Les contes: Les Dossiers d'Universalis
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Les contes - Encyclopaedia Universalis
Universalis, une gamme complète de resssources numériques pour la recherche documentaire et l’enseignement.
ISBN : 9782341002264
© Encyclopædia Universalis France, 2019. Tous droits réservés.
Photo de couverture : © Monticello/Shutterstock
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Les contes
« Il était une fois... »
Une telle formule suffit à nous faire pénétrer dans le monde du conte. Celui-ci rassemble toute la mémoire du monde et vient résonner dans toutes les langues, de l’arabe au japonais, du français à l’allemand ou au yiddish.
Le merveilleux, l’archaïque et le féerique y composent un univers autre qui continue pourtant de réveiller nos désirs et nos peurs les plus intimes, celles qui sont traditionnellement associées à l’enfance. L’origine orale du conte, son anonymat et ses variations subtiles accentuent cette étrange familiarité.
E.U.
CONTE
Introduction
Le conte, et particulièrement le conte merveilleux, est-il, comme le voulait Paul Delarue, « l’expression la plus parfaite de tous nos récits oraux » ? Son extraordinaire longévité surprend : le conte égyptien des Deux Frères a été retrouvé sur un papyrus datant du XIIIe siècle avant J.-C., la légende d’Etana et de l’Aigle sur des tablettes exhumées des sables chaldéens. La diffusion du conte dans l’espace n’est pas moins étonnante puisqu’on le rencontre jusqu’au bout de la terre, « là où, dirait le conte, le monde se termine par une palissade de rondins ». De ce genre longtemps méprisé, relégué au rang de divertissement pour l’enfant et le peuple ignorants, de ce genre dont on a dit tantôt qu’il « sentait l’eau de Cologne et la poudre d’iris », tantôt la bure et la fumée, tous les spécialistes s’accordent à reconnaître aujourd’hui l’intérêt. Mais n’est-il pas paré de « la beauté du mort » pour nos contemporains en quête de racines ?
1. Qu’est-ce qu’un conte populaire ?
Si le terme de conte présente, dans la littérature, des acceptions multiples et des frontières indécises, trois critères suffisent à le définir en tant que récit ethnographique : son oralité, la fixité relative de sa forme et le fait qu’il s’agit d’un récit de fiction.
Le conte populaire s’inscrit d’abord dans ce vaste champ qu’en 1881 Paul Sébillot baptise, d’une expression paradoxale, « littérature orale ». Comme les comptines et les proverbes, les devinettes et les chansons, il bénéficie de cette « transmission de bouche à oreille » qui caractérise, selon Pierre Saintyves, le « savoir du peuple ». Chaque conte est un tissu de mots, de silences, de regards, de mimiques et de gestes dont l’existence même lubrifie la parole, au dire des conteurs africains.
Le conte est, de plus, un récit hérité de la tradition, ce qui ne signifie nullement qu’il se transmette de façon immuable. Le conteur puise dans un répertoire connu depuis longtemps la trame de son récit et lui imprime sa marque propre qui sera fonction de l’heure, du lieu, du public et de son talent spécifique. Le conte populaire est donc à la fois création anonyme, en ce qu’il est issu de la mémoire collective, et création individuelle, celle du « conteur doué », artiste à part entière, qui actualise le récit et, sans en bouleverser le schéma narratif, le fait sien. Le conte participe ainsi, avec la légende, de ce qu’Arnold Van Gennep appelle la « littérature mouvante », par opposition à la « littérature fixée » des proverbes et des dictons qui ne se modifient pas.
À l’intérieur de la littérature mouvante, le conte se singularise surtout par son caractère de fiction avouée. L’incipit « Il était une fois » atteste déjà la rupture avec le monde ordinaire. Les localisations spatio-temporelles du conte merveilleux l’accentuent : « Bien loin, au-delà de l’extrémité du monde et au-delà même des montagnes des sept chiens, il était une fois un roi... » Dans les contes facétieux – comme dans les histoires drôles –, la fiction se marque surtout par le caractère exemplaire de la situation initiale : « Deux Corses se rencontrent sur la place du village. » La légende, au contraire, se donne comme le récit d’événements qui se sont réellement produits et dont les acteurs sont connus ; son ancrage historique et géographique l’enracine dans la vie locale. Il faut signaler cependant que l’affirmation de réalité est quelquefois utilisée, en début ou en fin de conte, comme un moyen de capter l’attention de l’auditoire. Le conteur se présente alors comme un intercesseur malicieux entre le monde réel et l’univers imaginaire qu’il vient de faire naître : « On fut bien obligé de lui mettre un nez en bois, c’est mon grand-père le cordonnier qui le lui a fait. »
2. Collecte et classement des contes
Par définition, le conte populaire, transmis de génération en génération, se situe dans ce que Fernand Braudel a appelé la « longue durée ». Seules peuvent être datées avec précision les versions manuscrites ou imprimées et les transcriptions de textes oraux que nous ont laissées les ethnographes du XIXe siècle.
Comme le souligne Marie-Louise Ténèze, la collecte systématique des contes est postérieure, dans tous les pays d’Europe, à la publication des Kinder- und Hausmärchen des frères Grimm (1812-1815), dont l’impact fut considérable.Elle fut tantôt l’œuvre d’institutions nationales, comme la Société de littérature finnoise, créée en 1831, tantôt celle d’individualités marquantes qui ont mené et coordonné des enquêtes sur le terrain : Asbjörnsen en Norvège, Svendt Grundtvig au Danemark, Pitré en Sicile, Paul Sébillot puis Arnold Van Gennep en France... En moins d’un siècle, ces collectes permirent d’accumuler un matériau immense, dont le classement même faisait problème : plus de trente mille documents pour les seules archives d’Helsinki en 1918. En dépit de la bigarrure des textes recueillis, les ressemblances sensibles entre les contes, d’une province à l’autre et d’un pays à l’autre, permirent au Finnois Antti Aarne de définir, dès 1910, la notion de conte type : une organisation de motifs suffisamment stable pour s’être inscrite dans des récits divers, un schéma narratif privilégié avec insistance par les conteurs, une « ornière traditionnelle », selon l’expression d’Ariane de Felice – si l’on admet que la narration emprunte fréquemment cette « ornière » sans s’y enliser jamais.
Le recensement des contes types, initialement mené à partir des collections scandinaves et germaniques, s’élargit bientôt à l’ensemble de l’Europe puis à l’Inde. Il aboutit à l’établissement d’une classification internationale à laquelle sont indissolublement liés les noms d’Antti Aarne et de Stith Thompson, auquel on doit aussi le monumental Motif-Index of Folk-Literature. La classification Aarne-Thompson comprend aujourd’hui 2 340 types répartis en quatre catégories : les contes d’animaux (T. 1 → 299), les contes proprement dits, qui incluent les contes merveilleux et les contes religieux (T. 300 → 1 199), les contes facétieux (T. 1 200 → 1999) et les contes à formule, qui sont souvent des randonnées ou contes en chaîne (T. 2 000 → 2 340). L’Aarne-Thompson a rendu possibles les monographies de contes par la comparaison de toutes les variantes et l’établissement de catalogues nationaux. Celui de Paul Delarue et de Marie-Louise Ténèze pour le conte populaire français est, à cet égard, exemplaire. Pour chaque conte type nous est donné le texte d’une version de référence puis un découpage narratif, suivi de la liste de toutes les versions recensées avec l’inventaire de leurs motifs. Chaque conte est assorti d’un commentaire. Lorsque les versions issues d’une aire géographique donnée présentent des caractères originaux, et ce, de façon persistante, on parle d’« œcotypes régionaux », reprenant en cela un terme proposé par Carl Wilhelm von Sydow.
Il est assez frappant de constater que l’ardeur des collecteurs du XIXe siècle concernant le rassemblement des textes oraux semble s’accompagner d’une relative indifférence aux circuits de transmission du conte. Ils nous ont laissé peu d’informations sur la personnalité des conteurs, sur leur pratique narrative et sur les institutions de transfert qui ont permis aux contes de se perpétuer. Les ethnologues d’aujourd’hui attachent, au contraire, la plus grande importance à l’« horizon d’attente » dans lequel le conte surgit : « Par tout un jeu d’annonces, de signaux – manifestes ou latents –, de références implicites, de caractéristiques déjà familières, écrit Hans Robert Jauss, le public est prédisposé à un certain mode de réception. »
3. L’horizon d’une attente
Le conte traditionnel est inséparable de la communauté dans laquelle il s’inscrit : « Ce qui est premier, écrit Max Lüthi, c’est le besoin intérieur du conte que ressentent ceux qui le créent, ceux qui le cultivent et ceux qui l’entendent. » À cette notion un peu vague de « besoin intérieur », on préférera celle de « fonction textuelle » (rôle joué par le texte dans le système social) et la typologie des fonctions que proposent Daniel Fabre et Jacques Lacroix.
Le texte oral ne peut, en effet, se définir que dans un réseau de fonctions dont l’importance varie selon le récit, le public et l’époque considérés. Les témoignages contemporains privilégient surtout la dimension ludique du conte. Dans les sociétés traditionnelles, l’activité narrative est une forme privilégiée du loisir, encore qu’elle s’accompagne souvent d’un travail accompli pendant le temps du contage (dentelle, tricot, vannerie, écalage des noix, etc.). Parmi les diverses sortes de jeux que combine l’activité narrative, la compétition paraît être surtout sensible dans les veillées où il n’y a pas de grand conteur. L’imitation prévaut dans les mimologismes, ces brefs récits qui suggèrent une interprétation amusante des chants d’oiseaux et des cris d’animaux, tel ce dialogue autour d’un fermier endetté : « La caille chante : Paye tes dettes ! Paye tes dettes ! La perdrix : Payera-t-i ? Payera-t-i ? La pintade : Peut-être. Peut-être. L’oie : J’paierons, j’paierons. Les canards : Quand, quand, quand, quand. Le mouton : Jamais. »
On conte donc, c’est vrai, pour jouer, pour rire ensemble. Mais si cette fonction ludique existe, tout particulièrement dans les mimologismes et les contes facétieux, elle n’avait probablement pas, dans la hiérarchie culturelle traditionnelle, l’importance que nous lui accordons aujourd’hui : nous plaçons commodément sous le signe du divertissement des textes dont le sens et les résonances nous échappent. Une autre réduction fréquemment opérée, cette fois pour les contes merveilleux, consiste à exalter leur dimension esthétique, ce qui marque bien notre distance par rapport à ces « belles histoires » issues d’un « vieux vieux temps ». Comme le soulignent Daniel Fabre et Jacques Lacroix, « le texte, devenu le plus étranger par son contenu, suscite une adhésion esthétique de substitution ».
Or le conte traditionnel ne se définit pas seulement par le plaisir du jeu ou le désir du Beau. Il est aussi l’expression d’une mémoire anonyme et collective qui joue sur différentes modalités du temps : le temps mythique, celui des origines, radicalement coupé du nôtre (« C’était au temps où les bêtes parlaient »), le passé indéfini du conte merveilleux (« Il était une fois »), le temps historique, mais d’une histoire intermittente qui laisse dans l’ombre des siècles entiers pour isoler des faits saillants (en Auvergne, le passage de Mandrin par exemple), le temps familial qui inscrit le récit dans une généalogie parfois fictive (« Le grand-père de mon grand-père de mon grand-père... »), le temps personnel, enfin, évocation mélancolique de la jeunesse du récitant (« De mon temps, les filles étaient sages, les arbres portaient plus de fruits », etc.). Quelles que soient les modalités choisies, le temps du conte a ses lois propres : le héros construit un palais en une nuit, la princesse dort pendant cent ans.
Le récit oral remplit aussi une fonction d’information. Celle-ci est bien sûr appauvrie, amplifiée, déformée d’un relais à l’autre puisqu’elle est soumise aux errances de la mémoire et aux mouvances de la parole. La narration se donne alors comme vraie, bien qu’on ne puisse jamais remonter à la source de l’information. Dans un univers familier, balisé, le conteur choisit l’instant privilégié où le cours ordinaire