est facile de sentir vibrer un amour sincère de l’humanité ; l’ironie volontairement froide de Tourguenief n’arrive pas à masquer sa sentimentalité profonde. Il peint ses compatriotes tels qu’il les voit, et vraisemblablement tels qu’ils étaient à cette époque ; mais avec quel intense regret il les voudrait autres, plus virils, plus doux, plus humains. Et le pessimisme de Fumée ne saurait nous faire oublier que Tourguenief est capable de sympathie, voire d’enthousiasme, lorsqu’il décrit par exemple dans Terres vierges le mouvement vers le peuple des fils de familles aristocratiques, à l’appel de Bakounine.

    Toutefois — et par là il est bien spécifiquement russe — le fatalisme demeure le fond de son caractère. En cela il se distingue de ses contemporains Tolstoï et Dostoïevsky ; il n’a ni la foi du premier, ni l’âpreté du second. La révolution qu’il appelle il ne la croit pas possible ; les hommes sont trop médiocres. L’énergie qu’il sent nécessaire, il ne l’éprouve ni en lui ni autour de lui. Le trait essentiel de l’humanité selon lui, c’est l’indécision ; le geste familier de ses héros, c’est de se plonger la tête dans les mains, leur état constant le découragement ; et s’ils parlent tant c’est pour ne pas se regarder en face, pour s’étourdir devant les tâches qui les attendraient et dont ils se sentent incapables.

    Ce sentiment de désespérance domine l’œuvre que nous publions aujourd’hui. Fumée, le titre est significatif, fumée c’est tout ce qui restera de ces vaines agitations, fumée les interminables palabres de l’intelleguentzia, fumée les espoirs de la jeunesse, fumée l’amour lui-même, ses désenchantements, ses caprices. Rien ne reste de rien ; rien ne vaut la peine de l’effort ; tout s’en va en fumée sur le plan individuel comme sur le plan social.

    Que dire maintenant de l’intrigue qui sert de trame au roman ? À vrai dire elle n’en forme pas le sujet réel. C’est une simple et banale histoire d’amour ; tout l’intérêt est dans l’atmosphère où elle se déroule.

    Irène, Litvinof, Tatiana sont-ils autre chose que des pantins animés et joués par des forces qui les dépassent ? Irène est-elle responsable de ses caprices, de sa coquetterie ? Litvinof de sa veulerie et de sa faiblesse ? La passion qui les rapproche et les fait se heurter n’est elle-même que le reflet de l’inquiétude sociale ; les vicissitudes de leur amour traduisent l’instabilité du monde où ils vivent et les obstacles contre lesquels ils viennent buter sont ceux que leur oppose une société mal faite et artificielle.

    L’amour n’est donc pas le vrai thème du roman de Tourguenief ; même lorsqu’elle semble plonger aux profondeurs de la psychologie individuelle, la littérature russe ne peut jamais s’affranchir des préoccupations sociales. Derrière l’histoire de Litvinof et d’Irène Ratmirof il y a le » drame d’une société croulante et perdue ; et derrière le tableau des mœurs russes il y a l’homme, dans ce qu’il a d’éternel et d’immuable, de grand et de pitoyable ; et si ce livre de Tourguenief est une grande œuvre c’est précisément parce qu’il a su donner une forme personnelle et originale à ce problème unique et constant qu’est l’homme pour lui-même. — G. P.

    FUMÉE

    I

    IL y avait foule ce 10 août 1862 à quatre heures de l’après-midi devant la célèbre « Potinière » de Baden-Baden. Il faisait un temps splendide ; tout aux alentours, les arbres verts, les claires maisons de la coquette station, les montagnes ondoyantes, tout s’étalait avec un air de fête sous les rayons d’un soleil clément ; tout souriait aveuglément, avec une confiance charmante, et c’était ce même sourire indéfini qui flânait sur les figures jeunes et vieilles, belles et laides. Même les visages peints des cocottes parisiennes ne rompaient pas l’atmosphère générale de jubilation, et les rubans multicolores, les plumes, les reflets d’or et d’acier sur les chapeaux et les violettes rappelaient involontairement au regard l’animation brillante et les jeux frivoles des fleurs printanières et des ailes irisées : seule la sèche et gutturale crécelle du jargon français qui traînait partout, n’arrivait ni à remplacer ni à égaler le babil des oiseaux.

    Tout suivait son cours habituel. L’orchestre du Pavillon faisait entendre tantôt le potpourri de La Traviata, tantôt une valse de Strauss ou bien Dites-lui, romance russe, exécutée par un chef d’orchestre obligeant. Dans les salles de jeux se pressaient, autour du tapis vert, les mêmes figures avec la même expression bornée et avide, irritée, consternée et rapace qu’imprime aux traits les plus aristocratiques la fièvre du jeu. Le même gros propriétaire du Tambof, obèse et vêtu avec recherche, les yeux exorbités, la poitrine étalée sur la table, négligeant les sourires railleurs des croupiers, éparpillait d’une main moite aux quatre coins du tapis, avec la même inconcevable et fébrile rapidité au moment précis du traditionnel « rien ne va plus », les disques jaunes des louis d’or, se coupant par là même son droit au gain, quelle que fût sa chance. Ce qui ne l’empêchait nullement le soir même d’appuyer avec une sympathique indignation les propos du prince Coco, lequel à Paris dans le salon de la princesse Mathilde avait si bien dit en présence de l’empereur lui-même : « Madame, le principe de la propriété est profondément ébranlé en Russie ». C’est à l’Arbre russe que se réunissaient d’habitude tous nos aimables compatriotes ; ils s’approchaient avec de grands airs, nonchalants, et se saluaient avec aisance, grâce et majesté, comme il sied à des représentants de l’élite intellectuelle ; mais une fois assis ils n’avaient plus rien à se dire et se trouvaient réduits à rabâcher de vains ragots ou bien à répéter les saillies usées d’un ex-littérateur parisien, petit homme planté sur des jambes malingres, avec une misérable barbiche sur une vilaine tête de bouffon bavard. Il en imposait à tous ces princes russes en leur racontant les plates fadaises des vieux almanachs du Charivari ou du Tintamarre, et les princes russes s’esclaffaient d’un rire reconnaissant comme pour avouer involontairement et l’écrasante supériorité de ce « bel-esprit » étranger et leur propre et définitive incapacité à trouver quelque chose de spirituel. Et pourtant il y avait ici presque toute la fine fleur de notre société, les types les plus représentatifs du beau monde. Il y avait le comte X... notre incomparable dilettante, musicien profond, divin « diseur » de romances, qui en réalité savait à peine distinguer une note de l’autre et qui chantait comme un mauvais bohémien ou comme un coiffeur parisien. Il y avait aussi le délicieux baron Z..., ce maître universel, homme de lettres et d’affaires, orateur et tricheur. Il y avait aussi le prince Y..., ami du peuple et de la religion qui jadis, à l’époque bienheureuse de l’affermage, avait réalisé une fortune immense en vendant de l’eau-de-vie mélangée de stupéfiants. Et le brillant général O..., qui ayant vaincu je ne sais plus quoi et soumis je ne sais plus qui, ne savait plus que faire de lui-même, ni par quoi se manifester ; et R..., gros et jovial qui se croyait très malade et très intelligent et qui était en réalité fort comme un bœuf et bête comme un âne.... Il était à peu près seul à garder encore la tradition de l’époque du Héros de notre temps1 et de la comtesse de Vorotinsky. Il lui en restait le « culte de la pose », une démarche balancée, une lenteur affectée de mouvements et une expression de somnolente majesté sur des traits immobiles et comme offensés. Il coupait la parole à ses interlocuteurs en baillant, examinait soigneusement ses mains et ses ongles, riait du nez, et ramenait constamment d’un mouvement brusque, son chapeau de la nuque aux sourcils.... Il y avait même des hommes d’État, des diplomates, de grands noms européens, sagaces conseillers d’État prenant la Bulle d’or pour une proclamation du Pape et la taxe des pauvres pour un impôt sur les pauvres ; il y avait enfin de fervents mais timides admirateurs des « dames aux camélias », jeunes lions mondains dont une raie superbe départageait les cheveux jusqu’à la nuque, avec de magnifiques favoris pendants et des costumes venus de Londres, jeunes lions qui pouvaient rivaliser avantageusement en platitude avec le fameux bavard parisien. Mais non ! nul n’est prophète en son pays, et la comtesse Ch..., célèbre arbitre des élégances et du bon ton surnommée par les mauvaise langues « La reine des guêpes » ou la « Méduse en bonnet », préférait à défaut du bavard parisien se tourner vers les Italiens, les Moldaves, les spirites américains, les brillants secrétaires d’ambassades étrangères, les Allemands à figure poupine et prudente. Suivant son exemple, la princesse Babette, celle-là même dans les bras de laquelle Chopin a rendu le dernier soupir, (on compte en Europe un millier de dames à revendiquer cette gloire) ; la princesse Annette qui en imposerait à tous si de temps à autre, de manière subite, ainsi que l’odeur du chou au milieu de celle de l’ambre, ne se révélait en elle une blanchisseuse villageoise ; l’infortunée princesse Pachette dont le mari haut fonctionnaire calotta, Dieu sait pourquoi, le maire de la ville et vola 20.000 roubles au Trésor ; enfin la folle petite comtesse Zizi et la larmoyante princesse Zozo, — toutes elles abandonnaient leurs compatriotes. Abandonnons donc, nous aussi, ces dames charmantes et éloignons-nous de l’arbre célèbre autour duquel elles sont toutes assises dans leurs robes coûteuses et de mauvais goût et que Dieu allège l’ennui qui les grignote.


    1. Roman de Lermontof.

    II

    À quelques pas de l’« Arbre russe », attablé au café Weber, était assis un bel homme d’une trentaine d’années, de taille moyenne, plutôt maigre, le teint halé ; il avait un visage viril et agréable. Penché en avant, il s’appuyait sur sa canne avec la simplicité d’un homme qui ne pense même pas à se faire remarquer. Ses grands yeux bruns expressifs, à reflets jaunes, regardaient lentement autour d’eux, tantôt clignant au soleil, tantôt suivant attentivement un passant excentrique, et un sourire ironique effleurait alors ses fines moustaches.

    Il était habillé d’un ample manteau de coupe allemande, et un feutre gris recouvrait à moitié son large front, On aurait dit, au premier abord, un homme comme il y en a tant de par le monde, un homme sérieux, honnête et sûr de lui-même. Il semblait se reposer après de longs travaux, et le tableau qui s’offrait à lui l’amusait d’autant plus que ses pensées étaient loin et qu’elles appartenaient à immonde bien différent de celui qui l’entourait pour l’heure. C’était un Russe, il s’appelait Grigori Michaïlovitch Litvinof.

    Nous devons faire connaissance, et c’est pourquoi il nous faut conter en quelques mots son passé simple et sans aventure.

    Fils d’un fonctionnaire en retraite, d’origine bourgeoise, il fut élevé non à la ville, comme on aurait pu s’y attendre, mais à la campagne. Sa mère, de petite noblesse, malgré un caractère assez ferme, était une nature bonne et enthousiaste. Plus jeune de vingt ans que son mari, elle le rééduqua autant qu’elle le put. Elle le fit passer des ornières du fonctionnaire dans celles du propriétaire terrien, elle modéra et adoucit son caractère bourru et rude. Elle lui apprit à s’habiller proprement et à bien se tenir. Il cessa même de jurer et se mit à admirer les savants et la science, quoique évidemment n’ayant jamais lu, et devint très soucieux de sa dignité ; sa démarche même s’apaisa, et il parlait d’une voix dolente de sujets de plus en plus élevés, ce qui, d’ailleurs, lui coûtait pas mal de peine. S’il lui arrivait de penser : « Quelle bonne fessée mériterait celui-là », sa voix disait seulement : « Oui, oui... bien sûr... C’est une question qui se pose... » La mère Litvinof avait mis sa maison sur un pied européen, on disait « vous » aux domestiques et personne, à table, n’avait le droit de manger gloutonnement. Quant à ses terres, ni elle ni son mari n’avaient su en tirer quelque chose. C’étaient des espaces abandonnés depuis longtemps, avec toute sorte de dépendances, de forêts, de lacs. Il y avait aussi une grande usine construite par un seigneur plein de zèle, mais peu expérimenté ; elle prospéra un moment entre les mains d’un habile filou, mais fut ruinée définitivement par un honnête gérant allemand. Madame Litvinof avait au moins la satisfaction de ne pas s’être ruinée et de ne pas avoir contracté de dettes.

    Malheureusement, sa santé n’était pas bonne, et elle mourut tuberculeuse l’année même où son fils fut inscrit à la faculté de Moscou. Des circonstances que le lecteur apprendra par la suite l’empêchèrent de terminer ses études, et il se retrouva en province, où il traîna quelque temps, sans occupation, sans amis, presque sans relations. La petite noblesse du canton lui portait peu de sympathie, moins à cause des idées occidentales sur le caractère pernicieux de l’« absentisme » que par application d’un vieux proverbe selon lequel « rien n’est plus près de son corps que sa propre chemise ». Ainsi entra-t-il, en 1855, dans l’armée. Une fois, en Crimée, il faillit mourir du typhus sans avoir, pendant les six mois qu’il resta dans une cabane au bord de la Mer Putride2, aperçu un seul « allié ».

    Rentré au village, il se passionna pour l’agriculture.

    Il comprenait que la propriété de sa mère, mal dirigée par un père vieillissant, ne rendait pas la dixième partie de ce qu’elle aurait pu donner, et que, placée dans des mains expertes, elle pouvait devenir en une affaire d’or. Mais il comprenait aussi qu’il manquait de connaissances techniques et il partit pour l’étranger afin de s’initier à l’agronomie et à la technologie, résolu à apprendre son métier en commençant par l’A. B. C. Il passa plus de quatre ans à Mecklembourg, en Silésie,

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