Camille Claudel: Naissance d’une vocation
Par Jeanne Fayard
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À propos de ce livre électronique
Tout semble dit ou écrit sur Camille Claudel, sauf sur ses jeunes années où éclot sa vocation à la sculpture qui deviendra une passion dévorante. Très tôt, « l’artiste de la famille » comme son frère Paul l’appelle, observe, dessine ses proches, ramasse de l’argile et du plâtre dans les carrières pour modeler de petites statues. A Nogent-sur-Seine où elle est adolescente, elle reçoit les premiers conseils d’un nogentais, le sculpteur Alfred Boucher. En 1881, elle a 17 ans. Elle arrive à Paris, suit enfin un enseignement, bien que les filles n’aient pas encore le droit d’entrer à l’Académie des Beaux Arts, fait une première exposition. Elle entre deux ans plus tard dans l’atelier de Rodin sans se douter du destin qui l’attend.
Récit de la genèse d’une oeuvre et de la naissance d’une vocation chez une adolescente qui se révélera être une artiste de génie, l’ouvrage, dans un style alerte et intimiste, explore le processus de création.
EXTRAIT
Alfred Boucher est à l’heure le jour suivant. Eugénie l’attend derrière la porte, à l’instigation de Camille. Dès qu’il tire la sonnette, Eugénie se précipite pour ouvrir. Elle le fait entrer dans la salle à manger où l’attend la famille Claudel. Louis-Prosper se lève de son fauteuil, en prenant soin de placer sa pipe sur l’accoudoir, Madame Claudel pose son ouvrage à broder, et les trois enfants assis et occupés à lire autour de la grande table, se lèvent d’un bond pour venir saluer le sculpteur. Louis-Prosper Claudel l’entraîne de suite vers le salon, où trônent trois petites formes modelées faites par Camille. Alfred Boucher est attiré par un autre modelage situé près de la fenêtre, qu’il regarde longuement, demandant à la jeune fille ce qu’elle a voulu représenter. « David et Goliath » répond-elle spontanément. Le sculpteur écarquille les yeux et s’attarde à observer le corps nerveux du jeune David, face au géant qui le terrasse de sa carrure puissante, tandis que le frêle jeune homme renverse l’homme fort de la légende. Camille est impressionnée par le silence de Monsieur Boucher, ne sachant pas si elle doit l’interpréter comme un assentiment ou une critique masquée.
« Vous connaissez le « David luttant contre Goliath « de notre voisin, le sculpteur Marius Ramus, qui fut mon premier maître ? »
Comme Camille fait un signe de tête négatif, Alfred Boucher lève les sourcils d’un air perplexe.
Après le thé, Alfred Boucher ne s’attarde pas, et prend congé de Monsieur et Madame Claudel, tout en les félicitant de la promesse que représentent les travaux de leur fille. Il se tourne vers Camille.
« Si vous vous voulez passer à mon atelier, je vous montrerai comment fabriquer une armature pour faire un moule en plâtre à partir de votre modelage en terre. »
Camille sourit largement à Monsieur Boucher. Elle est heureuse ! Il n’a fait aucun compliment, mais son invitation est un encouragement à continuer. Il a soulevé tellement d’espoir en elle que, dès le lendemain, elle est prête à se rendre à l’adresse indiquée.
« Mais, enfin, Camille ! Une jeune fille bien élevée ne sort pas seule, à treize ans ! »
Camille a envie de se rebiffer contre cette mère, qui est toujours là pour éteindre son enthousiasme.
« Le jour où je serai grande, je ferai ce que je veux !
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jeanne Fayard, spécialiste de Camille Claudel, d’Auguste Rodin et de Tennessee Williams, co-écrit, en 1981, une pièce de théâtre Une femme, Camille Claudel qui marque la renaissance de cette femme-sculpteur oubliée. Elle édite et préface le livre de référence Dossier Camille Claudel de Jacques Cassar (dernière édition, Klincksieck- Archimbaud, 2011). Elle a été la conseillère littéraire de Marie-Claude Pietragalla qui a créé, en 2000, une chorégraphie Sakountala, à partir de la vie et l’œuvre de Camille Claudel.
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Avis sur Camille Claudel
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Aperçu du livre
Camille Claudel - Jeanne Fayard
1927)
1 – L’été dans la maison de Villeneuve
« Camille ! Paul !… Ah ! Louise !… Te voilà ! Va chercher ton frère et ta sœur. Qu’ils viennent se mettre à table ! »
Louise bougonne. C’est toujours elle qui est de corvée. Chaque jour, elle répond à sa mère :
« Où sont-ils ?
– Tu le sais bien. Paul est sur le toit de l’appentis à regarder l’horizon ou à rêvasser dans le jardin, et Camille est encore dans le grenier à triturer sa terre toute sale. Dis-leur de se laver les mains !
Louise marmonne :
– Toujours moi ! C’est pas juste !
Sa mère interrompt ses récriminations :
– Mais toi, tu sais naturellement ce qu’il faut faire ! »
Louise est rassérénée par ce compliment. Elle ouvre la porte de la salle à manger donnant sur le jardin fleuri et crie « Paul ! À table ! », puis monte à l’étage où se situent les chambres des enfants, ouvre la porte du grenier, s’apprête à hurler « Cam à table », au moment où Camille passe fièrement devant elle, la laissant bouche bée.
« Pas besoin de crier. Je sais que c’est l’heure. Si tu regardais où est le soleil, tu le saurais ! »
Louise se sent toujours humiliée par cette sœur aînée, sûre d’elle qui la toise de ses dix ans. Camille a une tête et seulement deux années de plus, ce qu’elle lui rappelle à tout instant.
Elles viennent s’asseoir à la grande table, au moment où Paul se glisse sur le siège près de sa mère.
« Vous savez que votre père n’aime pas attendre. Vous voulez vraiment me faire enrager. C’est chaque jour pareil. »
Camille l’aînée, Louise la seconde et Paul le plus jeune baissent la tête en silence, au moment où Madame Claudel les engage à faire un signe de croix et à réciter le bénédicité. Camille rechigne à prononcer les mots rituels et Paul expédie la phrase à toute vitesse pour s’en débarrasser. Victoire, la bonne, s’affaire autour de la table, tandis que la jeune domestique Eugénie est allée donner à manger aux poules dans le poulailler. Victoire sert Monsieur Claudel en premier, Madame ensuite, puis les enfants.
Madame Claudel accompagne chaque bouchée qu’elle absorbe d’une réprimande.
« Paul, tiens-toi droit comme ta sœur Louise. Camille ne mange pas si vite ! Tu dévores sans mâcher et tu vas encore avoir du mal à digérer. »
Au bout de la table, Monsieur Claudel serre les lèvres et se retient d’éclater. Il a observé le silence pendant tout le repas, quand brusquement, il s’adresse à sa femme :
« Du calme, je vous prie. »
Regardant les enfants tour à tour, il leur lance :
« Arrêtez de faire enrager votre mère. Vous savez très bien que vous devez être à l’heure aux repas. »
Se tournant vers Madame Claudel, il dit d’un ton sec :
« Je voudrais que les repas en famille ne se transforment pas chaque jour en champ de bataille. »
Au son grave de la voix de son mari, Madame Claudel baisse la tête et mange en silence. Le repas terminé, elle donne aux enfants l’autorisation de se lever de table, leur rappelle de plier leur serviette, de la mettre dans le rond gravé à leur nom, et de la ranger. Elle regarde son mari avec insistance en disant à voix haute :
« Puisqu’ils ont le droit de tout faire et qu’il ne faut pas les réprimander, on verra bien où ça nous mènera ! »
Les enfants se sont éclipsés au moment où leurs parents s’affrontent à leur propos. Il en est ainsi chaque jour. Monsieur Claudel fait mine de n’avoir pas entendu les plaintes incessantes de sa femme. Madame Claudel rentre les épaules comme si elle était en faute. Puis, sa tête s’incline sur sa poitrine, semblant protéger un enfant invisible accroché à son sein. Son regard se voile de tristesse. Les enfants sont partis, son mari a quitté la table pour se rendre dans sa bibliothèque fumer sa pipe et lire tous ses livres de libre pensée qu’elle réprouve. Une peur sourde s’empare d’elle, une angoisse indéfinissable étreint son cœur. Elle sent ses enfants si différents d’elle, à part Louise qui lui ressemble. Elle s’interroge sur leur avenir. Elle ne peut pas parler de ses craintes à son mari qui prendrait aussitôt leur défense. Elle se sent vraiment très seule. Dans ces moments-là, elle songe au petit Henri, son premier enfant, mort dans ses bras si subitement quinze jours après sa naissance. Elle ne peut oublier la joie qu’elle avait eue à l’attendre, et la douleur qu’on lui ôte de force ce petit garçon au visage d’ange, de ses bras qui ne voulaient plus le lâcher. Où est-il à présent ? Elle préfère ne pas se laisser aller à penser, elle a envie d’aller s’allonger auprès de lui dans sa tombe au cimetière en face de la maison. Victoire s’est approchée d’elle, étonnée de la voir s’attarder seule à la grande table. Madame Claudel n’aime pas être surprise en état de faiblesse, et redresse la tête fièrement pour demander à Victoire d’aller cueillir des fleurs au jardin pour qu’elle les porte sur la tombe du petit Henri.
« Il aurait onze ans aujourd’hui, 1er août. »
Victoire acquiesce de la tête et partage d’un signe de tête la douleur muette de Madame Claudel. Au loin, les enfants crient dans le jardin, dans l’insouciance de leur âge. Madame Claudel va ouvrir la porte.
« Arrêtez de crier comme ça. Votre père travaille. Allez jouer plus loin et taisez-vous. »
Elle a refermé la porte avec dureté. Camille n’a jamais vu le visage de sa mère aussi douloureux qu’aujourd’hui, elle a l’habitude de ne recevoir d’elle que des ordres et des reproches.
Camille et Paul profitent toujours d’une dispute entre leurs parents pour courir vers la forêt. La longue robe à fleurs de Camille s’accroche aux buissons du chemin. Dès qu’elle a pénétré dans l’espace touffu des grands arbres, Camille relève les pans de sa robe et les attache à sa taille. Elle se sent plus libre avec le pantalon caché sous sa jupe. Paul et Camille ont apporté les épées qu’ils ont fabriquées avec des morceaux de bois trouvés dans la cabane de jardin. Ils se lancent à l’assaut des rochers en criant « A l’attaque ! », puis se positionnent sur deux blocs qui se font face. Ils partent au galop l’un contre l’autre dans un tournoi imaginaire, caracolant sur des chevaux que leurs petites jambes miment avec