L'évaluation du ministère pastoral: Une étude à la lumière des Épîtres pastorales (1 et 2 Timothée, Tite)
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À propos de ce livre électronique
Au sein des Églises en Afrique, l’auteur constate une absence de procédure pour apprécier les aptitudes des pasteurs, leurs forces et leurs faiblesses, leurs progrès à la tâche et l’origine des difficultés qu’ils rencontrent dans leur ministère. À travers l’exégèse de certaines péricopes dans les Épîtres pastorales traitant des recommandations pour le ministère, il élabore des critères d’évaluation du ministère pastoral et les applique au contexte de l’Église Protestante Évangélique CMA de Côte d’Ivoire. Cette étude fait ainsi de l’Écriture la référence normative pour le ministère pastoral afin d’amener à une croissance et à un renouvellement de l’exercice du ministère.
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Avis sur L'évaluation du ministère pastoral
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Aperçu du livre
L'évaluation du ministère pastoral - Noël K. N’Guessan
L’ouvrage du Professeur Noël N’Guessan a de quoi susciter l’intérêt, éclairer les responsables d’Églises, encourager les jeunes théologiens, en proposant un double modèle. Il illustre la médiation qu’opère la théologie systématique, quand celle-ci fait le pont entre l’exégèse et la pratique pastorale. L’étude s’enquiert des critères d’un ministère réussi, qui édifie l’Église et plaise au Seigneur, à la source, auprès de la Norme, l’Écriture. Elle restreint sagement sa recherche aux Épîtres pastorales. Après avoir rassemblé et ordonné les résultats de sa recherche, elle les applique à une situation ecclésiale, en Côte-d’Ivoire, dont l’auteur a soigneusement étudié les forces et les faiblesses.
La thèse démontre comment un théologien dont l’« africanité » est incontestable peut s’approprier les outils de la science en son domaine (reconnaissant leur universelle validité) ; se servir de commentaires spécialisés avec discernement ; mener une analyse objective qui enrichisse l’Église locale. Elle trace la voie d’un ministère de théologien responsable. Je recommande sa publication, qui devrait profiter à un grand nombre.
Henri Blocher
Doyen honoraire de la Faculté Libre de Théologie Évangélique,
Vaux-sur-Seine, France
Directeur de l’Ecole doctorale
Le lecteur de l’ouvrage du Professeur Noël N’Guessan sera étonné de constater à quel degré une évaluation du ministère pastoral peut impliquer une démarche spirituelle dans la forme d’une réflexion sur sa propre marche avec Dieu. Il lira qu’à côté de l’entretien formel d’évaluation bien connu et l’évaluation personnelle, on peut également envisager une évaluation mutuelle entre collègues et une évaluation par la communauté dirigée. L’évaluation inclura non seulement des critères personnels et professionnels, mais aussi familiaux et sociaux. L’analyse des lettres pastorales apporte une richesse qu’on risquerait de manquer par une simple approche praxéologique basée sur les sciences humaines. Elle s’avère particulièrement heureuse. Le mot d’ordre tiré de 1 Timothée 4.16 résonnera dans les oreilles de chaque lecteur : « Veille sur toi-même et sur ton enseignement ! »
Hannes Wiher
Professeur associé de missiologie,
Faculté libre de théologie évangélique, Vaux-sur-Seine
L’ouvrage du Dr Noël N’Guessan se présente, à nos yeux, comme un travail de très grande qualité exégétique portant sur les Épîtres pastorales (1 Timothée, 2 Timothée et Tite). Il mène singulièrement avec rigueur et minutie l’exégèse de quelques péricopes choisies de ces épîtres en lien avec l’évaluation du ministère pastoral au sein de l’Église Protestante Évangélique CMA de Côte d’Ivoire comme champ d’application. Il parvient ainsi à dégager clairement avec brio les critères d’évaluation du ministère pastoral susceptibles de redynamiser l’exercice du ministère pastoral à l’Église Protestante Évangélique CMA de Côte d’Ivoire et, par conséquent, « booster » sa croissance. Ce faisant, l’auteur met effectivement en évidence l’autorité des Saintes Ecritures comme l’unique référence (Sola Scriptura) à laquelle chaque pasteur se doit de se regarder, toujours à nouveau, comme dans un miroir, de manière à pouvoir se présenter sans cesse devant Dieu comme « un homme qui a fait ses preuves, un ouvrier qui n’a pas à rougir et qui dispense avec droiture la parole de la vérité » (2 Timothée 2.15).
Cet ouvrage est également instructif et fécond au-delà des frontières de l’Église Protestante Evangélique CMA de Côte d’Ivoire. Il inspirera certainement, j’en suis persuadé, tous ceux et toutes celles qui sont soucieux de l’épanouissement du pasteur dans l’exercice du ministère auquel il a été appelé par Dieu et, par conséquent, de la croissance qualitative et quantitative de nos communautés chrétiennes aux prises avec les défis du témoignage à rendre effectivement à Jésus-Christ dans le monde d’aujourd’hui.
Rév. Dr TSHISUNGU Balekelayi Daniel
Chef du Département de Nouveau Testament, Professeur de Grec et de Nouveau Testament, Faculté de Théologie Évangélique de l’Alliance Chrétienne, Abidjan, Côte d’Ivoire
Cette étude est une réflexion approfondie sur un sujet important : l’évaluation du ministère pastoral. L’auteur, Professeur Noël N’Guessan, sait que dans toutes les cultures humaines et à toutes les époques de l’histoire, les autorités religieuses sont tentées de se considérer au-dessus du regard critique et de l’évaluation humaine, en particulier de l’évaluation des fidèles qu’ils conduisent.
Avec conviction et érudition, Noël N’Guessan montre la radicalité du témoignage chrétien apostolique. Pour l’apôtre Paul, le ministère pastoral s’exerce, certes, sous le regard de Dieu mais nécessairement à travers l’évaluation de Son peuple habité par Son Esprit et Sa Parole. L’auteur tire des conclusions de son travail pour l’Église dont il est issu. Par là même, il ouvre des pistes de réflexion et de pratique pour l’Église universelle.
Harold Kallemeyn
Directeur des programmes de Timothy Leadership Training Institute,
Grand Rapids, États-Unis
L’évaluation du ministère pastoral
Une étude à la lumière des Épîtres pastorales
(1 et 2 Timothée, Tite)
Noël K. N’Guessan
© Noël K. N’Guessan, 2017
Publié en 2017 par Langham Monographs,
Une marque de Langham Creative Projects
Langham Partnership
PO Box 296, Carlisle, Cumbria CA3 9WZ, UK
www.langham.org
ISBN:
978-178368-289-8 Papier
978-1-78368-291-1 Mobi
978-1-78368-290-4 ePub
978-1-78368-292-8 PDF
Ce travail est à l’origine la thèse de doctorat de Noël K. N’Guessan écrite sous la direction du Professeur Henri Blocher et présentée à la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine en Octobre 2012.
© Conformément au Copyright, Designs and Patents Act, 1988
, Noël K. N’Guessan déclare qu’il est en droit d’être reconnu comme étant l’Auteur de cet Ouvrage.
Tous droits réservés. La reproduction, la transmission ou la saisie informatique du présent ouvrage, en totalité ou en partie, sous quelque forme ou par quelque procédé que ce soit, électronique, mécanique, photographique, est interdite sans l’autorisation préalable de l’Éditeur ou de la Copyright Licensing Agency.
Sauf indication contraire, les citations bibliques sont tirées de la version Louis Segond 1910. Les traductions des passages bibliques en début d’analyse des textes bibliques sont de l’auteur. Elles sont en italiques dans l’ouvrage.
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ISBN: 978-178368-289-8
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Contents
Cover
Dédicace
Préface
Sigles et abréviations
Les livres de la Bible
Revues, périodiques et collections
Autres abréviations
Abréviations générales
Introduction
Choix et justificatif de l’étude
État de la question et singularité de l’étude
Précision terminologique et problématique de l’étude
Présupposé, méthodologie et organisation de l’étude
Première partie
Introduction
Chapitre 1 L’arrière-plan des Épîtres pastorales
La question de l’origine : Écrits pauliniens ou pseudépigraphiques ?
La question des adversaires : ultime motif ou raison seconde ?
Conclusion partielle : La situation des Églises en arrière-plan des EP
Chapitre 2 Étude de la première série de textes
1 Timothée 3.1 4-1 6 : L’Église et le mystère de la piété
2 Timothée 2.1 9-2 1 : La métaphore de la « grande maison »
Conclusion partielle : L’Église-maison de Dieu, contexte de déploiement des ministères et d’évaluation
Deuxième partie
Introduction
Chapitre 3 Étude de la deuxième série de textes
1 Timothée 4. 6-1 6 : « Veille sur toi-même et sur ton enseignement »
1 Timothée 6.1 1-1 6 : Combattre le beau combat de la foi
2 Timothée 2.2 2-2 6 : « Fuis les passions, instruis avec douceur »
2 Timothée 3.1 0-1 7 : « Demeurer fidèle à l’Évangile reçu, malgré tout »
Conclusion partielle : le contenu du modèle et la marque de la qualité
Chapitre 4 Étude de la troisième série de textes
L’Épiscope : 1 Timothée 3. 1-7
Les diacres : 1 Timothée 3. 8-1 3
Les presbytres : 1 Timothée 5.1 7-2 5
La problématique de la relation presbytres-épiscope : Tite 1. 5-9
Conclusion partielle : Le profil du ministre-modèle des Pastorales
Chapitre 5 Critères d’évaluation du ministère pastoral
Les critères suggérés par les parénèses à Timothée
Les critères suggérés par les parénèses aux ministres locaux
La synthèse des critères d’évaluation
Les procédures évaluatives
Conclusion partielle
Troisième partie
Introduction
Chapitre 6 La C&MA en République de Côte d’Ivoire : de la mission à l’Église
La C&MA : Origine, identité, objectifs et implantation en RCI
L’Église CMA-CI : Organisation, structure, ministères
Chapitre 7 La normativité du modèle ministériel des Pastorales et son application au contexte de l’Église CMA-CI
La question de la normativité du modèle issu des Pastorales et du bon droit de son application dans le contexte de l’Église CMA-CI
L’évaluation du ministère pastoral appliquée au contexte de l’Église CMA-CI
Conclusion partielle
Conclusion générale
Quelques principes du pastorat
Annexe
Bibliographie
Textes bibliques et parabibliques
Instruments de travail
Sur les Épîtres pastorales
Sur l’évaluation, le ministère et la théologie pastorale
Sur la C&MA et le pays Baoulé
Sur diverses questions
Sources orales
Sources électroniques
À propos de Langham Partnership
Endnotes
Dédicace
À la mémoire du Rév. Dr Isaac KEÏTA, Doyen de la Faculté de Théologie Évangélique de l’Alliance Chrétienne (1997 – 2012)
À la mémoire du Rév. Dr André KOUADIO, Président de l’Église CMA-CI (1991-2003), Président du Conseil d’Administration de la FATEAC (1997-2013).
À Aimée-Chantal N’GUESSAN, mon autre moi-même, À Marie-Salomé, Éphraïm-Jonathan, Assena-Syntiche, Salomon-Benjamin, Jean-Philippe, mes bien-aimés enfants.
Préface
Le pari est gagné ! Kouadio Noël N’Guessan a su nous convaincre de la nécessité d’articuler les différentes disciplines théologiques entre elles, pour démontrer la cohérence de l’Écriture et la pertinence de la Parole. Il part de l’exégèse, la science de l’exploration des données bibliques, pour aboutir à la théologie pratique, l’art d’exploiter des données pour le bien de l’Église. Il passe par la théologie systématique qui articule et agence les mêmes données en vue de l’appropriation de la pensée de Dieu sur l’évaluation du ministère pastoral. Ainsi, la théologie pastorale ou la théologie pratique n’est pas si pratique.
Dans sa thèse, combien monumentale tant pour la longueur que pour la profondeur [le contenu], Noël N’Guessan ne propose ni n’impose des recettes pour l’évaluation du ministère pastoral. Il n’est pas tenté par le culte de l’efficacité ! Il invite le lecteur à réfléchir sainement et peut-être saintement sur ce que Dieu a dit du ministre, du serviteur au sens large. Car encourager à réfléchir sous l’autorité de Dieu, c’est équiper intellectuellement pour aider à résister spirituellement aux diverses tentations à la mode, comme la tentation de porter des titres pompeux qui font fi de la règle de la langue et des traditions héritées des pères depuis la Réforme. Dans les Épîtres pastorales, les titres engagent à des responsabilités dans l’Église, et Noël N’Guessan a su l’expliquer avec dextérité ; de nos jours dans certains milieux, les titres évoquent la position sociale ou les exploits personnels comme des grades militaires ! Ainsi, l’auteur apporte des innovations tout en restant dans la pensée des Réformateurs.
Des innovations, j’en retiens deux : l’interdépendance entre disciplines théologiques et la volonté de réformer non pas les vérités dans l’Écriture Sainte mais la théologie pastorale dans sa dimension conceptuelle. Dans ce sens, Noël N’Guessan reste bien fils de la Réforme et adhère au principe Ecclesia Reformata Semper Reformanda. Il aime d’ailleurs à signer ses écrits par Soli Deo Gloria.
Ce livre, d’abord soumis aux autorités académiques à la Faculté de Théologie Evangélique de Vaux-sur-Seine comme thèse, est maintenant mis à la disposition des érudits d’Afrique et d’ailleurs pour interpeller et remettre en question des habitudes en vue de la croissance non seulement numérique mais aussi spirituelle des Églises. Comme Noël N’Guessan, je dirai : « À Dieu seul la gloire ».
Solomon Andria
Abidjan, avril 2017
Sigles et abréviations
Les livres de la Bible
Revues, périodiques et collections
Autres abréviations
Abréviations générales
Introduction
Choix et justificatif de l’étude
La présente étude est consacrée à l’évaluation du ministère pastoral dans le contexte de l’Église Protestante Évangélique CMA de Côte d’Ivoire[1]. Une seule raison principale motive le choix de notre sujet de recherche.
L’Église CMA-CI a été implantée en Côte d’Ivoire dès 1930[2]. Elle compte à ce jour plus de 500 pasteurs chargés d’encadrer 600 000 fidèles organisés en 450 paroisses et 4 300 communautés locales. C’est numériquement la deuxième communauté de la Christian and Missionary Alliance (C&MA)dans le monde. Et pourtant, aucune procédure ne semble exister en son sein pour apprécier : les aptitudes des pasteurs, leurs forces et leurs faiblesses, leurs progrès à la tâche et l’origine des difficultés de tous genres qu’ils rencontrent dans leur ministère. Pour s’en convaincre, il suffira d’évoquer, d’abord, le manque de dispositions statutaires d’appréciations clairement définies.
Selon les dispositions statutaires de l’Église CMA-CI, le candidat au ministère doit passer par une période de pré-stage. « Le pré-stage est une période importante et indispensable dans le choix du futur ministre de la Parole. Il consiste à tester la capacité intellectuelle malgré le diplôme et la vocation à servir le Seigneur. L’observation s’orientera vers la moralité et la capacité à diriger, en recueillant le maximum de témoignages pour orienter ce choix. Le pré-stage se déroulera de préférence dans la région d’origine sur une période de deux ans minimum dont la première partie dans la paroisse marraine et la deuxième dans une autre paroisse[3]. » « En dehors du pré-stage le candidat sera soumis à un test dont le contenu sera déterminé par la commission compétente[4]. » Dès lors que le candidat en observation réussit à son test d’entrée à l’Institut Biblique de l’Alliance Chrétienne (IBACY) pour sa formation biblique et théologique et qu’il est mis à la disposition de l’Église comme pasteur, aucune autre procédure ne semble exister pour l’accompagner. Il est vrai que « l’étudiant au saint ministère doit servir d’abord comme stagiaire sous la responsabilité d’un titulaire pour une durée de 4 ans après sa sortie de l’École avant d’être consacré (titulaire) dans son poste » et que « l’Église peut différer cette consécration pour inaptitude du candidat »[5]. Toutefois, les textes restent muets sur une quelconque procédure d’appréciation des aptitudes physiques, intellectuelles et relationnelles de l’étudiant durant cette période. Le pasteur superviseur n’a aucun repère formel pour apprécier son stagiaire. Le silence des textes est encore plus préoccupant sur l’après titularisation du ministre de la Parole.
À ce manque de dispositions statutaires, il convient, ensuite, d’évoquer des avis qui font autorité. Après avoir exercé les plus hautes fonctions au sein de notre Église, Rév. A. Kouadio[6] reconnaît avoir perçu la nécessité d’un processus d’appréciation des ministres de Dieu. Sa confession est éloquente : « En tant que président de l’Église, j’étais limité à l’écoute des témoignages rendus au sujet d’un tel ; par manque de démarche évaluative élaborée. Un entretien n’intervenait qu’en cas de défaillance supposée ou avérée ». Pour sa part, Rév. P. Brou Alonlé déplore l’inexistence, au sein de notre Église, d’un mécanisme ou d’une procédure permettant d’établir « un lien étroit entre travail bien fait
et nomination
, entre travail bien fait
et rétribution
[7] ». En définitive, le choix de notre étude se trouve justifié ; c’est à un impérieux besoin d’évaluation du ministère pastoral au sein de notre Église qu’elle se propose de répondre[8].
Dès lors, il convient de nous interroger sur la légitimité ou non de l’effort de réflexion ici déployé. En effet, notre intention d’appliquer l’approche évaluative au pastorat pourrait susciter des appréhensions : la perspective néotestamentaire autorise-t-elle un regard critique sur le service des ministres de l’Église ? A-t-on la capacité, le droit et le devoir d’évaluer le service du pasteur ? Dieu n’est-il pas le seul Juge devant qui paraîtront tous les hommes, y compris ses serviteurs ?
Nous en avons une conscience aiguë : Dieu demeure le seul Juge devant qui comparaîtront tous les hommes. Son jugement définitif, eschatologique repose sur la parfaite connaissance qu’il a de ses créatures, de ses serviteurs. Aussi, plusieurs textes proscrivent le jugement d’autrui[9]. Ces textes ont le mérite de mettre en évidence la profonde ambiguïté du jugement humain : l’homme qui juge commet souvent les mêmes fautes qu’il cherche à condamner chez autrui[10].
Et pourtant, notre étude s’inscrit, nous semble-t-il, dans la perspective néotestamentaire. Il nous suffira ici de fournir quelques éléments, à titre illustratif.
D’une part, le NT recommande la mise à l’épreuve des candidats au ministère, pour que les faux ministres soient ainsi éliminés. Dans l’Évangile de Matthieu, Jésus, après avoir recommandé à ses disciples de ne pas juger, leur commande de se garder des faux prophètes (7.15-20). En vue de démasquer ces derniers, qui faisaient courir un risque à la communauté, Jésus donne à ses disciples « une règle pour le discernement des esprits »[11]. Il s’agit d’un examen attentif, à caractère éthique : « Vous les reconnaîtrez à leurs fruits ». C’est du moins ce que suggère le sens du verbe γινώσκω et de son composé ἐπιγινώσκω : plus qu’une simple connaissance, il s’agit d’une reconnaissance après un examen attentif[12]. La constance de cette préoccupation est affirmée ailleurs par le nombre important de termes composés avec le préfixe ψευδο : « faux prophètes » (Mt 24.11 ; 1 Jn 4.1) ; « faux christs » (Mt 24.24) ; « faux apôtres » (2 Co 11.13) ; « faux frères » (2 Co 11.26 ; Gal 2.4) ; « faux enseignants » (2 P 2.1)[13]. D’autre part, le NT commande l’examen d’authentification des aspirants au ministère ecclésial (apôtres, anciens, diacres). D’autre part, dans les Églises pauliniennes cette mise à l’épreuve était rendue nécessaire par la présence de prédicateurs déviants. Pour nous limiter aux Pastorales, Paul dresse des listes de qualités exigées des ministres. Timothée et Tite doivent tenir compte ; le premier, pour l’examen (δοκιμἠ) des ministres déjà en fonction et le second, pour l’examen de ceux qu’il convient d’établir dans les charges du ministère. La minutie de l’examen des anciens (ou futurs anciens) est mise en relief (1 Tm 5.24-25) et les diacres ne pourront exercer leur ministère qu’après une période de δοκιμἠ et « s’ils sont sans reproche » (1 Tm 3.10).
De ce qui précède, nous pouvons affirmer que notre étude s’inscrit dans la perspective néotestamentaire qui autorise et légitime l’examen des ministres. En cela, n’apparaît-elle pas comme une reprise opportune d’une pratique courante de l’Église primitive, mais bien trop négligée aujourd’hui ?
État de la question et singularité de l’étude
Réfléchir sur l’évaluation du ministère pastoral dans le contexte ecclésial revient à entrer dans une dynamique assez récente et demeure un chantier encore ouvert. D’où le sentiment – il est possible que le lecteur l’éprouve ainsi – d’un manque de profondeur historique dans le traitement de l’état de la question.
En effet, seulement quelques études contemporaines y ont été consacrées. Une illustration se trouve chez R. A. Lebold, du côté protestant, chez A. Turmel et J.-M. Levasseur, du côté catholique et chez A. Loverini, du côté évangélique.
Quel est l’apport de chaque auteur ? Peut-on discerner des similitudes ou des dissimilitudes entre les approches ? Existe-t-il des aspects du sujet qui méritent que l’on y revienne, pour des apports nouveaux ? Autant de questions qui nécessitent des réponses. En procédant ainsi, il s’agit, d’une part, d’apprécier la pertinence des études menées jusqu’ici, et d’indiquer, d’autre part, la singularité de notre étude, dans cet effort commun de réflexion.
R. A. Lebold
R. A. Lebold a soutenu une thèse de doctorat (D. Min) sur l’évaluation du leadership pastoral, telle que pratiquée au sein des Églises Mennonites de l’Ontario, au Canada[14]. Dans le contexte de ces Églises, R. A. Lebold avait conduit des procédures évaluatives, avec une note d’insatisfaction : « Cinq années de recours aux évaluations auprès des pasteurs et des assemblées ne m’ont pas laissé un souvenir très positif quant aux résultats[15]. » Une large part de ses travaux sera donc consacrée à la reconstruction de la procédure d’évaluation au sein des Églises Mennonites de l’Ontario[16]. Ses efforts, forts appréciables, aboutissent à quelques résultats.
D’abord, l’élaboration d’une procédure évaluative du leadership pastoral centrée sur : « a) Une expérience de développement personnel comportant une prise de conscience de soi et une compréhension de soi-même en tant que ministre, et aussi le sentiment d’avoir été nourri ; b) une réflexion ciblée et un survol des responsabilités liées au travail ; fonctionnement en rapport avec le cahier des charges tel que défini par la fiche de poste[17]. » Ensuite, l’élaboration d’un mécanisme de supervision des évaluateurs et de la procédure évaluative elle-même. Enfin, le développement d’un modèle d’évaluation, à usage communautaire et à des fins éducatives : « Un modèle qui illustre une procédure à utiliser dans le cadre de l’assemblée et qui pourrait faciliter une expérience enrichissante et instructive pour d’autres responsables, et qui pourrait aussi fournir à l’assemblée une expérience de construction d’une communauté[18]. » Le travail de R. A. Lebold n’a pas pour seul mérite le pragmatisme de ses résultats ; en amont, il établit la cohérence entre l’évaluation, la nature de l’Église, la pratique du ministère et l’engagement chrétien[19].
A. Turmel et J.-M. Levasseur
A. Turmel et J.-M. Levasseur ont mené une enquête (1989-1992) sur « les pratiques évaluatives en usage dans les paroisses catholiques du Québec », au Canada.[20] L’analyse factuelle des pratiques évaluatives des projets pastoraux (t. 1) et la compréhension de ces pratiques (t. 2), seront les deux centres d’intérêts. Les auteurs mentionnent qu’« aucune recherche n’a été menée [jusqu’alors] sur ce qui se fait (les pratiques) comme évaluation pastorale en milieu paroissial au Canada[21] ». En cela, leurs travaux constituent une innovation de taille.
L’analyse factuelle des résultats de l’enquête réalisée a permis de décrire le contexte de l’évaluation, d’examiner le fait de l’évaluation, de comparer les formes d’évaluation, d’identifier les structures où cette évaluation se fait, de comparer le rythme de l’évaluation selon les structures, d’identifier les évaluateurs, de préciser l’objet de l’évaluation et de traiter l’opinion des curés face à l’évaluation. Un deuxième niveau d’analyse va suivre et compléter cette analyse factuelle. En empruntant des théories développées par les sciences humaines[22], A. Turmel et J.-M. Levasseur questionnent les pratiques évaluatives en vue de mieux les comprendre ; c’est l’analyse organisationnelle. La démarche permet de dégager la culture organisationnelle sous-jacente aux pratiques évaluatives. Ainsi, la nature de l’Église est pensée comme une véritable organisation et l’agir pastoral est perçu « comme un processus de changement planifié », c’est-à-dire « un changement intentionnel par rapport à un statu quo donné[23] ».
Au nombre des mérites des travaux de A. Turmel et J.-M. Levasseur, soulignons les points suivants : (1) Les auteurs établissent un lien intrinsèque entre l’Église comme « mystère » et comme « organisation[24] » ; (2) Ils font une solide présentation du cadre théorique et conceptuel de l’évaluation pour établir la base sur laquelle se construit l’évaluation[25] ; (3) Ils montrent la nécessité d’une bonne connaissance du contexte dans lequel s’inscrit l’évaluation des projets pastoraux.
A. Loverini
Le travail de Loverini tient en un article.[26] Toutefois, s’en tenir à ce fait serait se méprendre, tant cet article est stimulant sur le sujet de l’évaluation ; l’auteur pose des bases d’une procédure évaluative constructive et bienfaisante.
Lemaire note que « le ministre ne se définit pas en lui-même, il se définit par son rôle dans l’Église, par le service qu’il rend à tout l’ensemble, par sa fonction
[27] ». Pour Loverini, cette réalité prend toute sa valeur « lorsque l’on parle du ministère pastoral, et du pasteur, ou ministre, c’est-à-dire serviteur de Dieu dans le cadre et pour le service de l’Église[28] ». Or, « d’un serviteur, on attend tout naturellement qu’il accomplisse de son mieux la tâche qui lui a été confiée[29] » et qu’il sache la mener à bien ; ce qui a nécessairement des implications. D’une part, cela implique que le serviteur soit « capable d’apprécier lui-même, au moins dans une certaine mesure, la qualité de son action[30] ». D’autre part, cela implique que ceux qui le lui ont confié aient le droit d’en juger et d’en évaluer le résultat. Dès lors, pour Loverini, l’évaluation du ministère est nécessaire et inévitable. Et le cadre d’une telle évaluation, « c’est l’Église elle-même, un milieu vivant, à la vie duquel le pasteur participe ». Ainsi, il s’établit un lien fort entre les notions d’évaluation du ministère et d’Église ; la première est constitutive de l’édification de la seconde et l’état de l’une révèle celle de l’autre. Loverini a eu aussi le mérite de proposer des formes d’évaluation (personnelle et en dialogue), et des aspects précis du ministère à évaluer (direction, enseignement, l’unité).
En résumé, les travaux que nous venons de présenter sont tous remarquables, à plus d’un titre ; ils nous serviront d’acquis à exploiter pour notre étude. Toutefois, il convient de signaler qu’aucun des auteurs mentionnés n’a été intéressé par la recherche des bases bibliques de l’évaluation du ministère pastoral. En cela, leurs efforts méritent d’être prolongés, complétés.
Quoique menées à partir de contextes ecclésiaux différents, les études de R. A. Lebold et de Turmel et Levasseur ont une similitude : elles partent, toutes deux, de ce qui se fait, d’une pratique évaluative en cours. Turmel et Levasseur, par exemple, notent ceci : « … nos données sont recueillies à partir des curés de paroisse. Notre analyse organisationnelle, tout comme notre analyse factuelle, repose donc sur leur perception[31]. » En outre, ils admettent que « l’emprunt de théories développées dans les sciences humaines pour les appliquer à la pastorale pose des difficultés ou soulève des questions[32] ».
Certes, Lebold et Loverini n’utilisent pas de telles théories. Toutefois, le premier accorde une grande place aux différents rapports d’évaluation[33] et le second développe sa pensée en se limitant à quelques textes bibliques, bien à propos, mais pas plus. Loverini note aussi qu’« il serait fastidieux d’énumérer tous les thèmes qui méritent d’être examinés. Plus difficile encore de préciser les critères de l’évaluation…[34] ». Dès lors, la recherche d’une base biblique à l’évaluation du ministère pastoral s’impose ; elle s’avère nécessaire pour saisir ce que l’Écriture affirme sur un tel sujet. L’approche de l’évaluation du ministère présentée ici s’inscrit dans un autre registre. Elle se propose de faire de l’Écriture la « référence normative », voire « la carrière » dont nous espérons « extraire les normes » applicables aujourd’hui. En cela, notre étude fait œuvre utile : elle vient combler un vide, suppléer une absence.
Mais, quel(s) texte(s) de l’Écriture ? Nous l’indiquions, le corpus du NT, en général, et le corpus paulinien, en particulier, font de l’examen des ministres une exigence essentielle. De ce dernier corpus, nous faisons un resserrement sur les Pastorales. Ce choix nous semble opportun, pour deux raisons.
D’abord, les Pastorales ont l’avantage d’être des textes assez homogènes. Ensuite, les ministères y occupent une place centrale. Ainsi, sans apparaître comme une « théologie des ministères », les Pastorales ont le mérite de décrire des qualités requises pour un ministère reconnu dans l’Église[35]. Ces écrits nous serviront comme base, dans notre quête de normes évaluatives du ministère.
Du reste, que faut-il entendre par évaluation du ministère pastoral ?[36]
Précision terminologique et problématique de l’étude
A. Turmel et J.-M. Levasseur définissent l’évaluation pastorale comme :
Le processus par lequel une personne, un groupe ou une communauté décrit soigneusement et d’une manière délibérée des aspects particuliers de son ministère, de son activité, de son programme ou de ses buts, porte un jugement sur ces aspects particuliers et prend des décisions sur l’avenir de ce ministère, de cette activité, de ce programme ou de ces buts[37].
De l’avis des auteurs, cette définition conserve les éléments fondamentaux de l’évaluation et elle situe l’évaluation non par rapport aux personnes, mais par rapport aux programmes, aux activités[38]. Notre approche de l’évaluation du ministère pastoral se veut plus large ; elle se propose d’aller au-delà du faire et du savoir-faire pastoral pour inclure l’être et le savoir-être.
Le pastorat ne relève pas du seul « faire », au risque pour le pasteur de sombrer dans un activisme toujours plus aliénant et appauvrissant. Le pastorat n’a de valeur que s’il est enrichi par des qualités personnelles, par une manière d’être spécifique et par un choix de vie particulier[39]. Ainsi, la qualité du ministère est intimement liée à la qualité des attitudes de celui qui le porte. Dès lors, il devient légitime de ne pas dissocier, dans le processus d’évaluation, les aptitudes des attitudes et le service du serviteur.
L’on veillera à préserver l’évaluation du ministère pastoral d’une méprise soulignée ici par Loverini :
L’évaluation du ministère pastoral ne saurait se comprendre comme une pièce judiciaire dans laquelle les rôles, distribués à l’avance, se jouent selon un scénario bien établi. Comment s’agirait-il d’un procès ? Où il faudrait un juge, extérieur à la cause, on risque de ne trouver que plaignants ou avocats, partisans ou adversaires. Tous engagés – parties ! – dans le litige. Ce n’est pas non plus un examen, avec d’un côté un candidat, et de l’autre ses maîtres. Encore moins un moyen de régler des difficultés, dont on devrait attendre qu’elles se révèlent pour pouvoir l’employer[40].
L’évaluation pastorale doit être comprise comme une procédure de dialogue avec soi-même (pour ce qui est du pasteur), les-uns avec les-autres (pour ce qui est du pasteur et les membres de l’Église) et dans lequel le pasteur et les membres de l’Église deviennent, à la fois, acteurs et bénéficiaires.
À la lumière de ce qui précède, notre définition s’énonce comme suit :
L’évaluation du ministère pastoral est un processus d’examen et d’appréciation en vue d’une approbation dans le ministère ; c’est une procédure qui s’inscrit dans la vie de l’Église et qui permet d’une part, au pasteur de s’auto-examiner et d’autre part, à l’Église de décrire soigneusement le service du pasteur, de porter un regard critique sur ce service et de prendre les décisions adéquates dans une perspective de croissance de ce service[41].
L’évaluation du ministère pastoral ayant été ainsi définie, quelle sera la problématique qui guidera ce travail ? Elle s’articule autour de trois préoccupations majeures.
La première préoccupation de l’étude se rapporte à l’ecclésiologie des Épîtres pastorales. J. Roloff, dans son excursus consacré à l’Église dans les Pastorales, met en évidence la place centrale de l’ecclésiologie dans ces écrits. Mais, contrairement à l’Épître aux Éphésiens qui aborde le sujet de manière systématique, l’ecclésiologie des Pastorales, en dehors de 1 Timothée 3.15 et 2 Timothée 2.19-21, est à reconstituer à travers des données éparses[42].
L’observation est pertinente. Et pourtant, une certitude semble s’imposer : c’est à l’intérieur des communautés que se déploient les ministères. D’où les questions suivantes : comment Paul concevait-il l’Église dans les Pastorales ? Ou encore, quel est le cadre ecclésiologique où s’inscrivent les qualités attendues des ministres ? Si l’on admet que ce cadre ecclésiologique est celui d’un contexte donné, ne serait-il pas abusif d’y voir un traité normatif sur l’exercice des ministères ? G. Fee signale que :
Ce que nous apprenons de l’organisation de l’Église en 1 Timothée est moins structurel que réformateur. Nous y trouvons des reflets de la structure ecclésiale, et non des règles d’organisation ; des exemples et non des normes ; des qualités, non des fonctions ; la correction des erreurs et des abus, et non pas un « mode d’emploi » pour organiser l’Église[43].
Ainsi, les qualités requises des ministres s’inscrivent dans un contexte ; de même que les critères d’évaluation qui en découlent. Quelle est alors la normativité du ministre-modèle qui se dégage des Pastorales ? Ou encore, quelle est la validité universelle de ces critères d’évaluation ?
La deuxième préoccupation est relative au ministère de Timothée et de Tite. En effet, les Pastorales sont les seules lettres de Paul adressées à des compagnons et représentants de l’apôtre : Timothée et Tite[44]. L’occasion des exhortations que Paul leur adresse se rattache, pour une bonne part, à la menace que font peser la présence et l’activité des faux docteurs. L’apôtre en perçoit vivement les risques pour la pérennité des communautés locales. D’où la mission qu’il assigne à ses collaborateurs : la lutte contre les faux docteurs et l’organisation des communautés[45]. Toutefois, quelques textes semblent indiquer qu’ils accompliront leur tâche en étant eux-mêmes des modèles[46] :
1 Timothée 4.12 : « Que personne ne méprise ta jeunesse ; mais sois un modèle » (Μηδείς σου τῆς νεότητος καταφρονείτω, ἀλλὰ τύπος γίνου) ;
1 Timothée 4.6 : « Expose tout cela aux frères : tu seras ainsi un bon serviteur du Christ » (Ταῦτα ὑποτιθέμενος τοῖς ἀδελφοῖς καλὸς ἔσῃ διάκονος Χριστοῦ) ;
2 Timothée 4.5 : « Mais toi, sois sobre en toutes choses, supporte les souffrances, fais l’œuvre d’un évangéliste, remplis bien ton ministère » (Σὺ δὲ νῆφε ἐν πᾶσιν, κακοπάθησον, ἔργον ποίησον εὐαγγελιστοῦ, τὴν διακονίαν σου πληροφόρησον).
Quel est le sens et la portée du mot τύπος pour le ministère de Timothée ? Comment comprendre l’expression καλὸς ἔσῃ διάκονος Χριστοῦ ᾿Ιησοῦ qui semble être le but vers lequel devra tendre Timothée ? Quelle compréhension faut-il avoir de l’impératif τὴν διακονίαν σου πληροφόρησον qui semble résumer les précédents impératifs à Timothée ?
Si ces textes ont pour intention première d’exhorter Timothée à être un modèle, quel est alors le contenu de ce modèle ? Comment peut-on évaluer, à la lumière de ce modèle, la qualité et la fidélité d’un ministre ou d’un ministère ?
En dépendance des autorités majeures que sont Timothée et Tite, les Pastorales signalent la présence de ministres locaux. Ainsi, en vertu d’une délégation expresse de Paul, Timothée et Tite semblaient exercer un contrôle sur chaque communauté, ordonnant les ministres et fixant la discipline[47]. Quelles sont alors leurs responsabilités envers ces ministres locaux une fois qu’ils les ont établis ? Ont-ils auprès d’eux et envers eux, un ministère d’évaluation ?
La dernière préoccupation de l’étude est relative aux qualifications des ministres locaux : évêque (ἐπίσκοπος), diacre (διάκονος) et ancien (πρεσβύτερος). Pour introduire le catalogue des vertus attendues des ministres locaux, Paul emploie trois différents termes distincts.
Le premier terme est l’adjectif ἀνεπίλημπτος. Relativement à l’épiscope, Paul affirme en 1 Timothé 3.2 : « Il faut donc que l’évêque soit irréprochable » (δεῖ οὖν τὸν ἐπίσκοπον ἀνεπίλημπτον εἶναι). Son synonyme, ἀνέγκλητος, sera employé en 1 Timothée 3.10 et Tite 1.6-7 à propos des diacres, des anciens et de l’évêque.
Le second terme est l’adjectif σεμνός. S’agissant des diacres, Paul indique en 1 Timothée 3.8 et 11 que : « Les diacres aussi doivent être dignes » (Διακόνους ὡσαύτως σεμνούς) ; « Les femmes, de même, doivent être dignes » (Γυναῖκας ὡσαύτως σεμνάς). Signalons que l’adjectif σεμνός apparaît ailleurs dans le NT, seulement en Philippiens 4.8 lorsque Paul énumère ce qui est digne d’être apprécié[48].
Le dernier terme est l’adverbe καλῶς. Il est cité en 1 Timothée 5.17 (cf. aussi 2 Tm 4.5) en référence au ministère des anciens : « Que les anciens qui dirigent bien » (Οἱ καλῶς προεστῶτες πρεσβύτεροι). Καλῶς se retrouve aussi en 1 Timothée 3.13 (οἱ γὰρ καλῶς διακονήσαντες) et 4.6 (καλὸς ἔσῃ διάκονος).
Ces trois termes distincts (ἀνεπίλημπτος, σεμνός, καλῶς), suggèrent-ils une idée commune sur les qualités attendues des ministres locaux ? De plus, si l’on donne au verbe δοκιμάζω (1 Tm 3.10) le sens de « tester, examiner, approuver », quels sont alors, à la lumière des qualités attendues de ces responsables, les critères à partir desquels l’on peut évaluer leur service ?
À ces interrogations, il convient d’adjoindre celle des rapports entre les ministères eux-mêmes. En évoquant, en 1 Timothée 3.1-13, les qualités requises des responsables de l’Église, Paul semble passer de l’épiscope (v. 1-7) aux diacres (v. 8-13) sans mentionner les presbytres. Plus loin, en 1 Timothée 5.17-19, Paul évoque essentiellement les presbytres sans employer les mots épiscope et diacres. En Tite 1.5-9, pour l’unique fois dans les Pastorales, il mentionne ensemble l’épiscope et les presbytres. Il est à remarquer que le mot épiscope est toujours employé au singulier alors que les autres mots (presbytres et diacres) sont au pluriel. En toile de fond, quels types de rapports entre les ministres faut-il entrevoir et avec quelle implication pour l’évaluation du pastorat ?
À présent se pose la question du choix de notre méthodologie et d’un plan de travail en vue d’apporter quelques réponses à ces interrogations.
Présupposé, méthodologie et organisation de l’étude
Notre recherche sur l’évaluation du ministère pastoral, à la lumière des Pastorales, passe nécessairement par l’étude d’une série de textes bibliques. Dès lors, il convient de considérer le statut de l’Écriture qui sera sous-entendu dans notre étude ; « le caractère de l’Écriture commande la façon de la lire. En toute étude, l’approche s’adapte à l’objet, la méthode à la matière : combien bien plus quand on étudie la Parole de Dieu ![49] ». En relation avec ce statut, nous indiquerons quelle sera l’herméneutique de notre traitement scripturaire et les différentes méthodes qui seront misent en œuvre dans notre étude.
Nous partirons d’un présupposé décisif, en accord avec les traditions juives et chrétiennes : « ce que l’Écriture dit, Dieu le dit[50]. » L’Écriture est (donc) Parole de Dieu[51] ; c’est la révélation de Dieu communiquée aux hommes, dans un langage humain[52] ; elle est inspirée par l’Esprit-Saint[53] ; elle est sans erreur dans ses textes originaux[54] ; elle est cohérente[55] ; elle seule fait autorité[56] ; elle est notre norme, en matière de foi, de conduite, de « réflexion théologique[57] ».
Les implications de ce présupposé de départ sont doubles, au moins. D’une part, l’autorité de l’Écriture étant reconnue comme telle, l’attitude qui sied est celle de la soumission[58]. D’autre part, notre traitement de l’Écriture sera exclusif de toute méthode d’interprétation tendant à réduire, d’une manière ou d’une autre, l’autorité de l’Écriture. Ainsi, notre herméneutique ne retiendra pas, par exemple, la méthode historico-critique[59] ; notre choix sera celui de la méthode historico-grammaticale. L’étude des textes bibliques sera orientée par « la triple formule » suivante : « Confiance en la véracité du texte inspiré, respect de son autorité, interprétation selon l’analogie de la foi (qui n’exclut nullement la prise en compte de l’humanité des auteurs et la diversité de leurs témoignages)[60]. » Partant de cette intime conviction que le texte biblique transmet la pensée divine, nous utiliserons, en toute légitimité, les outils habituels de l’exégèse : vocabulaire, grammaire, syntaxe et contexte. Sans omettre un recours, que nous espérons fécond, aux auteurs critiques et aux commentaires.
Le statut de l’Écriture présenté, notre herméneutique du traitement de l’Écriture située, une autre question de méthode d’approche de l’étude se dresse ; celle de la voie d’accès aux critères d’évaluation. S’il est établi que l’évaluation dans le contexte ecclésial ne constitue pas une méprise, il s’ensuit impérativement une question de fond ; celle des critères d’évaluation.
En effet, la notion d’évaluation suppose la définition de critères à partir desquels l’on peut porter un jugement de valeur. La question est donc la suivante : quelle méthode choisir pour formuler ces critères d’évaluation dès lors que l’Écriture ne les présente pas, du moins directement, sous cette forme ?
L’Écriture, en effet, ne formule pas explicitement des critères d’évaluation du ministère ; elle présente des modèles à suivre. En repérant des modèles, nous pouvons découvrir les critères qui en découlent. En d’autres termes, repérer le modèle, c’est avoir un accès, de facto, aux critères qualitatifs qui s’y rattachent.
Reste alors, une dernière question de méthode ; celle de l’application dans un contexte transculturel. Comment élaborer des moyens d’évaluation du ministère dans notre contexte, à partir des normes découvertes dans l’Écriture ?
Nous avons à choisir, nous semble-t-il, entre plusieurs approches. L’une d’elle est l’enquête à statistique ou sociologique, avec un large éventail de questions dont les résultats feront l’objet d’une analyse et d’une interprétation.
Cette approche a sa raison d’être dans un tel travail. Toutefois, nous en ferons l’économie. Une autre approche est celle de la méthode d’entretien fouillé, à partir du choix de quelques personnes ressources ; c’est l’approche analytique. Nous choisirons cette méthode en vue de mieux cerner les contours du pastorat tel que vécu et pratiqué au sein de notre Église-cible. Cette approche se verra doublée d’un effort de dialogue et de questionnement entre les résultats de l’étude des textes et le contexte cible, à la lumière de ses particularités.
Notre Église est née dans un contexte historique spécifique, marqué par un mouvement de piété et de sanctification aux États-Unis ; elle a un type de gouvernement qui oscille entre le congrégationalisme, le presbytérianisme et l’épiscopalisme ; elle est tributaire d’une forte tradition Baoulé. Le questionnement s’exprime en ces termes : Est-ce que notre héritage historique laisse une place au principe de l’évaluation du pastorat ? Est-ce que notre style de gouvernement permet une auto-évaluation du pasteur, une évaluation en dialogue restreint (le pasteur et les anciens) et une évaluation en dialogue élargi (le pasteur, les anciens, les membres de la communauté) ? Est-ce que notre héritage culturel permet que celui qui est établi dans des charges officielles soit interpellé sur son savoir-vivre et son savoir-faire, indispensable à l’évaluation du pastorat ?
Finalement, c’est à partir de cette série de dialogues enrichissants avec des personnes ressources d’une part, et entre les résultats de l’étude des textes et les réalités spécifiques de notre dénomination d’autre part, que nous parviendrons, nous semble-t-il, à une pratique évaluative du pastorat en son sein.
Le travail de recherche comprendra trois parties principales.
La première partie sera consacrée à la manière dont l’Église est présentée dans les Pastorales. Elle aura pour titre : L’Église dans les Épîtres pastorales, contexte de déploiement des ministères. Elle débutera avec un regard analytique des présupposés à l’étude des Pastorales (chapitre 1). Il est bien établi que les questions relatives à la paternité, au motif de rédaction ou au but des Pastorales ne sont pas sans liens avec l’étude des textes eux-mêmes[61]. Nous présenterons notre modeste position sur ces questions et passerons à l’étude des textes. En vue de découvrir la conception de l’Église qui se dégage des Pastorales, nous étudierons une première série de textes : 1 Timothée 3.14-16 et 2 Timothée 2.19-21 ; nous en tirerons les idées forces, sans omettre un regard, fort utile à notre étude, sur la conception des ministères qui s’en dégage (chapitre 2).
La deuxième partie de notre étude sera intitulée : Le ministre-modèle des Épîtres pastorales et ses critères d’évaluation. La deuxième série de textes que nous aborderons est perçue comme des « exhortations directes[62] » à Timothée et Tite : 1 Timothée 4.6-11 ; 6.11-16 ; 2 Timothée 2.22-26 ; 3.10-17 (chapitre 3). La troisième série de textes est perçue comme des « exhortations indirectes » adressées aux ministres locaux (épiscope, diacres, anciens) : 1 Timothée 3.1-7 ; 3.8-13 ; 5.17-25 ; Tite 1.5-9 (chapitre 4). L’étude des différents textes remplira une fonction essentielle, à savoir découvrir le ministre-modèle des Pastorales. Cette étape franchie, nous pourrons définir les critères d’évaluation qui en découlent (chapitre 5).
La troisième partie de l’étude sera intitulée : De la normativité du modèle ministériel des Épîtres pastorales et de son applicabilité dans le contexte de l’Église CMA de Côte d’Ivoire. Notre tentative d’application des résultats de l’étude au contexte de notre Église nécessite que nous en fassions une présentation, avec un accent