Everest 1953: La véritable épopée de la première ascension
Par Mick Conefrey
4/5
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À propos de ce livre électronique
29 mai 1953. Edmund Hillary et Tenzing Norgay sont les premiers hommes à fouler le sommet de l’Everest, la plus haute montagne au monde. 60 ans plus tard, voici le premier récit complet sur cet exploit historique, fruit de recherches approfondies de l’auteur, qui a eu accès à de nombreuses archives inédites et passionnantes dont celles de membres de l’expédition, du gouvernement britannique ou de la prestigieuse Royal Geographical Society. Et d’apprendre qu’une expédition qui est entrée dans les manuels d’histoire comme un modèle d’organisation fut secouée de nombreuses crises, sur la montagne mais aussi en dehors. Pressions politiques, enjeux diplomatiques, guerre médiatique, ambitions personnelles, controverses étouffées : l’expédition de 1953 est non seulement une histoire humaine de courage et d’aventure, mais un condensé des intérêts et luttes d’un monde effervescent en cette année du couronnement de la reine Elizabeth II. Mick Conefrey éclaire d’une lumière inédite le courage, l’imagination et le talent hors normes dont ont dû faire preuve chaque membre de l’expédition pour aboutir au succès. Un récit palpitant, fourmillant d’anecdotes et d’informations, répondant à de nombreuses questions, dont la célèbre "qui de Hillary ou de Tenzing a foulé le premier le sommet ?".
Le premier récit complet de cet exploit historique !
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Un régal ! Un récit humain, drôle et méticuleusement recherché. - The Independent
Fascinant et poignant. La référence définitive sur cette téméraire ascension. - Daily Mail
J'ai souvent été ému au cours de ma lecture. Cette histoire est celle du courage et, malheureusement, d'un monde aujourd'hui disparu. - The Guardian
À PROPOS DE L'AUTEUR
Mick Conefrey habite à Oxford, en Angleterre. Il est l'auteur de nombreux livres et documentaires d'aventure et de montagne, dont plusieurs en collaboration avec la BBC.
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Avis sur Everest 1953
16 notations2 avis
- Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5I wanted to read this book because I had read Wade Davis' epic "Into The Silence" earlier this year and wanted to understand why it had taken almost 50 years from Mallory and Irvine's near miss (or possibly not) to Hillary and Tenzing's triumph in 1953. That question is answered in the first couple of chapters and what follows is a very clear and well organised account of the 1953 expedition and its immediate precursors. The author manages the difficult task of building tension as move towards a climax of which we are already well aware.
I enjoyed this book enormously; it is a book for general readers rather than climbing enthusiasts (although they will enjoy it too. Unlike "Into The Silence" it, thankfully does not spend too long on the journey to the mountains. What struck me most was that very little had changed between the twenties and the fifties; the organisations at home in Britain seemed as stuffy as ever; the technology, particularly in relation to oxygen was almost unchained; and the enthusiastic amateurism was still the rule, rather than the exception.
Highly recommended. - Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5This was a very absorbing account of the famous first successful climbing of Everest. The lives and differing motivations and temperaments of the climbers (and there are a large team of them, a lot more than two) are well described and the reader gets to know them as individuals with their own strengths and weaknesses. The sheer effort and endurance needed to climb the mountain is brought across very clearly - the many failures and near successes that preceded the final successful ascent by Edmund Hillary and Sherpa Tenzing, under the overall expedition leadership of John Hunt. This was undoubtedly a tremendous achievement, but one which was partly undermined by later arguments motivated by nationalism and excessive competitiveness often whipped up by the press and by political and other factions for narrow ends. So, for example, the question of whether Hillary or Tenzing was the first to set foot on the summit achieved huge symbolic attention in Britain, India and Nepal, and the differing versions of the facts were played out against a narrative of a newly evolving post-colonial world; whereas the climbers all to a man saw their success as being down to teamwork and interdependency of their differing skills as mountaineers. This is then a fascinating story, not just for the geographical achievement, but also for the light it sheds on human attitudes towards such achievements. 5/5
Aperçu du livre
Everest 1953 - Eric Vola
1953
Prologue
« Notre montagne »
Pour les alpinistes britanniques des années 1920 et 1930, l’Everest était tout simplement « notre montagne ». Qu’il se situât à plus de sept mille kilomètres, à la frontière de deux pays parmi les plus éloignés de la planète et qui ne faisaient même pas partie de l’empire britannique n’avait aucune importance. Pour paraphraser le poète Rupert Brooke dans un des ses plus célèbres poèmes, c’était « un coin de terre étrangère qui serait toujours l’Angleterre ». Des Britanniques l’avaient mesuré, lui avaient donné un nom, l’avaient photographié, survolé et y étaient morts. Aussi étaient-ils certains qu’un jour un alpiniste britannique serait le premier à gravir son sommet.
L’altitude de l’Everest a été mesurée au milieu du dix-neuvième siècle. Niché au cœur de l’Himalaya, sur la frontière entre le Tibet et le Népal, comme de nombreuses montagnes, il constitue une démarcation à la fois physique et politique. Même si aucun des géomètres britanniques ne mit le pied sur ses pentes, la mission du Great Trigonometric Survey of British India¹ réussit à mesurer son altitude avec une étonnante précision à partir de points d’observation situés à plus de cent soixante kilomètres. Leur estimation était de 8840 mètres, soit dix mètres de moins que l’altitude officielle actuelle². Rompant avec la règle habituelle de conserver le nom local – Chomolungma –, ils le dénommèrent Mont Everest, en l’honneur de George Everest, un ancien géomètre en chef. En bon géomètre, ce dernier ne se montra pas favorable à une telle piraterie cartographique, mais le nom resta.
À la même époque, l’alpinisme fleurissait dans les Alpes. Les alpinistes britanniques, très compétitifs, réalisaient de nombreuses premières ascensions de sommets en Suisse et en France. En 1857, ils fondèrent le premier club alpin au monde, l’Alpine Club. En quelques années, la majorité des plus hauts sommets des Alpes furent gravis et les alpinistes les plus ambitieux commencèrent à chercher ailleurs de nouveaux défis.
En 1895, Alfred Mummery conduisit une expédition légère au Nanga Parbat, désormais au Pakistan et le neuvième plus haut sommet du monde. Sa tentative novatrice se termina en désastre lorsque Mummery et deux auxiliaires Ghurkas périrent dans une avalanche. La mort d’Alfred Mummery ne fut aucunement un frein. Très vite, les regards se tournèrent vers l’Everest, le plus haut sommet du monde et donc le plus grand défi.
Pour des hommes comme Lord Curzon, le vice-roi des Indes entre 1899 et 1905, l’ascension de l’Everest était presque un devoir national. Il disait de la Grande-Bretagne qu’elle était le pays « des alpinistes et des pionniers par excellence dans notre univers ». Il mena une campagne active pour monter une expédition britannique sous les auspices de l’Alpine Club et de la Royal Geographical Society, fondée en 1830 pour promouvoir l’exploration et les progrès dans les connaissances géographiques. Les deux organisations unirent leurs efforts et créèrent l’Everest Committee³ pour lever et gérer des fonds en vue d’une expédition britannique.
Au début, il fut difficile d’obtenir une autorisation de la part du Tibet et du Népal. En théorie, c’étaient deux royaumes interdits refusant à tout étranger la traversée de leurs frontières. Mais la puissance militaire britannique et son prestige dans la région étaient tels que finalement le gouvernement tibétain donna en 1921 la permission à une expédition britannique d’effectuer la première reconnaissance du versant nord de l’Everest. Ainsi commença ce que Sir Francis Younghusband appela « l’épopée de l’Everest ».
L’expédition de reconnaissance revint avec des découvertes mitigées. L’Everest était isolé, impressionnant et intimidant, mais pas totalement impossible. 1922 et 1924 virent deux tentatives de grande envergure. Toutes deux empruntèrent la même voie sur le versant nord de l’Everest, par l’Inde et le Tibet. Si l’on tient compte de leur équipement très primitif, ce furent des tentatives remarquables. En 1922, George Finch et le capitaine J.G. Bruce atteignirent 8326 mètres et en 1924, Edward Norton parvint à 8570 mètres, à moins de trois cents mètres du sommet. Quand, lors de la même expédition, les deux alpinistes britanniques George Mallory et Andrew Irvine disparurent très haut sur la montagne, certains dirent qu’ils avaient pu atteindre le sommet et auraient péri à la descente.
La mort de Mallory et d’Irvine renforça davantage l’idée que la Grande-Bretagne avait un lien particulier avec l’Everest, comme Sir William Goodenough, président de la Royal Geographical Society, l’écrivit au secrétaire d’État pour les Indes en 1931 :
« Le Comité [de l’Everest] pense que le fait que les corps de nos deux compatriotes reposent encore au sommet, ou très près, devrait nous donner la priorité dans toute tentative pour atteindre celui-ci. »
Le Tibet interdit toute tentative entre 1925 et 1932, mais autorisa une quatrième expédition britannique en 1933. Une nouvelle fois, les résultats furent excellents. Trois alpinistes atteignirent à peu près le même point qu’Edward Norton. Toutefois, les derniers trois cents mètres s’avérèrent un trop grand défi. Dans les années 1930, trois autres expéditions eurent lieu, mais aucune n’approcha du sommet. Un sentiment de désespoir s’infiltra dans l’esprit des Britanniques, parfaitement illustré par une lettre de Sir Percy Cox, l’administrateur du Comité de l’Everest, au secrétaire d’État pour les Indes en 1934 :
« Du fait des nombreuses tentatives menées dans le passé exclusivement par des expéditions britanniques pour gravir la montagne, sa conquête finale est devenue une ambition nationale… En conséquence, ce serait une humiliation nationale si nous laissions l’ascension finale à toute autre nation par notre manque d’intérêt ou notre manque de vigilance. »
Il n’y avait pas de politique d’interdiction officielle, rien d’aussi évident, mais de fait, la Grande-Bretagne avait le monopole sur l’Everest grâce à ses relations avec le gouvernement tibétain et, sans doute d’une manière plus importante encore, parce qu’elle contrôlait tous les déplacements aux Indes. Les alpinistes d’autres pays pouvaient tenter de gravir d’autres géants himalayens, mais aucun d’entre eux ne réussit jamais à obtenir l’autorisation de gravir l’Everest. L’Allemagne envoya une succession d’expéditions au Nanga Parbat, les Italiens et les Américains tentèrent l’ascension du K2. Mais l’Everest était « notre montagne ». C’était un accord entre gentlemen qui ne favorisait que les gentlemen britanniques.
Après la Seconde Guerre mondiale, tout changea. La Grande-Bretagne sortit affaiblie et blessée du conflit. Le nouveau monde bipolaire ne laissait la place qu’à deux superpuissances : les États-Unis et l’Union soviétique. En 1947, l’empire britannique reçut un coup mortel quand l’Inde, le soi-disant « joyau de la couronne », obtint son indépendance. L’empire des Indes fit place aux républiques de l’Inde et du Pakistan. En l’espace d’une décennie, les drapeaux britanniques disparurent de tout l’ancien empire. L’influence de la Grande-Bretagne en Asie ne disparut pas du jour au lendemain, mais son pouvoir était sérieusement diminué.
La même année, le Dalaï-Lama, chef politique et spirituel du Tibet, décréta la fermeture des frontières de son pays à la suite d’un mauvais horoscope qui prédisait son invasion par des étrangers. Trois ans plus tard, la prophétie se réalisa quand le Tibet fut envahi par la Chine communiste. Le nouveau gouvernement révolutionnaire de Mao n’éprouvait aucune amitié pour la Grande-Bretagne. De nombreuses années s’écouleront avant qu’une équipe britannique n’obtienne un permis pour entrer au Tibet.
Néanmoins, à la même période, un événement remarquable se produisit. Le Népal, qui pendant des décennies était resté hostile aux étrangers, à l’instar du Tibet, commença à s’ouvrir au monde avec prudence. En 1949, il autorisa des équipes britannique et suisse à faire des explorations de reconnaissance et en 1950 une petite équipe de trekkeurs américains fut autorisée à se rendre dans la région de l’Everest.
Ce livre est l’histoire de ce qui se produisit ensuite, commençant par l’expédition de reconnaissance à l’Everest de 1951 et la peu connue expédition d’entraînement au Cho Oyu, l’année suivante, avant de se concentrer en détail sur les événements de 1953.
Il est basé sur les carnets, les lettres, les mémoires et de nombreuses autres archives, ainsi que sur des entretiens avec les participants et leurs familles réalisés au cours des dix dernières années. Son but est double : raconter l’histoire de l’expédition, à la fois celle des alpinistes et des sherpas sur la montagne et celle du grand nombre de personnes qui ont joué un rôle crucial dans les coulisses. Ensuite, c’est une analyse de la manière dont cet événement majeur fut décrit à l’époque et des mythes et idées fausses qui se sont accumulés au cours des années.
Le premier de ces mythes est l’idée que la première ascension de l’Everest a été le fait essentiellement de deux hommes : Edmund Hillary et Tenzing Norgay. Ceci est très loin de la vérité. Pourtant, aujourd’hui encore cette opinion est la plus répandue. L’ascension de l’Everest en 1953 est la résultante du travail d’une équipe, conduite par un leader remarquable, John Hunt. Hillary et Tenzing formaient le point culminant d’une pyramide, mais sous eux, il y avait les fortes épaules de nombreux alpinistes. Ils n’étaient même pas la première équipe à tenter le sommet en 1953. Si une petite valve n’avait pas été endommagée sur un appareil à oxygène, Charles Evans et Tom Bourdillon auraient très bien pu être les premiers à réussir.
L’autre mythe qui doit être dissipé est que ce fut une expédition qui fonctionna avec la précision d’une montre suisse, comme « une opération militaire ». Ainsi va le cliché, mais ceci également est très loin de la vérité. L’expédition de 1953 fut très bien planifiée, mais loin d’avoir été une course tranquille, elle fut marquée du début à la fin par des controverses et de fréquentes crises.
L’expédition à l’Everest de 1953 fut une histoire médiatique exceptionnelle, sans aucune comparaison avec toute autre expédition en Himalaya ou ailleurs. Non seulement un reporter du Times et un caméraman free-lance furent intégrés à l’équipe des alpinistes, mais des douzaines d’autres journalistes du monde entier couvrirent l’événement. La plupart restèrent à Katmandou, mais quelquesuns bravèrent les pentes de l’Everest lui-même. Cette compétition enflammée engendra des comptes rendus scandaleusement malhonnêtes, dont certains eurent un impact significatif sur les événements. Bien que la plupart aient été motivés par l’opportunisme et parfois par la pure méchanceté, le cirque médiatique témoignait de l’importance de l’expédition.
Les trois nations les plus impliquées dans l’événement – la Grande-Bretagne, le Népal et l’Inde – étaient à un moment charnière de leur Histoire. De ce fait, l’expédition à l’Everest revêtit une importance plus grande, que personne n’avait pu prévoir. Un événement crucial pour les Britanniques eut lieu, sans aucun lien avec l’expédition mais qui compta énormément : le couronnement de la reine Elizabeth II. La coïncidence apparemment magique de la nouvelle de la première ascension, annoncée le jour même du couronnement, transforma l’expédition en un événement éminemment symbolique.
L’histoire commence deux ans plus tôt, longtemps avant que la reine ne se rende à la nef de l’abbaye de Westminster et qu’Hillary et Tenzing ne deviennent les deux hommes les plus célèbres du monde. Un jeune alpiniste décida qu’il était temps que la Grande-Bretagne organise une autre expédition à l’Everest. Sa première démarche fut de rendre visite à une institution mondialement célèbre.
1 Grand Relevé Trigonométrique des Indes Britanniques.
2 En 1999, l’altitude de l’Everest a été mesurée au GPS, donnant 8850 mètres. Ce chiffre doit toujours être accepté par la Chine et le Népal.
3 Comité de l’Everest.
Chapitre 1
Monsieur Everest
Depuis presque un siècle, les locaux de la Royal Geographical Society se trouvent dans un imposant hôtel particulier d’architecture victorienne au sud de Hyde Park à Londres. Lorsqu’en 1913 elle déménagea son siège dans le quartier de Kensington, des inquiétudes surgirent sur le fait qu’il était trop éloigné des clubs de gentlemen de Mayfair et de Saint James pour y faire venir ses membres. Depuis, Londres s’est tellement étendue qu’il semble presque se trouver en plein cœur de la ville. Aujourd’hui, la RGS est un centre très fréquenté de la vie académique et culturelle, mais dans les années 1950, c’était un endroit tranquille et retiré, célèbre pour ses conférences, sa salle des cartes et sa collection de livres et de manuscrits.
Ce fut là qu’un jeune alpiniste britannique vint chercher de l’information, nébuleuse, même selon les standards de la RGS. Il s’appelait Michael Ward et son objectif était de trouver des cartes et des photographies du versant sud de l’Everest.
Bel homme, des sourcils noir épais, Michael était fougueux, têtu et coriace. En 1951, il était dans sa deuxième année de service militaire au sein du Royal Army Medical Corps. Très engagé dans la médecine, sa passion toutefois était l’alpinisme. Lorsqu’il lut dans un journal que des « alpinistes étrangers » étaient en route pour l’Everest, sa première réaction fut que la Grande-Bretagne avait été prise au dépourvu et que l’on devait faire quelque chose. L’Everest était toujours « notre montagne », une tâche à mener à terme par des alpinistes britanniques.
Ainsi commencèrent ses visites à la Royal Geographical Society, où il passa les archives au crible, recherchant cartes, photos et tout ce qu’il pouvait trouver sur l’histoire et la géographie du Népal. Il n’y avait pas grand-chose. Toutes les expéditions d’avant-guerre avaient approché l’Everest par son versant nord, tibétain, et bien que quelques alpinistes britanniques aient réussi à apercevoir le versant sud de la montagne à partir de points d’observation au Tibet, ce qu’ils avaient vu n’était guère encourageant. George Mallory, dont le nom avait été associé de près à l’Everest dans les années 1920, avait décrit la cascade de glace qui barre l’accès aux versants sud-ouest comme « un des panoramas les plus terribles et inhospitaliers jamais observés par l’homme ». Il était donc très pessimiste sur les chances de pouvoir la franchir.
L’Everest fut photographié du ciel en 1933 par l’expédition aérienne Houston de survol de l’Everest, puis à nouveau en 1945 et 1947 par des aviateurs de la Royal Air Force basés aux Indes. Au cours d’un survol illicite du Népal, ils firent le tour du plus haut sommet du monde. Quelques-unes de leurs photos montraient le versant sud, mais elles étaient trop fragmentaires et incomplètes pour fournir une réponse concluante quant à la possibilité d’une voie par le sud. Ainsi que Michael Ward l’avait pressenti dès le départ, il n’y avait qu’une façon de vraiment le découvrir : organiser une expédition de reconnaissance.
Il persuade un petit groupe d’amis et jeunes alpinistes de l’accompagner pour effectuer une expédition sur le versant népalais de l’Everest. Bill Murray est un alpiniste écossais solide, connu pour ses premières ascensions hivernales à Glencoe et sur le Ben Nevis, ainsi que pour son penchant à la méditation, une habitude acquise dans un camp de prisonniers au cours de la Seconde Guerre mondiale. Campbell Secord est Canadien, grand et volubile, venu en Angleterre dans les années 1930 et resté pour piloter des bombardiers dans la RAF. Lui et Bill Murray sont déjà allés en Himalaya, mais les deux autres candidats n’ont jamais grimpé ailleurs qu’en Europe. Alfred Tissières est un brillant alpiniste suisse, étudiant la biologie à Cambridge, et Tom Bourdillon est un jeune scientifique britannique, un vrai montagnard, qui malgré une constitution d’avant-centre est un grimpeur élégant et puissant.
La moyenne d’âge est de trente-deux ans et leur salaire hebdomadaire moyen en livres sterling bien inférieur. Malgré tout, ils ont l’intention de financer leur expédition presque entièrement de leur poche. Campbell Secord comprend néanmoins qu’ils auront besoin d’aide pour obtenir les autorisations officielles nécessaires. Il propose d’entrer en contact avec le Comité de l’Himalaya, organisation qui a succédé au Comité de l’Everest des années 1920, et composée de notables de la Royal Geographical Society et de l’Alpine Club.
Au début, ils se montrent quelque peu dédaigneux, mais Campbell Secord fait preuve de persistance et de persuasion. Finalement, le Comité accepte de leur fournir une aide financière et administrative. Le gouvernement népalais donne son accord et le ministère de la Guerre accepte de louer des tentes de l’armée et du matériel d’escalade aux jeunes impétrants de Michael Ward. Ils rencontrent toutefois quelques revers. Les obligations professionnelles de Campbell Secord l’obligent à se retirer de l’expédition, mais il accepte de continuer à participer à l’organisation. Le Suisse Alfred Tissières décide que ses recherches en biologie moléculaire sont plus importantes que son passe-temps favori et se retire complètement. L’expédition est réduite à trois membres, dont un seul a l’expérience de l’Himalaya. C’est alors que se produit un événement remarquable.
En juin 1951, Eric Shipton, le célèbre alpiniste d’avant-guerre, revint inopinément en Angleterre après avoir été expulsé de Chine. Shipton, avec ses cheveux blonds et ses yeux bleus, était la quintessence du héros britannique. Au cours des années 1930, il avait passé la plus grande partie de son temps en Himalaya, devenant l’un des alpinistes les plus éminents au monde. Il avait participé aux quatre dernières expéditions britanniques à l’Everest, dirigé l’une d’entre elles et atteint l’altitude de 8534 mètres. Entre ses expéditions à l’Everest, il avait fait la première reconnaissance de la Nanda Devi en Inde et deux voyages étonnants dans le Karakorum, qui aujourd’hui fait partie du Pakistan.
Eric Shipton était connu pour son ascétisme. Son en-cas favori était un oignon cru et, plutôt que d’emporter de luxueux vivres en conserves comme le faisaient les premières expéditions britanniques, il préférait systématiquement manger la nourriture locale. Mais bien qu’il fût particulièrement endurci, Eric Shipton n’était pas la caricature de l’homme fort et ténébreux. Il pouvait parfois se montrer timide et taciturne, et également très sociable. De très nombreuses femmes tombèrent sous le charme de ses yeux bleu pâle avec son expression de « gamin perdu », et voulurent le materner. Il avait toute une brochette d’amies et d’amantes, parfois simultanément. Lorsqu’il ne se trouvait pas sur les pentes redoutables d’une montagne, il appréciait les conversations animées et dans sa jeunesse avait été féru de danse. Malgré une dyslexie dans son enfance et une éducation difficile, il devint un très bon écrivain et ses livres étaient lus avec avidité aussi bien par des alpinistes en chambre que par de jeunes grimpeurs.
La Seconde Guerre mondiale interrompit ses errances. Au cours des années 1940, il travailla comme diplomate. Son dernier poste de consul-général à Kumming, en Chine orientale, se termina ignominieusement quand il fut expulsé avec tous les employés du consulat par les autorités communistes.
Eric Shipton n’était rentré en Angleterre que depuis deux semaines quand il quitta sa maison de campagne dans le Hampshire pour se rendre à Londres voir son ami Campbell Secord, dans sa petite maison située dans une ruelle près de Trafalgar Square.
La description de cette rencontre fatidique qu’il fit dans son livre The Mount Everest reconnaissance expedition 1951 aurait pu sortir tout droit d’un magazine pour la jeunesse :
« Il [Secord] dit :
‘Oh, tu es rentré ? Que vas-tu faire maintenant ?
Je lui dis que je n’avais aucun projet et il me répliqua :
— Eh bien, tu ferais mieux de diriger cette expédition !
Je lui demandai :
— Quelle expédition ?’
Et il m’expliqua de quoi il s’agissait. »
Pour Campbell Secord, ce fut un heureux hasard. Si Eric Shipton se joignait à l’expédition de reconnaissance de l’Everest, l’argent coulerait à flots pour la financer, la presse s’y intéresserait et l’expédition aurait toutes les chances de réussir.
Toutefois, Eric Shipton ne sauta pas tout de suite sur l’opportunité. À quarante-trois ans, il n’était plus le nomade insouciant d’antan. Il avait une femme et deux enfants à charge et se trouvait sans perspective d’emploi immédiat. Sans rejeter catégoriquement la proposition de Campbell Secord, il se montra peu enthousiaste. Lorsqu’une rencontre fut organisée entre Eric Shipton et Michael Ward, le jeune grimpeur en sortit déprimé et démoralisé. Comme il s’en rappellerait de nombreuses années plus tard :
« Je lui avais tout dit et ce qui me frappa le plus, ce fut son manque d’intérêt. À l’époque cela m’avait surpris, car évidemment ce projet me passionnait. »
Cela n’avait rien de très surprenant. Eric Shipton venait à peine de débarquer après avoir été capturé par les troupes de choc de Mao Tsé Toung et il n’avait guère envie de se retrouver à quelques kilomètres de la frontière chinoise. Il ne se sentait pas en forme, n’avait pas grimpé depuis un an et voulait juste passer un été tranquille en Angleterre avec sa femme et sa famille.
Mais malgré tout, pouvait-il vraiment dire non ?
L’Everest avait fait partie de sa vie pendant tant d’années que renoncer à cette opportunité serait renier une bonne partie de sa propre identité. Bien qu’il n’eût plus été en Himalaya depuis une bonne décennie, il n’avait jamais cessé de penser à l’Everest. En 1945, à peine quelques mois après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il avait participé au projet d’une nouvelle expédition britannique à l’Everest par le Tibet. Quatre années plus tard, avec son vieux partenaire Bill Tilman, il avait tenté de monter une expédition à partir du Népal. Aucun des deux projets n’avait abouti, mais Bill Tilman alla au Népal en 1949 et 1950 et accompagna l’équipe américaine qui photographia pour la première fois le versant sud de l’Everest. Eric Shipton avait le sentiment bien arrêté d’un travail inachevé.
En particulier, il avait hâte de voir le Solo Khumbu, la région montagneuse du Népal où se trouve l’Everest. C’est le pays des Sherpas, qui ont servi de porteurs à de nombreuses expéditions britanniques. Les Sherpas en avaient tellement parlé à Eric que, pour lui, le Solo Khumbu était devenu ce qu’il appelait « une sorte de Mecque, le but ultime de l’alpinisme en Himalaya ».
Alors qu’il réfléchissait à la proposition de Secord, Diana, sa femme, eut une réaction très positive, qui le surprit. Quand elle l’avait épousé, en 1942, elle avait compris que de telles occasions se présenteraient et elle avait décidé de ne jamais s’y opposer. Ils avaient été séparés au cours des cinq derniers mois, pourtant elle l’encouragea à partir. Eric Shipton fit donc la proposition suivante au Comité de l’Himalaya : si le Comité prenait en charge le financement et la publicité, il accepterait de diriger cette expédition.
Le Comité de l’Himalaya, sachant que l’implication de Shipton rehausserait considérablement le profil de l’expédition, devint beaucoup plus réceptif. Michael Ward et Bill Murray avaient pratiquement terminé tous les préparatifs et furent heureux de s’effacer et de le laisser devenir le leader. Dès que les journalistes en entendirent parler, ils se précipitèrent à sa maison de campagne du Hampshire. Le 4 juillet 1951, les premiers articles parurent : Eric Shipton, « Monsieur Everest », était de retour et une nouvelle fois la Grande-Bretagne retournait en Himalaya. Ce fut un moment clé de l’expédition, qui allait avoir un impact important sur les événements de 1953.
Dans les jours qui suivirent, il y eut une véritable guerre d’enchères pour obtenir l’exclusivité de la couverture médiatique de l’expédition. Avant la guerre, pratiquement chaque expédition avait été financée par le Times de Londres, mais à l’étonnement de tous, un journal populaire, le News Chronicle, offrit l’énorme somme de 30 000 £⁴ pour les droits exclusifs de l’expédition de reconnaissance de 1951 et les tentatives suivantes.
Toutefois, les très conservateurs membres du Comité de l’Himalaya n’étaient pas encore prêts pour le marché de consommation de masse, quelle que fût l’importance de la somme offerte. Ils avaient une crainte profonde des articles à sensation. Pour eux, le Times était différent. C’était un « journal de référence » auquel on pouvait avoir confiance. Bien sûr, ils furent très heureux de cette concurrence qui persuada le Times d’augmenter son offre initiale de 2000 £ à 5000 £ pour l’exclusivité. Pensant à l’avenir, le Times prit une option pour une future expédition à l’Everest au cas où Shipton et son équipe reviendraient avec des nouvelles positives sur la voie par le sud.
Le mois de juillet fut extrêmement occupé. Pendant qu’Eric Shipton s’occupait de tenir à distance le reste de la presse et répondait aux lettres de toutes sortes venant de grimpeurs et d’excentriques, les autres rassemblèrent l’équipement et les provisions dans la maison de Campbell Secord. Ce fut quelque peu chaotique et fait à la dernière minute, mais Eric Shipton n’était pas quelqu’un qui aimait les organisations complexes. Toute l’affaire culmina en une ruée frénétique le 29 juillet lorsque, à leur grande honte, ils furent contraints d’appeler d’urgence à l’aide le Women’s Voluntary Service⁵ pour terminer d’emballer leur matériel. En quelques heures, plusieurs dames très efficaces se présentèrent pour les sortir du chaos.
Trois jours plus tard, le 2 août, Michael Ward et Bill Murray quittèrent Tilbury pour l’Inde avec plusieurs douzaines de caisses remplies de tentes, de sacs de couchage et de matériel d’escalade. Eric Shipton et Tom Bourdillon les suivirent par avion le 18 août et après un long voyage en train, les rejoignirent sous une pluie torrentielle à Jogbani, une petite ville à la frontière du Népal et de l’Inde.
Le jour suivant, le célèbre sherpa Ang Tharkay arriva de Darjeeling avec douze hommes. Il avait participé à plusieurs des expéditions d’avant-guerre d’Eric Shipton et était un sirdar⁶ très respecté. Ang Tharkay avait coupé ses nattes depuis une dizaine d’années et portait désormais des vêtements modernes, alors que les autres sherpas étaient des hommes à l’allure sauvage, petits mais solidement bâtis, vêtus d’un mélange d’habits européens provenant des expéditions auxquelles ils avaient participé et de leurs tenues traditionnelles. Quatre d’entre eux furent recrutés comme porteurs d’altitude pour la durée de l’expédition. Les huit autres acceptèrent de travailler comme porteurs ordinaires pour la marche d’approche dans le Solo Khumbu.
Alors qu’ils ouvraient les caisses et inspectaient leur contenu, Eric annonça une nouvelle surprenante à Bill Murray et Michael Ward. Avant de quitter l’Angleterre, il avait été contacté par le Club alpin néo-zélandais qui lui avait demandé si plusieurs de ses membres pouvaient se joindre à l’expédition. L’été de cette même année, quatre d’entre eux avaient grimpé dans les environs, dans les montagnes du Garhwal en Inde, et étaient plus que disposés à aller au Népal. Pendant des semaines, Eric Shipton avait reçu des demandes de grimpeurs désireux de se joindre à l’équipe, mais il les avait tous rejetés, qu’ils fussent expérimentés ou pas, convaincu que plus l’équipe était restreinte, mieux c’était. Toutefois, sur un coup de tête, il avait accepté deux grimpeurs de plus, car il avait gardé un bon souvenir d’un autre alpiniste néo-zélandais, Dan Bryant, avec lequel il avait grimpé dans les années 1930.
Michael et Bill furent médusés et quelque peu énervés de n’avoir pas été consultés, mais c’était une décision typique d’Eric Shipton qui allait avoir des conséquences d’une portée considérable.
Pour l’instant, ils avaient bien d’autres soucis. Ils avaient devant eux une marche de deux semaines au cœur du Népal. L’équipe suivrait le même itinéraire que celui emprunté l’année précédente par les trekkeurs américains, à ceci près qu’ils se mettraient en route à la fin de la période de la mousson et non à la fin du printemps, et rencontreraient donc beaucoup plus de boue et de moustiques.
La pluie tomba sans discontinuer jusqu’au 27 août, quand ils chargèrent leur matériel sur un énorme camion américain. Puis, accompagnés de plusieurs passagers clandestins et autres parasites, ils franchirent la frontière à faible vitesse. La première heure se passa étonnamment bien, mais ensuite, ils passèrent autant de temps à pousser le véhicule qu’à être transportés par lui. En 1951, le Népal avait très peu de routes hors de la vallée de Katmandou, où est située la capitale. Les véhicules destinés à Katmandou étaient démontés en Inde et portés à dos d’homme, pièce par pièce.
Finalement, après cinq heures, la « route » aboutit à Dharan, où ils passèrent une nuit inconfortable dans une pension infestée de puces. Le jour suivant, les vraies difficultés commencèrent lorsqu’ils tentèrent de recruter des porteurs pour la deuxième partie de leur voyage. Personne ne se déplaçait à cette époque de l’année. Après de nombreux marchandages, Ang Tharkay réussit à engager vingt-cinq Tamang. Malgré ce que Michael Ward appellera leur « toux de cimetière » et leur allure squelettique, ils étaient incroyablement résistants et portaient des charges de plus de trente-cinq kilos. Aucun d’entre eux ne put être persuadé de faire tout le voyage jusqu’au Solo Khumbu. Après la première étape, Shipton dut s’arrêter à un autre petit village, Dhankuta, et passa encore deux jours éreintants à trouver des remplaçants.
Pour Tom Bourdillon et Michael Ward, qui n’avaient jamais grimpé en Himalaya, tout cela constituait une intense introduction au monde des expéditions. À peine six mois auparavant, Tom avait épousé Jennifer, son amour d’université, et elle lui manquait énormément. Il remplissait ses carnets de descriptions des paysages semitropicaux et des créatures exotiques qu’ils rencontraient, souhaitant à chaque fois que Jennifer fût avec eux. Michael Ward avait une appréciation plus scientifique : il nota que l’on pouvait humer les villages avant de les voir et que leurs habitants sentaient tout aussi mauvais.
Dans la chaleur étouffante, ils marchaient torse nu, en short et en sandales. Eric Shipton préférait porter des pyjamas et avait rasé sa tête pour avoir moins chaud. Des lunettes de soleil et un parapluie constamment ouvert complétaient son accoutrement. Pour la nuit, ils s’arrêtaient dans les villages, dormant dans des granges ou des étables de paysans. Comme Shipton en avait l’habitude, ils prenaient essentiellement de la nourriture locale – du riz, des lentilles et parfois un poulet famélique.
Tom Bourdillon était fasciné par l’observation de son célèbre leader en action :
« Mon respect pour Shipton grandit. Il est étonnamment décontracté, jamais certain du nombre de porteurs que nous avons ou de là où nous allons chaque jour. Mais tout fonctionne sans problème. »
Eric Shipton lui-même était intrigué par ses jeunes compagnons. Il eut tout de suite de la sympathie pour Tom Bourdillon. Par contre, il écrivit à Diana, sa femme, qu’il trouvait que Michael Ward se comportait un peu trop comme un jeune étudiant. Par instinct, Eric préférait des compagnons plus tranquilles et avait du mal à s’entendre avec quiconque se montrait ambitieux (ou trop organisé).
La troisième étape de leur voyage se termina à Dingla, une petite ville au milieu de la forêt tropicale. Ils prirent une chambre dans une maison et y restèrent trois jours, pendant qu’Ang Tharkay cherchait un nouveau groupe de porteurs.
Puis, la nuit du 8 septembre, ils entendirent le bruit de pas lourds dans les escaliers. La porte s’ouvrit et deux hommes sales, aux corps décharnés, entrèrent : Harold Earle Riddiford et Edmund Percival Hillary, la fine fleur du Club alpin néo-zélandais. Pendant les trois mois précédents, ils avaient grimpé avec deux autres compagnons dans les montagnes du Garhwal et avaient appris par télégramme que Shipton offrait deux places dans son équipe.
Pour le jeune homme de trente-deux ans qu’était « Ed » Hillary, ce fut un moment qu’il avait attendu avec autant d’excitation que d’appréhension. Chez lui, à Auckland, avec son père et son frère Rex, il élèvait des abeilles. Lorsqu’il avait appris que Shipton était d’accord de prendre deux Néo-Zélandais, il n’était pas encore sûr de pouvoir passer plus de temps loin de chez lui. Mais la pensée de pouvoir grimper avec l’un de