Les enfants difficiles (3-8 ans): Évaluation, développement et facteurs de risque
Par Isabelle Roskam et Michel Manciaux
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À propos de ce livre électronique
Les comportements d’agitation, d’agressivité, d’opposition et de provocation ne sont pas rares chez les jeunes enfants. Lorsque leur fréquence ou leur intensité dépasse un certain seuil, ces enfants qualifiés de difficiles posent question tant à leurs parents qu’à leurs enseignants et éducateurs. Comment faire pour évaluer les enfants précocement ? Comment identifier ceux pour qui une intervention s’impose ? Ces troubles du comportement tendent-ils à perdurer ? Quels sont les facteurs de risque associés à ces difficultés ? Comment agir sur les troubles eux-mêmes et comment prévenir l’apparition de troubles secondaires ? Cet ouvrage est le fruit d’une étroite collaboration entre chercheurs et cliniciens confrontés à ces enfants et à la souffrance de leurs proches. Pour aborder ces questions et y apporter des réponses, les auteurs s’appuient sur un vaste programme de recherche auquel des centaines d’enfants et de familles ont participé. Trois annexes complètent leur travail : une liste de jeux, une liste de livres à utiliser en séance avec les enfants et enfin un lexique des termes spécialisés.
Ont collaboré à la réalisation de cet ouvrage : Dominique Charlier-Mikolajczak, Philippe Kinoo, Céline Massy, Jean-Christophe Meunier, Marie-Cécile Nassogne, Marie-Pascale Noël, Christel Regaert, Marie-Anne Schelstraete, Marie Stievenart, Gaëlle Van De Moortele et Céline Van Schendel.
Destiné aux professionnels et aux étudiants du monde de la psychologie, cet ouvrage de référence propose des conseils et des thérapies pour soigner les enfants atteints d'hyperactivité.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Le livre apporte des éléments de compréhension et des conseils pour aider les parents débordés. Il constitue également, pour les professionnels de la santé mais aussi de l’éducation, un outil précieux qui les aidera à remettre "à sa juste place" le questionnement des parents. - Echos d’Inclusion, vol 28, n°3
Évaluer correctement sans stigmatiser, c’est la mission délicate que se sont fixés les auteurs de cette étude sous la direction d’Isabelle Roskam, professeur de psychologie du développement à l’UCL. [...] Saluons aussi la liste des jeux et des livres destinés à enrichir les séances avec les professionnels. - Psychologies Magazine
Même si cette dénomination paraît très subjective, les auteurs parviennent par le biais d’une méthodologie exigeante, établie sur des données bibliographiques et expérimentales exhaustives, à dégager une description précise et nuancée des troubles présentés par ces enfants. - Catherine Rigaud, Cerveau&Psycho, n°52
À PROPOS DE L'AUTEUR
Isabelle Roskam est Professeure de psychologie et dirige une équipe de recherche à l’Université catholique de Louvain. Psychologue clinicienne, spécialiste de la petite enfance et de sa prise en charge, ses recherches sont unanimement saluées par le monde scientifique. Elle met également son expertise au profit de nombreuses associations d’aide à l’enfance.
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Aperçu du livre
Les enfants difficiles (3-8 ans) - Isabelle Roskam
Préface
Michel Manciaux
Il est des recherches faciles à mettre en place et à mener : un objectif simple et bien défini, une problématique déjà explorée aux plans clinique et scientifique, une équipe homogène, des instruments validés, un programme limité dans le temps. Elles ressemblent en tous points à une tragédie classique avec la triple unité de temps, de lieu et d’action. Elles ne sont pas pour autant dénuées d’intérêt; réussies, elles permettent d’avancer dans la compréhension d’une pathologie, dans l’évaluation d’une thérapeutique. Un certain nombre de recherches cliniques rentrent dans ce cadre et, bien rodées, viennent enrichir un curriculum laboris, une liste de publications.
Tel n’est pas le cas de la recherche dont il est question dans cet ouvrage. Elle poursuit un objectif ambitieux : progresser dans la connaissance, la compréhension et si possible dans la prise en charge d’une problématique peut-être aussi vieille que la nature humaine, mais dont la fréquence et l’ampleur semblent refléter des changements sociaux récents, importants et relativement encore peu explorés. Pensons par exemple à l’éclatement des modèles familiaux traditionnels souvent invoqué, mais sans une évidence unanimement partagée. Et pourtant, on lui impute une large responsabilité dans certains comportements déviants. À preuve cette citation du psychologue américain Urie Bronfenbrenner qui écrivait en 1979, année internationale de l’enfant, à la suite d’une méta-analyse des recherches américaines sur le développement de l’enfant : « Au cours des trois dernières décennies, des centaines d’investigations ont cherché à identifier les antécédents du développement, de troubles du comportement et de pathologies sociales. Les résultats indiquent un facteur majeur et omniprésent : la désorganisation familiale. »
Explication n’est pas raison et il peut-être dangereux, surtout dans des phénomènes multifactoriels, de confondre association et causalité. En France, à la suite d’un rapport de l’INSERM, en 2005, sur le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent, un collectif de professionnels de l’enfance a lancé un mouvement intitulé « Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans », pour protester contre un projet politique de répertorier, surveiller et signaler aux autorités communales les jeunes enfants turbulents considérés comme des futurs adolescents potentiellement délinquants.
Le présent ouvrage est donc très bienvenu. Il résulte d’une recherche que je trouve exemplaire et riche d’enseignements, dont le sujet : Hard to manage children (« H2MChildren »), est très explicite : jeunes enfants difficiles, certains très tôt dans l’existence. Ne parle-t-on pas, quelquefois, de bébés persécuteurs, en particulier de leur mère avec laquelle l’harmonie peine à s’installer, compromettant l’attachement primordial. Et voilà d’emblée une perspective de prévention sur laquelle travaillent les cliniques d’attachement et, plus en amont, l’accompagnement des grossesses mal vécues, psychologiquement parlant. Comment ne pas citer à ce propos cette phrase de Françoise Molénat, pédopsychiatre qui travaille dans l’unité petite enfance au CHU de Montpellier. Parlant de parents vulnérables ou blessés par la vie, elle dit : « Découvrir que les médecins, les services travaillent ensemble constitue pour ces parents une révélation. On voit dans leur regard se produire un véritable déclic : la visualisation de leur place au sein d’un collectif qui les contient », c’est-à-dire dont ils font partie et qui endigue d’éventuelles réactions violentes.
Mais la recherche présente s’intéresse à une pathologie déjà installée et qui se manifeste, parfois à des degrés différents, dans tous les lieux de vie de ces enfants difficiles. La prise en charge va concerner, autour et avec les parents, des professionnels variés. L’équipe doit donc être pluridisciplinaire, et cependant partenariale. La pathologie et ses manifestations sont diverses et évolutives; en d’autres termes, il faut travailler ensemble et dans la durée, avec des évaluations périodiques, suffisamment proches pour les besoins de soutien enfants-parents, mais assez espacées pour pouvoir enregistrer d’éventuels changements. Et le suivi dans le long terme est indispensable pour apprécier les résultats des actions entreprises.
En outre, s’agissant d’une recherche sur un problème certes ancien, mais abordé sous cet angle relativement récemment, les outils, protocoles de travail, tentatives de contrôle ne sont pas tous validés et il y a place pour l’innovation, alors que peu de recherches valables sont disponibles pour les équipes qui abordent ce champ d’investigation. Comme les enfants, la recherche s’avère difficile.
C’est pourquoi il convient de féliciter les acteurs de ce difficile chantier et les remercier de mettre à la disposition d’un large lectorat la genèse, la conduite et les résultats de leur travail. Il s’agit là, sans nul doute, d’une contribution majeure à la prise en compte d’un sujet passionnant mais complexe que, sous la direction d’Isabelle Roskam, un panel de professionnels a eu le courage d’approfondir. Il reste beaucoup à faire, mais le chemin est ouvert, et bien tracé. Les pages suivant cette préface détaillent l’esprit et le plan de l’ouvrage. Elles font deviner la somme de réflexion, de discussion, de travail qui a précédé l’écriture et dont il convient de féliciter tous les collaborateurs, sans oublier les parents, aussi bien ceux des enfants concernés que ceux du groupe témoin.
Mais je voudrais conclure ce message par quelques remarques plus générales. À la suite de cette recherche et en dépit d’inévitables difficultés, il serait intéressant que vous, les acteurs, restiez en contact avec vos jeunes patients et leurs familles. Vous auriez peut-être l’heureuse surprise de constater que tel ou tel d’entre eux s’est amélioré avec le temps, quittant ce comportement si pénible, déjouant le pronostic pessimiste qu’il est tentant de porter quand des progrès se font attendre. Emmie Werner n’aurait pas donné vie à la résilience si elle n’avait pas suivi de la naissance à l’âge adulte des enfants que les conditions sociales de leurs parents semblaient condamner à un échec programmé : Born to fail (Nés pour échouer) était le titre d’un rapport britannique du National Children’s Bureau. M’étant spécialement occupé pendant vingt ans à la clinique pédiatrique du CHU de Nancy des enfants handicapés ou malades chroniques et aussi d’enfants victimes de sévices, j’ai pu constater de belles trajectoires existentielles improbables « au départ » et quand j’ai découvert dans la littérature anglo-saxonne, en 1990, le concept de résilience, il a pris pour moi le visage de ces jeunes fit for the future (prêts pour l’avenir) pour prendre le titre d’un autre rapport anglais écrit par Donald Court. Les familles éprouvées par ces enfants difficiles peuvent aussi, parfois, retrouver une vie plus sereine, se reconstruire par l’épreuve. De « familles problèmes », elles deviennent alors « familles ressources ».
La psychologie positive dont on parle beaucoup désormais nous amène à rechercher systématiquement chez nos patients des points positifs, si discrets soient-ils, à les identifier, à les mobiliser en vue de petits projets réalistes, en gardant en tête ce dicton anglais « Nothing succeeds like succes ». Un éducateur de rue a sorti, dans une session sur le signalement des mauvais traitements, cette phrase magnifique, heureusement enregistrée : « Quand je dois rédiger un signalement à propos d’un enfant maltraité dans sa famille, je m’astreins à passer autant de temps pour lister ce qui ne va pas dans cette famille, et qui nécessite et justifie le signalement, et ce qui va bien, ou pourrait aller bien, et à partir de quoi on va pouvoir commencer un travail de reconstruction ». Il y a là de la bientraitance en action.
Déontologie professionnelle, bientraitance. Pour moi, un profession-nel bientraitant peut devenir, sans peut-être le savoir jamais, tuteur de résilience pour tel ou tel de ses patients : les exemples abondent dans les histoires de vie, les autobiographies. À Liège, notre collègue Michel Born a beaucoup étudié un phénomène du même ordre, la désistance : changement de comportement inattendu et inexpliqué chez certains jeunes gravement déviants qui se resocialisent positivement. Tout n’est jamais complètement perdu!
J’ai beaucoup apprécié dans cette recherche les précautions éthiques qui y ont été apportées, tout d’abord dans le titre : il n’est pas question d’enfants irrécupérables ou, comme dans certains articles américains, d’enfants impossibles. Sans nier la difficulté, les auteurs ne se sont pas enfermés dans un pronostic fixiste, comme on le fait trop souvent : prophéties parfois autoréalisatrices ! Ils ont cherché à comprendre sans juger, sans étiqueter, sans hypothéquer l’avenir. Ils ont appliqué, au quotidien de leurs activités de soin, de recherche, et dans la rédaction de leurs contributions, une véritable éthique professionnelle et sociale qui doit beaucoup, en particulier, à Emmanuel Lévinas et à Paul Ricœur. Les trois piliers en sont : Singularité, Fragilité, Responsabilité.
SINGULARITÉ
Chaque enfant, chaque parent est une personne unique et il faut se méfier du formatage de nos classifications et de nos procédures de travail : une personne, unique, singulière, donc particulière aussi, parfois difficile à saisir dans ses ambivalences, dans sa complexité, dans ses comportements. Le principe d’empathie nous invite à essayer de la comprendre en vue de l’aider, sans prétendre se mettre à sa place.
FRAGILITÉ
Le développement de l’enfant est un combat pour la vie. Il est source de vulnérabilité, de fragilité souvent masquée par des comportements qui nous déroutent et nous mettent mal à l’aise. Mais là encore, il faut chercher à comprendre plutôt que juger, blâmer. Cela met en situation notre rôle de professionnels vis-à-vis de ces usagers particuliers que sont ces enfants et ces parents en souffrance. C’est le moment de rappeler ce que disait Emmanuel Levinas : « Dès lors qu’autrui me regarde j’en suis responsable ». Surtout quand cet autrui est un enfant, un jeune, un parent en mal-être pour lui ou pour un des siens.
RESPONSABILITÉ
Et je laisse le mot de la fin à Paul Ricœur, peut-être le philosophe qui a le plus réfléchi aux exigences éthiques de nos métiers et qui, dans un petit ouvrage paru aux éditions Alice à Liège et intitulé L’unique et le singulier, nous transmet ce magnifique message:
« Là où il y a du pouvoir, il y a de la fragilité. Et là où il y a de la fragilité, il y a de la responsabilité. L’objet de la responsabilité, c’est le fragile, le périssable qui nous requiert. Parce que le fragile est en quelque sorte confié à notre garde, il est remis à notre soin. »
Tout est dit. Il ne me reste qu’à souhaiter à ce bel et important ouvrage le succès qu’il mérite.
Michel Manciaux, le 12 avril 2011, Nancy.
Après un internat et un clinicat en pédiatrie et un assistanat en médecine sociale à Nancy, Michel Manciaux a obtenu une agrégation de pédiatrie en 1961. De 1968 à 1970, il a occupé le poste de conseiller régional en santé maternelle et infantile au Bureau pour l’Europe de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). De 1971 à 1974, il a exercé les fonctions de vice-doyen de la Faculté de Médecine de Nancy, chargé de la réforme des études médicales. Puis, de 1974 à 1983, il a été nommé Directeur général du Centre international de l’Enfance puis professeur de Santé publique à Nancy, jusqu’en 1992. De 1975 à 1999, il a été membre du Comité d’experts OMS en santé de la famille, et de 1994 à 1999, membre puis vice-président du Comité consultatif OMS pour la recherche en santé. De 1988 à 1990, il a occupé la fonction de conseiller technique au Secrétariat d’État chargé de la famille, et de 1987 à 1999, il a été président de l’Observatoire régional de la santé et des affaires sociales de Lorraine. Il est docteur honoris causa de l’université de Montréal. Après une carrière tout entière consacrée à la pédiatrie sociale et à la santé publique, ses chantiers actuels portent sur la résilience et l’éthique.
Le Professeur Michel Manciaux a notamment publié Pédiatrie sociale (Flammarion, 1972, 1977), Santé de la mère et de l’enfant (Flammarion, 1978, 1984), Enfances en danger (Fleurus, 1997), Bientraitances (Fleurus, 2000), Résilience (Médecine et Hygiène, 2001), La protection de l’enfance : maintien, rupture et soins des liens (Fleurus, 2005).
Introduction
Au début des années 2000, nous étions plusieurs cliniciens d’une même clinique universitaire bruxelloise à nous étonner de la fréquence des consultations concernant de jeunes enfants présentant des difficultés de comportement. Ces enfants avaient entre 3 et 5 ans et présentaient de l’agitation, de l’impulsivité, des comportements d’opposition ou de provocation, ou encore de l’agressivité. Ces comportements sont souvent désignés par les psychologues en termes de « comportements externalisés » par opposition aux troubles dits « internalisés » tels que l’anxiété ou la dépression (Achenbach & Edelbrock, 1986).
Les comportements externalisés des jeunes enfants présentés à nos consultations étaient si dysfonctionnels qu’ils amenaient leurs parents à consulter des spécialistes avec cette question récurrente : « que faire? ». Que faire lorsque ce petit enfant n’écoute pas les demandes parentales à la maison ou celles de l’enseignant à l’école maternelle ? Que faire lorsqu’aucune mesure éducative ne semble porter ses fruits ? Que faire lorsque les parents sont à bout de souffle et quémandent de l’aide auprès des professionnels ? Que faire face au découragement de certains enseignants?
Les petits patients étaient le plus souvent adressés aux services de neuropédiatrie ou de psychiatrie infanto-juvénile. Les médecins prenaient soin de poser un diagnostic différentiel. L’épilepsie, le retard mental ou encore des affections somatiques telles que le reflux gastroœsophagien peuvent en effet expliquer une certaine irritabilité et des comportements inadéquats chez l’enfant. Le plus souvent, il s’est avéré que ces enfants ne présentaient aucune affection. À l’analyse de la demande, les troubles du comportement se sont révélés être au cœur de la problématique. Par ailleurs, ces parents venus consulter un spécialiste dans une clinique universitaire étaient pour la plupart issus de milieux socio-économiques de niveau moyen ou supérieur. À ce titre, nous n’étions pas face à des problématiques comportementales intriquées dans des problématiques sociales plus générales. Dès lors, en l’absence d’affections ou de difficultés psychosociales, comment expliquer que de si petits enfants présentent des conduites antisociales?
Quelques questions centrales ont animé nos réflexions des mois durant. Elles reflétaient notre désarroi et la difficulté de donner à ces parents des réponses fondées et un accompagnement de qualité. Les parents venus consulter après avoir tant de fois tenté de gérer la situation par eux-mêmes, en suivant les conseils de leur entourage, en s’informant sur le Net ou dans des ouvrages, en dialoguant avec l’enseignant de l’enfant, avaient des attentes très importantes à l’égard des professionnels que nous sommes. Nos questions étaient pourtant nombreuses. Comment objectiver des difficultés de comportement chez le jeune enfant alors qu’un certain niveau d’agitation ou d’agressivité est normal à cette période de son développement ? Comment détecter les enfants susceptibles d’être ultérieurement diagnostiqués sur base d’entités nosologiques telles que « l’hyperactivité », « le trouble oppositionnel » ou « le trouble de conduites » ? Comment expliquer l’émergence et la persistance des comportements difficiles ? Comment éviter de verser dans une démarche de type déterministe avec le risque d’étiqueter des enfants encore en très bas âge?
Naturellement, nous nous sommes tournés vers la littérature existante pour tenter de répondre à ces questions. La littérature nous a tout d’abord confortés dans l’idée que ces difficultés comportementales précoces devaient être prises en considération par les chercheurs et les cliniciens puisque plus de la moitié des enfants conservaient des problèmes de comportement pendant l’enfance et l’adolescence. Ensuite, les études consultées montraient que le comportement difficile de l’enfant conduisait à une moins bonne intégration sociale et à des difficultés d’apprentissage scolaire. Enfin, le comportement difficile de l’enfant semblait associé à des facteurs individuels d’une part et à des facteurs familiaux d’autre part. En ce qui concerne les facteurs individuels, les déficits d’inhibition, le retard de langage et la personnalité étaient associés aux problèmes de comportement. En ce qui concerne les facteurs familiaux, un attachement peu sécurisé ou peu organisé ainsi que des difficultés éducatives parentales étaient associés aux problèmes de comportement.
Très rapidement, trois limites importantes ont été constatées dans la littérature disponible. Premièrement, les recherches consultées concernaient très souvent des enfants de plus de 6 ans. Plus jeunes, les enfants ne sont en effet pas diagnostiqués. Il est donc difficile pour les chercheurs de constituer un échantillon homogène propice aux analyses statistiques. À cet égard, les instruments d’évaluation du comportement et des facteurs susceptibles d’y être associés étaient le plus souvent conçus pour des enfants âgés d’au moins 6 ans. Deuxièmement, la plupart des études publiées étaient de type corrélationnel. Elles peuvent de ce fait indiquer quels facteurs individuels ou familiaux sont associés aux difficultés comportementales chez l’enfant, mais elles ne peuvent en aucun cas nous informer quant à la nature de ce lien. Invoquer des relations de cause à effet nécessite la mise en œuvre d’une recherche longitudinale. Troisièmement, la plupart des études étaient cloisonnées, c’est-à-dire qu’elles n’envisageaient qu’un seul type de facteur associé au comportement. Nous avons ainsi recensé bon nombre de recherches dans le domaine de la neuropsychologie investiguant les relations entre comportement et inhibition, dans le domaine de la psychologie de l’éducation étudiant les liens entre comportement et pratiques parentales, dans le domaine de la psychologie clinique et développementale se focalisant sur l’association entre attachement et comportement. Rares sont cependant celles ayant pris en considération plusieurs domaines de recherche en tentant de les associer aux difficultés de comportement. Ainsi, les relations existant entre les facteurs euxmêmes n’ont pas été investigués.
D’un point de vue clinique, nous nous sommes régulièrement trouvés face à ces petits patients difficiles sans pouvoir conduire d’évaluation du comportement et des facteurs individuels et familiaux. Incapables d’appréhender les relations entre le comportement et les différents facteurs potentiellement en cause, nous n’étions pas en mesure d’accompagner les enfants et leurs parents sur le plan thérapeutique. Comment notamment savoir sur quel(s) facteur(s) agir de manière prioritaire pour tenter d’améliorer la qualité du comportement ? L’offre des prises en charge en Belgique est en outre peu spécifique à ce type de difficultés. Les petits enfants venus consulter étaient le plus souvent adressés à des psychomotriciens chargés de « canaliser » leur comportement débordant.
C’est pour répondre à ces questions et tenter de pallier ces limites que nous avons imaginé le programme de recherche « H2M Children » (Hard-T(w)o-Manage Children) en Communauté française de Belgique. Ce programme a été conduit par une équipe de chercheurs de l’Institut de recherche en Sciences psychologiques de l’Université catholique de Louvain (Belgique) en collaboration étroite avec des cliniciens des unités de neuropédiatrie et de psychiatrie infanto-juvénile des Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles (Belgique). L’objectif était double. D’une part, évaluer les troubles du comportement chez le jeune enfant d’une manière nuancée en s’appuyant sur des instruments valides. D’autre part, évaluer les facteurs individuels et familiaux potentiellement associés aux troubles du comportement et étudier la nature des liens existant entre ces facteurs et ces troubles.
Pour atteindre ce double objectif, 130 enfants âgés de 3 à 5 ans issus de consultations médicales pour lesquelles la plainte portait spécifiquement sur la présence de troubles externalisés de comportement (agitation, désobéissance, opposition, provocation, agressivité) ont été enrôlés dans ce programme de recherche dès 2005. Les enfants présentant des troubles envahissants du développement, des retards sévères de langage, un retard intellectuel ou encore des troubles neurologiques ont été exclus de l’échantillon. Les enfants enrôlés dans le groupe clinique ont bénéficié d’une évaluation standardisée par une équipe multidisciplinaire tous les six mois pendant trois années consécutives. Un groupe d’enfants tout-venant enrôlés dans le groupe contrôle a par ailleurs été constitué grâce à la collaboration enthousiaste de plusieurs écoles maternelles de la Communauté française. Quelque 500 enfants témoins sans difficulté de comportement externalisé ont permis de constituer des normes afin d’étalonner les instruments de mesure mis au point par l’équipe de recherche. Parmi ceux-ci, 250 enfants ont en outre été évalués une fois par an pendant trois années consécutives, selon la même procédure standardisée que le groupe d’enfants à troubles de comportement. Ces évaluations auprès d’enfants tout-venant ont permis de réaliser des analyses comparatives pointant notamment les caractéristiques des enfants du groupe clinique et les particularités de leur trajectoire développementale.
Cet ouvrage a été rédigé pour présenter les résultats obtenus dans le cadre de ce programme de recherche. Il est organisé en quatre sections. La première section porte sur la question de l’évaluation du comportement des enfants. Un premier chapitre s’intéresse au diagnostic différentiel qui peut-être posé par les neuropédiatres et les pédopsychiatres. Les enfants dits difficiles ne doivent en effet pas être confondus avec des enfants présentant des troubles neurologiques comme l’épilepsie ou des états psychotiques par exemple. Le deuxième chapitre introduit la notion de diagnostic. Peut-on diagnostiquer des enfants dès l’âge de trois ans en fonction de leur comportement ? Qui des parents, des enseignants ou des cliniciens sont les évaluateurs les plus valides ? Comment évaluer les enfants qui se présentent comme charmants à l’école et comme épuisants à la maison ? Une attention sera portée dans le chapitre 3 sur le comportement de l’enfant dans le milieu scolaire. Ce contexte de développement implique en effet des relations sociales complexes propices à l’expression de difficultés comportementales chez le jeune enfant. Enfin, la première section consacrée à l’évaluation se refermera sur une perspective élargie de l’évaluation. Les facteurs individuels et familiaux y seront présentés comme des cibles essentielles du processus évaluatif.
La deuxième section est consacrée au développement des enfants difficiles. Les deux chapitres qui la composent adopteront dès lors une perspective longitudinale. Comment évoluent les enfants à travers le temps ? Les troubles comportementaux tendent-ils à disparaître ou au contraire à persister ? C’est à ces questions qu’ambitionnera de répondre le chapitre 5. Le chapitre 6 ajoutera quelques nuances en dégageant des analyses liées aux facteurs individuels et familiaux, ceux qui favorisent des trajectoires de développement favorables ou défavorables. Ces facteurs seront dès lors identifiés comme des facteurs de risque ou de protection dans la mesure où ils augmentent ou diminuent la probabilité d’émergence et de persistance des troubles à travers le temps.
La troisième section portera une attention particulière à chacun des facteurs individuels et familiaux. En ce qui concerne les facteurs individuels, les relations entre les particularités cognitives des enfants, leurs habiletés langagières et les difficultés comportementales feront l’objet des chapitres 7 et 8. En ce qui concerne les facteurs familiaux, les relations entre la qualité de l’attachement, les pratiques éducatives et les comportements externalisés seront déclinées dans les chapitres 9 et 10. La troisième section se clôturera sur un onzième chapitre intégratif indiquant que la compréhension des comportements externalisés chez le jeune enfant passe par une vision multidisciplinaire et intégrée.
Enfin, trois annexes viennent compléter l’ouvrage : une liste de jeux et une liste de livres à utiliser en séance avec les enfants et enfin un lexique des termes spécialisés.
Le présent ouvrage s’adresse aux professionnels qui œuvrent quotidiennement auprès de ces enfants, de leurs parents et de leur fratrie : les cliniciens, les éducateurs et les enseignants principalement. Qu’il puisse les aider à mieux rencontrer leurs difficultés.
Isabelle Roskam
SECTION 1
Évaluation
Chapitre 1
Troubles du comportement primaires et diagnostic différentiel
Marie-Cécile Nassogne, Dominique Charlier et Philippe Kinoo
L’« agitation » ou « hyperactivité » ou « nervosité » est un motif fréquent de consultation chez l’enfant. Dans la majorité des cas, cette agitation est consécutive à différentes causes entremêlées. En effet, le comportement de l’enfant est modelé par plusieurs facteurs. Premièrement, les facteurs constitutionnels sont liés à « l’équipement neurologique et/ou psychologique » de l’enfant. Dans ce domaine interviennent des facteurs génétiques relatifs au tempérament (entendus comme les bases biologiques de la personnalité), mais aussi à des séquelles de lésions périnatales (prématurité ou souffrance fœtale) ou à des maladies neurologiques. Ce sont les « prédispositions organiques » du comportement. Deuxièmement, les facteurs épigénétiques sont liés à l’éducation. La manière plus ou moins calme et posée, ou au contraire plus ou moins impulsive et agitée dont un enfant va se comporter est aussi le résultat de la façon dont il a été éduqué : la manière dont on lui a appris – ou non – à respecter les limites, le contexte relationnel angoissé ou serein dans lequel il a grandi, la cohérence ou les incohérences éducatives. Les facteurs environnementaux actuels constituent le troisième type de facteurs. L’excitation ou la sérénité