Elle ou lui? (34): 34. La bisexualité

Marilou Addison

Édition

Les Éditions de Mortagne

Case postale 116

Boucherville (Québec)

J4B 5E6

editionsdemortagne.com

Couverture

© Kinos, www.kinos.ca

Dépôt légal

Bibliothèque et Archives Canada

Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Bibliothèque nationale de France

2e trimestre 2016

Conversion au format ePub : Studio C1C4

ISBN  : 978-2-89662-575-8

ISBN (epdf)  : 978-2-89662-576-5

ISBN (epub)  : 978-2-89662-577-2

Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.

Membre de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL)

Merci, Audrey-Maude,

comme promis ;-)

Des goûts et des couleurs, on ne peut discuter.

Dicton provenant du Moyen Âge

Pourquoi devrions-nous tous nous comporter comme des moutons de Panurge ?

Expression de Rabelais

MOI

DOMINIC

La foule en délire.

Les cris des spectateurs, dans les gradins.

Les sifflements de mon frère qui résonnent dans l’aréna.

Mon coach qui lève la main, pour que j’y donne un bon coup de gant, et je m’exécute sans hésiter. Mes coéquipiers qui me foncent dessus, me font basculer vers l’arrière et s’amoncellent sur moi, maintenant étendu sur la glace.

L’ivresse de la victoire.

Et la joie d’avoir mené son équipe au triomphe.

Je suis comme ça, moi, Dominic Dubois. Capitaine de l’équipe. Celui que tout le monde voudrait être. Celui que les filles reluquent sans même se gêner. Celui qui a le choix, parmi celles-ci. Et celui qui n’hésite pas à montrer qu’il peut se payer du bon temps.

Mais…

Je suis aussi celui qui a l’impression de ne plus vraiment se connaître. J’imagine toutefois que personne ne se rend compte que quelque chose va de travers, chez moi. Il faut dire que je ne sais pas encore moi-même ce qui cloche. J’ai beau vivre le rêve de tous les adolescents de dix-sept ans, au fond de ma poitrine, je sens que je ne suis pas complètement à ma place. D’ailleurs, qu’est-ce qui ne tourne pas rond, avec mes désirs ? Je ne suis pas sûr de vouloir le savoir…

Après avoir repoussé les joueurs de mon équipe, qui se font de plus en plus lourds, je me relève, un air vainqueur plaqué sur le visage. La foule se remet à crier de plus belle.

Oui…

La vie me sourit. Je ne peux le nier. Je n’ai qu’à faire de même, et tout finira par s’arranger. Non ?

Sourire.

Cela me semble si simple.

Je lève les deux bras bien haut. On me saisit et on me soulève dans les airs. Les acclamations ne s’arrêtent toujours pas. Je suis un gagnant. Selon leurs critères. Alors pourquoi, dans mon cœur, malgré l’assurance que j’affiche, ai-je encore et toujours l’impression de n’être qu’un imposteur dans ma propre vie ?

Au fond, je ne sais rien du tout. Mais je suis à deux doigts de comprendre…

LUI

KARL

Je m’appelle Karl. Mes parents viennent de se séparer. Ma mère ne veut plus rien savoir de mon père. C’est l’enfer, chez moi. Ils ont donc accepté que j’aille vivre ailleurs, pour un temps. La maison de ma cousine Amélie et de mon oncle me semble l’endroit parfait. Chez eux, je pourrai oublier le calvaire que je vis quand je suis avec mes parents, et peut-être me refaire une vie sociale.

Ah, c’est que j’oubliais quasiment le plus important : je suis gay. Et ça, ce n’est pas facile à accepter pour tous les jeunes que je croise à la poly. Personnellement, je trouve que ce n’est pas de leurs foutues affaires, mais ça n’a pas l’air d’être l’avis de tout le monde. Bon, ils ne sont pas tous sur mon dos. Il y en a quand même quelques-uns pour racheter les autres, en étant sympathiques ou en m’ignorant carrément, mais si peu me laissent tranquille…

Ça va me faire du bien de m’éloigner de cette vie. De ma vie. En plus, je viens de laisser mon chum. Il n’arrivait pas à s’afficher et, moi, ça me dérangeait. J’aurais pu être patient, attendre qu’il soit prêt, mais j’étais vraiment rendu ailleurs.

Peut-être que, si j’avais été vraiment amoureux, ç’aurait été différent. Je ne devais pas assez aimer Damien. Ou peut-être que la séparation de mes parents m’a rendu insensible aux autres. Je ne sais pas.

En tout cas, j’arrive chez Amélie aujourd’hui même. Il paraît qu’elle fait un party ce soir. Son chum joue au hockey, et toute l’équipe a prévu finir la soirée chez elle. Ça ne me dérange pas, même si je ne compte pas nécessairement être de la partie.

Il faut dire qu’il y a très peu de chances pour que je me trouve de nouveaux amis dans une équipe de hockey. Quoique je pourrais très bien me tromper… On dirait que c’est ce que je passe mon temps à faire, ces derniers temps : des erreurs !

L’autobus s’arrête au terminus. Je dois descendre. Et entamer ma nouvelle vie…

- 1 -

L ’air froid de l’automne fouette le visage de Dominic lorsque les portes de l’aréna s’ouvrent devant lui. Puis, sans qu’il ait le temps de mettre un pied dehors, on lui saute dans les bras, on l’embrasse sur la bouche, dans le cou. C’est son amoureuse qui se colle à lui. Il apprécie ce contact, bien que ça le fasse sortir de sa bulle. Le corps chaud de sa blonde qu’il aime tant pressé contre le sien lui enflamme les sens. Elle le ramène justement sur terre.

– Camille… Tu as vu le dernier but que j’ai compté ? Génial, non ? lance Dominic avec une joie sincère.

– Oui ! ! ! T’étais le meilleur ! Comme toujours ! Mon chum est vraiment sick ! C’est Amé qui va être jalouse !

– Pourquoi tu dis ça ? demande-t-il en fronçant les sourcils.

– Ben… T’as vu comment Steph a joué ? C’était comme s’il voulait être partout, sauf sur la glace, réplique Camille en tirant son copain par la main pour aller rejoindre le groupe d’adolescents qui piétinent dans le stationnement de l’aréna.

– Arrête. Steph a quand même fait de belles passes et puis…

Il n’a pas le temps de prendre la défense de son coéquipier qu’il reçoit déjà plusieurs claques sur l’épaule, en signe de félicitations. Le jeune homme contient son enthousiasme, puis il se fond dans la masse, ne désirant pas froisser l’ego de ceux qui n’ont pas marqué de but. Les jeunes rigolent et s’amusent. Plusieurs joueurs de l’équipe se sont déjà joints à eux, prévoyant aller prendre une bière dans le sous-sol d’Amélie, une des filles de la gang.

– Tu viens célébrer, Dominic ? Faut fêter le but gagnant ! lui propose joyeusement l’un d’eux.

– Bien sûr qu’il vient ! Hein, mon bébé ? ! intervient sa blonde en passant un bras autour de sa taille.

– Je sais pas, Camille. Je suis crevé, là… Et m’appelle pas comme ça, marmonne-t-il en baissant légèrement la voix.

– Allez, ça va être relax ! reprend un autre joueur. On va être la gang habituelle.

Pour tenter de le convaincre, sa copine se rapproche de lui davantage.

– Et, si on réussit à se faufiler dans une chambre… je vais pouvoir te féliciter comme tu le mérites, minaude-t-elle en glissant ses mains sous le chandail de Dominic pour lui caresser le torse.

Ce dernier ne veut pas montrer à sa blonde qu’il est fatigué et qu’il a juste envie d’aller dormir. Il ne veut pas la blesser. De plus, passer du temps avec elle, bien collé, est loin d’être une option désagréable. Par contre, il aurait tant besoin d’une bonne nuit de sommeil… Depuis quelque temps, il a beaucoup de difficulté à s’endormir, le soir. Il peut passer une partie de ses nuits à se tourner encore et encore entre ses draps, n’ayant pourtant aucune raison de faire de l’insomnie.

Il est le meilleur joueur de son équipe de hockey, il a des tas d’amis qui le suivent et l’idolâtrent, de bonnes notes à l’école, ainsi que la plus belle fille de la polyvalente comme blonde. Que pourrait-il espérer de plus ?

Camille…

Celle dont tous les gars rêvent. Celle qui a la plus grosse poitrine, aussi. Dominic sait trop bien à quel point il est chanceux de pouvoir la mettre dans son lit dès qu’il le souhaite. Il ne fait pas que la trouver belle, il en est aussi follement amoureux. Voilà plus d’un an, maintenant, qu’ils flottent sur leur petit nuage, sans une ombre au tableau. Mais alors, qu’est-ce qui le stresse autant ? Qu’est-ce qui se passe dans sa tête, toutes ces nuits où il cherche invariablement le sommeil ? Comme s’il ne parvenait pas à apprécier sa chance. Peut-être qu’il aspire à autre chose.

En secouant la tête pour chasser ces pensées, Dominic fait un sourire complice à sa blonde, lui indiquant ainsi qu’il accepte l’invitation. Celle-ci se lève sur la pointe des pieds et dépose un baiser rempli de promesses sur les lèvres du jeune homme, tout en lui passant les mains sur les fesses. Des sifflements et des ricanements se font aussitôt entendre, derrière eux.

– Hé ! Allez vous louer une chambre, tous les deux ! Ça devient pas mal vulgaire ! leur lance l’un des joueurs.

– Mêlez-vous de vos affaires ! Vous êtes jaloux, c’est tout ! rétorque Dominic en serrant Camille dans ses bras. C’est ma blonde, alors allez voir ailleurs, OK ?

– Bon, ça suffit, la testostérone, les gars ! Mon père m’a prêté son char…, les coupe Stéphane, le chum d’Amélie. Ça fait que dépêchez-vous, je vous donne un lift ! On va aller finir le party chez ma blonde ! Son paternel travaille tard ce soir…

– Alors, tu viens ? demande Camille à Dominic en glissant ses doigts entre les siens pour l’entraîner vers le véhicule.

– Une minute. Faut que j’aille saluer mes parents. Ils sont venus voir la game avec mon frère… Je reviens.

D’un pas rapide, il se dirige vers Colin, son petit frère. Le garçon de six ans sautille, trop heureux de pouvoir féliciter le vainqueur de la soirée. Dominic se penche et l’attrape à deux mains pour l’installer sur son épaule comme une poche de patates. Puis il se met à tournoyer sur lui-même, ce qui fait bien rire le gamin.

– C’est qui, le meilleur ? Hein ? C’est qui ? ? ?

– C’est toi ! ! ! crie l’enfant d’une voix enchantée.

Dominic repose son frère et se tourne enfin vers ses parents, qui le regardent tendrement.

– Bravo, mon grand, je suis fier de toi, le félicite son père en lui serrant l’épaule. Tu as joué un match d’enfer, comme toujours ! Tu reviens avec nous ?

– Non, mes amis veulent aller fêter ça. Est-ce que ça vous dérange ? Je reviendrai pas tard, je suis claqué, de toute façon…

– Pas de problème, on ira célébrer avec toi demain matin. Un déjeuner au resto de ton oncle, ça te tente ?

Dominic hoche la tête et fait un sourire sincère à ses parents avant de se pencher vers sa mère pour lui donner un baiser sur la joue. Il se tourne enfin vers son cadet, lève les mains et attend que celui-ci tape dedans avec force.

– Ouin ! Tu t’en viens fort, Colin ! lâche-t-il en riant. Bientôt, tu vas me battre au tir au poignet ! Faudra que je recommence à m’entraîner, moi ! Bon, va te coucher, frérot, on se voit demain !

L’adolescent salue sa famille une dernière fois, puis tourne les talons et va rejoindre ses amis, qui commencent à s’impatienter. Ceux-ci se sont empressés de s’entasser dans la camionnette de Stéphane. Dominic se retrouve coincé sur la banquette arrière, entre Camille et un autre joueur plutôt corpulent.

Le corps tourné vers sa copine, il approche son visage du sien et pose ses lèvres sur sa bouche. Doucement, ils s’embrassent, sans se soucier des autres adolescents qui rigolent et s’amusent dans la voiture. Dominic glisse subtilement sa main sous le manteau de Camille et caresse sa peau si douce, tout près de ses seins. La jeune fille se penche encore davantage vers lui, le forçant maintenant à effleurer sa poitrine, tendue sous l’excitation.

Le souffle court, elle pose son front contre celui de son amoureux, les yeux dans les yeux.

– Je t’aime, chuchote-t-elle.

– Moi aussi, répond-il avec vigueur.

Elle se love contre lui, le serrant dans ses bras pour qu’il puisse écouter les battements de son cœur. Camille aime tellement Dominic et se sent si proche de lui que cela lui fait presque peur. Il la comprend, ne la juge jamais. Il est doux et attentionné. C’est l’homme de sa vie. Sur cette pensée empreinte de bonheur, la voiture freine brusquement, faisant basculer la jeune fille vers la banquette avant. Dominic la retient juste à temps et la serre plus fort. Elle est si heureuse.

– Hé ! Lâche donc ton cell pis regarde en avant ! s’exclame un des jeunes à l’intention de Stéphane.

En effet, ce dernier n’est pas concentré sur la route, plutôt occupé à écrire un texto.

– Calme tes nerfs, le gros ! répond-il, rangeant son téléphone dans sa poche. Fallait que j’invite les Tremblay ! Sans eux, un party, c’est pas pareil ! Bon, accrochez-vous, parce que, pour moi, des lumières jaunes, c’est facultatif, lance-t-il à la blague en appuyant sur l’accélérateur.

*     *

*

Étendu sur le lit, Dominic caresse avec ardeur le corps de Camille, allongée près de lui. Elle a enlevé son chandail et ils s’embrassent maintenant à pleine bouche. Le jeune homme glisse ses doigts sous le soutien-gorge de sa blonde, ce qui la fait frissonner. Il a si envie d’elle ! Pour ne pas céder à son désir, il retire ses mains de sa poitrine et les pose résolument dans son dos, se retenant de les plonger dans la chevelure de Camille. Ses cheveux, qu’elle a laissés libres, lui arrivent à la taille, ce qui la rend encore plus sexy aux yeux de Dominic.

Avec lenteur, Camille se détache enfin de son amoureux. Juste avant de se relever, elle se penche et embrasse le tatouage tribal, sur le haut du bras du hockeyeur. Puis elle s’installe sur lui pour qu’il puisse l’admirer. Assise à califourchon sur le bassin de Dominic, elle se balance d’avant en arrière, au rythme de la musique qui résonne dans le salon, là où les autres jeunes font la fête. Elle espère ainsi l’exciter pour qu’il ne puisse plus lui résister. Ce mouvement a l’effet escompté sur Dominic, qui lui saisit les hanches, afin de l’immobiliser.

– Voyons, Dominic, t’aimes pas ça ?

– Non… au contraire ! Si tu continues ce petit jeu, je vais pas pouvoir tenir bien longtemps… Et on a rien pour se protéger. Je… Je pense que je vais aller aux toilettes deux minutes. Tu me laisses descendre ? demande-t-il, tout en la faisant basculer vers la droite.

– Mouais…, accepte-t-elle en s’étendant à plat ventre sur le lit, visiblement déçue de ne pas pouvoir aller plus loin avec son amoureux. Mais dépêche-toi, OK ?

Il lui jette un regard rapide, hoche la tête, puis sort en vitesse de la chambre. Il s’appuie au mur du couloir un instant, puis ferme les yeux et soupire un grand coup. Il doit réfréner le désir qui l’habite. Camille est si belle et elle est un peu trop consciente de l’effet qu’elle a sur lui. Dominic a les hormones dans le tapis et il n’est pas fait en bois ! Mais, s’il y a une chose qu’il ne veut pas, c’est mettre sa copine enceinte parce qu’il n’a pas pu se retenir…

Il en est là dans ses réflexions quand une voix qu’il ne connaît pas le pousse à ouvrir les yeux précipitamment.

– Fatigué ? Tu devrais aller te coucher, tu tiens à peine debout… Non ?

Dominic tourne la tête vers sa droite et son regard rencontre celui, effronté et d’un bleu particulièrement éclatant, d’un adolescent d’à peu près son âge. C’est la première fois qu’il le voit. Son interlocuteur est grand et plutôt mince, avec un drôle de mohawk sur la tête. Ses cheveux sont d’un blond très pâle. Il les teint sûrement, se dit Dominic.

– Salut, on se connaît ? le questionne-t-il en se redressant.

– Je crois pas, non… Je m’en souviendrais… Moi, c’est Karl. Je suis le cousin d’Amélie. J’habite chez elle depuis… depuis aujourd’hui, en fait. Mes parents se séparent et ça me tentait pas de rester avec eux, pour le moment. Ils sont du genre à se lancer des trucs par la tête, si tu vois ce que je veux dire. Vaut mieux pas être dans le coin dans ce temps-là. Le père d’Amélie a accepté de me prendre chez lui. Au printemps, on verra si la maison de mes parents est vendue. Ça se pourrait que je vienne vivre dans le bout. Avec ma mère, je pense. Je sais pas trop.

– Ah…, lui répond Dominic, pris de court par le long monologue de Karl, qui ne semble pas avoir la langue dans sa poche.

– Hum… Et