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Mémorial des Morts sans Tombeau
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Livre électronique274 pages5 heures

Mémorial des Morts sans Tombeau

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À propos de ce livre électronique

Enfermée dès 1939 avec sa famille dans le Ghetto de Bendzin (Pologne) sous des conditions inhumaines, puis déportée en 1943 vers Auschwitz-Birkenau, Maryla Dyamant vécut pendant dix-huit mois les horreurs indicibles du camp d'extermination.
A l'imminence de l'attaque des troupes soviétiques pendant le rigoureux hiver en janvier 1945, les nazis contraignirent les survivants exténués et affamés à la marche de la mort, ultime calvaire. Maryla Dyamant transita par Ravensbrück et fut libérée au camp de Malchow le 2 mai 1945.
Poussée par son devoir de mémoire envers ses innombrables compagnons d'infortune sacrifiés, Madame Michalowski-Dyamant, inlassable, témoigne dans lycées et associations des conditions de vie aux camps, dans l'espoir de donner aux jeunes conscience des errements de l'antisémitisme, du racisme, du néo-nazisme, et des extrémismes de tous bords.Le témoignage de Maryla Dyamant donne tout son sens à la formulation d'Ivan Karamasov: «Je pourrais à la rigueur pardonner ce qu'on m'a fait en tant que Juif, mais pas ce qu'on nous a fait en tant qu'hommes».

Il existe un documentaire long-métrage intitulé "NANA" sur la vie de Maryla Michalowski-Dyamant, réalisé par sa petite-fille Serena Dykman.
LangueFrançais
ÉditeurBookBaby
Date de sortie26 août 2020
ISBN9781098325909
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    Aperçu du livre

    Mémorial des Morts sans Tombeau - Maryla Michalowski-Dyamant

    Déportation

    Introduction

    Dans les rues de Bendzin se promenait une jeune fille pareille à toutes les filles de 20 ans, sauf quelle, Maryla, sortait du rang: elle était blonde aux yeux bleus, ce qui n’est pas courant quand on est juive.

    Issue d’une famille pratiquante, Maryla vivait son judaïsme au sein d’une famille aimante. Elle était entourée de parents chaleureux, d’un frère, de grands-parents, de tantes, d’oncles, de cousins et de cousines.

    La vie semblait vouloir tenir toutes ses promesses pour cette étudiante brillante, au regard vif, à la réplique facile qui terminait son lycée.

    Les langues germaniques, le polonais, le latin, le français n’avaient pas de secrets pour elle. Seule la religion lui posait parfois des énigmes auxquelles elle ne trouvait pas toujours la réponse logique. Car depuis toujours dans toutes ses pensées et ses actions il lui fallait trouver «la» logique.

    En 1939, avec l’invasion de la Pologne, la logique disparut à jamais du parcours de Maryla.

    Plus de promenades, plus d’amis et bientôt plus de famille. A Bendzin, la folie nazie emporta toute la population juive dans les flammes ou dans les camps.

    Lorsque Maryla arrive à Auschwitz, elle n’a plus personne pour veiller sur elle et quand on lui tatoue son numéro sur le bras, elle dit merci. Car en toute logique, cela signifie pour elle qu’elle est autorisée à survivre. Combien de temps, elle ne le sait pas.

    A la libération, au côté de Yurek qui lui a tendu une couverture et une épaule protectrice, Maryla reprend tout doucement le chemin de la vie. Mais comme pour tant de survivants, la vie n’a plus le même sens: encore et toujours la même question lancinante: pourquoi suis-je restée en vie alors que tous les miens ont disparu?

    Aujourd’hui nous savons pourquoi. Maryla est le témoin de la barbarie nazie et elle consacre sa vie et toutes ses forces à raconter aux jeunes et aux éducateurs ce que fut l’enfer des camps. Inlassablement, elle raconte. Avec son accent inimitable, son humour caustique, sa force de caractère, elle capte l’intérêt de son auditoire et elle raconte encore et encore. Pour elle, c’est la seule manière de vivre. Pas un jour ne passe sans que sa mémoire ne retourne vers la Pologne, non parce quelle porte à ce pays une affection particulière, mais parce que c’est là qu’elle a vécu un bonheur sans pareil: vivre heureuse au sein de sa famille.

    Par son sens des responsabilités, par son courage, Maryla inflige une lourde défaite au nazisme. Beaucoup de rescapés des camps ont vécu l’enfer raconté par cette survivante, mais peu d’entre eux ont consacré les plus belles années de leur vie à penser à l’avenir.

    Depuis toujours, Maryla savait que le nazisme n’avait pas dit son dernier mot. De toutes ses forces et jusqu’à son dernier souffle, Maryla mettra la jeunesse en garde contre le racisme, contre l’intolérance, contre l’antisémitisme qu’elle a cotoyés pendant toute sa captivité et dont elle a réchappé par miracle.

    Ce livre est un héritage précieux non seulement pour ses enfants et ses petits- enfants mais pour tous les hommes épris de justice et de paix.

    Merci Maryla de nous avoir montré le chemin à suivre : ne jamais abandonner. Lé' chemin de la liberté est long et difficile à parcourir. A côté de toi, il semble plus léger.

    Sophie Rechtman

    Présidente de l’Enfant caché

    CHAPITRE PREMIER

    Histoires judéo-polonaises

    Je suis née juive polonaise, et je me sens juive polonaise. Pour le reste, je suis une survivante. Cette «identité» un peu complexe a marqué toute ma vie. Je resterai marquée jusqu'à ma mort par cette triple, et même quadruple appartenance: juive, polonaise, belge... et survivante. Certains Juifs survivants ont un peu oublié leurs racines polonaises. Ils vivaient retirés du monde, enfermés dans leurs quartiers. Ceux et celles de ma génération, pas tous, qui vivions parmi les Polonais, nous avons été très influencés par la culture polonaise. J’ai étudié dans un lycée polonais où l’on recevait deux fois par semaine un cours de religion juive. Avant la guerre, la Pologne était un pays profondément imprégné de catholicisme - aujourd’hui encore d’ailleurs; mais à l’époque, il s’agissait de la religion d’Etat. Jusqu'en 1918, lorsque le Traité de Versailles consacre l’indépendance de la Pologne moderne, il n’y avait pas d’écoles juives «officielles». Seules existaient les écoles religieuses privées. Les écoles officielles juives sont apparues avec l’indépendance.

    Les Juifs européens parlaient le yiddish. Cette langue a vu le jour probablement en Allemagne au Moyen Age. C’est un mélange d’allemand, d’hébreu, de polonais. Voilà où il trouve ses origines. Un allemand moyenâgeux qui, au fil des siècles, sous l’influence du polonais et de l’hébreu, est devenu une langue à part entière. Après la Deuxième Guerre mondiale, le yiddish a perdu de son importance parce que la plupart de ceux qui le parlaient sont morts dans les chambres à gaz. Actuellement, il y a une résurrection du yiddish, qui a d’ailleurs une grande littérature.

    L’histoire qui lie lesjuifs à la Pologne est ancienne. Certaines sources parlent de Juifs qui seraient arrivés en Pologne avant le christianisme. Ce pays est devenu chrétien en 995. Le premier roi «historique», Mieczyslaw 1", a épousé une princesse tchèque, Dombrovka. C’est elle, la Tchèque, qui a converti son mari, et le pays. On dit que des voyageurs juifs, venus d’Espagne avant l’ère chrétienne, sont passés parla Pologne. Pour la plupart, lesjuifs sont arrivés en Pologne vers le XIV' siècle. Je ne parle pas des petites communautés qui s’y trouvaient disséminées avant l’ère chrétienne. Au XIIL siècle, la Pologne a subi l’invasion des Tartares. Le roi Kazimir-le-Grand, dans le but de redresser économiquement son pays, a invité des Juifs, pour la plupart d’Allemagne, à s’installer pour contribuer à son grand projet. Lesjuifs étaient traditionnellement persécutés dans toute l’Europe. L’invitation de Kazimir leur est apparue comme une bénédiction. La première grande communauté s’est constituée à Cracovie. Kazimir est considéré, dans l’historiographie polonaise, comme l’un des plus grands de ses rois. Il a fondé une des premières universités d'Europe, l’Université des Jagelons, en 1364. La petite histoire raconte que Kazimir avait une maîtresse juive, Esther. Aujourd’hui, à Cracovie, dans le quartier «Kazimirz», il existe encore une rue d’Esther. De Kazimir, on peut dire qu’il était bon pour les Juifs. Un important mouvement de migration a vu des communautés s’installer dans toute la Pologne. Ce phénomène prend son origine dans le «Plaisir du Prince» que les gens du peuple ne partageaient peut-être pas. S’il existait à l’époque un Polonais moyen, il ne connaissait pas grand-chose sur les Juifs. Il savait que c’étaient des «étrangers» qui vivaient là, autrement, pratiquant une autre religion, parlant mal le polonais, et une langue, le yiddish, incompréhensible pour lui. Au XVIL siècle, un mouvement s’est développé dans les communautés juives. Le Haskala, l’équivalent des «Lumières». Le Hassidisme, mouvement mystique de retour aux sources de la religion, est apparu à la même époque.

    A travers tous ces mouvements et les activités qu’ils développaient, qu'est-ce que les communautés juives ont apporté à la Pologne? Elles ont contribué à la prospérité économique du pays. C’est un aspect que la plupart des gens croient connaître, sous la forme du fantasme d’un lien particulier entre les Juifs et l’argent. Ce genre d'idée n’est pas facile à extirper de la tête des gens, y compris parmi ceux qui ne se ressentent pas comme antisémites. Que la majorité des Juifs de Pologne, en particulier dans les campagnes, ait vécu des siècles durant dans la pauvreté, la misère la plus absolue; voilà un fait qui, malgré sa réalité criante, n’empêchait pas le Polonais moyen, dont on envisageait tout à l’heure l’existence, de croire dur comme fer que les Juifs avaient une relation privilégiée avec l’argent. Un aspect moins connu, c’est l’apport culturel des Juifs. La peinture juive polonaise, et j’entends aussi bien les nombreux peintres polonais qui se sont inspirés de scènes de la vie juive, jouit d’une tradition et d’une qualité que peu de gens connaissent suffisamment. Il faut préciser que la religion juive interdit la représentation de la Création par la main de l’homme. On n’y regarde plus de si près dans les synagogues d’aujourd’hui. Mais à cette époque, la synagogue avait un cadre extrêmement sobre où seules figuraient les Tables de la Loi, les Dix Commandements. La peinture juive a connu une période de grand épanouissement à la fin du XIXe siècle. La littérature juive était aussi très florissante. De grands écrivains polonais ont écrit sur les Juifs: Orzeszkowa, par exemple. En termes généraux, les Polonais n’éprouvaient aucune sympathie pour les Juifs. C’était réciproque.

    De 1792 jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, la Pologne a perdu son indépendance et a été soumise pour partie à la férule de la Russie, de l’Allemagne et de l’Autriche pour les deux autres parties de son territoire. Pour les Juifs, ce partage a eu des conséquences considérables: les puissances occupantes ne les soumettaient pas au même régime. L’Autriche était plus libérale. La Russie a imposé des conditions d’occupation, d’oppression très dures, aux Polonais comme aux Juifs. Dans cette partie de la Pologne, les Juifs ont traditionnellement pris part au mouvement de résistance patriotique. Berek Yosselevitch en est un glorieux exemple. Il est tombé pendant l’insurrection de Kosciuszko, en 1794. 11 y en a beaucoup d’autres. On n’a pas retenu les noms des héros juifs de la lutte pour l’Indépendance de la Pologne. Ils ne font pas partie de l’historiographie officielle. Mais c’est un fait, Us y ont pris part. Et beaucoup d'écrivains se sentaient polonais et juifs. Un grand poète polonais, Julien Tuwim, se trouvait par hasard aux Etats-Unis quand la Deuxième Guerre mondiale a éclaté. Nous y reviendrons. Les Juifs s’occupaient de petits métiers, de petit commerce et d’artisanat. Ils n’avaient pas accès aux autres professions, réservées aux Polonais. Dans un de ses poèmes célèbre, Slonimski, un écrivain polonais d’origine juive a écrit qu’il n’y a plus en Pologne de petites villes juives, les schtetls, où «le tailleur était troubadour et le cordonnier poète». Ce monde a disparu à jamais. Varsovie comptait une communauté juive de trois cent cinquante mille personnes avant la guerre. Tous ces gens envoyaient leurs enfants dans les écoles. C’était une génération nouvelle qui se formait, nourrie de culture polonaise.

    Je suis d’une famille très religieuse. Mes grands-parents l’étaient et mes parents, s’ils ne l’étaient plus pratiquaient la tradition. La Pologne, je l’ai dit, était un pays profondément catholique. Elle a continué de l’être sous le régime communiste. Je ne sais si son catholicisme ressemblait à celui d’Isabelle «la Catholique», qu’on a voulu canoniser récemment. Lesjuifs ont d’ailleurs vigoureusement protesté et contribué à faire échouer ce projet. 11 n’y a en tout cas jamais eu d’inquisition en Pologne. Dans certaines villes, 60% de la population était juive: on y a peu ressenti l'antisémitisme. Il n’en est pas moins vrai que l’Eglise catholique polonaise a constitué un pilier historique de l’antisémitisme en Pologne.

    Tout ce que le curé racontait était sacré. Quand l’Eglise disait que lesjuifs avaient tué Jésus-Christ, les fidèles pensaient qu’il était de leur devoir de les haïr. J’ai eu l’occasion de parler avec un abbé qui était un professeur de religion en Pologne. Je lui ai demandé : «Est- ce que vous enseignez à vos élèves que Jésus et toute sa famille étaient des Juifs?» Il a dit non. Une de mes amies a été députée à la Diète polonaise tout de suite après la guerre. Elle partait dans les villages pour faire l’éducation des femmes paysannes. Elle a dit, dans un de ces rassemblements: «Il ne faut pas être antisémite. Vous savez que toute la famille de Jésus était juive?» L’une de ces femmes s’est levée et a dit: «On va t’arracher les cheveux, sale menteuse!» C’était quelques mois après la libération des camps. Et je dois avouer que quelque chose me remplit encore de tristesse : la Pologne était antisémite avant la guerre, pendant la guerre. Et maintenant, qu’il n’y a presque plus de Juifs, elle est toujours antisémite.

    Dans son histoire, du bas Moyen Age à la Renaissance et plus tard, c’était une sorte de maladie ordinaire en Europe: pogromes, massacres, persécutions, conversions forcées, expulsions... Ces irruptions d’antisémitisme populaire avaient des soubassements très profondément enracinés. C’est l’Eglise catholique qui les a créés, pour asseoir son pouvoir idéologique absolu sur ce continent, pour abrutir les peuples, pour s’inféoder les princes. Il y avait une épidémie de peste? C’était la faute aux Juifs. En Russie, il y a eu, en 1920, un grand pogrome, à Kiszyniew. C’était en Bessarabie. Bogdan Chmielnicki, un ataman cosaque d’Ukraine, organisait régulièrement d’énormes massacres. Le sort des Juifs de Pologne n’était donc guère différent de celui de tous les Juifs d’Europe.

    Cependant, contrairement à l’Espagne, la France, le Portugal, l’Angleterre, la Pologne n’a jamais massivement expulsé ses Juifs. Pour des raisons économiques me semble-t-il. Certains Juifs étaient utilisés par les aristocrates polonais, qui vivaient une fête permanente à Paris, pour gérer leurs domaines. Ces Juifs exécutaient les décisions impopulaires de leurs maîtres et apparaissaient aux yeux des gens du peuple comme les mauvais.

    Les Juifs vivaient, sans l’avoir choisi, dans un système identique à celui récent de l’apartheid en Afrique du Sud. Il y avait un cordon religieux, économique, idéologique qui les enfermait plus solidement que dans un ghetto. On maquillait cet isolement forcé en disant qu’ils vivaient selon leurs rites, qu’ils avaient leur «indépendance». Il existait un Consistoire juif, une «justice juive», administrée par les rabbins. A cette époque, un Juif opposé à un autre Juif ne se rendait pas devant la justice officielle. Les choses se réglaient entre eux. Aussi, on a vu s’établir un phénomène étonnant: beaucoup de Juifs n’étaient pas mariés officiellement. Aujourd’hui, vous vous rendez à l’état civil lorsque vous vous mariez. En Pologne, les prêtres étaient considérés comme officiers d’état civil. Les Juifs eux allaient chez les rabbins qui leurs donnaient la bénédiction nuptiale et un certificat, le ktuba, qui n’avait d’ailleurs pas de valeur légale. Il fallait ensuite se déclarer aux autorités civiles. Mais les Juifs en avaient peur. On ne savait jamais ce qui pouvait arriver. Pendant la guerre, je travaillais à la cartothèque de la population juive de Bendzin, le registre d’état civil en quelque sorte. J’ai été surprise de constater que la plupart des Juifs n’étaient pas officiellement mariés.

    L’armée était un foyer intense d’antisémitisme. On n’y servait évidemment pas de cuisine casher. Pour un Juif, faire son service militaire, c’était plus qu’une catastrophe, c’était une tragédie. Mais les Juifs qui sont morts pour la patrie polonaise ne se comptent pas.

    Les espoirs immenses que la Révolution française et à sa suite, le bonapartisme, ont fait naître, ont naturellement été déçus. Comme dans la plupart des pays européens dont le régime était ancien, Napoléon, grâce au prestige de la Révolution française, a soulevé en Pologne des espoirs rapidement déçus. Il a créé le duché fantoche de Varsovie, une coquille sans contenu. Pour la petite histoire romantique, on sait qu’il a eu une amie polonaise illustre, Marie Walewska. Leur fils Colona-Walewski, est devenu ministre de la France...

    C’est la Première Guerre mondiale, malgré hélas ses millions de morts inutiles, par le Traité de Versailles, a rendu à la Pologne son indépendance. Il en est sorti une Constitution remarquable. C’est la première constitution qui a octroyé le droit de vote aux femmes, en Europe. Elle date de 1920. Les Juifs n’ont pas été oubliés. Ils sont devenus des citoyens, du moins sur le papier. Ceci dit, peu d’intellectuels, d’écrivains polonais ont ouvertement pris parti pour une amélioration du statut des Juifs, et si oui, ils l’ont fait timidement. Quelques écrivains célèbres nourrissaient une bienveillance paternaliste envers les Juifs. Un grand poète, Micktewicz, a écrit que les Juifs avaient pris part à la lutte contre les tsars. Son œuvre, «Messire Taddée», compte un héros juif très positif, Yankel. Par contre, un autre écrivain, Zeromski, avait l’habitude de dire «Nos étrangers» à propos des Juifs. Etrangers? Des Juifs avaient traversé la Pologne avant les chrétiens, des communautés y vivaient depuis des siècles. Nous vivions depuis si longtemps dans ce pays. Je vais dire une chose qui fera peut-être grincer des dents beaucoup de Juifs en Belgique: je me sens très attachée à la Pologne. Malgré tout, j’étais une patriote polonaise et sioniste en même temps! Je me rappelle, dans notre lycée, un professeur a un jour attribué des caractéristiques à chaque élève de la classe. Sur moi, il a écrit: «Grande patriote polonaise, mais ça ne la dérange pas d’être sioniste en même temps.» Toute l’histoire de la Pologne me tient à cœur. Je connais mieux son histoire que celle de la

    Belgique. Quand on est jeune, tous ces soulèvements romantiques - et il y en eut pendant cinquante années de lutte: le «Soulèvement de Janvier», celui de Novembre, l'insurrection de Kosciuszko, tout cela vous exalte. Pour nous autres Juifs, cela n’apportait rien matériellement, c’était romantique, cela faisait du bien au moral. Exactement comme l’insurrection du ghetto de Varsovie. A cette différence fondamentale près que l’insurrection de Varsovie a été un acte de pure dignité, sans le moindre espoir de victoire militaire: c’est un acte d’héroïsme de gens désespérés qui savaient déjà qu’ils étaient voués à une mort tragique. Tout ce qui était polonais, quand j’étais jeune, je le regardais avec des yeux sans critique. La critique est venue plus tard.

    La Pologne devenue indépendante, les Juifs ont malgré tout joui de beaucoup plus de libertés. La Pologne avait été partagée en trois, pendant cent cinquante ans. Nous vivions à la frontière de l’Allemagne, de l’Autriche et de la Russie. Nous étions sous la domination russe. Mes parents parlaient couramment le russe, puisqu’ils allaient dans des écoles russes. Les Russes interdisaient l’apprentissage du polonais à l’école. Alors le yiddish... Cette domination a été un terrible esclavage. Côté allemand, il y avait peu de Juifs. Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, le territoire qui dépendait de l’Allemagne comptait peu de Juifs. C'était aussi le seul territoire où on pouvait se marier civilement. La législation allemande le permettait. Si les Juifs ont ressenti l’indépendance de la Pologne et la Constitution comme une libération, on ne peut pas parler d’une libération complète. Beaucoup de Juifs fréquentaient les écoles polonaises. Ils étaient en voie «d’assimilation». Assimilés, dans la mesure où ils le désiraient, où ils faisaient eux-mêmes des efforts dans ce sens. Mais ils n’étaient pas reconnus comme Polonais à part entière. Il y avait toujours quelqu’un pour dire: «Ah! celui-là, c’est un Juif!»

    Dans la nouvelle Pologne, au Parlement - la Diète -, des Juifs avaient été élus députés. Les partis politiques juifs étaient nombreux. D’une part, la mouvance sioniste, partagée entre le Centre, la Gauche et la Droite. D’autre part, des partis religieux. Comme une grande organisation, «Agouda Israël», par exemple, que je connaissais bien, parce que mon grand-père en était député à la Diète. C’étaient des Juifs très religieux, qui votaient plutôt à droite. La gauche sioniste votait avec la gauche polonaise. Il y avait les sionistes religieux, «Misrachi». «Agouda Israël», pour eux, n’était pas une organisation sioniste. Ils ne croyaient pas dans l’avenir d’un Etat d'Israël. Ils ne croyaient qu’en une chose: il fallait prier, et peut-être qu’alors le Messie viendrait. Nous avions également une très importante organisation ouvrière, le «Bund», de la même tendance socialiste que le «Bund» russe. J’ai un souvenir personnel du «Bund», dont le local se trouvait justement au numéro quatre de la rue Kosciuszki, dans l’arrière-maison chez nous. Je devais avoir onze ans. Les bundistes ont organisé une grande fête le jour du Yom Kippour. Normalement, personne ne travaille et les magasins sont fermés. C’est un moment de recueillement. Nous n’étions pas religieux, mais nous respections les croyants. 80% de la population juive de Bendzin était croyante. J’ai conçu de cette incroyable maladresse, un préjugé tenace contre les gens du «Bund», qui étaient à mes yeux intolérants et irrespectueux. Plus tard, dans le ghetto, j’en ai rencontré, avec qui j’ai parlé, que j’ai trouvés intéressants. Tous les leaders de cette organisation se sont réfugiés en Russie quand la guerre a éclaté. Ils ont été tués. Par Staline et sa clique.

    Parmi les Juifs polonais, il y avait énormément de révolutionnaires. Le parti communiste était très puissant. Beaucoup de Juifs y militaient. Le 1" Mai, ils étaient arrêtés, parce qu’ils manifestaient, malgré l’interdiction. J’ai encore devant les yeux les chevaux en train de piétiner les gens. Chaque année, ça recommençait. Au début des années 30, le gouvernement a créé un camp de concentration, à Bereza Kartuska. On y enfermait les communistes et les inciviques. Le régime de la nouvelle Pologne était clairement situé à droite. On l'appelait la «Pologne des colonels». Mais ce n’était pas l’extrême droite. Ce régime a dérivé vers l’extrémisme de droite immédiatement avant la guerre seulement.

    Parmi les représentants juifs à la Diète, beaucoup étaient des gens instruits, comme Ytshak Grynbaum, qui a joué un grand rôle dans la vie politique israélienne après ’48. Il y avait aussi Appolinary Hartglas, et d’autres. Les trois grandes mouvances politiques étaient le sionisme, le bundisme et le communisme.

    Un Juif de Russie, Vladimir Jabotinski, avait été lui en Palestine, sous l’occupation turque. 11 y a passé dix ans en prison, parce qu’il avait voulu organiser un soulèvement révolutionnaire pour la libération de la Palestine. 11 s’est évadé et a par la suite parcouru l’Europe. Il parlait dans des meetings, c’était un très grand orateur. On l’appelait le «Cicéron juif». Mon père était un de ses admirateurs. D’autres sionistes le considéraient comme un révisionniste par rapport au sionisme de Théodore Herzel. J’ai écouté plusieurs fois Jabotinski. Mon père m’emmenait. Je trouvais qu’il parlait magnifiquement. Il a écrit des livres, que j’ai sans doute lu parce que papa les lisait. Lun d’eux s’intitulait «Les Philistins plus forts que toi, Samson». Il a aussi écrit un article devenu célèbre «Quo usque tandem abutere Anglia patientia nostra», («Combien de temps vas-tu encore abuser de notre patience, Angleterre!»). Il a constitué en Pologne une milice qui portait une sorte

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