Organon de l’art de guérir
Par Samuel Hahnemann
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À propos de ce livre électronique
- Texte révisé suivi de repères chronologiques.
Important : Les critiques qu'il formule contre la médecine s'adresse à la médecine de l'époque et à ses méthodes (Claude Bernard publiera Introduction à l’étude de la médecine expérimentale en 1864).
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Aperçu du livre
Organon de l’art de guérir - Samuel Hahnemann
Organon de l’art de guérir
Samuel Hahnemann
Traduction par
Antoine-Jacques-Louis Jourdan
Table des matières
Édition numérique du 2/06/2020.
Préface de l’auteur.
Introduction
Organon de la médecine
Notes
Repères chronologiques
Édition numérique du 2/06/2020.
Texte révisé suivit de Repères chronologiques.
Cette édition reprend les écrits de Samuel Hahnemann publiés dans :
S. Hahnemann, Exposition de la doctrine médicale homœopathique ou Organon de l’art de guérir, Traduit de l’allemand sur la dernière édition, par le docteur A.J.L. Jourdan, Paris, J.B. Baillière ¹, 1856.
Traduit de l’allemand sur la cinquième édition (1833).
Copyright © 2020 Philaubooks, pour ce livre numérique, à l’exclusion du contenu appartenant au domaine public ou placé sous licence libre.
ISBN : 979-10-372-0178-2
Préface de l’auteur.
L’ancienne médecine, ou l’allopathie, pour dire quelque chose d’elle en général, suppose, dans le traitement des maladies, tantôt une surabondance de sang (pléthore), qui n’a jamais lieu, tantôt des principes et des âcretés morbifiques. En conséquence, elle enlève le sang nécessaire à la vie, et cherche soit à balayer la prétendue matière morbifique, soit à l’attirer ailleurs, au moyen des vomitifs, des purgatifs, des sudorifiques, des sialagogues. des diurétiques, des vésicatoires, des cautères, des exutoires de toute espèce, etc.
Elle s’imagine, par là, diminuer la maladie et la détruire matériellement. Mais elle ne fait qu’accroître les souffrances du malade, et prive par ce moyen et par l’emploi d’agents douloureux, l’organisme des forces et des sucs nourriciers nécessaires à la guérison. Elle attaque le corps par des doses considérables, longtemps continuées et fréquemment renouvelées, de médicaments héroïques, dont les effets prolongés et assez souvent redoutables lui sont inconnus. Elle semble même prendre à tâche d’en rendre l’action méconnaissable, en accumulant plusieurs substances inconnues dans une seule formule. Enfin, par un long usage de ces médicaments, elle ajoute à la maladie déjà existante de nouvelles maladies médicinales, qu’il est parfois impossible de guérir. Elle ne manque jamais non plus, pour se maintenir en crédit auprès des malades ¹, d’employer, quand elle le peut, des moyens qui, par la loi d’opposition contraria contrariis curantur, suppriment et pallient pendant quelque temps les symptômes, mais laissent derrière eux une plus forte disposition à les reproduire, c’est-à-dire exaspèrent la maladie elle-même.
Elle regarde à tort les maux qui occupent les parties extérieures du corps comme étant purement locaux, isolés, indépendants, et croit les avoir guéris quand elle les a fait disparaître par des topiques, qui obligent le mal interne de se jeter sur une partie plus noble et plus importante. Lorsqu’elle ne sait plus que faire contre la maladie qui refuse de céder, ou qui va toujours en s’aggravant, elle entreprend, du moins en aveugle, de la modifier par les altérants, notamment avec le calomélas, le sublimé corrosif et autres préparations mercurielles à hautes doses lesquelles minent l’existence.
Rendre au moins incurables, sinon même mortelles, les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des maladies, celles qui affectent la forme chronique, soit en débilitant et tourmentant sans cesse le faible malade accablé déjà de ses propres maux, soit en lui attirant de nouvelles et redoutables affections médicinales, tel paraît être le but des funestes efforts de l’ancienne médecine, l’allopathie, but auquel on parvient aisément lorsqu’une fois on s’est mis au courant des méthodes accréditées, et rendu sourd à la voix de la conscience.
Les arguments ne manquent point à l’allopathiste pour défendre tout ce qu’il fait de mal ; mais il ne s’étaye jamais que des préjugés de ses maîtres ou de l’autorité de ses livres. Il y trouve de quoi justifier les actions les plus opposées et les plus contraires au bon sens, quelque hautement qu’elles soient condamnées par le résultat. Ce n’est que lorsqu’une longue pratique l’ayant convaincu des tristes effets de son art prétendu, il se borne à d’insignifiantes boissons, c’est-à-dire à ne rien faire, dans les cas mêmes les plus graves, que les malades commencent à empirer et mourir moins souvent entre ses mains.
Cet art funeste, qui, depuis une longue suite de siècles, est en possession de statuer arbitrairement sur la vie et la mort des malades, qui fait périr dix fois plus d’hommes que les guerres les plus meurtrières, et qui en rend des millions d’autres infiniment plus souffrants qu’ils ne l’étaient dans l’origine, je l’examinerai tout à l’heure avec quelques détails, avant d’exposer les principes de la nouvelle médecine, qui est la seule vraie.
Il en est autrement de l’homéopathie. Elle démontre sans peine à tous ceux qui raisonnent que les maladies ne dépendent d’aucune âcreté, d’aucun principe morbifique matériel, mais qu’elles consistent uniquement en un désaccord dynamique de la force qui anime virtuellement le corps de l’homme. Elle sait que la guérison ne peut avoir lieu qu’au moyen de la réaction de la force vitale contre un médicament approprié, et qu’elle s’opère d’autant plus sûrement et promptement que cette force vitale conserve encore davantage d’énergie chez le malade.
Aussi évite-t-elle tout ce qui pourrait débiliter le moins du monde ², se garde-t-elle, autant que possible, d’exciter la moindre douleur, parce que la douleur épuise les forces ; n’emploie-t-elle que des médicaments dont elle connaît bien les effets, c’est-à-dire la manière de modifier dynamiquement l’état de l’homme ; cherche-t-elle parmi eux celui dont la faculté modifiante (la maladie médicinale) est capable de faire cesser la maladie par son analogie avec elle (similia similibus), et donne-t-elle celui-là seul, à doses rares et faibles, qui, sans causer de douleur ni débiliter, excitent néanmoins une réaction suffisante. Il résulte de là qu’elle éteint la maladie naturelle sans affaiblir, tourmenter ou torturer le malade ; et que les forces reviennent d’elles-mêmes à mesure que l’amélioration se dessine. Cette œuvre, qui aboutit à rétablir la santé des malades en peu de temps, sans inconvénients et d’une manière complète, semble facile, mais elle est pénible et exige beaucoup de méditations.
L’homéopathie s’offre donc à nous comme une médecine très simple, toujours la même dans ses principes et dans ses procédés, laquelle semble, quand elle est bien comprise, faire un tout complet comme la doctrine d’où elle découle. La clarté de ses principes et la précision de ses moyens sont telles que l’esprit les saisit aisément ; et comme l’homéopathie offre seule des agents curatifs, il n’est pas permis à ses adeptes de revenir aux pratiques routinières de l’ancienne école, dont les principes sont aussi différents des nôtres que le jour l’est de la nuit, sans renoncer par cela même au titre d’homéopathes ³.
Lorsque des homéopathes se laissant entraîner à de semblables erreurs, essayent de mêler les pratiques fautives de l’allopathie à leurs prétendus traitements homéopathiques, ils montrent par là qu’ils n’ont pas une connaissance complète de notre doctrine. Ils font preuve en même temps de paresse, d’un mépris impardonnable des souffrances des hommes, d’une présomption ridicule et d’une négligence inexplicable qui les empêchent de rechercher le meilleur spécifique homéopathique pour chaque cas de maladie. Ils agissent souvent ainsi par cupidité et par d’autres motifs moins nobles encore. Et pourquoi résultat ? Pour se trouver impuissants devant les maladies chroniques graves que l’homéopathie peut cependant guérir, quand on l’applique seule et avec soin ; ou pour vouer à la mort un grand nombre de leurs malades. Il est vrai que ces praticiens offrent une consolation aux parents, en leur disant qu’ils ont tout fait pour ravir le malade à la mort ; tout, même les pernicieuses pratiques de l’allopathie !
Samuel HAHNEMANN.
Cœthen, le 28 mars 1833.
Introduction
Coup d’œil sur les méthodes allopathique et palliative des écoles qui ont dominé jusqu’à ce jour en médecine.
Depuis que les hommes existent sur la terre, ils ont été, individuellement ou en masse, exposés à l’influence de causes morbifiques, physiques ou morales. Tant qu’ils sont demeurés dans l’état de pure nature, des remèdes en petit nombre leur ont suffi, parce que la simplicité de leur genre de vie ne les rendait accessibles qu’à peu de maladies. Mais les causes d’altération de la santé et le besoin de secours ont crû proportionnellement aux progrès de la civilisation.
Dès lors, c’est-à-dire depuis les temps qui ont suivi de près Hippocrate, ou depuis deux mille cinq cents ans, il y eut des hommes qui s’adonnèrent au traitement des maladies, chaque jour de plus en plus multipliées, et que la vanité conduisit à chercher dans leur imagination des moyens de les soulager. Tant de têtes diverses firent éclore une infinité de doctrines sur la nature des maladies et de leurs remèdes, qu’on décora du nom de systèmes, et qui étaient toutes en contradiction les unes avec les autres comme avec elles-mêmes. Chacune de ces théories subtiles étonnait d’abord le monde par sa profondeur inintelligible, et attirait à son auteur une foule d’enthousiastes prosélytes, dont aucun ne pouvait cependant rien tirer d’elle qui lui fut utile dans la pratique, jusqu’à ce qu’un nouveau système, souvent tout à fait opposé au précédent, fit oublier celui-ci, et à son tour s’emparât pendant quelque temps de la renommée. Mais nul de ces systèmes ne s’accordait avec la nature et avec l’expérience. Tous étaient des tissus de subtilités, conduisant à des conséquences illusoires, qui ne pouvaient servir à rien au lit du malade, et qui n’étaient propres qu’à alimenter de vaines disputes.
À côté de ces théories, et sans nulle dépendance d’elles, se forma une méthode qui consiste à diriger des mélanges de médicaments inconnus contre des formes de maladies arbitrairement admises, le tout d’après des vues matérielles en contradiction avec la nature et l’expérience, et par conséquent sans résultat avantageux. C’est là l’ancienne médecine, qu’on appelle allopathie.
Sans méconnaître les services qu’un grand nombre de médecins ont rendus aux sciences accessoires de l’art de guérir, à la physique, à la chimie, à l’histoire naturelle, dans ses différentes branches, et à celle de l’homme en particulier, à l’anthropologie, à la physiologie, à l’anatomie, etc., je ne m’occupe ici que de la partie pratique de la médecine, pour montrer combien est imparfaite la manière dont les maladies ont été traitées jusqu’à ce jour.
Mes vues s’élèvent bien au-dessus de cette routine mécanique qui se joue de la vie si précieuse des hommes, en prenant pour guide des recueils de recettes, dont le nombre chaque jour croissant prouve à quel point est malheureusement encore répandu l’usage qu’on en fait. Je laisse ce scandale à la lie du peuple médical, et je m’occupe seulement de la médecine régnante, qui s’imagine que son ancienneté lui donne réellement le caractère d’une science.
Cette vieille médecine se vante d’être la seule qui mérite le titre de rationnelle, parce qu’elle est la seule, dit-elle, qui s’attache à rechercher et à écarter la cause des maladies, la seule aussi qui suive les traces de la nature dans le traitement des maladies.
Tolle causam ! s’écrie-t-elle sans cesse ; mais elle s’en tient à cette vaine clameur. Elle se figure pouvoir trouver la cause de la maladie, mais ne la trouve point en réalité, parce qu’on ne peut ni la connaître, ni par conséquent la rencontrer. En effet, la plupart, l’immense majorité même, des maladies étant d’origine et de nature dynamiques, leur cause ne saurait tomber sous les sens. On était donc réduit à en imaginer une. En comparant, d’un côté, l’état normal des parties internes du corps humain après la mort (anatomie) avec les altérations visibles que ces parties présentent chez les sujets morts de maladies (anatomie pathologique), de l’autre, les fonctions du corps vivant (physiologie) avec les aberrations infinies qu’elles subissent dans les innombrables états morbides (pathologie, séméiotique), et tirant de là des conclusions par rapport à la manière invisible dont les changements s’effectuent dans l’intérieur de l’homme malade, on arrivait à se former une image vague et fantastique, que la médecine théorique regardait comme la cause première de la maladie ¹, dont on faisait ensuite la cause prochaine et en même temps l’essence intime de cette maladie, la maladie même, quoique le bon sens dise que la cause d’une chose ne saurait être cette chose elle-même. Maintenant, comment pouvait-on, sans vouloir s’en imposer à soi-même, faire de cette essence insaisissable un objet de guérison, prescrire contre elle des médicaments dont la tendance curative était également inconnue, du moins pour la majeure partie d’entre eux, et surtout accumuler plusieurs de ces substances inconnues dans ce qu’on appelait des formules ?
Cependant le sublime projet de trouver a priori une cause interne et invisible de la maladie se réduisait, du moins chez les médecins réputés les plus raisonnables de l’ancienne école, à rechercher, en prenant, il est vrai, aussi pour base les symptômes, ce que l’on pouvait présumer être le caractère générique de la maladie présente ². On voulait savoir si c’était le spasme, la faiblesse ou la paralysie, la fièvre ou l’inflammation, l’induration ou l’obstruction de telle ou telle partie, la pléthore sanguine, l’excès ou le défaut d’oxygène, de carbone, d’hydrogène ou d’azote dans les humeurs ; l’exaltation ou l’affaissement de la vitalité du système artériel, ou veineux, ou capillaire ; un défaut dans les proportions relatives des facteurs de la sensibilité, de l’irritabilité ou de la nutrition. Ces conjectures, honorées par l’école du nom d’indications procédant de la cause, et regardées comme la seule rationalité possible en médecine, étaient trop hypothétiques et trop fallacieuses pour pouvoir jouir de la moindre utilité dans la pratique. Incapables même, quand elles eussent été fondées, de faire connaître le meilleur remède à employer dans tel ou tel cas donné, elles flattaient bien l’amour-propre de celui qui les avait laborieusement enfantées ; mais elles l’induisaient la plupart du temps en erreur, quand il prétendait agir d’après elles. C’était plutôt par ostentation qu’on s’y livrait que dans l’espoir sérieux de pouvoir en profiter pour parvenir à la véritable indication curative.
Combien n’arrivait-il pas souvent que le spasme ou la paralysie semblait exister dans une partie de l’organisme, tandis que l’inflammation paraissait avoir lieu dans une autre ?
D’une autre part, d’où pouvait-il sortir des remèdes assurés contre chacun de ces prétendus caractères généraux ? Ceux qui auraient guéri sûrement n’auraient pu être que les spécifiques, c’est-à-dire les médicaments dont l’action était homogène à l’irritation morbifique ³ ; mais l’ancienne école les proscrivait comme très dangereux ⁴, parce qu’en effet l’expérience avait démontré qu’avec les fortes doses consacrées par l’usage, ils compromettaient la vie dans les maladies où l’aptitude à ressentir des irritations homogènes est portée à un si haut degré. Or l’ancienne école ne soupçonnait pas qu’on put administrer les médicaments à des doses très faibles et même extrêmement petites. Ainsi on ne devait et on ne pouvait pas guérir par la voie directe et la plus naturelle, c’est-à-dire par des remèdes homogènes et spécifiques, puisque la plupart des effets que les médicaments produisent étaient et demeuraient inconnus, et que, quand bien même on les eût connus, on n’aurait jamais pu, avec des habitudes semblables de généralisation, deviner la substance qu’il était le plus à propos d’employer.
Cependant, l’ancienne école, qui sentait fort bien qu’il est plus rationnel de suivre le droit chemin que de s’engager dans les voies détournées, croyait encore guérir directement les maladies en éliminant leur prétendue cause matérielle. Car il lui était presque impossible de renoncer à ces idées grossières, en cherchant, soit à se faire une image de la maladie, soit à découvrir les indications curatives ; il n’était pas non plus en son pouvoir de reconnaître la nature, à la fois spirituelle et matérielle de l’organisme pour un être si élevé que les altérations de ses sensations et actions vitales, qu’on nomme maladies, résultent principalement, presque uniquement même, d’impressions dynamiques, et ne pourraient être déterminées par nulle autre cause.
L’école considérait donc toute matière altérée par la maladie, qu’elle fût ou seulement turgescente, ou rejetée au dehors, comme la cause excitatrice de cette maladie, ou du moins, en raison de sa prétendue réaction, comme celle qui l’entretient ; et cette dernière opinion, elle l’admet encore aujourd’hui.
Voilà pourquoi elle croyait opérer des cures portant sur les causes, en faisant tous ses efforts pour expulser du corps les causes matérielles qu’elle supposait à la maladie. De là, son attention à faire vomir, pour évacuer la bile dans les fièvres bilieuses ⁵, sa méthode de prescrire des vomitifs dans les affections de l’estomac ⁶, son empressement à expulser la pituite et les vers dans la pâleur de la face, la boulimie, les tranchées et enflure du ventre chez les enfants ⁷, sa coutume de saigner dans les hémorragies ⁸, et principalement l’importance quelle attache aux émissions sanguines de toute espèce ⁹, comme indication principale à remplir dans les inflammations ; comme un célèbre praticien de l’école de Paris recommande de la faire, croyant pouvoir guérir une maladie avec un nombre considérable de sangsues, quel que soit le lieu qu’elle occupe. Une foule de praticiens suivent cette routine comme des moutons.
En agissant ainsi, elle croit obéir à des indications véritablement déduites de la cause et traiter les malades d’une manière rationnelle. Elle s’imagine également, en liant un polype, extirpant une glande tuméfiée, ou la faisant détruire par la suppuration déterminée au moyen d’irritants locaux, disséquant un kyste stéatomateux ou mélicéritique, opérant un anévrysme, une fistule lacrymale ou une fistule à l’anus, amputant un sein cancéreux ou un membre dont les os sont frappes de carie, etc., avoir guéri les maladies d’une manière radicale, en avoir détruit les causes. Elle a la même croyance quand elle fait usage de ses répercussifs, et dessèche de vieux ulcères aux jambes par l’emploi des astringents, des oxydes de plomb, de cuivre et de zinc, associés, il est vrai, à des purgatifs, qui ne diminuent point le mal fondamental, et ne font qu’affaiblir ; quand elle cautérise les chancres, détruit localement les fics et les verrues, et repousse la gale de la peau par les onguents de soufre, de plomb, de mercure ou de zinc ; enfin quand elle fait disparaître une ophtalmie par des dissolutions de plomb et de zinc, et qu’elle chasse les douleurs des membres au moyen du baume Opodeldoch, des pommades ammoniacées ou des fumigations de cinabre et d’ambre. Dans tous ces cas, elle s’imagine avoir anéanti le mal et opéré un traitement rationnel dirigé contre la cause. Mais quelles sont les suites ? Des formes nouvelles de maladies, qui se manifestent infailliblement, soit plus tôt, soit plus tard, qu’on donne, quand elles paraissent, pour des maladies nouvelles, et qui sont toujours plus fâcheuses que l’affection primitive, réfutent assez hautement les théories de l’école. Elles devraient lui ouvrir les yeux, en prouvant que le mal a une nature immatérielle plus profondément cachée, que son origine est dynamique, et qu’il ne peut être détruit que par une puissance dynamique.
L’hypothèse que l’école a généralement préférée jusque dans les temps modernes, je pourrais même dire jusqu’à ce jour, est celle des principes morbifiques et des âcretés, qu’à la vérité elle subtilisait beaucoup. De ces principes, il fallait débarrasser les vaisseaux sanguins et lymphatiques, par les organes urinaires ou les glandes salivaires ; la poitrine, par les glandes trachéales et bronchiales ; l’estomac et le canal intestinal, par le vomissement et les déjections alvines ; sans quoi on ne se croyait point en droit de dire que le corps avait été nettoyé de la cause matérielle excitant la maladie, et qu’on avait opéré une cure radicale d’après le principe tolle causam.
En pratiquant à la peau des ouvertures que la présence habituelle d’un corps étranger convertissait en ulcères chroniques (cautères, sétons), elle s’imaginait soutirer la matière peccante du corps, qui n’est jamais malade que dynamiquement, comme on fait sortir la lie d’un tonneau en le perçant avec un foret. Elle croyait aussi attirer les mauvaises humeurs au-dehors par des vésicatoires entretenus à perpétuité. Mais tous ces procédés, absurdes et contraires à la nature, ne faisaient qu’affaiblir les malades et les rendre enfin incurables.
Je conviens qu’il était plus commode pour la faiblesse humaine de supposer, dans les maladies qui se présentaient à guérir, un principe morbifique dont l’esprit pouvait concevoir la matérialité, d’autant mieux que les malades eux-mêmes se prêtaient volontiers à une telle hypothèse. Effectivement, en l’admettant, on n’avait qu’à s’occuper de faire prendre une quantité de médicaments suffisante pour purifier le sang et les humeurs, provoquer la sueur, faciliter l’expectoration, balayer l’estomac et l’intestin. Voilà pourquoi toutes les matières médicales qui ont paru depuis Dioscoride gardent un silence presque absolu sur l’action propre et spéciale de chaque médicament, et se bornent à dire, après avoir énuméré ses vertus prétendues contre telle ou telle maladie nominale de la pathologie, qu’il sollicite les urines, la sueur, l’expectoration ou le flux menstruel, et surtout qu’il a la propriété de chasser par haut ou par bas le contenu du canal alimentaire, parce qu’en tout temps les efforts des praticiens ont eu pour tendance principale l’expulsion d’un principe morbifique matériel et de plusieurs âcretés qu’ils se figuraient être la cause des maladies.
C’étaient là de vains rêves, des suppositions gratuites, des hypothèses dénuées de base, habilement imaginées pour la commodité de la thérapeutique, qui se flattait d’avoir une tâche plus facile à remplir quand il s’agirait pour elle de combattre des principes morbifiques matériels (si modo essent).
Mais l’essence des maladies et leur guérison ne se plient point à nos rêves et aux désirs de notre paresse. Les maladies ne peuvent pas, pour complaire à nos folles hypothèses, cesser d’être des aberrations dynamiques que notre vie spirituelle éprouve dans sa manière de sentir et d’agir ; c’est-à-dire des changements immatériels dans notre manière d’être.
Les causes de nos maladies ne sauraient être matérielles, puisque la moindre substance matérielle étrangère ¹⁰, quelque douce qu’elle nous paraisse, qu’on introduit dans les vaisseaux sanguins, est repoussée tout à coup comme un poison par la force vitale, ou, si elle né peut l’être, occasionne la mort. Que le plus petit corps étranger vienne à s’insinuer dans nos parties sensibles, le principe de la vie qui est répandu partout dans notre intérieur n’a pas de repos jusqu’à ce qu’il ait procuré l’expulsion de ce corps par la douleur, la fièvre, la suppuration ou la gangrène. Et dans une maladie de peau datant d’une vingtaine d’années, ce principe vital, dont l’activité est infatigable, souffrirait avec patience pendant vingt ans, dans nos humeurs, un principe exanthématique matériel, un virus dartreux, scrofuleux ou goutteux ! Quel nosologiste a jamais vu aucun de ces principes morbifiques, dont il parle avec tant d’assurance, et sur lesquels il prétend construire un plan de conduite médicale ? Qui jamais mettra sous les yeux de personne un principe goutteux, un virus scrofuleux ?
Lors même que l’application d’une substance matérielle à la peau, ou son introduction dans une plaie, a propagé des maladies par infection, qui pourrait prouver que, comme on l’affirme si souvent dans nos pathogénésies, la moindre parcelle matérielle de cette substance pénètre dans nos humeurs ou se trouve absorbée ¹¹ ? On a beau se laver les parties génitales avec le plus grand soin et le plus promptement possible, cette précaution ne garantit pas de la maladie chancreuse vénérienne. II suffit d’un faible souffle qui s’échappe d’un homme atteint de la variole pour produire cette redoutable maladie chez l’enfant bien portant.
Combien en poids doit-il pénétrer ainsi de ce principe matériel dans les humeurs pour produire, dans le premier cas, une maladie (la syphilis) qui, à défaut de traitement, durera jusqu’au terme le plus reculé de la vie, ne s’éteindra qu’à la mort, et, dans le second, une affection (la variole) qui fait souvent périr avec rapidité au milieu d’une suppuration presque générale ¹². Est-il possible d’admettre, dans ces deux circonstances et autres analogues, un principe morbifique matériel qui ait passé dans le sang ? On a vu souvent des lettres écrites dans la chambre d’un malade communiquer la même maladie miasmatique à celui qui les lisait. Peut-on songer alors à quelque chose de matériel qui pénètre dans les humeurs ? Mais à quoi bon toutes ces preuves ? Combien de fois n’a-t-on pas vu des propos offensants occasionner une fièvre bilieuse qui mettait la vie en danger, une indiscrète prophétie causer la mort à l’époque prédite, et une surprise agréable ou désagréable suspendre subitement le cours de la vie ? Où est alors le principe morbifique matériel qui s’est glissé en substance dans le corps, qui a produit la maladie, qui l’entretient, et sans l’expulsion matérielle duquel, par des médicaments, toute cure radicale serait impossible ?
Les partisans d’une hypothèse aussi grossière que celle des principes morbifiques devraient rougir de méconnaître à ce point la nature immatérielle de notre vie et le pouvoir dynamique des causes qui font naître des maladies, et de se rabaisser ainsi au rôle ignoble de gens qui, dans leurs vains, efforts pour balayer des matières peccantes dont l’existence est une chimère, tuent les malades au lieu de les guérir.
Les crachats, souvent si dégoûtants, qu’on observe dans les maladies, seraient-ils donc précisément la matière qui les engendre et les entretient ¹³