Costumes historiques des XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles tirés des monuments les plus authentiques de peinture et de sculpture dessinés et gravés par Paul Mercuri: Tome I
Par Ligaran, Camille Bonnard et Charles Blanc
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Costumes historiques des XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles tirés des monuments les plus authentiques de peinture et de sculpture dessinés et gravés par Paul Mercuri - Ligaran
Introduction
Le costume est quelque chose de plus que l’habillement du corps ; il est aussi le vêtement des idées. Ce n’est pas pour rien qu’un calviniste est vêtu de noir et que la magistrature, en ses solennités, porte une robe rouge. À la manière dont les nations s’habillent, on peut reconnaître leur opinion sur les grands principes qui régissent les sociétés, leurs idées religieuses, leurs lois positives. Entre la démocratie américaine de nos jours et la féodalité du Moyen Âge, il n’y a pas plus de différence qu’il en existe entre le costume des seigneurs d’autrefois et le frac rigide que revêtent tous les citoyens des États-Unis, depuis le président jusqu’au pauvre nourri par la paroisse. Ainsi, pour qui sait voir, la physionomie morale d’un peuple se révèle dans ses habits tout autant que dans sa littérature et dans le caractère de ses monuments, C’est, du reste, ce qu’exprime fort bien le mot costume, qui signifie en italien l’ensemble des usages, des mœurs et des coutumes d’une nation, y compris ses vêtements, ses meubles, ses armes et tous les accessoires de su vie. Mais en empruntant ce mot de la langue italienne, les Français lui ont donné un sens restreint : ils l’ont appliqué seulement à la manière de se vêtir, comme si cette différence comprenait à elle seule toutes les autres.
Il faut croire que, dans les temps primitifs, les hommes étaient égaux devant le soleil et qu’ils ne songeaient pas à se distinguer entre eux par une façon particulière de se garantir du chaud ou du froid. La carte du monde, dessinée par les mers, les fleuves et les montagnes, n’indiquait pas encore des peuples divers, et en attendant que le costume des nations vînt colorer la géographie, il n’y avait sur la terre que l’humanité, Cependant les grandes familles du genre humain se groupèrent sous l’influence des climats, qui fut sans doute la première cause de leur formation ; et cette influence, en rendant de plus en plus prononcée la différence de leurs caractères, amena les différences du costume. Les Orientaux empruntèrent les rayons du soleil pour on tisser leurs vêtements ; les Occidentaux se firent des parures moins éclatantes et composèrent l’harmonie de leurs ajustements de nuances tempérées ; tes hommes du midi se défendirent contre un ciel brûlant, par l’ampleur et l’aisance de leurs tuniques, ouvertes au passage de l’air ; les hommes du nord se taillèrent des habits d’une frileuse élégance dans la fourrure des bêtes… Mais bientôt les rivalités s’éveillèrent, les limites naturelles furent franchies par la conquête, la guerre trancha les territoires, et la haine fit plus pour constituer les peuples que n’avaient fait les éléments et les climats ; elle marqua entre eux des séparations plus hautes que les montagnes et plus profondes que les mers. Les nationalités devenues militaires se distinguèrent alors par leurs armes : les hommes firent consister leur luxe dans les instruments de mort ; ils accusèrent leur personnalité, ils montrèrent leur grâce par la manière originale dont ils tuaient leurs semblables.
Dans la suite des siècles, des démarcations s’établirent, non plus entre les nations seulement, mais entre les individus d’une même nation, et elles se traduisirent encore par les variétés du costume. Aux inégalités du droit répondirent les inégalités du luxe ; les malheureux furent élevés à fabriquer la soie, le velours, le brocart, les dentelles, pour ceux-là mêmes qui les opprimaient. Les distinctions sociales prirent une forme visible et palpable dans la coupe du justaucorps et du manteau ; les nobles furent nobles depuis le sommet de leur coiffure jusqu’aux talons de leurs souliers, et les vilains furent vilains depuis leurs bonnets jusqu’à leurs sabots. Ce n’est pas tout : les professions voulurent se distinguer à leur tour, et, à défaut de la noblesse personnelle, elles se créèrent une noblesse collective ; elles eurent leurs devises, leurs armoiries, leurs bannières, leurs costumes ; et ces costumes, dans une même profession, varièrent encore d’un pays à l’autre. Le marchand affecta de porter à sa ceinture une bourse de cuir ; le médecin ajouta l’imposante austérité de ses habits à la gravité voulue de son maintien ; l’apothicaire de Florence ceignit un turban rouge ; le notaire de Sienne mit un chaperon violet ; le basochien de Paris se coiffa d’un bonnet unicorne, enjolivé de boutons ou rehaussé d’une plume de coq ; enfin, par ordonnance de nos lieutenants de police, les courtisanes durent porter une ceinture dorée, sans doute pour faire comprendre combien eut mieux valu pour elles une bonne renommée.
Il est remarquable que partout le caractère des époques se reflète immédiatement dans les costumes, et cette loi se vérifie surtout dans notre histoire de France. Chaque règne imprime son cachet sur la forme des vêtements de la nation. Sous François Ier, par exemple, et sous les Valois, on s’habille pour les tournois, le bal et l’amour, je veux dire pour la galanterie ; le costume est leste, élégant, cavalier, artiste. Au commencement du XVIIe siècle il devient plus digne et plus lourd, sous l’influence du l’Espagne, qui était aussi enflée dans ses habits que dans sa littérature et son langage. Sous Louis XIV tout est rangé, ordonné, classé selon les lois d’une étiquette de plus en plus sévère. La toilette est régentée comme le commerce, l’industrie et la littérature ; les modes ont leurs lois tout comme les consciences. Sans parler de ces distinctions pompeusement grotesques, telles que les justaucorps à brevet, qu’imagina Louis XIV pour nuancer la courtisanerie autour de sa très haute personne, le costume de la bourgeoisie fut soumis à des ordonnances qui, pour n’être écrites nulle part, n’en étaient pas moins observées. On devait porter en hiver les velours, les satins, les ratines et les draps ; au printemps les silésies et les camelots, et les taffetas en été. La règle des trois unités, Dieu me pardonne ! n’était pas plus rigoureuse que l’obligation de prendre les fourrures à la Toussaint, de quitter les manchons à Pâques et le point d’Angleterre après Longchamps. Au XVIIIe siècle, le costume fut naturellement modifié selon l’esprit du temps. Il est clair que les perruques du grand siècle eussent embarrassé Fronsac dans ses équipées. Pour escalader les murs des couvents et rosser le guet, il fallait être armé à la légère ; on s’habilla donc avec moins de solennité et plus de grâce. Bientôt l’exemple de passer par-dessus les lois de l’étiquette vint de la cour elle-même : Marie-Antoinette, fatiguée de l’esclavage que lui imposait la royauté, osa se défaire à son petit-lever de cette tournure qu’on appelait alors des paniers et quelquefois d’un nom plus vif. La liberté du costume entra ainsi dans Je palais de Louis XVI et prit place sur le trône, entre une reine gracieusement laitière et un roi naïvement serrurier.
Enfin, la Révolution française éclata et avec elle les principes d’égalité se répandirent dans le monde. Le costume, qui était le côté voyant des distinctions sociales, fut ramené par les uns à une simplicité significative, par les autres à une austérité qui ne tarda pas à dégénérer en affectation. Le tiers-état avait paru dans la procession des états généraux, gravement vêtu de noir, et les nobles avaient bientôt renoncé non seulement à leurs privilèges, mais à la richesse et à l’élégance de leurs habits. Sous la Convention nationale, quand la révolution fut démocratique, le luxe devint suspect, les recherches de la toilette furent regardées comme un signe d’aristocratie, et il fallut an chef de la Montagne un rare courage pour oser, en pleine séance des Jacobins, jeter par terre le bonnet rouge, et pour conserver, au plus fort de la tempête populaire, son costume aussi soigné, aussi apprêté que celui d’un marquis d’autrefois, son habit nankin rayé vert, son gilet à fleurs et son jabot en point d’Alençon.
Depuis cette grande et terrible époque, en dépit de toutes les réactions, l’égalité s’introduisit dans les idées et dans les mœurs, et elle se fit reconnaître à l’uniformité de l’habillement. Les Français, qu’on avait proclamés égaux devant la loi, sont égaux maintenant devant le peintre, et le XIXe siècle a vu s’établir en France cet invariable, ce triste habit noir dont la mode s’est étendue peu à peu sur toute l’Europe comme une vaste tache d’encre. Mais que dis-je ? l’habit noir, n’est pas une mode ! Il s’en faut, c’est une idée, c’est presque un principe, et voilà tantôt un demi-siècle que cette manifestation triomphe de toutes les résistances de l’ancien monde, de toutes les velléités de distinction, de toutes