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Les Affaires étrangères au service de l'État belge: De 1830 à nos jours
Les Affaires étrangères au service de l'État belge: De 1830 à nos jours
Les Affaires étrangères au service de l'État belge: De 1830 à nos jours
Livre électronique839 pages11 heures

Les Affaires étrangères au service de l'État belge: De 1830 à nos jours

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À propos de ce livre électronique

L'histoire des relations internationales de la Belgique depuis le milieu du XIXe siècle.

Ce livre retrace l’évolution du ministère belge des Affaires étrangères depuis la création du Comité diplomatique jusqu’à l’actuel Service public fédéral.

Il décrit à travers l’histoire de la Belgique le rapport existant entre les structures administratives et l’évolution sociopolitique, interne et internationale. Le ministère et son outil diplomatique évoluent nécessairement au rythme des changements internationaux tout en s’adaptant aux transformations profondes de l’État et de la société belge. 

Aujourd’hui encore, le ministère se voit confronté à une réflexion en profondeur : quels sont ses atouts, sa plus-value et ses priorités face à la construction européenne, à la mondialisation et aux réformes institutionnelles de l’État ?

Cet ouvrage de référence permet de mieux comprendre le rôle de l'État belge au cœur de la mondialisation.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE 

Les Affaires étrangères au service de l’État belge de 1830 à nos jours
[…] se penche sur les nombreux chantiers investis par notre diplomatie. - Pascal Martin, Le Soir

Il n’existait pas à ce jour d’histoire scientifique du ministère des Affaires étrangères. C’est chose faite […]. Il en ressort des lignes de faîte intéressantes mais aussi de nouvelles perspectives pour un lieu de pouvoir toujours en mutation…​ - Christian Laporte, La Libre Belgique

Depuis la création du Comité diplomatique jusqu’à l’actuel Service public fédéral, ce sont 185 années d’Affaires étrangères qui sont passées en revue dans un imposant ouvrage signé par trois professeurs d’université. - Jean-Paul Bombaerts, L’Écho

À PROPOS DES AUTEURS

Rik Coolsaet est professeur de relations internationales à l’Université de Gand. De 2006 à 2013, il y a dirigé le Département de Sciences politiques. Il fut également directeur à l’Institut Egmont-Institut Royal des Relations internationales (IRRI) à Bruxelles. De 1988 et 1995, il a été successivement Chef de Cabinet adjoint des Ministres belges de la Défense et des Affaires étrangères. Ses travaux portent sur la politique étrangère de la Belgique, les relations internationales et le terrorisme.

Vincent Dujardin est professeur d’histoire à l’UCL et y préside depuis 2008 l’Institut d’études européennes. Il est aussi professeur invité à l’Université Jagelone de Cracovie et à l’Université de Szeged en Hongrie. Ses travaux portent sur l’histoire institutionnelle belge, des relations internationales et du Congo.

Claude Roosens est professeur émérite à l’UCL en relations internationales. Il a été doyen de la Faculté des sciences économiques, sociales et politiques de 2005 à 2010. Ses publications sont consacrées à la politique étrangère, à l’histoire des relations internationales et à la politique extérieure de la Belgique.
LangueFrançais
ÉditeurMardaga
Date de sortie7 janv. 2014
ISBN9782804702670
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    Aperçu du livre

    Les Affaires étrangères au service de l'État belge - Rik Coolsaet

    1830-1914

    CLAUDE ROOSENS


    1


    L’ADMINISTRATION


    CENTRALE



    « Les provinces de la Belgique, violemment détachées de la Hollande, constituent un État indépendant. » Cette déclaration du gouvernement provisoire, le 4 octobre 1830, marque la naissance de l’État belge. La révolution de 1830 a éclaté sur fond de crise économique, sociale, politique et sous l’influence des événements de Paris. Le chômage, la pauvreté, la famine… provoquent une série d’actions violentes. Les pillages, les incendies, les vols prennent les autorités au dépourvu, principalement à Bruxelles. Les symboles du pouvoir et de la richesse sont directement menacés. La bourgeoisie prend sa propre défense en mains ; elle se substitue aux autorités en mettant sur pied la garde civile afin de désarmer la révolte populaire. Le mouvement devient politique.

    Confrontée aux événements révolutionnaires qui marquent sa naissance, la Belgique (les autorités qui tentent de contrôler le mouvement en tout cas) dut très rapidement, alors même que la défaite du pouvoir hollandais apparaissait, pour assurer un minimum de stabilité et de sécurité, organiser le pouvoir, mettre en place les structures politico-administratives, constitutives de l’État. Ce fut, en un premier temps, la « commission de sûreté publique », créée le 8 septembre 1830, le « Gouvernement provisoire » ensuite, à partir du 26 septembre, avec, en son sein, un comité central qui détient quasiment tous les pouvoirs et qui est composé de quatre membres : Charles Rogier, Louis de Potter, Sylvain Van de Weyer et le comte Félix de Mérode. Signes de l’affermissement de l’État, des comités spécialisés apparaissent¹, dont le comité diplomatique, institué le 18 novembre 1830, que préside Sylvain Van de Weyer avec, à ses côtés, les comtes de Celles et d’Arschot et MM. Destrivaux et Nothomb, membres du Congrès National. M. Letten les rejoindra ensuite. Ce comité diplomatique constitue, en fait, l’ébauche du ministère des Affaires étrangères².

    On sait combien la question belge revêtit immédiatement une dimension internationale ; elle était au centre des préoccupations européennes. La révolution et la proclamation de l’indépendance représentaient une violation de l’équilibre européen tel que les puissances l’avaient rebâti en 1815. Il s’imposait donc, d’une part, de construire et consolider le nouvel État sur le terrain international et d’adopter une position diplomatique susceptible de s’attirer des appuis extérieurs et, d’autre part, de garantir à cet État une assise interne, politique, économique et sociale, stable. La Constitution elle-même, dans son texte initial (adopté le 7 février 1831), et ses révisions ultérieures y pourvurent, fournissant le cadre institutionnel interne et fixant diverses bases utiles à la vie internationale, relatives à l’indépendance de l’État, au territoire et à ses frontières, aux compétences du roi, aux traités. L’appareil politico-administratif apparut rapidement comme indispensable ; il devait fournir l’aide nécessaire à la réalisation et au maintien de l’intérêt national.

    *

    Dans le premier gouvernement de la Régence (26 février 1831), S. Van de Weyer détient le portefeuille des Affaires étrangères³. Le ministre succède au président du comité diplomatique. Un département ministériel existe aux côtés de ceux de la Guerre, des Finances, de l’Intérieur et de la Justice. Encore faut-il l’organiser, le doter de structures, en fixer le périmètre des attributions, en définir les compétences et l’animer en fonction des objectifs qu’on lui donne, c’est-à-dire au fond le situer dans les grandes orientations de l’État. Le ministère sert la politique étrangère définie par l’Exécutif et contrôlée par le Parlement. Son évolution, les transformations et les adaptations qu’il connaît sont nécessairement en liaison avec les changements internes et externes de son environnement spatial et temporel.

    Il faut attendre 1846 pour disposer d’un premier arrêté organique du ministère, dans sa partie « administration centrale ». Les évolutions intervenues avant 1846 ne sont cependant pas inintéressantes à observer. C’est ainsi que, par un arrêté du 5 mars 1831⁴, la direction de la Marine est organisée : le ministre des Affaires étrangères en est chargé à titre provisoire, un ministre propre à ce service n’étant pas apparu nécessaire⁵. Quelques mois plus tard, les questions relatives à la noblesse et l’administration de l’ordre de Léopold sont également inscrites dans les attributions du ministère⁶. La répartition des domaines de compétence évolue au cours du temps. Elle exprime l’apparition de nouveaux pôles d’intérêt (exemple : colonies, coopération au développement…) en même temps que la naissance de réflexions nouvelles quant à l’importance respective de ces domaines.

    Le secrétaire général incarne le cœur administratif de tout ministère. On ne s’étonne donc pas de trouver, dès août 1831, un arrêté du Régent définissant ses compétences, le faisant apparaître comme la plaque tournante de l’ensemble : il répartit le travail entre les services, correspond avec les légations, tient « le journal secret », dispose de la signature du ministre en son absence. Il est donc bien l’homme-clé du ministère. J.-B. Nothomb fut le premier à occuper ce poste. Il y demeura du 1er mars 1831 au 13 janvier 1837⁷.

    À cette date, le 13 janvier 1837, le chevalier de Theux de Meylandt devient ministre de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Il remplace le comte de Muelenaere. Le ministère connaît déjà à cette époque une organisation, peu complexe si on la compare à celle de la période contemporaine, mais au sein de laquelle les grandes divisions apparaissent. Le cabinet du ministre assure son secrétariat particulier ; ce cabinet allait, au cours du temps, connaître un développement considérable tant dans sa composition que dans ses compétences. Ce qui n’alla pas sans poser de sérieux problèmes dans ses relations avec l’administration. À côté de ce service « politique », le secrétariat général, institution que la Belgique connaît de manière permanente – en fait, elle existait déjà depuis 1814 à l’intérieur du royaume des Pays-Bas –, à la différence d’autres États, apparaît à la tête de la structure administrative. Trois divisions soutiennent – en gros, elles s’établissent entre 1831 et 1840 – cet ensemble administratif. La première est chargée des affaires politiques et diplomatiques et des renseignements de nature confidentielle ; la deuxième gère les traités de commerce et les affaires commerciales ; la troisième se voit confier les grands services logistiques : la comptabilité, les finances, les passeports, les légalisations, les consulats (dont on peut s’étonner qu’ils ne relèvent pas de la deuxième division).

    Quand J. Lebeau devient ministre des Affaires étrangères, le 18 avril 1840, alors que l’administration de la Marine est de nouveau rattachée aux Affaires étrangères⁸, diverses évolutions interviennent dans l’organisation du département, à travers, notamment, la transformation des divisions en directions. L’Almanach de la Cour de 1841 nous fournit les indications suivantes. Outre le secrétariat général que dirige le baron Émile de T’Serclaes et dont les compétences demeurent, pour l’essentiel, celles définies en 1831, trois directions composent l’administration ; leurs compétences se précisent. La première, qui a à sa tête M. Constant Materne, s’occupe des Affaires politiques (instructions, correspondance diplomatique, négociations, traités, exécution des traités…) et des renseignements confidentiels (demandes d’extradition, lettres de notification, de rappel et de recréance, audiences diplomatiques, privilèges diplomatiques). La deuxième direction – M. Laurent Veydt en est le directeur – suit les affaires commerciales (instructions, négociations, traités, renseignements et correspondance), les consulats (organisation, interprétation des lois, correspondance avec les consuls, mouvements des postes, du commerce, lettres d’exequatur…) et les affaires litigieuses (droits de succession dans les rapports internationaux, questions de navigation et de commerce…). La troisième direction – M. Turbot est directeur de la chancellerie et de la comptabilité – continue à assurer la comptabilité et les matières diverses que sont les passeports, les légalisations, l’état civil, les actes judiciaires, etc.⁹

    Expression de la place occupée dans la vie de l’État par certaines questions, comme le commerce et l’organisation consulaire, cette évolution traduit bien l’adaptation progressive de l’État aux exigences de son développement et de sa participation à la vie internationale. Avant l’arrêté de 1846, on mentionnera encore le rattachement aux Affaires étrangères de la troisième division du ministère de l’Intérieur : elle forme, aux Affaires étrangères, une quatrième direction, celle du Commerce intérieur ; la deuxième direction s’occupant, quant à elle, du Commerce extérieur.

    Avec l’arrêté royal du 21 novembre 1846¹⁰, le ministère des Affaires étrangères reçoit, dans une réorganisation générale des grandes administrations de l’État (en fait, à l’exception notable du ministère des Travaux publics, chargé des chemins de fer, le cadre ministériel ne concerne que les grands secteurs de la Puissance publique : Intérieur, Justice, Finances, Affaires étrangères, Guerre), un premier cadre organique effectif. Il s’agit, comme l’indique le texte lui-même, d’« introduire dans l’organisation actuelle du ministère […] les améliorations que l’expérience a indiquées et fixer le cadre du personnel, les attributions, les traitements, les règles d’admission et d’avancement¹¹ ».

    Étant donné la stabilité, à tout le moins organisationnelle, qui marqua le ministère jusqu’à la Première Guerre mondiale en tout cas, il nous semble justifié de considérer la structure institutionnelle de 1846 comme une base solide à partir de laquelle on peut envisager l’évolution de chacune des entités qui la composent. On notera cependant, dès à présent, que d’autres repères chronologiques seront pris en compte : 1873 (arrêté royal du 11 décembre de coordination des modifications intervenues depuis 1846 et ayant pour but « d’assurer de nouvelles garanties à la marche prompte et régulière des divers services » du département), 1880, 1895, 1912… notamment.

    LE CABINET DU MINISTRE

    Entité difficile à cerner, objet de nombreuses contestations et interprétations divergentes, le cabinet ministériel ne fait l’objet d’une première réglementation qu’avec l’arrêté organique du 7 août 1839. Avant cela, seuls des arrêtés organiques propres à certains ministères l’évoquaient. Ainsi, comme le mentionne l’Almanach de Belgique 1830-1840, existe-t-il au ministère des Affaires étrangères depuis 1836 à tout le moins : le comte L. de Baillet, attaché, en est le responsable. L’arrêté royal du 21 novembre 1846 donne à ce responsable (il s’agit à cette époque du baron O. de T’Serclaes) le titre de « secrétaire particulier ». Le ministre le choisit soit dans l’administration centrale, soit en dehors de celle-ci (dans cette hypothèse, il est nommé par le roi). Ses attributions revêtent un caractère particulier en ce qu’elles concernent directement le ministre. À celles définies dès 1846 (réception et ouverture des dépêches, correspondance particulière, demandes d’audience, affaires de nature confidentielle, affaires que le ministre se réserve et recherches ou études propres à faciliter le travail du ministre), s’ajoutent, en 1873, la revue de la presse – la recherche de l’information et, par la suite, une sensibilisation à l’opinion –, la garde et la traduction du chiffre – le développement et la promotion des communications s’imposent –, et l’entretien des collections et de la bibliothèque du cabinet – la formulation et la défense des positions belges en matière internationale supposent un appui érudit et scientifique. Fin 1905¹² s’y adjoindront « l’indicateur général d’entrée, l’enregistrement de toutes les pièces ».

    Bien que l’arrêté royal du 9 mars 1912 mentionne encore explicitement que « le cabinet du ministre est dirigé par un fonctionnaire qui porte le titre soit de chef du cabinet, soit de secrétaire particulier », la distinction n’est cependant pas sans importance. Quant au traitement tout d’abord. En effet, si, en 1873, l’article 15 de l’arrêté royal du 11 décembre mentionne que « le traitement du chef de cabinet ou secrétaire particulier du ministre est fixé par l’arrêté de nomination, il varie cependant de 3 000 à 5 000 francs » : en 1912, l’article 17 de l’arrêté royal du 27 février, précise : « Le traitement du fonctionnaire qui dirige le cabinet du ministre varie de 4 000 à 6 000 francs, s’il porte le titre de secrétaire particulier, et de 6 500 à 9 000 francs s’il a le grade de chef de cabinet. » Quant aux attributions ensuite. En effet, l’arrêté royal du 11 décembre 1873 spécifie que la qualité de « chef de service » revient au fonctionnaire qui porte le titre de chef de cabinet (et elle n’est pas attribuée au secrétaire particulier). Cette disposition permet en fait au ministre de désigner son chef de cabinet comme remplaçant du secrétaire général lorsque celui-ci est absent ou empêché (art. 9).

    L’examen de l’évolution qu’a connue la fonction permet de dégager quelques observations. Les cabinets du XIXe siècle n’ont pas tout d’abord ce caractère pléthorique que beaucoup reprochent aux actuels. Deux, trois personnes les composent. À côté du chef du cabinet – on remarquera qu’il n’y a plus de secrétaire particulier après 1870 – apparaissent un ou deux attachés ou un chef de bureau et un chef de division. La liste des chefs de cabinet permet d’observer que, si la fonction présente fréquemment un lien direct et personnel avec le ministre, il arrive qu’un chef de cabinet assiste successivement plusieurs ministres. C’est le cas, par exemple, du comte C. Vander Straten Ponthoz qui fut chef de cabinet des ministres de Caraman Chimay (1884-1892) et de Mérode-Westerloo (1892-1895). La fonction revêt cependant bien un caractère personnel, marqué par l’engagement au service d’une personne et de projets politiques. On constate également que ces chefs de cabinet sont aussi bien issus de l’administration centrale que des services extérieurs. Ceci est vrai pour la période avant 1870. Par la suite, les chefs de cabinet sont majoritairement issus de la carrière extérieure. Seuls MM. L. van der Elst (chef de cabinet des ministres de Burlet [1895-1896] et de Favereau [1896-1906]) et H. Costermans sont issus de l’intérieur¹³.

    LE SECRÉTARIAT GÉNÉRAL

    Même s’il ne dispose pas de toutes les attributions qui reviennent au Permanent Secretary britannique, le secrétaire général représente un élément essentiel de la structure administrative ministérielle belge. Présent dans l’ensemble des ministères depuis la création de l’État, il y dispose de compétences importantes. Le ministère des Affaires étrangères, on l’a vu, est celui qui va, le premier, bénéficier de dispositions réglementaires plutôt précises en la matière. Quelques personnalités ayant occupé la fonction ont particulièrement marqué son exercice et ont imprimé leur marque personnelle sur la politique étrangère du pays. Il suffit de citer, pour la période qui nous concerne, le nom du baron Auguste Lambermont. En charge pendant plus de 40 ans, son action alla bien au-delà de la gestion et de la coordination administrative. Son rôle politique en fait un des grands acteurs de la politique étrangère belge¹⁴. Les ministres passent…, le secrétaire général demeure.

    Aux attributions précisées dès 1831¹⁵ (réception des dépêches, renvoi de celles qui concernent les affaires courantes aux différentes divisions et remise des autres au ministre ; correspondance avec les légations belges ; tenue du journal secret et des archives secrètes ; certification des pièces pour copie conforme ; toute attribution déléguée par le ministre ; signature du ministre en son absence), l’arrêté organique de 1846 en ajoute d’autres et précise le cadre administratif avec le support duquel il les exerce. Placé sous la responsabilité du ministre, le secrétaire général dispose d’une autorité hiérarchique sur les différents responsables de l’administration. Il coordonne, surveille l’ensemble. L’article 6 de l’arrêté du 21 novembre 1846 exprime clairement cette tâche : « Le secrétaire général distribue et surveille le travail des différentes parties du département. Les chefs de service lui remettent, sauf les cas d’urgence, toutes les affaires traitées dans leurs bureaux respectifs. Il les soumet au ministre avec ses observations s’il y a lieu. Il signe pour le ministre, quand celui-ci est absent ou empêché, les actes de la correspondance journalière. » Il joue en quelque sorte le rôle de chef du personnel de l’administration centrale. Il soumet, en effet, au ministre, toute proposition concernant ce personnel : création ou suppression d’emplois, nominations, avancements et démissions… Le développement de l’administration conduisit, en 1872, à la création du comité des chefs de service de l’administration centrale. À composition variable suivant les questions à débattre, ce comité apparut nécessaire pour coordonner les affaires relevant de plusieurs directions ainsi que pour la préparation des questions touchant au personnel¹⁶. La latitude avec laquelle le secrétaire général peut exercer ses charges est évidemment fonction de l’état de ses relations avec le ministre et le cabinet de celui-ci. La nature de sa personnalité joue un rôle déterminant dans l’équilibre à trouver entre orientation politique et administration.

    Deux « bureaux », établis par l’arrêté royal de 1846, le composent : le bureau d’enregistrement et d’expédition¹⁷ et le bureau des ordres et de la noblesse¹⁸. La première de ces entités gère l’indicateur (toutes les pièces entrantes et sortantes, et leur distribution), assure la conservation et le classement des arrêtés royaux et ministériels, des traités et conventions et des documents parlementaires. Elle tient également le registre du personnel (le sommier-contrôle). Suivant l’arrêté, le cadre de ce bureau comprend un chef de bureau, deux commis et cinq expéditionnaires. Cette entité existera en tant que telle jusqu’à la Première Guerre. Les arrêtés royaux du 30 décembre 1905¹⁹ et du 27 février 1912²⁰ – le premier s’occupant des « recherches et études destinées à faciliter le travail du secrétaire général et du personnel de l’administration centrale », le second ayant « transcription et collationnement ; expédition des lettres, pièces et paquets ; correspondance… » pour tâches – expriment cependant bien l’évolution intervenue, suite à la charge grandissante du travail, en répartissant les tâches entre ces deux bureaux.

    La seconde de ces entités, le bureau des ordres et de la noblesse, est en charge de la gestion de l’ordre de Léopold, des titres de noblesse, de la bibliothèque du ministère et des archives générales. Un chef de bureau et deux commis en assurent le fonctionnement. Cette entité connaîtra divers changements au long du siècle. C’est ainsi qu’un bureau des archives réapparaît en tant que tel en 1868 pour devenir, en 1873, la division des archives, des traductions et de la bibliothèque²¹, en même temps qu’apparaît la division des ordres et de la noblesse. On remarquera que figure dans les compétences de la première de ces divisions la « revue de la presse étrangère ». En 1875, les deux entités portent le titre de direction. Le service des ordres et de la noblesse relève, à partir de 1896²², de la direction politique pour revenir, en 1912, au secrétariat général. La direction des archives, des traductions et de la bibliothèque subsistera, en tant que telle, jusqu’en 1905, date à laquelle elle réintègre le secrétariat général. Elle est, durant cette période, composée de deux bureaux dont l’un est chargé de la « traite africaine » et de la « correspondance relative à l’exécution de l’article 82 de l’Acte général de Bruxelles et publication du recueil annuel prévu pour cet article »²³.

    Organe central au sein du ministère, le secrétariat général allait, par la suite, être l’objet de nombreuses discussions et susciter bien des réflexions quant à la place à lui reconnaître. Premier fonctionnaire du ministère, coordinateur de l’action administrative, le secrétaire général peut être le garant de l’« autonomie » de l’administration par rapport aux partis et autres influences extérieures, en même temps que le soutien, voire l’inspirateur, des projets politiques du ministre. Le tout sera fonction de la relation de confiance établie entre les hommes.

    LES GRANDES DIRECTIONS

    Le rôle général assuré par le cabinet et le secrétariat général devait nécessairement être complété par un ensemble de structures dédiées à l’exercice journalier et technique du suivi direct des questions politiques, économiques et de gestion de l’ensemble des activités du ministère. C’est ainsi que l’arrêté royal du 21 novembre 1846 établit les grandes directions : politique, du commerce extérieur et des consulats, du commerce intérieur, de la comptabilité, et de la chancellerie et de la marine.

    Succédant à la première division (affaires politiques et diplomatiques), devenue première direction en 1840, la direction politique fondée par l’arrêté royal du 21 novembre 1846 reçoit des compétences larges relatives à la conduite de la politique étrangère (instructions, correspondance diplomatique, négociations, traités…) et à la vie diplomatique (renseignements confidentiels, lettres de créance, de rappel, protocole, audiences, privilèges, personnel diplomatique, traduction des pièces et documents écrits dans une autre langue que le français – cette dernière compétence est transférée, en 1860, au bureau des ordres et de la noblesse).

    Une réorganisation ultérieure établit deux bureaux, au sein de la direction, aux compétences clairement précisées²⁴, avant qu’en 1896 le service des ordres et de la noblesse, qui relevait jusque-là du secrétariat général, n’intègre la direction politique y formant le deuxième bureau²⁵.

    À partir de 1905, la direction devient une direction générale, comprenant deux divisions : celle des Affaires publiques et celle des ordres et de la noblesse²⁶. En 1912, l’arrêté royal du 27 février qui réorganise l’ensemble du ministère crée une troisième section au sein de la direction générale, signe de l’apparition de nouvelles préoccupations et de l’augmentation des tâches à assurer qui en résulte : la section des Affaires coloniales²⁷. Alors que les deux autres sections ne voient guère de changement les affecter, les Affaires coloniales sont chargées des « questions concernant les relations politiques de la colonie du Congo avec les puissances étrangères. Négociation et conclusion des arrangements qui concernent les limites de la colonie. Interprétation et exécution de l’acte de Berlin et des autres actes internationaux collectifs qui concernent le bassin conventionnel du Congo. » En vertu de la charte coloniale de 1908, réglant le transfert de la souveraineté de l’État indépendant du Congo à la Belgique, c’est en effet le ministère des Affaires étrangères du royaume qui a dans ses attributions « les relations de la Belgique avec les puissances étrangères au sujet de la Colonie », tandis que le ministère des Colonies, créé dès 1908²⁸ également, veille à la gestion « interne » du Congo. La question des relations extérieures du Congo donnera cependant lieu à de nombreuses tensions entre ministères des Affaires étrangères et des Colonies²⁹. Le ministère des Colonies, dirigé dès 1908 par Jules Renkin, est organisé sur le modèle des autres ministères belges (cabinet du ministre et administration générale divisée en directions générales et directions) mais s’en distingue en ce qu’il relève à la fois du droit belge et du droit de la Colonie (l’administrateur général des colonies a, par exemple, des attributions plus étendues qu’un secrétaire général). Il comporte diverses directions témoignant de l’importante palette de ses compétences : justice, agriculture, commerce, travaux publics, enseignement, etc.³⁰

    Si l’existence de l’État belge était directement liée à la situation politique, intérieure et internationale – le rôle du ministère des Affaires étrangères était donc bien indispensable –, sa survie et son développement apparurent immédiatement dépendants de son économie, son commerce, ses industries, ses finances. La préoccupation du « commerce » s’imposa d’elle-même. Les relations économiques extérieures devinrent très vite une assise essentielle de l’État. Dès la création du ministère, les traités de commerce, la correspondance avec les consuls, la marine furent pris en compte. Un deuxième bureau, chargé des consulats, existe dès 1831. P. Nayer en est le responsable. Lorsqu’en 1837 est créée la deuxième division, chargée des traités de commerce et des affaires commerciales, il en devient le directeur. En 1841, cette division est transformée en direction, ayant compétence pour les affaires commerciales, les consulats et les affaires litigieuses³¹. L’arrêté royal fondateur du 21 novembre 1846 établit, en la matière, deux directions, celle du commerce extérieur et des consulats et celle du commerce intérieur. La première assure la correspondance avec les agents sur les questions d’intérêt commercial et maritime, les consulats : immunité, personnel, lettres de provision et d’exequatur. La seconde est en charge du commerce intérieur : correspondance interne relative aux intérêts commerciaux du pays, questions liées à la navigation et à la pêche, chambres et bourses du commerce.

    En 1860, l’arrêté royal du 30 avril³² crée, à partir des deux anciennes directions, une direction unique, la direction du commerce et des consulats, divisée en deux sections : du commerce intérieur d’une part, des consulats d’autre part³³. Les diverses modifications apportées à cette structure, en 1861, 1880, 1882, 1895³⁴ et 1905 notamment, entraînent une précision en même temps qu’une complexité croissante dans la définition des compétences. Quand, en 1905³⁵, le service devient direction générale du Commerce et des Consulats, deux divisions le composent : législation et consulats pour l’une, faits commerciaux pour l’autre. L’examen des compétences traduit à la fois un élargissement du domaine d’intervention dû à une adaptation de l’évolution même du contenu des relations économiques internationales en même temps qu’une nouvelle manière de travailler : l’administration fournit une information de plus en plus riche qu’elle est chargée de collecter. On voit ainsi l’arrêté royal du 27 février 1912 préciser que la direction a dans ses compétences « les lois et règlements relatifs aux émigrants ; les mesures destinées à guider les Belges dans leur expatriation […] ; la surveillance des opérations des agents d’émigration ; la visite des logements des émigrants ; la visite médicale des émigrants avant leur départ, etc. ». La direction comprend aussi un « bureau officiel des renseignements commerciaux » : il détient les rapports commerciaux des agents, il assure l’envoi aux consuls des renseignements sur la situation industrielle et commerciale de la Belgique, il possède des collections d’échantillons des produits commerciaux étrangers, des collections de livres, journaux et autres publications étrangères pouvant intéresser le commerce et l’industrie belges.

    L’importance de cette direction n’est pas à souligner. Elle représente le cœur de l’activité extérieure du ministère. On ne s’étonne pas dès lors qu’elle soit celle qui reçoive le plus grand nombre d’agents : à la fin du siècle, on en dénombre une vingtaine, soit le double, voire le triple de chacune des autres directions.

    Outre ces deux grandes directions, directement en charge des attributions essentielles du ministère – les relations politiques et économiques internationales –, un autre secteur compose l’administration centrale des Affaires étrangères : celui de la comptabilité et de la chancellerie. C’est sur base de la troisième division (comptabilité, finances, légalisation, consultation) en place depuis 1832 qu’en 1841 apparaît une troisième direction qui devient, en 1846, la division de la comptabilité et de la chancellerie³⁶. Elle est en charge de la gestion du budget du ministère, des traitements des fonctionnaires, des divers frais (voyages, courrier…, des légalisations [visas, passeports], … ainsi que des « dépenses secrètes »), bref la gestion de l’intendance et de la logistique. En 1855, elle devient bien une direction, comprenant un bureau de la comptabilité et un bureau de la chancellerie. En 1866, cette structure est remplacée par une direction de la chancellerie et une direction de la comptabilité. Cette dernière est transférée, en 1910³⁷ à la direction générale de la chancellerie dont elle constitue désormais une section. La chancellerie a dans ses attributions ce qui, d’une manière générale, concerne les individus (nationalité, état civil, état des personnes…), tandis que la comptabilité s’occupe de tout ce qui relève des aspects financier et matériel relatifs au fonctionnement des Affaires étrangères.

    On notera encore qu’une direction (direction générale à partir de 1905) du contentieux et du protocole apparaît en 1896. Comme son titre l’indique, elle gère les questions relatives au protocole dont on connaît l’importance aux Affaires étrangères, ainsi que les études des questions de droit international privé et autres actes diplomatiques ne concernant pas les relations politiques, le commerce et la navigation.

    Assurer le fonctionnement de ces structures administratives suppose une politique du personnel. Du recrutement jusqu’à la retraite, le suivi du personnel est confié aujourd’hui à un service propre, spécialisé dans ces compétences pour lesquelles une formation large est requise. On ne peut pas parler, au sens actuel, d’une politique du personnel pour la période qui nous concerne. Quelques règles et principes sont cependant en vigueur dans ce qui s’apparente davantage à une gestion qu’à une réelle politique du personnel.

    C’est le secrétaire général qui est responsable du personnel de l’administration centrale pour lequel la comptabilité intervient également. Le secrétaire général propose aux ministres les ouvertures ou suppressions d’emplois, les nominations, les avancements. La comptabilité s’occupe, quant à elle, des traitements, des pensions, de l’aide aux anciens fonctionnaires.

    Le personnel, encore très limité dans les premiers temps – une trentaine de personnes en 1845 –, devient de plus en plus important. En 1875, on compte 42 fonctionnaires. Les affaires à gérer, les services à créer, les changements dans les compétences… ne peuvent être examinés ici. En 1879, 51 personnes occupent ce cadre de l’administration centrale, 72 en 1895, 83 en 1903, 96 en 1910 et 98 en 1912. Comme on l’a vu, la direction du commerce et des consulats comprend relativement le plus grand nombre de fonctionnaires. Ce qui traduit bien les priorités que l’on se donne. Après elle, la chancellerie et la comptabilité disposent également d’un service plutôt bien étoffé. Avec l’augmentation du nombre de fonctionnaires se développe également la réglementation les concernant. Petit à petit, la fonction s’organise³⁸.

    LE ROI

    ³⁹

    Dans l’organisation institutionnelle et dans les processus décisionnels de politique étrangère, le roi occupe une position cardinale tout au long du XIXe siècle. Tant les nécessités conjoncturelles que le statut international du pays expliquent ce rôle central joué par le souverain. La politique internationale représente véritablement, avec les nuances qu’il faut souligner en fonction des questions abordées et des circonstances, un domaine réservé au roi. Le roi y agit de manière indépendante, menant ainsi une politique largement personnelle.

    Cette politique, Léopold Ier la conduisit grâce à des intermédiaires précieux, comme, au sein de l’Administration centrale, le baron Auguste Lambermont, et divers agents actifs des services extérieurs parmi lesquels certains sont des interlocuteurs privilégiés. Ses relations de cour le servent énormément. L’Internationale des souverains est une réalité à cette époque et Léopold Ier utilise ce réseau de relations personnelles et familiales (avec la Cour britannique notamment). Il se déplace auprès de la reine Victoria, Louis-Philippe, Napoléon III ; il reçoit les diplomates accrédités à Bruxelles, il entretient une correspondance suivie avec les Grands.

    Si la grande politique, celle qui concerne la paix, l’équilibre européen, la sécurité, demeure son terrain d’action réservé, le Roi exerce en fait un contrôle direct sur toute la politique étrangère. L’influence personnelle qu’il assure sur les dirigeants étrangers lui permet bien souvent de faire prévaloir son point de vue propre. Un ministre qui serait en désaccord ne pourra tenir longtemps sinon il sera démissionné ou se retirera de lui-même. Le Roi considère que ses démarches l’emportent, en influence, sur l’action du ministère et de ses diplomates. Il utilise d’ailleurs directement ces derniers, passant au-dessus du ministre. Cet interventionnisme dans l’action diplomatique voit le Roi entretenir des correspondances avec les agents en poste, sans référence au ministre, ou même désigner un agent appelé à se substituer en quelque sorte à l’agent officiellement en place. Un cas est resté célèbre à cet égard. Alors que Firmin Rogier, frère de Charles Rogier, était chef de poste à Paris, le Roi, qui le considérait comme incompétent, souhaitait le remplacer par le prince de Chimay, homme de confiance du Souverain. Le gouvernement refusant ce changement, le Roi n’hésita pas à envoyer à Paris le prince de Chimay, auquel il confiait toutes les affaires importantes à traiter avec Paris. Cet événement ne fut pas sans influence dans la démission du cabinet De Brouckère en 1858. Ces interventions personnelles seront appelées à se réduire, tout en ne changeant pas fondamentalement l’attitude du Roi, lorsque l’on passera au système de gouvernement de parti. La force de l’unité gouvernementale et la nécessité d’obtenir l’accord des Chambres pour l’engagement financier nécessaire à certaines actions donneront au ministre la capacité d’apporter, en certaines circonstances, une réponse négative au Roi. Cette affirmation du gouvernement se manifesta clairement à propos de l’expédition en Chine, envisagée par les Anglais et les Français. Alors que le duc de Brabant poussait à une participation belge, le Roi soutint, par divers contacts avec Napoléon III notamment, l’initiative. Le refus du gouvernement qui, ayant appris, par des indiscrétions rapportées depuis Paris, cette intervention du Roi, fit valoir des raisons financières et empêcha ainsi le Roi de mener à bien ce projet.

    À côté de ce rôle critique, le gouvernement sut aussi, en certaines circonstances, s’affirmer sur le terrain de la politique étrangère en prenant directement en mains la conduite d’une grande négociation. On voit combien le rôle de Lambermont fut déterminant dans le rachat du péage de l’Escaut en 1863. L’intervention du Roi ne fut qu’accessoire dans cette opération qui fut certainement l’une des plus importantes de la diplomatie belge du XIXe siècle.

    Le roi agit donc quasiment à titre personnel dans le domaine qu’il se réserve. Ceci ne signifie pas qu’il ne prend pas en considération les intérêts belges – du moins la perception qu’il en a – ni qu’il ne tient pas compte de la politique du gouvernement. Le colloque avec ses ministres s’inscrit dans le processus de prise de décision. Sous Léopold Ier, et encore sous Léopold II, le roi représente le passage obligé de toute grande décision. Les rapports entre le roi et ses ministres sont plus étroits qu’aujourd’hui. Une conception orléaniste de la monarchie prévaut. Ce qui n’altère pas la nature constitutionnelle de la monarchie à propos de laquelle le principe de la responsabilité ministérielle s’applique. L’évolution se situe donc plutôt dans le degré d’initiative et d’autonomie reconnu à chaque branche de l’exécutif.

    Souverain constitutionnel – la vie parlementaire occupe une place croissante – Léopold II bénéficie de l’héritage de Léopold Ier. Il ne s’inscrit cependant pas purement et simplement dans la ligne de son prédécesseur. Mise à part la politique coloniale à l’égard du Congo (on concédera volontiers que cette part est loin d’être négligeable), Léopold II ne mène pas une grande politique étrangère semblable à celle de son prédécesseur. La conduite de la politique étrangère devient de plus en plus l’apanage du ministre des Affaires étrangères. L’accord ne sera pas toujours parfait entre les deux branches de l’exécutif. Mais la légalité aura toujours le dernier mot. Léopold II s’efforce de conserver le contrôle de la politique étrangère. Il demeure, en tout cas, maître de tous les instruments dont disposait son père. Les rapports étroits qu’il entretient avec les Grands, son contrôle de l’outil diplomatique belge, le dévouement de certains hauts fonctionnaires représentent autant de moyens d’action dont il sait se servir.

    Le baron Lambermont, personnage-clé de la politique étrangère belge, demeure l’homme de confiance et de liaison, le conseiller du Roi, jusqu’en 1882 en tout cas, lorsqu’intervient une rupture entre eux à propos du Congo et des décrets adoptés à ce sujet. Le Roi continue, par ailleurs, à utiliser les diplomates belges à l’étranger. Le double circuit ministère-agents diplomatiques et Palais-agents diplomatiques reste bien en place. Il est, sous Léopold II, mis au service de la politique africaine (et des autres initiatives coloniales qu’il envisage). L’affaire congolaise releva de son seul domaine personnel même si son ambition était bien, au départ, de donner un empire colonial à la Belgique. Néanmoins, sa double personnalité, chef d’État et particulier, ne pouvait supprimer le lien avec l’État. Tant que l’action des diplomates dont il se servait dans le cadre de ses projets personnels pouvait être séparée de celle de l’État, la confusion ne posait guère de problème. Il n’en fut cependant pas toujours ainsi. Si cette question coloniale ne relevait pas de la politique étrangère de l’État, la mise au service d’intérêts privés de l’outil diplomatique belge témoignait de la capacité du Roi à garder le contrôle de ce secteur de l’activité publique.


    1. Ils concernent l’Intérieur, les Finances, la Guerre. Ces trois comités sont institués dès le 27 septembre 1830. Le comité de la Justice est créé le 10 octobre 1830.

    2. On remarquera que l’appellation « Affaires étrangères » est bien établie. Elle se retrouve dans tous les documents officiels de l’époque, sauf dans l’arrêté du Régent du 9 avril 1831, qui, dans son intitulé, règle les « attributions du secrétaire général au ministère des relations extérieures » tout en évoquant, dans le corps de l’arrêté, « le ministère des affaires étrangères ». Pasinomie, tome XII, 1830-1831, p. 326.

    3. S. Van de Weyer démissionne le 20 mars. Il est remplacé, le 27 mars, par J. Lebeau. H. Vander Linden, « Jean-Sylvain Van de Weyer », in Biographie nationale, t. 27, Bruxelles, 1938, col. 245-272, ici col. 253.

    4. Pasinomie, tome XII, 1830-1831, p. 245-246.

    5. Ce service de la Marine (un ministère de la Marine apparut en 1832 [Pasinomie, tome XIII, 1831-1832, p. 272 et 294]) continua à fonctionner au sein du ministère des Affaires étrangères jusqu’en 1837. Le 13 janvier de cette année, en effet, est créé un ministère des Travaux publics au sein duquel s’inscrit la direction de la Marine. En avril 1840, le service de la Marine est de nouveau transféré aux Affaires étrangères (voir infra).

    6. Arrêté du 8 novembre 1832. Pasinomie, tome XIII, 1831-1832, p. 546.

    7. En effet, un arrêté royal du 13 janvier 1837 nomme J.-B. Nothomb ministre des Travaux publics et un autre, daté également du 13 janvier 1837, nomme le baron Émile de T’Serclaes secrétaire général des Affaires étrangères. Pasinomie, tome XVIII, 1837, p. 13.

    8. A.R. du 18 avril 1840. Pasinomie, tome XXI, 1840, p. 53.

    9. Almanach de la Cour, Bruxelles, 1841, p. 266-267.

    10. Pasinomie, tome XXVII, 1846, p. 687. Voir aussi M.B. du 24 novembre 1846, n° 328, p. 1361-1384.

    11. M.B. du 24 novembre 1846, p. 1366.

    12. A.R. du 30 décembre 1905. M.B. du 28 janvier 1906, n° 28, p. 496-505.

    13. Biographie de Léon van der Elst dans le descriptif des papiers du baron, Archives générales du Royaume, Bruxelles. F. Peemans, « Henri Costermans », in Biographie nationale, t. 44, Bruxelles, 1985-1986, col. 341-345.

    14. Jacques Willequet, Le baron Lambermont, Bruxelles, La Renaissance du livre, 1971.

    15. Arrêté du Régent, 9 avril 1831.

    16. Y. Peemans, L’organisation de l’administration du ministère des Affaires étrangères de 1830 à 1914, Université libre de Bruxelles, mémoire de licence, 1979, p. 21-22-23.

    17. Il succède au bureau de l’indicateur général et de l’expédition créé en 1841.

    18. Celui-ci succède au bureau portant le même nom créé en 1841. En 1846, il absorbe les archives générales du ministère, bureau établi, lui aussi, dès 1841.

    19. Pasinomie, tome XL, 1905, p. 398-405.

    20. Pasinomie, tome III, 1912, p. 68-75.

    21. Y. Peemans explique, à partir d’un procès-verbal du comité des chefs de service (séance du 22 février 1872), les raisons qui ont conduit le secrétaire général à proposer la constitution en division de l’ancien bureau des Archives : la qualité de chef de division acquise par le chef de ce service correspondait mieux aux tâches qui lui étaient attribuées. Il était, en effet, appelé, au-delà de ses fonctions spécifiques, à traiter de questions générales ne rentrant pas dans les attributions spécifiques de l’une ou l’autre direction. Y. Peemans, op. cit., p. 49.

    22. A.R. du 20 novembre 1896. Pasinomie, tome XXXI, 1896, p. 420-421.

    23. A.R. du 9 novembre 1895. Pasinomie, tome XXX, 1895, p. 432-438.

    24. Voir notamment, à ce sujet, l’A.R. du 9 novembre 1895 (Pasinomie, tome XXX, 1895, p. 432-438). Le premier bureau s’occupe particulièrement du personnel diplomatique, tandis que le second est orienté sur les questions politiques, les négociations, les traités, etc.

    25. Ce service réintègre le secrétariat général en 1912.

    26. A.R. du 30 décembre 1905. Pasinomie, tome XL, 1905, p. 398-405.

    27. A.R. du 27 février 1912. Pasinomie, tome III, 1912, p. 68-75.

    28. La loi sur le gouvernement du Congo belge du 18 octobre 1908 précisait déjà en son article 28 que le ministre des Affaires étrangères avait, dans ses attributions, les relations de la Belgique avec les puissances étrangères au sujet de la colonie. La section des Affaires coloniales se verra donc chargée de cette dimension, dès sa naissance en 1912. Loi du 18 octobre 1908 sur le gouvernement du Congo belge. Pasinomie, tome XLIII, 1908, p. 829-890.

    29. Guy Vanthemsche, La Belgique et le Congo. L’impact de la colonie sur la métropole, Bruxelles, Le Cri, 2010, p. 154.

    30. A.R. du 3 novembre 1908 fixant le règlement organique du Ministère des Colonies, modifié à diverses reprises, spécialement par celui du 9 octobre 1933 (Bulletin officiel du Congo belge, 1933, I, p. 761). Cité par Louis De Clerck, « L’organisation politique et administrative », in L’ordre juridique colonial belge en Afrique centrale. Éléments d’histoire. Recueil d’études, Bruxelles, Académie royale des Sciences d’Outre-Mer, 2004, p. 121-195, ici p. 131.

    31. Almanach de la Cour, Bruxelles, 1841, p. 267.

    32. A.R. du 30 avril 1860. Pasinomie, tome XLI, 1860, p. 168.

    33. Cette section des consulats reçoit notamment dans ses compétences : « les voies de communications internationales, postes et télégraphes du point de vue commercial ».

    34. A.R. du 9 novembre 1895. Pasinomie, tome XXX, 1895, p. 432-438.

    35. A.R. du 30 décembre 1905. Pasinomie, tome XL, 1905, p. 398-405.

    36. L’A.R. du 21 novembre 1846 mentionne bien qu’il s’agit d’une division, alors que les deux autres instances principales sont qualifiées de directions. M.B. du 24 novembre 1906, p. 1367-1368.

    37. A.R. du 14 janvier 1910. Pasinomie, tome premier, 1909-1910, p. 107.

    38. On peut se référer à Y. Peemans, L’organisation de l’administration…, op. cit.

    39. Sur cette place du roi dans la gestion de la politique étrangère belge, on se référera à Jean Stengers, L’action du roi en Belgique depuis 1831, Paris/Louvain-la-Neuve, Duculot, 1992 ; André Molitor, La fonction royale, Bruxelles, CRISP, 1978 ; Mark Van den Wijngaert, Lieve Beullens et Dana Brants, Pouvoir et monarchie. La Belgique et ses rois, Bruxelles, Luc Pire, 2002.

    2


    LES SERVICES EXTÉRIEURS


    – POSTES ET AGENTS DIPLOMATIQUES



    La nature même de la politique étrangère – une politique publique parmi d’autres, mais qui présente tout de même des caractéristiques propres – ne se conçoit pas sans l’existence de ces services extérieurs, diplomatiques et consulaires, chargés d’appliquer cette politique sur le territoire étranger, mais aussi d’informer, de conseiller, de participer même à la définition des actions extérieures de l’État.

    Un État ne peut exister sans politique étrangère. Son indépendance, sa souveraineté impliquent un minimum de contact avec l’extérieur, avec les autres partenaires de la vie internationale. Il en fut ainsi pour la Belgique dès sa naissance. Produit, partiellement à tout le moins, du système international de son époque, la Belgique a continuellement été marquée par la politique étrangère. Celle-ci lui fut indispensable : elle présida à sa création, contribua à la maintenir sur la scène internationale et lui permit de se développer jusqu’à devenir, après avoir connu un statut de protection qui pouvait réduire son droit d’initiative, un État reconnu aux côtés des autres, au rôle dynamique et moteur. La création d’un ministère des Affaires étrangères, avec son administration centrale, s’accompagna nécessairement de l’ouverture réciproque de postes diplomatiques et consulaires et du recrutement d’agents spécialisés. Que l’État belge, dès sa création, se soit préoccupé de l’organisation de son réseau diplomatique et consulaire n’étonne donc pas. Sa mise sur pied, son développement ne se réalisèrent cependant pas sans difficultés ni critiques.

    L’organisation de la diplomatie, les fonctions et le statut de ses agents sont régis par des sources de droit interne, comme celles relatives aux agents de l’État, ainsi que par des sources internationales. Pour ces dernières, à côté de conventions bilatérales, on trouve principalement des conventions multilatérales (le Règlement général sur le rang des agents diplomatiques de Vienne [annexe XVII de l’Acte du congrès de Vienne, juin 1815], le Protocole du congrès d’Aix-la-Chapelle [1818] qui complète la convention de 1815, les conventions de Vienne sur les relations diplomatiques [1961] et sur les relations consulaires [1963] en sont les principales). Ces textes nous fournissent des indications utiles quant à la terminologie retenue. Nous ne mentionnons ici que quelques termes utilisés par rapport au corps diplomatique.

    Le corps diplomatique, qui désigne l’ensemble des agents diplomatiques accrédités auprès d’un même chef d’État, comprend plusieurs catégories de chefs de poste. Outre le terme générique de ministre qui désigne l’agent diplomatique envoyé par son souverain ou son gouvernement auprès d’un État étranger, on rencontre le classement établi en 1815, pour des questions de préséance essentiellement. Les ambassadeurs, légats ou nonces forment la première classe. Seuls les États gouvernés par des rois et les grandes républiques ont le droit d’envoyer des ambassadeurs. La deuxième classe est formée des envoyés extraordinaires et ministres plénipotentiaires ainsi que des internonces. La préséance représente le seul élément de distinction par rapport à la première classe. La catégorie des ministres résidents (aujourd’hui disparue) est introduite par le protocole d’Aix-la-Chapelle. Ils n’ont pas le titre d’Excellence. Quant aux chargés d’affaires en pied, accrédités auprès des ministres des Affaires étrangères et non auprès des chefs d’État, ils forment la quatrième catégorie. La convention de Vienne (1961) qui, pour l’essentiel, codifie la coutume existante, ne retient plus que trois catégories : celle des ambassadeurs ou nonces accrédités auprès des chefs d’État, celle des envoyés, ministres ou internonces accrédités auprès des chefs d’État, et celle des chargés d’affaires accrédités auprès des ministres des Affaires étrangères.

    On remarquera encore que le terme « légation » désigne, dans le cadre du règlement de Vienne, une mission diplomatique de deuxième classe, le terme d’« ambassade » étant réservé à la première classe⁴⁰.

    UNE CARRIÈRE ORGANISÉE

    Alors que son existence même reposait sur l’équilibre international du temps – elle constituait un des éléments de la stabilité européenne telle que la diplomatie déterminée par le congrès de Vienne notamment la considérait –, comment la Belgique aurait-elle pu se priver d’une présence internationale affirmée ? Elle ne pouvait méconnaître les enjeux politiques, géopolitiques et diplomatiques dont elle était l’objet. En même temps, ces mêmes conditions lui imposaient, pour assurer son développement, sa prospérité, de nouer un tissu de liens et de rapports étroits avec les territoires riches pour ses approvisionnements en matières premières et avec les marchés sur lesquels écouler ses productions. Les objectifs politiques et économiques à la réalisation desquels l’action extérieure de l’État devait s’atteler semblent évidents aujourd’hui. L’examen du débat public, dans les enceintes parlementaires principalement, ne témoigne pas de pareille évidence à l’époque.

    La discussion parlementaire annuelle du budget des Affaires étrangères offre une série de renseignements utiles à la perception que les représentants nationaux ont de ces services extérieurs. La question de l’utilité de la diplomatie est régulièrement posée. Elle accompagne celle du développement des réseaux consulaires et commerciaux. Ces débats transparaissent dans l’organisation même de ces carrières diplomatique et consulaire. Il n’est pas sans intérêt de souligner, comme le fait remarquer l’ambassadeur R. Delcorde dans l’ouvrage qu’il consacre aux diplomates belges⁴¹, la coïncidence temporelle qui existe entre la mise en place de ces services extérieurs par la Belgique et la formation, dans les cadres juridique et politique qu’on lui connaît, de la diplomatie moderne, initiée dans le contexte de l’Europe de Vienne. C’est à partir de cette époque effectivement que la diplomatie revêt ses traits contemporains de fonctionnarisation dans une carrière publique avec établissement d’un statut à travers l’élaboration de normes internationales et internes spécifiques. On ne peut évoquer la création de toutes les missions diplomatiques que la Belgique va établir à l’étranger. On cite ici quelques exemples révélateurs des motifs sous-jacents à l’établissement de ces réseaux.

    La politique internationale de l’époque explique bien évidemment les ouvertures de postes à Paris et à Londres. La qualité des relations entretenues avec ces deux capitales était considérée comme vitale. À Paris, le comte Le Hon est accrédité le 5 mars 1831 en qualité d’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Belgique, et ce, par le régent É. Surlet de Chokier⁴². Il y remplace le comte de Celles, représentant du Gouvernement provisoire depuis janvier 1831. Confirmé dans ses fonctions par l’arrêté royal du 27 juillet 1831⁴³ de Léopold Ier, il prit l’initiative, au moment de l’attaque hollandaise en août 1831, de demander l’intervention française. Il occupa ce poste jusqu’en 1842⁴⁴, dans une attitude de parfaite conformité à la volonté royale. Pour Londres, le choix ne fut guère difficile : Sylvain Van de Weyer s’imposa naturellement. Les liens qu’il entretenait avec les milieux britanniques ne pouvaient que favoriser l’avenir de la Belgique. Il resta de nombreuses années dans ce poste⁴⁵, sachant utiliser au mieux ses informations et ses relations. Ces deux postes, Londres et Paris, sont de loin les plus importants pour la diplomatie belge. La réciprocité est vraie : Paris et Londres ont toujours attaché beaucoup d’attention à leur représentation à Bruxelles.

    Les relations avec l’Autriche prirent place dans le même contexte de l’équilibre de l’époque, mais dans un esprit bien différent de celui qui marquait les rapports entretenus avec la France et l’Angleterre. La méfiance manifestée par Vienne à l’égard de la Belgique n’empêcha cependant pas les relations diplomatiques de s’établir entre les deux capitales, mais, tout d’abord, à un niveau réduit, celui des chargés d’affaires. Ce n’est en fait qu’après l’aboutissement de la conférence de Londres, en avril 1839, que la stabilisation fut acquise⁴⁶, non sans que toute rancune disparût pour autant, comme en témoignent, jusqu’en 1914, le nombre et la qualité de la représentation autrichienne à Bruxelles.

    L’exemple des relations avec le Saint-Siège ne s’inscrit pas dans la même perspective que celles développées avec les cinq Grands du Concert de Vienne. Il n’en est pas moins significatif de préoccupations particulières, marquées par l’évolution interne du pays. Le seul exemple de l’enseignement suffit à le démontrer. Les relations diplomatiques avec le Saint-Siège en sont imprégnées. Les parties mirent peu d’empressement à leur établissement et, une fois celui-ci intervenu, ne s’y appliquèrent pas de manière très déterminée. Ainsi, par exemple, alors que le premier représentant belge à Rome, Charles Vilain XIIII, nommé en juillet 1832, quittait son poste en octobre 1833, il fallut attendre décembre 1835 pour qu’une nouvelle désignation d’un premier secrétaire intervienne, son titulaire ne prenant effectivement son poste qu’en avril 1836⁴⁷.

    Les controverses entre Rome et Bruxelles, à propos de l’enseignement notamment, conduisirent à quelques épisodes significatifs du caractère difficile des rapports entretenus : le refus d’agréation, en 1847, comme ministre de Belgique auprès du Saint-Siège, de Mathieu Leclercq (ministre libéral au gouvernement, de 1857 à 1870 et de 1878 à 1884) et le vote de la « loi de malheur » en 1879 débouchèrent sur la rupture des relations diplomatiques entre 1879 et 1884, mesure la plus grave en la matière⁴⁸.

    Avec les États-Unis, ce sont clairement les considérations économiques et commerciales qui, très vite, vont fonder les relations que la Belgique va entretenir avec Washington. Si l’attitude des Pays-Bas ne peut pas être négligée, si les intérêts de la Grande-Bretagne doivent être pris en considération⁴⁹, si la neutralité belge pèse sur l’attitude des parties, toutes ces difficultés n’empêchent pas les relations commerciales de se développer, bénéficiant du cadre diplomatique et consulaire établi. Le premier traité de commerce est signé en 1845. Quinze ans pour asseoir les relations entre les deux États. Les objectifs économiques sont premiers. Leur réalisation sert l’indépendance du pays qu’elle consolide.

    La stabilisation ainsi acquise ne pouvait qu’évoluer sous l’influence des grands mouvements affectant les relations internationales. L’orientation libre-échangiste et la politique menée par le baron Lambermont allaient favoriser la conclusion d’une nouvelle convention commerciale en 1859, permettant un sérieux accroissement des échanges, et allant dans le sens d’un développement de la réciprocité que la tension née de la guerre de Sécession n’empêchera pas de se poursuivre.

    L’établissement de la paix entre les deux États⁵⁰ permit à la Belgique et aux Pays-Bas de régler leur différend politique, mais aussi de fixer les bases de leurs relations économiques. Une fois le traité signé, le gouvernement belge chargea le comte Le Hon, ministre de Belgique à Paris, d’entrer en contact avec les autorités hollandaises. Les choses furent vite réglées : dès 1839, le baron Falck et le prince Joseph de Chimay seront les deux premiers ministres en charge des relations Bruxelles – La Haye⁵¹. La partie politique des événements sera très vite complétée par la conclusion d’une série de conventions en matière de navigation et de commerce qui souligneront la dimension économique de ces relations.

    La neutralité imposée à la Belgique n’empêche pas Bruxelles d’établir des relations avec des pays directement impliqués dans les questions touchant l’équilibre européen. L’Empire ottoman en fournit un bon exemple. Sa situation au cœur de la question d’Orient ne fut pas un obstacle à l’échange de diplomates. En plein développement de l’affaire égyptienne, Bruxelles et la Sublime Porte se rapprochèrent : préparées par le baron O’Sullivan de Grass – qui négocie le traité d’amitié, de commerce et de navigation que signent les deux États en 1838, lui-même remplacé, en 1839, par le baron Behr qui demeura à Constantinople jusqu’en 1848 –, les relations s’établirent entre les deux États.

    En dehors du continent européen (hormis les États-Unis), le Brésil est le premier État à recevoir une représentation belge, en 1832. En 1869, une première légation est installée en Chine ; quatre ans plus tard, un ministre résident rejoint le Japon. En Afrique, un consul général est accrédité comme chargé d’affaires au Maroc en 1871 et comme ministre résident ensuite. L’Égypte, au début du XXe siècle, agrée un envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire belge au Caire.

    On le constate, le réseau diplomatique belge, organisé en fonction des préoccupations de l’équilibre européen et des nécessités économiques et commerciales, est, avant la Première Guerre mondiale, essentiellement et prioritairement européen. La Belgique a 27 postes diplomatiques dans le monde, en 1914, dont 19 en Europe (2 en Afrique, 1 en Amérique du Nord, 2 en Amérique centrale et du Sud et 3 en Asie).

    UNE CARRIÈRE « RÉSERVÉE »

    Aujourd’hui bien réglementée, l’entrée dans la carrière diplomatique se faisait, dans les premières décennies de l’histoire de la Belgique indépendante, sans garantie aucune, essentiellement par le jeu des relations et des liens familiaux, sur recommandation⁵². Le cercle relativement étroit des premiers dirigeants du pays n’offrait guère de possibilités de choix en ce domaine. L’écoulement des années permit ainsi à l’influence des liens familiaux de se renforcer, de sorte qu’il n’était pas rare de retrouver des patronymes identiques à l’intérieur du cadre diplomatique.

    Ainsi établi, ce recrutement s’effectuait très largement au sein de la noblesse, comme nous le verrons plus loin. La tradition peut, partiellement, expliquer cet état de choses : les contacts diplomatiques se nouaient entre gens du monde. Le mode de vie (et son niveau), la bonne éducation, le bon état de fortune personnelle (nécessaire pour faire face aux dépenses exigées d’un diplomate)⁵³ constituaient des critères essentiels pour l’entrée dans la carrière. Il faut ajouter à ceci le fait que se rencontrait à l’époque, plus qu’aujourd’hui, la volonté de servir l’État de manière désintéressée, sans rémunération, dans un esprit d’allégeance à l’égard du souverain.

    Ces critères, bien que non écrits, jouaient un rôle déterminant même lorsque, plus tard, la condition d’instruction occupa le premier rang dans les exigences posées par les textes réglementaires. C’est dans le milieu aristocratique et au sein de la haute bourgeoisie que ces conditions se rencontraient le plus fréquemment.

    Ainsi la commission des examens diplomatiques estimait-elle, encore en 1844, qu’« en dehors de toute préoccupation exclusivement aristocratique, la diplomatie ne doit se recruter que dans les couches sociales où se rencontrent l’éducation, la largeur des vues, sans lesquelles un jeune homme ne serait pas à sa place dans le milieu social et politique où il est appelé à vivre à l’étranger. L’instruction seule, la connaissance théorique des matières du programme ne saurait suppléer à ces qualités indispensables⁵⁴. »

    Ce n’est, en fait, qu’après la Première et surtout la Seconde Guerre mondiale que la carrière diplomatique allait vraiment se démocratiser. En 1905 encore, plus de 60 % des agents appartenaient à la noblesse. Ce pourcentage ne variera guère avant 1945. À partir de cette année, il baissera alors très nettement. Nous détaillerons cela plus loin.

    PREMIÈRES EXIGENCES. L’ARRÊTÉ ROYAL DU 10 OCTOBRE 1841

    La première source dont on dispose à propos des connaissances exigées du candidat secrétaire de légation se trouve dans un arrêté royal du 10 octobre 1841⁵⁵. Celui-ci prévoyait comme matières du programme de l’examen :

    Histoire générale et, en particulier, histoire des principaux traités ;

    Histoire de Belgique ;

    Statistique et économie politique ;

    Langue allemande ou langue anglaise, au choix du candidat ;

    Droit des gens ;

    Droit public national et étranger ;

    Éléments du Code civil, livre premier (Des personnes) ; principes fondamentaux en matière de succession, livre troisième, titre Ier ;

    Style diplomatique ; dépêches ;

    Système commercial des principaux États de l’Europe. Produits du sol de la Belgique.

    En outre, les candidats devaient fournir la preuve qu’ils s’étaient livrés à l’étude des langues anciennes, avant de passer les épreuves écrites et orales⁵⁶. La présentation d’un document justificatif ne semble pas toujours avoir été suffisante. Encore fallait-il pouvoir effectivement traduire un texte latin par exemple⁵⁷. Ceux qui réussissaient l’épreuve recevaient un brevet d’aptitude, délivré par la commission des examens. Le roi choisissait parmi ceux-ci les secrétaires de légation.

    Pourquoi avait-on attendu cette date (1841) pour établir ces dispositions ? On trouve une réponse à cette interrogation dans le rapport qu’adressa au roi le ministre des Affaires étrangères, à propos de l’arrêté royal dont il est ici question. Le ministre y justifiait l’absence de dispositions générales pour régler la situation du corps diplomatique par le fait que les circonstances « n’avaient point permis qu’il se formât un corps diplomatique assez nombreux pour satisfaire aux exigences du service public ». Il importait, dès lors, de ne pas « introduire, en cette matière, tout un ensemble de règles absolues, et de circonscrire le choix du gouvernement dans des limites trop sévères. La liberté

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