GIGN : nous étions les premiers: La véritable histoire du GIGN racontée par ses premiers membres
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À propos de ce livre électronique
À la genèse du GIGN : il y a 45 ans naissait une unité d'élite française aujourd'hui incontournable...
Le 5 septembre 1972, la prise d'otages des Jeux olympiques de Munich révèle la montée en puissance d'une nouvelle forme de terrorisme à laquelle les forces de l'ordre ne sont guère préparées. Quelques mois plus tard, le 3 novembre 1973, vingt-cinq gendarmes sélectionnés sur dossier se présentent à Maisons-Alfort pour y passer des épreuves d'un genre nouveau afin d'intégrer le GIGN n°1, une unité d'élite de la gendarmerie que le jeune lieutenant Christian Prouteau a été chargé de mettre en place. Aucun d'entre eux ne sait vraiment ce qui l'attend, mais les dix-huit candidats retenus ne vont pas tarder à découvrir que leur patron exige d'eux l'impossible afin de pouvoir répondre aux situations les plus extrêmes. Ensemble, ils vont devoir tout inventer pour parvenir à un niveau opérationnel jamais atteint.
Voici l'histoire sans fard des dix premières années du GIGN. L'histoire de dix-huit hommes au caractère bien trempé, menés par un chef atypique. En relevant le défi représenté par des missions de plus en plus complexes, ils vont aussi devoir convaincre quelques "gardiens du temple" résolument hostiles à l'existence même d'une unité d'élite au sein de la gendarmerie. Pour la première fois, les protagonistes ont accepté de livrer leur témoignages sur ces premières années déterminantes dans l'identité du GIGN.
Un témoignage inédit sur les premières années du GIGN !
EXTRAIT
"Christian Prouteau travaille tard cette nuit-là. Devant l’ampleur de la tâche, l’enthousiasme des premières heures a cédé la place à la réflexion. Or, il faut le savoir, un militaire raisonne face à une mission comme on le lui a inculqué, en utilisant une méthode appelée « méthode de raisonnement tactique », sorte de panacée universelle qui prévaut à tous les échelons de la hiérarchie.
Dans ce processus, on analyse tous les paramètres de la mission demandée : avec qui, contre qui, etc. Mais ce soir-là, Prouteau se rend compte qu’il lui faut sortir de l’épure. Ce qui lui est demandé n’a jamais été traité par aucun manuel ; il lui faut être innovant, inventif, et surtout iconoclaste. La seule chose dont il est sûr, c’est que le chemin ne va pas être facile. Sur ce point, il demeure encore largement en dessous de la vérité.
Le moment est historique et les questions se pressent dans son esprit. Il couche sur le papier l’ébauche de ce qui va constituer la première unité antiterroriste de la gendarmerie."
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
"Un texte vrai, très documenté. L’origine du GIGN raconté par son premier commandant. Une plongée dans les années 70 très intéressante !" - naxonne, Babelio
"Un ouvrage sur la genèse du GIGN dans lequel l'auteur aborde les raisons qui on poussées à la création de cette unité d'élite. On comprend que c'est avant tout l'œuvre d'un homme, Christian Pouteau". - CVolland, Babelio
À PROPOS DES AUTEURS
Christian Prouteau est le fondateur du GIGN. Pour cet ouvrage, il a collaboré avec Jean-Luc Riva, ancien militaire d'une unité des opérations spéciales spécialisée dans le recueil des renseignement, et auteur de l'ouvrage Les enfants de Loyada (Editions Nimrod).
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Aperçu du livre
GIGN - Christian Prouteau
Riva
Préface de James Callahan
U.S. Special Forces
Tout au long de sa vie, le général de Gaulle a adhéré à la maxime selon laquelle « Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. » Il avait raison, et c’est une réalité que les serviteurs d’un État ne devraient jamais oublier. Il existe cependant un corolaire. Des États partageant des valeurs communes, chacun d’entre eux ayant leur propre vision, peuvent à tout moment partager des intérêts communs.
Dans des domaines sensibles tels que le renseignement, les opérations militaires, et lorsque des informations doivent être échangées ou des plans opérationnels élaborés, il peut se révéler essentiel de collaborer avec des officiers de liaison accrédités et experts dans leur domaine. Traiter avec un homologue auquel on accorde sa pleine confiance est bien plus aisé lorsqu’on peut le regarder droit dans les yeux plutôt qu’en échangeant par téléphone de manière anonyme avec un quelconque représentant officiel.
J’ai occupé ce rôle d’officier de liaison en France, à l’époque où un jeune officier de gendarmerie du nom de Christian Prouteau était en train d’établir les fondations d’une unité nouvellement créée, le Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale. La genèse des relations que j’établirai par la suite avec Christian Prouteau remonte à un repas discret que je partageai alors avec le directeur de cabinet du directeur général de la Gendarmerie nationale. Nous nous retrouvâmes dans la salle à manger du siège de la gendarmerie, alors situé rue Saint Didier, dans le 16e arrondissement de Paris.
Mon interlocuteur aborda le sujet du GIGN et me demanda si je trouverais intéressant d’évaluer ses capacités opérationnelles. Je l’étais, et je le fis. Lorsque j’établis mon rapport à l’attention de la communauté du renseignement américain, qui le transmit à son tour aux unités des opérations spéciales américaines, je recommandai dans les termes les plus vifs de mettre en place des échanges opérationnels entre cette jeune unité française et les unités équivalentes américaines. Il faut comprendre qu’une unité de la police ou de l’armée, à l’image d’une équipe de rugby ou de football, reflète inévitablement l’histoire et la culture de son pays. Les All Black de Nouvelle-Zélande se révèlent toujours formidables sur un terrain de rugby, mais cela n’empêche pas que les joueurs français soient capables de stupéfier tout le monde à n’importe quel moment par leur « flair ».
De la même manière, le GIGN français, le GSG9 allemand, les SAS britanniques, la Delta force américaine ou les équipes d’intervention du FBI ont chacun une approche distincte lorsqu’il s’agit d’effectuer une opération. « Vive la différence ! » Pourtant, personne ne possède la bonne réponse, et d’ailleurs il n’y a jamais une seule réponse possible. D’où l’importance de voir de ses propres yeux la manière dont les autres travaillent. Christian Prouteau se montra tout à fait ouvert à ce que j’évalue la capacité opérationnelle de ses hommes. Ce qui m’impressionna particulièrement à son sujet fut, dès le premier abord, son ouverture intellectuelle. Cette qualité, mais aussi sa capacité à inspirer ses hommes, constituent des fondamentaux essentiels lorsqu’il s’agit de commander une unité spécialisée en combat rapproché. Le GIGN, sous le commandement de Christian Prouteau, semblait lui-même en constante évolution. Rien ne semblait échapper à la vigilance de son chef. Cette unité était son enfant.
La capacité particulière de Christian Prouteau, en dépit de son jeune âge, à concevoir le GIGN, à vendre le concept à sa hiérarchie, à obtenir les moyens financiers nécessaires, puis à recruter ses hommes, à les équiper, à les entraîner et à les commander au sein d’une unité d’élite me parut véritablement impressionnante. Que ce soit aux États-Unis ou dans un autre pays, je n’avais encore jamais été témoin d’une telle prouesse de la part d’un jeune lieutenant, qui serait promu un peu plus tard capitaine.
Si Christian Prouteau a pu se retrouver plus tard mis en cause, il est important de se rappeler que les responsabilités qui lui incombaient entraînent toujours des querelles politiques. Ce jeune homme ne profita jamais de sa situation pour s’enrichir, ne serait-ce que d’un seul centime. Il est également important de se rappeler qu’à ce jour de nombreux citoyens français continuent à vivre une existence paisible en raison de la création à l’époque de cette formidable unité d’intervention. Une unité conçue, créée et commandée par Christian Prouteau. Cette histoire est dévoilée dans le récit qui suit sur les dix premières années du GIGN. À tous les jeunes qui liront ce récit et qui souhaiteraient envisager une vie au service de l’État, j’aimerais ajouter une dernière remarque sur l’usage de la force létale. Au cours de toute ma carrière, je n’ai jamais rencontré un quelconque autre officier entraîné à tuer avec un tel niveau de compétence qui ait en même temps possédé une telle éthique au sujet de la mort. À cet égard, je considère Christian Prouteau comme l’un des hommes doté des plus grandes valeurs morales qui soient au sens premier du mot. Tout ce que peuvent raconter les intellos ou les experts autoproclamés est dénué de tout intérêt. La France devrait être fière que ses 2 000 ans d’histoire soient personnifiés par l’un de ses représentants de l’ordre les plus dévoués à la Nation, ou pour en revenir aux racines du terme, à l’un de ses « gens d’armes », un homme d’armes.
James Callahan
Colonel des forces spéciales américaines (e.r)
Prologue
Munich
La page était blanche lorsque tout a commencé. Inutile de copier, puisque rien n’existait. Seule la question était posée. En fait elle avait été posée deux ans plus tôt, très précisément le 5 septembre 1972, là où ce qui aurait dû être une fête s’était brutalement mué en tragédie. Pour la première fois depuis 1936, l’Allemagne avait obtenu d’accueillir les jeux Olympiques, signe incontestable de son retour à la table des grandes nations. Munich, la ville hôte des Jeux, travaillait sans relâche depuis le 26 avril 1966 afin que tout soit prêt pour la cérémonie d’ouverture, puisque, à une ou deux exceptions près, aucune infrastructure n’existait encore. Alors on a construit, ici un parc olympique, là une tour de télévision de 280 mètres de haut, puis un stade olympique de 77 000 places a vu le jour – tout a été prévu et pensé dans les moindres détails, jusqu’au teckel Waldi, première mascotte officielle des JO. Les Allemands en sont convaincus, ils vont pouvoir démontrer au monde entier que rigueur, sens de l’organisation et fiabilité des installations sont la marque de fabrique de leur nation.
Il ne manque donc pas un bouton de guêtre le 26 août 1972, jour de cette inauguration qui rassemble 121 nations. C’est un record de pays participants, mais aussi de spectateurs, puisque 3 millions de billets ont été vendus à la veille de la cérémonie. Plus de 7 000 athlètes, tous pays confondus, vont maintenant défiler dans l’Olympiastadion de Munich, parmi lesquels les quatorze athlètes israéliens, dont le pays maintient sa présence dans les territoires palestiniens conquis depuis la guerre des Six Jours, malgré la résolution n° 242 de l’ONU.
Celle-ci, votée en 1967, voudrait qu’Israël restitue les terres occupées en échange de la reconnaissance de l’État hébreu par tous les pays arabes. Ce détail diplomatique auquel personne n’a songé, ni le Comité international olympique, ni le pays organisateur – nous sommes en pleine période du Peace and Love¹ –, va se révéler dévastateur pour la suite des Jeux. Il est en effet la raison d’être d’une organisation terroriste palestinienne, Septembre Noir, qui s’est juré de mettre la terre d’Israël et de ses alliés à feu et à sang tant que les territoires n’auront pas été libérés.
Ses membres ne sont pourtant pas inconnus des services de renseignement occidentaux. Après que les structures palestiniennes de cette organisation ont été expulsées de Jordanie au terme de sanglants combats, Septembre Noir a assassiné en représailles, en novembre 1971, le Premier ministre jordanien Wasfi Tall. La présence d’athlètes israéliens aux jeux Olympiques de Munich n’est évidemment pas passée inaperçue aux yeux des terroristes et elle semble offrir une proie facile pour un commando bien entraîné comme le leur.
Le 5 septembre 1972, à 4h30 du matin, huit membres de Septembre Noir s’infiltrent dans le village olympique et gagnent l’immeuble où sont logés les athlètes de la délégation israélienne. Un membre de cette délégation, Yossef Gutfreund, alerté par le bruit, fait alors barrage avec son corps en se dressant à la porte de la chambre. Deux coups de feu retentissent, qui le blessent au bras. Il a cependant le réflexe d’alerter ses compatriotes en criant « Attention, terroristes ! ».
L’entraîneur d’haltérophilie Tuvia Sokolovsky, avec lequel il partage sa chambre, brise aussitôt une vitre et s’enfuit par la fenêtre. Moshe Weinberg, le coach de l’équipe israélienne de lutte gréco-romaine, tente, lui, de s’interposer. Sans hésiter, l’un des terroristes lui tire une balle dans la joue et le force à indiquer les chambres où logent les autres membres de la délégation. Malgré sa blessure, il tente néanmoins de retarder les assaillants, permettant ainsi à un athlète israélien, Gad Tsobari, de s’échapper. Moshe Weinberg va malheureusement le payer de sa vie : l’un des membres du commando lui tire une balle en pleine tête.
Yossef Romano, un haltérophile, tente lui aussi de s’opposer aux terroristes avec un couteau de poche. Il blesse l’un d’entre eux avant d’être abattu. Au final, l’assaut des Palestiniens se solde par la prise en otages de neuf Israéliens : Yossef Gutfreund, qui est blessé, l’entraîneur de tir sportif Kehat Shorr, l’entraîneur d’athlétisme Amitzur Shapira, le tireur sportif Andre Spitzer, le juge d’haltérophilie Yacov Springer, les lutteurs Eliezer Halfin et Mark Slavin, ainsi que les deux haltérophiles David Berger et Zeev Friedman. Les autres membres de la délégation ont réussi à fuir en sautant des balcons ou en se cachant dans l’immeuble.
À 4h45, une femme de ménage alertée par les coups de feu prévient la sécurité, qui envoie un garde non armé sur les lieux, lequel prévient la police. Il est un peu plus de 5 heures du matin lorsque le commando fait parvenir ses revendications aux autorités allemandes : libération immédiate de 236 prisonniers détenus dans les prisons israéliennes ainsi que de deux terroristes allemands de la Fraction Armée Rouge, dont Andreas Baader², dangereux activiste et fervent soutien de la cause palestinienne. Ces demandes sont assorties d’une menace : à partir de 9 heures, le commando exécutera un otage toutes les heures et jettera son corps dans la rue du village olympique.
Ces revendications sont immédiatement transmises à Tel Aviv. Il est maintenant 8h15 et, comme si de rien n’était, la compétition de dressage hippique commence selon le programme prévu. Show must go on !
Moins d’une heure plus tard, la réponse de Tel Aviv fuse par la bouche du Premier ministre Golda Meir : « Il n’y aura pas de négociations. »
Les autorités allemandes vont néanmoins tenter de négocier. Avec un premier résultat, celui d’obtenir des ravisseurs un report de l’ultimatum d’exécution des otages initialement fixé à 9 heures du matin et désormais renvoyé à midi. Mais ces autorités ne savent pas encore que les terroristes vont mettre à profit ce délai pour torturer certains de leurs otages et laisser sans soins ceux qu’ils ont blessés pendant l’attaque du matin.
Persuadé que les membres du commando sont au nombre de cinq, le gouvernement allemand finit par accepter leur ultime exigence : un transfert en hélicoptère jusqu’à un aéroport militaire d’où un Boeing 727 les emmènera en Égypte. Les Allemands positionnent six policiers habillés en membres d’équipage dans l’avion afin de neutraliser les premiers terroristes qui y pénétreront, les autres membres du commando devant être foudroyés par les cinq tireurs d’élite postés sur des toits avoisinants.
Mais, aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’y a pas de tireurs d’élite disponibles dans la police munichoise ! À 7 heures du matin, ce 5 septembre 1972, des fonctionnaires appartenant au bureau de gestion des personnels de la police de Munich ont été rappelés à leurs postes de toute urgence. Le commandement leur demande de trouver le plus rapidement possible, en épluchant les centaines de fiches mécanographiques des policiers de la ville, les noms de ceux qui font partie d’un club de tir sportif. Une fois ces policiers trouvés, les dirigeants des clubs sont contactés afin de connaître leur niveau de tir ! Cinq sont sélectionnés, cinq policiers auxquels on explique la situation et ce que l’on attend d’eux : qu’ils soient capables d’effectuer des tirs à tuer sur des terroristes.
Tous vont accepter cette mission, en insistant toutefois sur les limites de leur action : ils ne sont pas à proprement parler des tireurs d’élite et ils ne sont pas équipés comme tels, car, il faut bien se rendre à l’évidence, ils n’auront pas de fusils de précision à leur disposition ! C’est donc avec un armement disparate – fusils de compétition et pistolets-mitrailleurs qui ne sont pas équipés de lunettes de tir – que les policiers prennent leurs postes en fin de matinée. Il est bien évidemment encore moins question d’équipements de vision nocturne ou d’équipements radio. Cette absence de moyens de communication entre les « tireurs d’élite » va s’ajouter au fait que jamais, dans aucun pays ni dans aucune unité, le tir simultané et la coordination des tireurs n’ont encore été envisagés. Toutes les conditions sont réunies pour qu’un carnage puisse avoir lieu.
La cellule de crise mise en place par le gouvernement ouest-allemand est dirigée par le chef de la police munichoise Manfred Schreiber, entouré du ministre de l’Intérieur Hanns-Dietrich Genscher et du ministre de l’Intérieur bavarois³ Bruno Merk. Schreiber a offert aux terroristes une quantité illimitée d’argent qu’ils ont refusée en lui faisant cette réponse : « L’argent ne signifie rien pour nous, nos vies ne signifient rien pour nous. » Toutefois, ils acceptent à cinq reprises de repousser leur ultimatum. À 17 heures, alors que leur demande initiale de mise à disposition n’a pas varié, les négociateurs exigent un contact direct avec les captifs pour s’assurer qu’ils sont encore en vie. Deux d’entre eux qui parlent couramment l’allemand, Andre Spitzer et Kehat Shorr, ont alors une brève conversation avec les policiers depuis la fenêtre ouverte du deuxième étage du bâtiment assiégé. Mais Spitzer commet l’erreur de répondre à la question de trop – où sont-ils ? Il reçoit aussitôt un coup de crosse de kalachnikov en plein visage. Quelques minutes plus tard, le ministre Genscher et Walter Tröger, le maire du village olympique, sont cependant autorisés à pénétrer dans les appartements afin de parler avec les otages.
Tröger mentionnera la dignité avec laquelle les otages israéliens font face à la situation et note qu’« ils semblent résignés à leur sort ». Il a également remarqué que plusieurs otages, en particulier Gutfreund, qui saigne abondamment, ont subi des sévices et que David Berger a reçu une balle dans l’épaule gauche. Genscher et Tröger déclarent avoir vu « quatre ou cinq assaillants » à l’intérieur de l’appartement.
Après avoir considéré divers scénarios en vue de libérer les otages, les autorités allemandes mettent un bus à la disposition des terroristes afin de les transférer avec leurs prisonniers jusqu’à une plate-forme pour hélicoptères, conformément aux exigences du commando. De là, deux appareils les conduiront à l’aéroport de la base militaire Fürstenfeldbruck Air Base de l’OTAN, où les attendra un Boeing 727 à destination du Caire.
Le plan des forces de police allemandes consiste à positionner six policiers à l’intérieur de l’appareil afin qu’ils maîtrisent les deux terroristes qui inspecteront le Boeing. Dans le même temps, les tireurs d’élite devront abattre ceux qui seront restés dans les hélicoptères, estimant qu’ils ne seront que deux ou trois.
C’est lors du transfert du commando que l’équipe de crise découvre que les terroristes sont au nombre de huit ! Prévenus à la dernière minute, alors que les hélicoptères sont sur le point d’atterrir à Fürstenfeldbruck, les policiers allemands à bord de l’avion votent pour l’abandon de leur mission – sans consulter leur commandement central – et désertent l’avion ! Il ne reste alors, pour remplir la mission, que les cinq tireurs d’élite, dont trois ont été préalablement positionnés sur le tarmac et les deux autres dans la tour de contrôle.
Les hélicoptères atterrissent peu après 22h30 et six des terroristes en sortent – quatre qui gardent les pilotes et les otages sous la menace de leurs armes, et deux autres qui vont inspecter le Boeing 727 et le découvrir vide, sans équipage ! Réalisant qu’ils sont tombés dans un piège, ils retournent rapidement vers les hélicoptères au moment précis où les autorités allemandes donnent l’ordre d’ouverture du feu aux tireurs d’élite.
Deux terroristes qui se tiennent près de l’un des pilotes d’hélicoptère sont abattus, et un troisième qui tente de s’enfuir est mortellement blessé, mais le reste de l’intervention va tourner à la tragédie. Après une heure et demie d’échanges de coups de feu et le renfort de véhicules blindés, la situation s’apaise enfin. Un silence qui ne rend que plus angoissant le décompte des cadavres.
Tous les otages sont morts. Et seuls trois terroristes ont été capturés vivants.
En France, debout devant la télévision du mess de l’escadron 6/3 de gendarmerie mobile de Saint-Denis, un jeune lieutenant suit le compte rendu du chaos indescriptible que reflètent les images diffusées en différé depuis Munich. Le bilan est sans appel : si trois terroristes ont finalement été capturés et cinq autres tués lors d’échanges de tirs avec la police allemande, la délégation israélienne n’en a pas moins été décimée. Elle a perdu onze de ses athlètes sur quatorze, auxquels il faut encore ajouter le policier allemand tué ainsi que de nombreux blessés.
La sécurité des jeux Olympiques et la gestion de la crise par les autorités allemandes sont pointées du doigt par la communauté internationale mais, dans les cercles du pouvoir de chaque pays, une question revient, lancinante : Et nous, qu’aurions-nous fait ?
Les Israéliens, eux, ne se posent pas de questions. Ils confient à leur unité Kidon⁴ la mission de retrouver et de tuer un à un les organisateurs encore vivants de la prise d’otages de Munich. L’opération Colère de Dieu durera vingt années, au cours desquelles le Kidon neutralisera à travers toute l’Europe une dizaine de Palestiniens et de ressortissants de pays arabes directement concernés par le massacre des athlètes israéliens de Munich⁵. Aucun n’échappera à la vengeance d’Israël, y compris les trois preneurs d’otages survivants qui, libérés par l’Allemagne quelques mois après Munich afin de répondre aux exigences de pirates de l’air ayant détourné un avion de la Lufthansa, seront abattus peu après leur sortie de prison. Hélas, dans cette chasse aux terroristes, le Mossad commettra quelques erreurs d’identification qui entraîneront la mort de plusieurs innocents, comme ce garçon de café, Ahmed Bouchiki, exécuté par erreur à Lillehammer, en Norvège.
Lorsque les autorités françaises examinent à leur tour l’éventualité d’un tel attentat sur le territoire national et entreprennent de faire la somme des moyens en personnels et matériels dont ils disposent pour faire face à un tel événement, la réponse a le mérite d’être limpide : rien ! Car en septembre 1972, la France ne dispose d’aucune unité possédant un entraînement spécifique et utilisant un matériel adapté qui permettrait de faire face à une prise d’otages du calibre de celle de Munich.
*
Le ministère de l’Intérieur demande alors à la Police nationale de créer sept groupes d’intervention (GIPN), un par région, dont le premier va voir le jour à Marseille le 27 octobre 1972 sous les ordres du commissaire N’Guyen Van Loc, dit le Chinois. Mais un an plus tard éclate l’affaire Danielle Cravenne.
Le 18 octobre 1973, un Boeing 727 d’Air France quitte Orly à 11h45 à destination de Nice, avec 112 passagers à bord. Alors que l’avion est à mi-parcours, une femme se lève pour aller aux toilettes en emportant avec elle un sac de toile grise. Lorsqu’elle en sort, elle tient dans une main un revolver (qui se révélera être un faux) et dans l’autre une carabine 22 LR. Elle tend alors à l’hôtesse quatre feuillets sur lesquels sont écrites ses revendications, qui vont de la situation au Moyen-Orient à la mise sous scellés du film Rabbi Jacob, qui vient de sortir en salles ce même jour et qu’elle estime être pro-sioniste. À 12h32 l’avion se pose à Marseille-Marignane, où les gendarmes des transports aériens tentent alors de la raisonner, sans succès. La pirate de l’air fait débarquer l’ensemble des passagers, à l’exception du commandant de bord et du steward, qu’elle retient en otages.
Le préfet de police alerte le GIPN de Marseille, qui arrive sur place à 14h10. Déguisé en steward, un policier du GIPN, Paul Caparos⁶, l’un des meilleurs tireurs de la Police nationale, va tenter d’immobiliser la preneuse d’otages sans utiliser son arme. Se sentant menacée, la femme ouvre le feu en tirant à la hanche avec sa carabine 22 LR. Paul Caparos plonge entre les sièges et riposte de quatre balles de 38 Spécial. Atteinte à la tête et au cœur, la femme est tuée sur le coup.
On s’aperçoit alors qu’elle est l’épouse de Georges Cravenne, l’attaché de presse le plus demandé de Paris, qui est justement chargé de la promotion du film Rabbi Jacob. Dès le lendemain, la mort de la jeune femme – connue pour être fragile psychologiquement – entraîne un déchaînement de la presse, qui juge les méthodes du GIPN de Marseille pour le moins expéditives.
À partir de ce moment, le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, va privilégier l’emploi de la Brigade de recherche et d’intervention de Paris (BRI), à laquelle il va donner une compétence nationale. En cas de crise grave, elle devient Brigade anti-commando (BAC) et se voit alors adjoindre, le temps de la crise, un renfort de policiers spécialistes dans le maniement de gaz incapacitants de type lacrymogènes (la brigade des gaz). L’intervention de la BRI-BAC ne se fera pas sans heurts, la Police nationale n’appréciant pas l’arrivée de cette unité de la préfecture de police de Paris partout en France.
*
À l’escadron de gendarmerie mobile de Saint-Denis, faute de direct à la télévision, le lieutenant Christian Prouteau a continué à suivre le dénouement de la prise d’otages de Munich à la radio jusque tard dans la nuit. Les semaines ont passé, mais les mots « terroristes », « prise d’otages », « massacre », « impuissance des forces de l’ordre » ont marqué l’esprit du jeune officier. Il l’ignore encore, mais à la Direction de la gendarmerie, l’idée de la création d’une unité nouvelle et autonome, ne puisant pas dans les ressources existantes, fait là aussi son chemin.
La tragédie de Munich va bientôt changer la vie de dix-sept hommes, dix-sept gendarmes qui vont remplir la première page blanche de l’antiterrorisme avec quelques lignes en lettres de sang.
Voici la véritable histoire des dix-sept premiers membres de l’unité qui, en très peu de temps, deviendra une référence mondiale dans la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme : le GIGN.
1. Le mouvement hippie s’est cristallisé autour de l’opposition à la guerre du Vietnam entre 1954 et 1975. Peace and Love était le cri de ralliement des hippies du monde entier, particulièrement nombreux en Allemagne, pays où pesait un tabou sur la génération du nazisme.
2. Le 13 octobre 1977, quatre membres du Front Populaire de Libération de la Palestine détournent un avion de la Lufthansa parti de Palma de Majorque pour Francfort. Leur chef exige la libération des onze membres de la Fraction Armée Rouge, dont Andreas Baader, détenus à la prison de Stammheim en Allemagne. L’avion se rend finalement à Mogadiscio, en Somalie, où il arrive le 17 octobre. Les passagers du Boeing 737 sont libérés le lendemain, après un assaut effectué par les forces spéciales allemandes du GSG 9 qui provoque la mort de trois terroristes. Apprenant l’échec du détournement, Baader et trois autres membres de la Fraction Armée Rouge se suicident dans leurs cellules.
3. L’Allemagne étant un État fédéral, chaque province a son gouvernement en sus du gouvernement fédéral.
4. Créé au début des années 70, le Kidon (« baïonnette » en hébreu) est le Service Action du Mossad. Il a pour mission de tuer les ennemis d’Israël et de réaliser les opérations de sabotage et les enlèvements. Le service compte une centaine de membres répartis en commandos de quatre éléments (trois hommes et une femme).
5. Le dernier, Atef Bseiso, sera tué par le Kidon en juin 1992 à Paris.
6. Paul Caparos sortira très marqué par ce drame, qu’il décrit dans un livre intitulé Tireur de l’ombre (Éditions Autres Temps, mars 1995).
Chapitre 1
1964. Paris
Le directeur de l’école du cinéma de Boulogne a difficilement calé ses cent kilos dans un fauteuil en cuir manifestement sous-dimensionné. Il exhale à petites bouffées les volutes d’un havane qui embaume toute la pièce, provoquant un début de mal de mer pour le jeune étudiant assis en face de lui sur l’extrémité de son siège, un carton à dessin posé à ses pieds.
« Prouteau… voyons voir. Ah, voilà… Vous postulez pour la formation de décorateur-scénographe, c’est bien ça ?, questionne le ventripotent en tripotant un dossier famélique. Si je vous ai demandé de me ramener quelque chose qui valide votre culture artistique, c’est parce que là-dedans, dit-il en tapotant le dossier sous-alimenté, il n’y a rien. Rien ! »
L’impétrant se penche alors et sort de son carton à dessin une toile plate qu’il tend à l’emboucaneur dont les yeux porcins indiquent clairement qu’il n’aurait jamais dû accorder cet entretien. Les doigts boudinés d’une de ses mains se saisissent de la toile tandis que l’autre, d’un geste théâtral, éloigne le cigare de sa bouche en balayant du même coup la fumée qui le sépare du candidat. Enfin, il examine le tableau. C’est un direct au foie, plus aucun son ne sort de sa bouche pendant un long moment.
Il tient entre les mains Les Raboteurs de parquet, le trait de génie du peintre Eugène Caillebotte. C’est une copie, certes, mais tout y est, la dureté du travail, l’effort des ouvriers, le sens de la lumière, le réalisme, la technique du peintre, il y a tout !, encore quelques années de travail et ce garçon pourrait être copiste au Louvre, songe le directeur avant de s’adresser à Christian Prouteau.
« Vous dessinez depuis combien de temps ?
– Plus de dix ans, monsieur ! Je peins un peu de tout, tenez j’ai aussi amené un Manet… Ou plutôt une copie.
– Mais vous allez finir en taule, mon garçon !, s’esclaffe le directeur en examinant Le Joueur de fifre. Pas mal, je le reconnais… Entre nous, ne vous amusez pas à vendre ce genre de toile à n’importe qui, on risque la confusion. Vous avez du talent, c’est incontestable. Et la formation de décorateur-scénographe pourrait effectivement vous convenir ! »
Le jeune homme se garde bien de lui dire qu’il est déjà admissible dans une école d’ingénieurs parisienne, d’autant plus que son choix penche fortement pour les métiers du septième art.
« Voilà un dossier à me renvoyer et on se retrouve pour les épreuves d’admission », conclut le directeur en raccompagnant Christian Prouteau à la porte.
La reproduction de tableaux a été pour ce dernier une école de rigueur, exigeant de sa part une étude détaillée de l’œuvre et de son auteur avant qu’il ne commence à la reproduire. Véritable Stakhanov de la copie, Christian Prouteau y occupe une bonne partie de ses loisirs, mais ce n’est pas là le seul talent du jeune homme.
La montre-gousset de grand-père, qu’il avait fini par démonter après avoir potassé une bonne dizaine d’ouvrages techniques sur l’horlogerie, lui avait déjà donné la passion des « garde-temps ». C’est ainsi que se nommait le chronomètre au XVIIIe siècle, lorsqu’il s’agissait de déterminer la longitude d’un navire par le retard ou l’avance qu’il indiquait sur l’heure du lieu d’observation. Avec son argent de poche, Christian Prouteau a acheté montres-gousset, chronomètres et horloges anciennes pour les démonter et les réparer. Il aime contempler le cœur des montres à complication¹ pour analyser le mouvement de leurs engrenages et la précision de leur usinage. Sans qu’il s’en aperçoive, cette passion lui a inculqué la compréhension des montages complexes et le goût de la précision.
Mais en sortant de son entretien à l’école du cinéma, Caillebotte et les garde-temps échappent à ses pensées. Ce soir, il y aura une petite fête à la maison. Son père, officier de gendarmerie, et sa mère ont longtemps attendu qu’il se décide enfin à choisir un métier. Et cette fois, cela semble chose faite ! Il décide de marcher un peu jusqu’au métro de la porte Maillot au milieu de la foule qui grouille en cette fin de matinée du printemps 1964. C’est en bas de l’avenue de la Grande-Armée qu’il remarque alors l’affiche, un signe du destin pour ce passionné de l’Empire. « Engagez-vous ! », lui ordonnent les mots écrits en lettres blanches sur fond d’azur en claquant autant que le « I want you » de l’Oncle Sam en 1917.
Cette affiche expose un jeune sergent souriant et à la tenue impeccable, auprès duquel trône une Renault R8 bleue, signe incontestable d’un avenir tout tracé et panaché d’aventures. Le visuel attire l’œil et séduit tandis que le texte invite les jeunes à rejoindre à leur tour l’École nationale des sous-officiers de Saint-Maixent. Les concepteurs de cette affiche ignorent aujourd’hui encore qu’ils sont à l’origine de la carrière de Christian Prouteau. En effet, à la vue de cette affiche hypnotique, le sang du jeune homme ne fait qu’un tour. Il prend immédiatement la direction du fort de Vincennes, où se trouve le centre de recrutement, et là, sans barguigner, il signe un engagement de cinq ans !
L’effet « R8 » n’est cependant pas seul en cause dans ce brusque changement d’orientation. Déjà, à la veille d’entrer en cinquième, Christian Prouteau avait déclaré à ses parents vouloir tenter le concours d’entrée à l’École des enfants de troupe d’Autun – qu’il finira par réussir et où il passera deux ans à découvrir la vie en collectivité et la discipline militaire. C’est aussi à Autun, outre la pratique intensive du sport, qu’il a découvert le judo, un art martial exigeant une lucidité de tous les instants et une excellente connaissance de soi, et dont il poursuivra la pratique tout au long de sa carrière.
Ce n’est donc pas un véritable coup de tête qui a provoqué la décision de Christian ce jour-là, mais l’image de ce sergent tout sourires n’en a pas moins agi comme un révélateur : Je suis fait pour ça !
En guise de fête, la soirée à la maison prend plutôt des airs de soupe à la grimace, surtout chez madame Prouteau, qui voyait déjà son fiston côtoyer les stars du septième art. Histoire de la consoler, Christian dévoile sa stratégie :
« Je fais mes classes dans l’armée de terre, ensuite l’école des sous-officiers de Saint-Maixent, puis l’école militaire de Strasbourg, seul moyen d’accéder à l’École militaire interarmes de Saint-Cyr Coëtquidan et, une fois en corps de troupe, je me présente au concours d’entrée de l’école des officiers de gendarmerie de Melun ! Voilà le plan !
– Fermez le ban !, tonne son père, qui a tout vu au cours de sa carrière de gendarme. Mon garçon, tu n’es pas au bout de tes peines, le chemin est encore long… », résume-t-il en écarquillant les yeux, cependant ravi au fond de lui de voir que Christian serait la troisième génération de Prouteau à endosser l’uniforme de la gendarmerie.
« C’est le seul moyen pour moi de devenir gendarme, il n’y a pas d’autre voie », conclut leur fils.
*
C’est d’abord Saint-Maixent, l’école nationale des sous-officiers fraîchement créée – elle date de 1963 –, où il intègre la quatrième promotion d’élèves sous-officiers en janvier 1965. Le destin le propulse dans la section du lieutenant Maillols, dont le sous-officier adjoint, l’adjudant Pachouki, n’est pas réputé pour sa mansuétude. Quatre citations en Algérie, taillé en athlète, il est craint et respecté de tous. Ces deux cadres, comme tous les autres cadres de cette nouvelle école, ont reçu pour mission de faire de Saint-Maixent le Saint-Cyr des sous-officiers. La sélection est impitoyable car l’armée française compte, et compte encore aujourd’hui, sur son corps de sous-officiers pour former, encadrer et mener au combat les jeunes appelés ou engagés des régiments. C’est une époque où le taux d’encadrement des personnels officiers subalternes est particulièrement bas et il est donc fréquent de voir dans certaines unités des sections de combat commandées par un sergent-chef.
À Saint-Maixent, l’élève sous-officier Christian Prouteau va subir une leçon qui le marquera pour tout le reste de sa carrière militaire. Chaque semaine, un élève est désigné comme responsable de la section. Quand arrive son tour, le lieutenant Maillols le convoque.
« Prouteau, vous les emmenez faire une marche commando. Huit kilomètres en moins de cinquante minutes avec arme et sac de 10 kg. Le temps qui compte, c’est celui du dernier. Des questions ?
– Non, mon lieutenant !
– Alors, faites-les embarquer dans le camion, qui vous déposera à 8 kilomètres d’ici. »
Pour sportifs que soient tous ces élèves rigoureusement sélectionnés, certains ont parfois des coups de « moins bien ». C’est le cas ce jour-là de deux d’entre eux, qui traînent à l’arrière de la section, pas bien loin derrière, mais qui risquent d’arriver plus tard que le temps de cinquante minutes imposé par Maillols. Prouteau essaie de « doper » ses camarades en les encourageant ou en les poussant, mais rien n’y fait. Il prend le sac de l’un et l’arme de l’autre, mais c’est trop tard. Alors, pour éviter l’affront et persuadé que c’est son temps qui sera malgré tout pris en compte, il accélère et passe la ligne bien avant les deux retardataires.
« Prouteau, venez me voir ! », tonne Maillols.
Le jeune élève sous-officier se précipite devant son chef de section et se met au garde-à-vous. Le lieutenant Maillols lui désigne le camion.
« Vous embarquez, seul ! Le camion va vous ramener 8 kilomètres en arrière et vous avez cinquante minutes pour les faire. Je vous attends ici. »
Moins d’une heure plus tard, Prouteau réapparaît devant Maillols qui, les mains derrière le dos, le regarde droit dans les yeux.
« Vous avez compris la leçon ?
– Oui, mon lieutenant, je devais ramener tout le monde.
– La mission c’était ça, Prouteau. Quand vous êtes le chef, tout dépend de vous et la force du groupe est égale à celle de l’élément le plus faible. C’est donc à vous de les bouger. »
La « leçon » portera lorsque dix ans plus tard, en janvier 1975, il emmènera dix hommes du GIGN au Centre d’entraînement commando de Givet, dans les Ardennes. Lors du raid synthèse de fin de stage qui dure trois jours, les hommes doivent observer de jour et effectuer des coups de main la nuit avant de s’exfiltrer à pied hors des pistes et des chemins – avec Prouteau qui les pousse jusqu’à leur extrême limite en les privant de sommeil, sans jamais les épargner. Complètement à bout après avoir franchi la Meuse de nuit sur des radeaux de fortune constitués de paille et de vestes de treillis, l’un de ses hommes s’effondre au bord d’une piste.
« J’en ai marre, je ne bouge plus ! »
Il est 3 heures du matin au beau milieu de la forêt des Ardennes, il neige et la température est descendue à -10 degrés. Et c’est là que le lieutenant Prouteau se rappelle les mots de son chef de section à Saint-Maixent : « Quand vous êtes le chef, tout dépend de vous ! »
Sans hésiter, il le relève à coups de pieds, l’empoigne par le revers du treillis et le remet debout.
« Si vous restez là, vous allez crever de froid et vous n’aurez rien à faire chez nous ! »
Péniblement, le gendarme Étienne Laisney se redresse, reprend son sac et son arme et se remet à marcher dans la nuit comme un zombie. Le stage fini, il remerciera son chef avec un grand sourire.
Cinquante et un ans plus tard, le général (cr) Maillols se souvient : « Le colonel Laurier qui commandait l’école voulait que nous imposions un rythme infernal aux élèves afin que les moins motivés lâchent rapidement. J’avais une vingtaine d’élèves et, avec Pachouki, mon adjoint, on ne leur laissait aucun temps mort. La moindre remarque était accompagnée d’une marche commando de nuit de 10 kilomètres. Un retard de dix secondes, et c’était parti pour une séance de changement de décor jusqu’à une heure du matin !
Je n’ai pas tardé à remarquer Christian Prouteau, d’abord parce que c’était le plus grand mais surtout parce qu’il était le plus physique et le plus volontaire. Il tournait le parcours du combattant en 2’35, un record qui n’a été battu qu’un an plus tard ! Il était rigoureux et brillant intellectuellement, à tel point que l’on s’était tous dit qu’il aurait pu faire Saint-Cyr direct. Il était discipliné, mais il était aussi le premier sur les rangs dès qu’il y avait un dégagement à faire. En fait, c’était lui le leader de la section, à la fois pour la formation militaire, mais aussi pour faire la fête. Les permissions étaient rares et je passais souvent voir les élèves le dimanche. Combien de fois les ai-je vus rassemblés autour de Prouteau, tous en train de chanter pendant qu’il les accompagnait à la guitare.
La promotion comptait trois compagnies à quatre sections chacune, et la fin de la formation était consacrée par un challenge intersections d’épreuves militaires : tirs, parcours du combattant, marche commando, lancer de grenades, mines et pièges, etc. Les cadres n’intervenaient pas car les élèves devaient s’organiser seuls dans cette épreuve collective. C’est au cours de cette compétition que Christian Prouteau a fait la démonstration de ses talents de chef et d’organisateur en répartissant les rôles de chacun au cours des différentes épreuves et notre compagnie a gagné ! À Saint-Maixent, il y avait trois catégories d’élèves : ceux qu’il fallait pousser, ceux qui suivaient et ceux qu’il fallait tenir. Eh bien, croyez-moi, lui, il fallait le tenir ! »
Conformément à la trajectoire qu’il s’est fixée quatre ans plus tôt, et après un passage en corps de troupe et une préparation à l’école militaire de Strasbourg, Christian Prouteau se retrouve en ce début du mois de septembre 1968 au garde-à-vous sur le Marchfeld² de Coëtquidan pour la présentation de la nouvelle promotion « Libération de Strasbourg » de l’ École militaire interarmes. L’école sent encore le neuf, la construction des nouveaux bâtiments vient à peine d’être achevée.
Fichée au centre de l’immense esplanade devant laquelle se tient Prouteau, la statue de Kléber indique de sa main tendue la cour Marengo où se trouve l’amphithéâtre Napoléon, l’un des lieux privilégiés de transmission du savoir. Mais avant d’y accéder, les élèves vont devoir affronter quatre mois d’instruction militaire intensive destinée à élaguer ceux dont la motivation fléchirait avec le temps. Cette période a un nom, « la Terreur », tant il est vrai que le couperet de l’élimination est suspendu au-dessus de chaque tête.
C’est ainsi que les exercices réalisés à Coëtquidan, et que beaucoup de ses camarades trouvent abrutissants, vont peu à peu donner à Christian Prouteau les clés de la fonction de leader. La féerique forêt de Brocéliande recèle mille lieux aux noms légendaires tels que le tombeau de Merlin, le Val sans retour ou encore la mystérieuse fontaine de Barenton. Mais y marcher toute une nuit noire d’hiver – sous une pluie glaciale qui transperce votre treillis en moins d’une heure, avec un fusil-mitrailleur AA 52 et un sac à dos de 15 kg, le tout en essayant de suivre le rythme effréné d’un chef de section venant des chasseurs alpins aux mollets en forme de piliers de cathédrale – vous dégoûte du romantisme à jamais.
À 5 heures du matin, au retour d’une marche de 30 kilomètres et après un exercice de nuit particulièrement éprouvant, direction une salle de cours surchauffée. Devant chaque élève, une feuille blanche surmontée d’une annotation : La solitude du chef !
« Messieurs, vous avez une heure ! », beugle le chasse-bite en s’asseyant sur le bureau.
La fatigue et la différence de température vont avoir raison des plus coriaces. C’est bien connu, le confort ramollit le militaire. Dans la salle de cours, les jeunes officiers tentent désespérément de garder les yeux ouverts. Prouteau est comme les autres, enfin pas tout à fait, car lui a décidé de dormir. Il s’accorde dix petites minutes de sommeil, une méthode qu’il a déjà expérimentée à Saint-Maixent. Les premières minutes étant toujours les plus réparatrices, dormons !
Lorsqu’il rouvre les yeux, les dix minutes sont écoulées. Il est temps pour lui de commencer à écrire. La solitude du chef ? Il va la connaître tout au long de sa carrière. Mais, en ce petit matin de novembre, il lui faut rédiger avec les éléments acquis au cours de ses quatre premières années d’expérience militaire. Et Christian Prouteau couche sur le papier ce qui sera son credo tout au long de sa vie d’officier.
« Le chef garde en tous temps et en tous lieux, quelle que soit la situation tactique, sa lucidité et son esprit de jugement. La fatigue, le stress, l’inconfort ne doivent en aucun cas venir perturber la réflexion opérationnelle car de ses choix dépend la vie de ses hommes. Le chef assume tout, et surtout l’échec de la mission lorsque celui-ci se produit. C’est en effet lui qui désigne ceux qui doivent l’exécuter, c’est lui qui en définit l’exécution tactique et c’est enfin lui qui a eu la responsabilité de préparer et d’entraîner ses hommes. Le postulat Le chef a toujours raison
doit donc être inversé et remplacé par celui-ci : Le chef a toujours tort
. En toutes circonstances, le chef doit assumer seul ses décisions dont il est l’unique responsable devant la hiérarchie. Sur le terrain, il doit s’adapter en permanence à la situation et s’éloigner, si le besoin s’en fait sentir, des schémas préétablis pour des solutions qui peuvent sembler iconoclastes et dont il aura à assumer seul, là aussi, la responsabilité en cas d’échec. Enfin et par-dessus tout, le chef est le garant de la vie de ses hommes, qui ont placé en lui toute leur confiance et dont ils attendent, en cas d’engagement, qu’il ne les expose au danger qu’avec de réelles chances de réussir la mission confiée.
Le chef doit être un leader naturel qui s’impose par son exemple. L’enseignement dispensé à la formation au commandement permet à l’élève d’acquérir des techniques, mais certainement pas de se révéler comme chef. Ce sont les capacités d’écoute, de persuasion et d’exemplarité inhérentes