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Le drame de l'Étang-aux-Biches
Le drame de l'Étang-aux-Biches
Le drame de l'Étang-aux-Biches
Livre électronique198 pages2 heures

Le drame de l'Étang-aux-Biches

Par Delly

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À propos de ce livre électronique

Les Rüden étaient d’origine autrichienne.
Peu après le mariage de Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire, avec Maximilien d’Autriche, un écuyer de ce prince, Maximilien de Rüden, avait épousé la fille unique de Thierry Farel, seigneur de Montparoux. Un de ses fils cadets, Henri, reçut en héritage ce domaine et fit souche d’une branche qui devait se perpétuer dans le comté. Ses autres fils fondèrent des familles en Autriche. De ceux-là, il ne subsistait plus aujourd’hui que le comte Willibad Rüden-Gortz. Son père avait été tué au front d’Orient en 1918 ; sa mère, à demi ruinée, était revenue en France, son pays, et, avec les débris de sa fortune, avait entrepris d’exploiter les terres du domaine appauvri que lui léguait son père. Le baron de Groussel, son second mari, l’y avait peu aidée. Aimable, égoïste, fort séduisant, il s’entendait surtout à dépenser sa propre fortune, peu considérable, si bien qu’à sa mort, survenue deux ans auparavant, Mme de Groussel n’avait hérité que des dettes à payer. Mais maintenant Willibad, sorti de l’Institut agronomique, avait pris en main la direction du domaine qui constituait à peu près leur seule source de revenus.
Les Rüden de Montparoux passaient par des vicissitudes identiques, depuis quelques années. Stephen, le grand-père d’Élisabeth, après avoir mené grande vie, léguait à son fils Rodolphe une fortune amoindrie. Celui-ci n’était pas fait pour endiguer la ruine menaçante. Il ne pouvait même que la précipiter. En outre, désintéressé comme tous ceux de sa race, il épousait par amour une jeune Anglaise sans fortune, Daphné Meldwin. Cinq ans plus tard, un matin d’été, on la trouvait noyée dans l’Étang-aux-Biches.
Après quelques semaines d’un désespoir si violent qu’il faisait craindre pour sa raison, Rodolphe quittait Montparoux et, peu après, il informait sa mère de ses fiançailles avec la vicomtesse de Combrond.
LangueFrançais
Date de sortie27 nov. 2018
ISBN9788829560141

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    Le drame de l'Étang-aux-Biches - Delly

    L’ÉTANG-AUX-BICHES

    Copyright

    First published in 1940

    Copyright © 2018 Classica Libris

    Première partie

    1

    Élisabeth se pencha un peu plus pour mieux voir le cavalier qui passait sur la route, le long de la roche abrupte, dure assise du château de Montparoux.

    Sans souci du danger, ni du vertige, elle était assise sur l’appui à demi ruiné d’une baie en arc d’ogive ouverte directement sur l’à-pic de la falaise. Les jambes fines et brunes pendant au-dehors, les pieds minces chaussés de sandales battaient la roche couleur de rouille. Qui l’eût vue dans cette périlleuse attitude aurait frissonné d’effroi. Mais le cavalier ne regardait pas au-dessus de lui. Bientôt il disparut au tournant de la route. Alors, Élisabeth se redressa, fit un rétablissement et se trouva debout dans la baie qui encadrait sa maigre silhouette d’adolescente, sa tête aux boucles brunes un peu en désordre.

    L’après-midi tendait vers sa fin. Les sapins qui couvraient les hauteurs, face à Montparoux, s’éclairaient aux dernières lueurs du couchant. Des clochettes de troupeaux tintaient, musique légère, dans l’air silencieux qui prenait déjà son parfum du soir, parfum de forêt et d’eau fraîche. Car la rivière, folle, bondissante, bordait la route qui menait de Montparoux à Lons-le-Saunier, en passant par le village de Sauvin-le-Béni. Celui-ci, au pied des sapinières, étendait ses maisons anciennes et ses jardins fleuris de passeroses, de soleils, de petits œillets. Des prés le joignaient et quelques champs que commençaient de quitter les travailleurs pour regagner le logis.

    Un reflet de cette lumière prête à mourir arrivait encore aux vieux murs du château, crevassés, roussis par les intempéries séculaires. Il éclairait le mince visage d’un ovale un peu long, d’une mate et fine blancheur, les yeux mordorés, couleur de châtaigne, de feuille d’automne touchée par le soleil, changeants comme la nature elle-même aux différentes heures du jour. Élisabeth demeurait là, debout, les mains croisées sur la vieille ceinture de cuir qui serrait à la taille sa robe de toile bleu passé à petites raies blanches. Son regard errait sur les pins illuminés, sur le village paisible au bord de la rivière. Mais elle pensait à autre chose, car un pli se formait sur la belle ligne du front dégagé de la chevelure indisciplinée, une contraction rapprochait les sourcils nettement dessinés, qui étaient doux et soyeux, d’un brun plus clair que les cheveux.

    Puis, en un mouvement souple, Élisabeth se détourna, sauta légèrement de l’appui sur le sol. Elle se trouvait dans un espace qui, autrefois, avait dû être une salle, éclairée par la baie en ogive. Mais depuis longtemps cet endroit était abandonné à la ruine, comme une partie du vieux château. Cependant les murs épais résistaient, semblaient solides encore. Mais il n’y avait plus de vantaux à la baie, plus de porte à l’ouverture opposée qui donnait sur une cour envahie d’herbe, bordée à gauche par un corps de logis abandonné, à droite par un autre bâtiment de la même époque et par la vieille tour carrée qu’on appelait la tour du Comte Noir. Une grille formait le quatrième côté de cette cour au centre de laquelle une triste sirène de pierre, couverte de mousse, semblait considérer d’un air désabusé le petit bassin ovale, depuis bien longtemps à sec.

    Les battants de la grille ne fermaient plus, étant à demi détachés de leurs gonds. Au-delà apparaissait le parterre à la française, bien entretenu, qui s’étendait devant le corps de logis bâti au XVIIe siècle, formant équerre sur les bâtiments du vieux château, comme on appelait ces vénérables témoins du passé des comtes de Rüden. Cinq grandes portes vitrées ouvraient là sur une large marche de pierre longeant toute la façade. Ce fut vers l’une d’elles que se dirigea Élisabeth. Elle avait un pas souple, glissant, d’une grâce singulière dans ce corps un peu dégingandé de grande fillette. Un sourire moqueur détendait ses lèvres finement ourlées. Elle entra dans la pièce, qui était un grand salon à boiseries grises sculptées. Son regard en fit le tour, s’arrêta sur une chaise longue aux coussins froissés, puis, plus longuement, sur une table bouillotte où se voyaient des livres, des revues, une broderie sur satin commencée, une petite coupe de jade qui contenait des cendres de cigarettes.

    Dès le seuil, la physionomie d’Élisabeth avait changé, s’était comme durcie. Sur la vivante, expressive beauté de ses yeux, un voile tout à coup semblait avoir été tiré. Ce fut une fillette un peu figée, au regard glacé, qui accueillit par un bref : « Bonsoir, Willibad », le jeune homme en tenue de cheval apparu dans le salon.

    Il lui jeta un coup d’œil surpris.

    – Vous ici, Élisabeth ?

    – Oui. Pourquoi pas ?

    Un défi sonnait dans la voix d’Élisabeth.

    – Cette tenue n’est pas très indiquée pour paraître au salon.

    Il y avait de l’ironie dans l’accent de Willibad, et une froide désapprobation dans le regard dont il enveloppait la fillette.

    Élisabeth ne parut pas s’en émouvoir. Elle toisa le jeune homme qui lui faisait face, un grand et mince garçon portant avec aisance un costume quelque peu élimé, comme étaient usés les gants tannés qu’il tenait à la main.

    – Je me trouve très bien ainsi. Du reste, je n’ai pas de quoi m’acheter de belles toilettes, vous le savez.

    – Je sais que votre belle-mère aurait voulu vous vêtir convenablement, selon votre rang, et que vous lui avez opposé le plus méchant entêtement.

    Il y eut un éclair dans les yeux d’Élisabeth, puis aussitôt le voile retomba sur eux et Willibad n’eut encore devant lui que cette petite figure fermée.

    – Il ne me plairait pas d’être habillée avec l’argent de ma belle-mère.

    Willibad leva les épaules. Une impatience mêlée d’irritation se discernait dans sa voix tandis qu’il ripostait :

    – Madame de Rüden n’a décidément pas tort en vous qualifiant d’orgueilleuse.

    – Oh ! elle n’a jamais tort, je le sais bien, dit Élisabeth avec une sorte d’âpre mépris.

    – Elle n’a pas tort non plus quand elle assure que vous la détestez.

    – Qu’est-ce que cela peut lui faire, puisqu’elle ne m’aime pas ?

    – Croyez-vous pouvoir attirer l’affection de quiconque avec une nature comme la vôtre ?

    Ainsi, en face l’un de l’autre, ils semblaient deux duellistes échangeant, au lieu de balles, des propos sans aménité. Tous deux avaient cet ovale un peu étroit qui se transmettait fréquemment dans la famille de Rüden. Là s’arrêtait la ressemblance. Les yeux foncés de Willibad, dont on ne savait jamais s’ils étaient noirs ou bleus, avaient en général une expression songeuse, comme lointaine. Mais ils pouvaient devenir singulièrement froids et chargés d’ironie, comme ils l’étaient en ce moment, et accentuaient alors la netteté un peu dure des traits de ce jeune visage.

    À la dernière question de son cousin, Élisabeth riposta :

    – Si vous pensez connaître ma nature, vous vous trompez bien.

    Une certaine note de défi, dans son accent, frappa sans doute Willibad, car il eut dans le regard une lueur de curiosité. Mais à ce moment, au seuil de la porte qu’il avait laissé ouverte derrière lui, parut une jeune fille blonde vêtue de blanc. Elle tenait à la main un élégant petit chapeau qu’elle venait probablement d’enlever.

    – Ah ! Willibad, cher ami ! Nous rentrons à l’instant.

    Elle avait une voix légère, caressante, musicale. Des yeux bleus comme un beau ciel d’été souriaient dans un visage dont les traits fins et le délicat épiderme rosé donnaient l’impression d’une fragile porcelaine. La bouche, un peu longue, aux lèvres fines, s’entrouvrait en un sourire ingénu.

    Willibad alla vers elle, prit la main qu’elle lui tendait et y appuya ses lèvres.

    – Je viens seulement d’arriver, Agathe.

    Simon m’avait dit que vous ne tarderiez certainement pas. Pour un peu, nous nous serions rencontrés sur la route.

    – Nous revenons de Branchaux. Notre cousine est malade et nous l’avons distraite un moment... Mais je vois, mon ami, que quelqu’un vous aurait tenu compagnie si notre absence s’était prolongée.

    Il y avait un soupçon de moquerie dans le regard de la jolie personne, dirigé vers Élisabeth. Mais celle-ci conservait son air figé, son impassibilité de statue. Une voix, derrière Agathe, dit avec une intonation de douce raillerie :

    – Aimable compagnie, certainement... Ne peux-tu faire une autre tête, Élisabeth ? Et quand cesseras-tu, ma pauvre enfant, de choisir ta plus vieille robe pour venir au salon ?

    Agathe, détournant un peu la tête, dit à mi-voix :

    – Oh ! maman, ne l’humilie pas ainsi !

    La comtesse Judith de Rüden sourit, tout en tendant à Willibad sa main à baiser. Elle avait, comme sa fille, une bouche un peu trop longue, mais on oubliait ce défaut devant la séduction de ce sourire, qui semblait à peine esquissé par les lèvres et se prolongeait dans les yeux d’un bleu-vert un peu étrange, sur lesquels tombaient de longs cils noirs très soyeux. Les traits n’avaient rien de classique, mais ces yeux, un teint satiné, d’une blancheur laiteuse, des cheveux noirs aux reflets d’aile de corbeau suffisaient à composer une beauté peu banale, en tout cas fort remarquée.

    – C’est elle-même qui se rabaisse, mon enfant, par cette tenue indigne d’une Rüden.

    Cette fois, les lèvres d’Élisabeth s’entrouvrirent, tout juste pour laisser tomber ces mots, avec un accent de glacial dédain singulier sur cette bouche d’enfant :

    – Vous devez bien penser que je sais mieux que vous ce qui est indigne d’une Rüden.

    Là-dessus elle tourna les talons et quitta la pièce. Longeant la marche qui s’étendait devant la façade, elle atteignit l’extrémité de ce corps de logis qu’on appelait le château neuf, à l’endroit où il se soudait à la vieille tour carrée. À la base de celle-ci, Élisabeth ouvrit une porte cloutée de fer et entra dans une pièce qui servait d’armurerie. Des armes anciennes voisinaient avec des fusils de chasse modernes. On y voyait aussi trois armures, dont l’une, sombre comme la nuit, avait été celle du comte Hugo de Rüden, surnommé le Comte Noir. Dans l’épaisseur du mur, un escalier menait aux étages. Le premier avait été divisé en trois pièces, dont l’une était la chambre d’Élisabeth, une autre – où entra la fillette après un coup bref frappé à la porte – celle d’Adélaïde Prades, l’ancienne institutrice de Daphné, première femme du comte Rodolphe de Rüden et mère d’Élisabeth.

    Adélaïde, assise dans une des deux embrasures profondes où se trouvaient les fenêtres, cousait aux dernières lueurs du jour qui éclairait ses cheveux gris crêpelés, son profil aigu, son teint raviné par les rides. Elle leva la tête et deux yeux clairs, tristes et bons, enveloppèrent Élisabeth d’un long regard inquiet.

    – D’où venez-vous encore, ma petite fille ?

    – Du salon.

    – Du salon ? Et qu’y faisiez-vous, Seigneur ? Si Madame de Rüden vous avait vue...

    – Elle m’a vue. C’est d’ailleurs pour cela que j’y allais.

    Adélaïde soupira et son regard laissa voir un reproche attristé.

    – Vous tenez à la braver, ma pauvre enfant, mais qu’y gagnerez-vous ? Peut-être seulement d’être envoyée loin d’ici pour terminer votre éducation, comme il en a déjà été question, paraît-il.

    – Envoyée loin d’ici ?

    La voix d’Élisabeth vibrait de colère.

    – ... Elle ne peut pas me renvoyer de Montparoux ! Je suis chez moi !

    – Chez votre père, Élisabeth.

    – C’est la même chose.

    – Non, ce n’est pas la même chose, hélas !

    Élisabeth dit âprement :

    – Oui, à cause d’elle. Mais Montparoux sera à moi, plus tard.

    – Sans doute, mais, en attendant, c’est Monsieur de Rüden qui est le maître et s’il décide que vous partiez...

    – S’il décide ?

    Élisabeth eut un rire bref, chargé d’amertume.

    – Vous voulez dire si sa femme décide ? Mais moi, je ne lui obéirai pas, à cette Judith. Non, non ! Je connais ici des cachettes où personne ne me trouvera. Vous viendrez me porter à manger, Adélie, et vous me délivrerez quand ils seront partis après m’avoir vainement cherchée.

    Elle s’avançait vers la vieille demoiselle, se laissait tomber sur un petit tabouret et appuyait contre les genoux d’Adélaïde sa tête aux boucles éparses.

    – Folle enfant ! Pauvre chère révoltée !

    Les doigts un peu raidis par les rhumatismes caressaient lentement les cheveux aux doux reflets de satin.

    – Il faudrait toujours arriver à vous soumettre, Élisabeth. Puis, à y bien réfléchir, il serait bon pour vous de changer d’horizon. Vous n’avez jamais quitté Montparoux, vous êtes un peu une petite sauvage. En outre, je ne suis pas au courant des nouvelles méthodes d’enseignement...

    – Qu’importe ! Ce serait encore « son » argent qui payerait cela, et je ne veux pas... je ne veux pas !

    Élisabeth jetait ces mots avec une sourde véhémence.

    – ... Elle a réussi à prendre ce stupide Willibad, à l’acheter pour qu’il épouse Agathe...

    – Élisabeth... ! Mais, mon enfant... !

    Adélaïde regardait avec stupéfaction la petite tête toujours appuyée contre son genou.

    – Que dites-vous là ? Pourquoi imaginer que votre cousin n’a en vue que la fortune de Madame de Combrond ? Elle est assez jolie pour lui plaire.

    Élisabeth ne répondit pas. Une de ses mains se crispait sur le vieux tapis qui couvrait en partie le dallage de pierre. Quand elle leva son visage vers Adélaïde, celle-ci vit ses yeux assombris, un peu durcis.

    – Adélie, c’est un grand malheur, que papa ait épousé Judith.

    Quand elle se trouvait seule avec l’institutrice, Élisabeth appelait souvent sa belle-mère par son prénom, avec une intention de mépris.

    – Oui, murmura Adélaïde dans un soupir.

    – Vous m’avez dit un jour que maman ne l’aimait pas. Pourquoi continuait-elle à la recevoir ?

    – Elle pouvait difficilement éviter de le faire, puisque Madame de Combrond est la cousine de Madame Piennes, et qu’elle passait alors une partie de l’été à Branchaux.

    Élisabeth songea un moment, les paupières à demi baissées. Un dernier reflet du jour éclairait son visage un peu tendu, ses cheveux sur lesquels s’appuyait la main d’Adélaïde.

    – Papa l’a épousée bien tôt après... après la mort de maman ?

    – Oui, quelques mois après.

    – Alors, il a oublié maman tout de suite... ? Pourtant, vous m’avez dit qu’il l’aimait beaucoup...

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