Les Dimensions de l'esprit, tomes 0, 1 et 2
Par Dima Zales et Anna Zaires
4/5
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À propos de ce livre électronique
Les trois premiers livres de la série des Dimensions de l'esprit, écrits par un auteur de best-sellers au classement du New York Times et de USA Today.
Les Lecteurs de pensée (Les Dimensions de l'esprit, Tome 1)
Tout a toujours été facile pour Darren. Il a fini Harvard à dix-huit ans, un travail lucratif à Wall Street à vingt et un — tout est possible quand on peut tricher en sortant de l'emprise du temps. Grâce à sa capacité, c'est un Monsieur Je-sais-tout, mais ce qu'il ne sait pas, c'est comment il est capable de faire ce qu'il fait.
Du moins, pas avant de rencontrer Mira et de découvrir le monde dangereux et secret dans lequel elle vit.
La Figeuse du temps (Une préquelle des Dimensions de l'esprit)
Mira peut figer le temps, mais elle ne peut rien changer. Après le meurtre de ses parents, elle ferait n'importe quoi pour se venger — elle se risquerait même à affronter la mafia russe.
Les Pousseurs de pensée (Les Dimensions de l'esprit, Tome 2)
La vie de Darren a été bouleversée quand il a rencontré Mira. Maintenant, dans sa course pour découvrir sa propre identité, il confronte de nouveaux ennemis et il se rend compte que ses pouvoirs uniques sont peut-être plus étendus qu'il le pense...
Dima Zales
Dima Zales is a full-time science fiction and fantasy author residing in Palm Coast, Florida. Prior to becoming a writer, he worked in the software development industry in New York as both a programmer and an executive. From high-frequency trading software for big banks to mobile apps for popular magazines, Dima has done it all. In 2013, he left the software industry in order to concentrate on his writing career. Dima holds a Master's degree in Computer Science from NYU and a dual undergraduate degree in Computer Science / Psychology from Brooklyn College. He also has a number of hobbies and interests, the most unusual of which might be professional-level mentalism. He simulates mind-reading on stage and close-up, and has done shows for corporations, wealthy individuals, and friends. He is also into healthy eating and fitness, so he should live long enough to finish all the book projects he starts. In fact, he very much hopes to catch the technological advancements that might let him live forever (biologically or otherwise). Aside from that, he also enjoys learning about current and future technologies that might enhance our lives, including artificial intelligence, biofeedback, brain-to-computer interfaces, and brain-enhancing implants. In addition to his own works, Dima has collaborated on a number of romance novels with his wife, Anna Zaires. The Krinar Chronicles, an erotic science fiction series, has been a bestseller in its categories and has been recognized by the likes of Marie Claire and Woman's Day. If you like erotic romance with a unique plot, please feel free to check it out, especially since the first book in the series (Close Liaisons) is available for free everywhere. Anna Zaires is the love of his life and a huge inspiration in every aspect of his writing. Dima's fans are strongly encouraged to learn more about Anna and her work at http://www.annazaires.com.
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Avis sur Les Dimensions de l'esprit, tomes 0, 1 et 2
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Aperçu du livre
Les Dimensions de l'esprit, tomes 0, 1 et 2 - Dima Zales
Les Dimensions de l’esprit
Tomes 0, 1 et 2
Dima Zales
♠ Mozaika Publications ♠
Table des matières
Mentions légales
Les Lecteurs de pensée
Description
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
La Figeuse du temps
Description
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Les Pousseurs de pensée
Description
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Extrait de Le Code arcane
Extrait De Liaisons Intimes De Anna Zaires
À propos de l’auteur
Ceci est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les événements sont soit le produit de l’imagination de l’auteur, soit utilisés de manière fictive. Toute ressemblance avec des personnes, vivantes ou non, des entreprises, des événements ou des lieux réels n’est que pure coïncidence.
Copyright © 2016 Dima Zales
www.dimazales.com/francais.html
.
Tous droits réservés.
Sauf dans le cadre d’un compte-rendu, aucune partie de ce livre ne doit être reproduite, scannée ou distribuée sous quelque forme que ce soit, imprimée ou électronique, sans permission préalable.
Publié par Mozaika Publications, une marque de Mozaika LLC. www.mozaikallc.com
Couverture par Najla Qamber Designs
www.najlaqamberdesigns.com
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Suzanne Voogd
Révision linguistique par Valérie Dubar
e-ISBN : 978-1-63142-174-7
Print ISBN : 978-1-63142-175-4
Les Lecteurs de pensée
Les Dimensions de l’esprit : Tome 1
Description
Tout le monde pense que je suis un génie.
Tout le monde a tort.
Oui, je suis sorti de Harvard à dix-huit ans et je me remplis les poches dans un fonds spéculatif. Mais ce n’est pas parce que je suis extraordinairement intelligent ou travailleur.
C’est parce que je triche.
J’ai un talent unique, voyez-vous. Je peux sortir du temps pour entrer dans ma version personnelle de la réalité — un endroit que je nomme ‘le Calme’ — où je peux explorer mon environnement pendant que le reste du monde est immobile.
Je pensais être le seul à pouvoir le faire — jusqu’à ce que je la rencontre.
Je m’appelle Darren et voici comment j’ai appris que j’étais un Lecteur.
1
Parfois , je pense que je suis fou. Je suis assis à une table de casino à Atlantic City et tout le monde autour de moi est immobile. J’appelle cela le Calme , comme si le fait de donner un nom au phénomène le rend plus réel, comme si lui donner un nom change le fait que tous les joueurs autour de moi sont assis là comme des statues et que je marche parmi eux en regardant les cartes qu’on leur a distribuées.
Le problème avec cette théorie sur ma folie est que quand je ‘dégèle’ le monde, comme je viens de le faire, les cartes que les joueurs retournent sont celles que j’ai vues dans le Calme. Si j’étais fou, ces cartes ne seraient-elles pas des cartes au hasard ? Sauf si j’en suis au point d’imaginer les cartes sur la table.
Et ensuite, je gagne. Si c’est aussi une hallucination — si la pile de jetons à côté de moi est une hallucination — alors je pourrais bien tout remettre en question. Peut-être que je ne m’appelle même pas Darren.
Non. Je ne peux pas penser de cette façon. Si je suis vraiment si perdu, alors je ne veux pas sortir de cet état de confusion : car si j’en sortais, je me réveillerais probablement dans un hôpital psychiatrique.
En outre, j’adore ma vie, aussi folle soit-elle.
Ma psy pense que le Calme est une façon inventive de décrire ‘le fonctionnement intérieur de mon génie’. Alors ça, cela me paraît vraiment fou. Il se peut aussi qu’elle soit attirée par moi, mais c’est une autre histoire. Disons simplement que pour sortir avec elle, il faudrait qu’elle ait un âge beaucoup plus proche de ce que je cherche, c’est-à-dire autour de vingt-quatre ans. Encore jeune et sexy, mais qui a fini les études et qui ne fait plus de soirées en boîte. Je déteste sortir en boîte presque autant que ce que j’ai détesté étudier. En tout cas, l’explication de ma psy ne fonctionne pas, car elle ne tient pas compte de la façon dont je sais des choses que même un génie ne pourrait pas savoir : par exemple la valeur et la couleur exactes des cartes des autres joueurs.
Je regarde le croupier commencer à distribuer les nouvelles cartes. Il y a trois joueurs à côté de moi à la table. Le Cowboy, la Grand-mère et le Professionnel, comme je les surnomme. Je ressens cette peur désormais presque imperceptible qui accompagne mon déphasage — c’est comme cela que j’appelle le processus : déphaser vers le Calme. L’inquiétude au sujet de ma santé mentale a toujours facilité le déphasage. La peur semble être utile au procédé.
Je déphase et tout devient calme. D’où le nom de cet état.
C’est étrange pour moi, même maintenant. Ce casino est très bruyant en général. Les gens ivres qui parlent, les machines à sous, le bruit des jackpots, la musique — seuls les concerts ou les boîtes de nuit sont plus bruyants. Et pourtant, en ce moment précis, j’aurais pu entendre une mouche voler. C’était comme si j’étais devenu sourd au chaos qui m’entoure.
Les personnes figées autour de moi augmentent l’étrangeté du phénomène. Ici, la serveuse qui porte un plateau de boissons est arrêtée au milieu d’un pas. Là, une femme est sur le point de tirer sur le levier d’un bandit manchot. À ma table, la main du croupier est levée et la dernière carte qu’il a distribuée flotte dans l’air. Je m’avance vers elle depuis mon côté de la table et je l’attrape. C’est un roi, destiné au Professionnel. Quand je lâche la carte, elle tombe sur la table au lieu de continuer à flotter comme avant — mais je sais très bien qu’elle retournera en l’air, exactement à l’endroit où je l’ai touchée, quand je sortirai du déphasage.
Le Professionnel a l’air de gagner sa vie au poker, ou en tout cas il correspond parfaitement à la façon dont j’imagine ce genre de personnes. Mal habillé, lunettes de soleil, et un peu étrange. Il a très bien maintenu son poker face, n’ayant pas bougé le moindre muscle de toute la partie. Son visage est si inexpressif que je me demande s’il ne s’est pas injecté du Botox pour l’aider à maintenir une telle contenance. Sa main est sur la table, recouvrant et protégeant les cartes qui lui ont été distribuées.
Je déplace sa main molle. Elle est normale au toucher. Enfin, façon de parler. La main est moite et poilue, alors c’est désagréable et anormal de la toucher. Ce qui est normal, c’est qu’elle est chaude au lieu d’être froide. Quand j’étais enfant, je m’attendais à ce que les gens soient froids dans le Calme, comme des statues de pierre.
Une fois que la main du Professionnel est déplacée, je ramasse ses cartes. Avec le roi qui flotte en l’air, il a une jolie paire. C’est bon à savoir.
Je m’avance vers Grand-mère. Elle tient déjà ses cartes en éventail pour moi. Je peux éviter de toucher ses mains ridées et tâchées. C’est un soulagement, car j’ai récemment commencé à avoir des réserves sur le fait de toucher les gens — plus particulièrement les femmes — dans le Calme. Si j’étais obligé, je raisonnerais sur le fait que toucher la main de Grand-mère était inoffensif — ou du moins, pas pervers — mais il vaut mieux l’éviter si possible.
Dans tous les cas, elle a une petite paire. Je me sens mal pour elle. Elle a perdu pas mal d’argent ce soir. Ses jetons diminuent. Ses pertes sont peut-être dues, au moins partiellement, au fait qu’elle ne sait pas garder un visage neutre. Même avant de regarder ses cartes, je savais qu’elles ne seraient pas bonnes parce que j’ai vu qu’elle était déçue de sa main au moment où elle l’a regardée. J’avais aussi remarqué un éclat joyeux dans ses yeux quelques tours plus tôt, quand elle avait eu un brelan gagnant.
Ce jeu de poker est, en grande partie, un exercice de lecture des gens : un domaine dans lequel j’aimerais vraiment m’améliorer. On me dit très fort pour lire les gens dans mon travail, mais ce n’est pas vrai. Je suis juste doué pour utiliser le Calme et faire comme si j’étais doué. Mais je veux vraiment apprendre à analyser les gens réellement.
Ce qui ne m’intéresse pas tellement dans ce jeu de poker, c’est l’argent. Je m’en sors assez bien financièrement pour ne pas dépendre d’un gros gain aux jeux de chance. Peu importe que je perde ou que je gagne, même si cela avait été amusant de quintupler mon argent à la table de blackjack. J’ai fait tout ce voyage pour jouer parce que je le peux enfin, ayant vingt-et-un ans maintenant. Je n’ai jamais aimé les fausses cartes d’identité, alors ceci est une première pour moi.
Je laisse la Grand-mère tranquille, et je passe au joueur suivant : le Cowboy. Je ne peux pas résister à la tentation d’enlever son chapeau de paille et de l’essayer. Je me demande si c’est possible d’attraper des poux comme ça. Parce que je n’ai jamais pu rapporter un objet inanimé du Calme, ni affecter le monde de manière durable, je me dis que je ne peux pas non plus ramener de créatures vivantes avec moi.
Je laisse tomber le chapeau et je regarde ses cartes. Il a une paire d’as — sa main est meilleure que celle du Professionnel. Le Cowboy est peut-être un pro lui aussi. Il a un bon poker face, d’après ce que je peux voir. Ce sera intéressant de les observer pendant ce tour.
Ensuite, je m’avance vers le deck et je regarde les cartes supérieures pour les mémoriser. Je ne laisse aucune place au hasard.
Quand j’ai fini, je reviens vers moi. Ah oui, est-ce que j’ai dit que je peux me voir assis là, figé comme les autres ? C’est le plus bizarre. C’est comme de vivre une expérience extracorporelle.
Je m’approche de mon corps figé et je le regarde. En général, j’évite de le faire, parce que c’est trop perturbant. On a beau se regarder dans le miroir ou dans des vidéos sur YouTube, rien ne peut préparer à voir son propre corps en 3D. Ce n’est pas quelque chose qu’on est censé vivre. Enfin, sauf pour les vrais jumeaux, je suppose.
Il est difficile de croire que ce corps, c’est moi. Il ressemble plutôt à n’importe qui. Enfin, peut-être un peu mieux que ça. Je le trouve assez intéressant. Il a l’air cool. Il a l’air classe. Je pense que les femmes le considèreraient probablement comme beau, même si ce n’est pas modeste de l’admettre.
Je ne suis pas un expert pour évaluer le degré de beauté des hommes, mais certaines choses sont évidentes. Je sais quand un type est laid et mon corps figé ne l’est pas. Je sais aussi qu’en général il faut des traits symétriques pour être perçu comme étant beau, et ma statue les a. Une mâchoire prononcée n’est pas mal non plus. Check. Avoir les épaules larges, c’est positif, et être grand aide beaucoup. Tout est bon. J’ai des yeux bleus, ce qui semble être une bonne chose. Des filles m’ont dit qu’elles aimaient mes yeux, même si maintenant, sur mon corps figé, ils ont l’air effrayants. Ils sont tout vitreux. On dirait les yeux d’une statue de cire.
Je me rends compte que je passe trop de temps sur ce sujet, et je secoue la tête. Je peux déjà voir ma psy en train d’analyser ce moment. Qui pourrait imaginer que le fait de s’admirer de cette façon soit un symptôme de sa maladie mentale ? Je l’imagine en train de griffonner des mots comme ‘narcissique’ et de le souligner.
Bon, ça suffit. Je dois quitter le Calme. Je lève la main et je touche le front de ma silhouette figée. J’entends les bruits à nouveau en sortant de mon déphasage.
Tout est de retour à la normale.
Le roi que j’ai regardé un instant auparavant — le roi que j’ai laissé sur la table — est de retour en l’air et de là, il suit la trajectoire normale pour atterrir près des mains du Professionnel. La Grand-mère regarde toujours ses cartes avec déception et le Cowboy porte de nouveau son chapeau, même si je le lui avais enlevé dans le Calme. Tout est exactement comme c’était avant.
D’une certaine façon, mon cerveau ne cesse jamais de s’étonner de la discontinuité entre l’expérience dans le Calme et celle d’en dehors. Notre condition d’humains fait que nous sommes programmés pour nous interroger sur la réalité lorsque ce genre de chose se produit. Quand j’essayais d’être plus malin que ma psy, au début de la thérapie, j’avais un jour lu tout un manuel de psychologie pendant notre session. Elle n’avait rien remarqué, bien sûr, puisque je l’avais fait dans le Calme. Le livre disait comment les bébés, dès l’âge de deux mois, pouvaient être surpris s’ils voyaient quelque chose qui sortait de l’ordinaire, comme la gravité semblant fonctionner à l’envers, par exemple. Ce n’est pas étonnant que mon cerveau ait du mal à s’adapter. Jusqu’à mes dix ans, le monde se comportait normalement, mais depuis, tout est bizarre et c’est peu dire.
Je baisse les yeux et je me rends compte que j’ai un brelan. La prochaine fois, je regarderai mes cartes avant de déphaser. Si j’ai une combinaison aussi forte, je pourrais tenter le coup et jouer sans tricher.
Le jeu se déroule de façon prévisible parce que je connais les cartes de tout le monde. À la fin, Grand-mère se lève. Elle a manifestement perdu assez d’argent.
C’est alors que je vois la fille pour la première fois.
Elle est superbe. Mon ami Bert du travail prétend que j’ai un type de femmes, mais je rejette cette idée. Je n’aime pas me voir aussi creux ou prévisible. Mais il se pourrait que je sois un peu des deux, car cette fille correspond parfaitement à la description de Bert. Et je réagis de façon extrêmement intéressée, c’est le moins qu’on puisse dire.
De grands yeux bleus. Des pommettes bien définies sur un visage fin, avec une pincée d’exotisme. Des jambes longues et très bien formées, comme celles d’une danseuse. Des cheveux sombres ondulés attachés en queue de cheval, ce qui me plaît. Et pas de frange : encore mieux. J’ai horreur des franges, je ne sais pas pourquoi les filles s’infligent ça. Même si l’absence de frange ne faisait pas partie de la description de Bert, cela aurait probablement dû y figurer.
Je continue à la dévisager. Avec ses talons hauts et sa jupe serrée, elle est un peu trop bien habillée pour cet endroit. Ou alors c’est moi qui ne suis pas assez bien habillé, en jean et tee-shirt. Quoi qu’il en soit, je m’en moque. Il faut que j’essaie de lui parler.
J’hésite à passer dans le Calme et à l’approcher pour faire quelque chose de louche, du genre la regarder de près ou peut-être même inspecter le contenu de ses poches. Faire quelque chose qui m’aiderait quand je lui parlerai.
Je décide de ne pas le faire, ce qui est probablement la première fois.
Je sais que le raisonnement qui me pousse à casser mon habitude est très étrange. Si l'on peut appeler ça un raisonnement. J’imagine l’enchaînement suivant : elle accepte de sortir avec moi, on sort ensemble pendant quelque temps, ça devient sérieux, et à cause de la connexion profonde entre nous, je lui parle du Calme. Elle apprend que j’ai fait un truc pervers, elle pique une crise et elle me largue. C’est ridicule de penser tout ça, étant donné que je ne lui ai pas encore parlé. Je brûle carrément les étapes. Elle a peut-être un QI de moins de 70 ou la personnalité d’un morceau de bois. Il peut y avoir vingt raisons différentes qui expliqueraient que je ne veuille pas sortir avec elle. En outre, cela ne dépend pas que de moi. Elle pourrait me dire d’aller me faire voir dès que j’essaie de lui parler.
Malgré tout, le fait de travailler dans les fonds spéculatifs m’a appris à spéculer. Même si le raisonnement est dingue, je m’en tiens à ma décision de ne pas déphaser, parce que c’est ce qu’un gentleman aurait fait. En accord avec cette galanterie qui ne me ressemble pas, je décide également de ne pas tricher pour ce tour de poker.
Pendant que les cartes sont distribuées, je songe à quel point, c’est agréable de se comporter honorablement, même si personne ne le sait. Je devrais peut-être essayer de respecter plus souvent la vie privée des gens. Ouais, c’est ça. Il faut rester réaliste. Je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui si j’avais suivi ce conseil. En fait, si je prenais l’habitude de respecter la vie privée, je perdrais mon travail en l’espace de quelques jours, et avec lui, beaucoup du confort auquel je me suis habitué.
Je copie le geste du Professionnel et je couvre mes cartes de la main dès que je les reçois. Je suis sur le point de jeter un coup d’œil à mes cartes quand quelque chose d’inhabituel se produit.
Le monde devient silencieux, exactement comme quand je déphase... Mais je n’ai rien fait cette fois.
Et à ce moment-là, je la vois : la fille assise à l’autre bout de la table, la fille à qui je viens de penser. Elle est debout à côté de moi et elle retire sa main de la mienne. Ou, plus précisément, de la main de mon corps figé : moi je suis un peu plus loin et je la regarde.
Elle est également assise en face de moi à la table, une statue figée comme toutes les autres.
Mon cerveau se met à turbiner et mon cœur se met à battre plus vite. Je n’envisage même pas la possibilité que cette seconde fille soit une sœur jumelle ou un truc du genre. Je sais que c’est elle. Elle fait ce que j’ai fait quelques minutes auparavant. Elle marche dans le Calme. Le monde autour de nous est figé, mais pas nous.
Elle a un regard horrifié quand elle se rend compte de la même chose. Elle se précipite de l’autre côté de la table et elle se touche le front.
Le monde redevient normal.
Elle me fixe, choquée, avec des yeux immenses, le visage pâle. Je vois ses mains trembler quand elle se lève. Sans un mot, elle me tourne le dos et elle se met à courir.
Me remettant de ma surprise, je me lève et je la suis en courant. Ce n’est pas très élégant. Si elle remarque qu’un type qu’elle ne connaît pas lui court après, elle aura autre chose en tête que sortir avec. Mais je n’en suis plus là maintenant. C’est la seule personne que j’ai rencontrée et qui sache faire la même chose que moi. Elle est la preuve que je ne suis pas fou. Elle a peut-être ce que je désire le plus au monde.
Elle a peut-être des réponses.
2
Courir après quelqu’un dans un casino est plus difficile que je ne l’aurais cru, ce qui me fait regretter d’avoir autant bu. J’évite des coudes et j’essaie de ne pas trébucher sur les pieds des gens. J’envisage même de déphaser pour retrouver mes repères, mais je change d’avis parce que le casino sera toujours aussi bondé quand je sortirai du calme.
Juste au moment où je me rapproche de la fille, elle tourne dans un couloir qui mène à l’entrée. Je dois y aller le plus vite possible, sinon elle va s’échapper. J’ai le cœur qui bat la chamade en me demandant brièvement ce que je lui dirais quand je l’aurai rattrapée. Je n’ai pas le temps de développer ma pensée parce que deux hommes en costumes me barrent soudain la route.
— Monsieur me dit l’un des deux hommes en me causant presque une crise cardiaque.
Même si je l’avais vu du coin de l’œil, j’étais si focalisé sur la fille que je n’avais pas tenu compte de leur présence. Le type qui vient de me parler est immense : une montagne en costard. Ce n’est pas bon.
— Quoi que vous vendiez, je ne suis pas intéressé, dis-je en espérant m’en sortir par le bluff.
Quand ils n’ont pas l’air convaincus, j’ajoute que je suis pressé et j’essaie de regarder derrière eux pour souligner l’urgence. J’espère avoir l’air sûr de moi, même si mes mains sont moites et que je suis essoufflé par la course.
— Désolé, mais je vais devoir insister pour que vous nous suiviez, dit le second type en se rapprochant.
Contrairement à son partenaire rondouillard, celui-ci est mince et extrêmement musclé. Ils ressemblent tous les deux à des videurs. Je suppose qu’ils trouvent suspect qu’un idiot se mette à traverser le casino en courant. Ils sont probablement entraînés pour se dire qu’il s’agit d’un vol ou d’autre chose de louche. Ce qui est logique, c’est certain.
— Messieurs, dis-je en gardant une voix neutre et polie, avec tout le respect que je vous dois, je suis vraiment très pressé. Y a-t-il un moyen que vous me fouilliez rapidement ? J’essaie de rattraper quelqu’un.
J’ajoute cette dernière phrase pour détourner leurs soupçons d’une quelconque activité crapuleuse, et parce que c’est la vérité.
— Vous devriez vraiment nous suivre, dit le plus gros d’un air borné.
Ils gardent tous deux la main près de leur poche intérieure. Super. C’est bien ma veine. Ils sont armés.
Luttant pour trouver un moyen de gérer cet événement imprévu, j’exploite ma peur naturelle de la situation pour déphaser. Une fois que j’entre dans le Calme, je me retrouve debout à côté du duo pas très aimable, dans un monde muet. Je me remets immédiatement à courir, sans me soucier de heurter les gens immobiles qui me bloquent le passage. Ce n’est pas impoli de les pousser ici, puisqu’ils n’en sauront rien et qu’ils ne sentiront rien quand le monde reviendra à la normale.
Quand je reviens dans l’entrée, la fille est déjà partie, alors je la cherche méthodiquement. Je vois une fille avec une queue de cheval près de l’ascenseur et je m’y précipite pour l’attraper. Je la retourne pour voir son visage et je me demande si le fait que je la touche la ramènera aussi dans le Calme. Je suis presque certain que c’est ce qui s’est passé avant : elle m’a touché et je suis venu dans le Calme.
Mais cette fois-ci, rien ne se produit et le visage qui me regarde m’est inconnu.
Merde. C’est la mauvaise personne.
Ma frustration devient colère quand je me rends compte que je l’ai perdue parce que ces idiots m’ont retardé au moment le plus critique. Je fulmine et pour me défouler, je donne un coup de poing de toutes mes forces à une personne qui se trouve là. Comme toujours dans le Calme, l’objet de mon agression ne réagit pas. Malheureusement, je ne me sens pas mieux non plus.
Avant de décider de la marche à suivre, je pense à ce qu’il s’est passé à la table. La fille m’a fait rentrer dans le Calme et elle y était déjà. Quand elle m’a vu, elle a eu peur et elle est partie en courant. Comme moi, c’était peut-être la première fois qu’elle y voyait quelqu’un de ‘vivant’. Tout le monde réagit différemment aux événements étranges et rencontrer une autre personne après avoir passé des années tout seul dans le Calme est vraiment étrange.
Je ne trouverai pas de réponses en restant là à réfléchir, alors je décide d’être méthodique et de vérifier une nouvelle fois le hall d’entrée.
Pas de chance. La fille est introuvable.
Je sors ensuite du casino et je marche le long de l’avenue pour voir si je peux la trouver là. Je regarde même à l’intérieur de quelques taxis, mais elle n’y est pas non plus.
En levant la tête vers le bâtiment tape-à-l’œil qui me surplombe, je décide de fouiller chaque chambre de l’hôtel. Il y en a au moins deux mille. Cela prendra longtemps, mais ça pourrait en valoir la peine. Il faut que je la retrouve et que j’obtienne des réponses.
Même si les recherches dans un bâtiment aussi gigantesque peuvent sembler insurmontables, ce ne sera pas impossible, du moins pour moi. Je ne ressens pas la faim, ni la soif, ni la fatigue dans le Calme. Je n’ai jamais besoin d’aller aux toilettes. C’est très pratique dans ce genre de situations, quand il faut se donner un peu plus de temps. En théorie, je pourrais fouiller chaque chambre — si je trouve un moyen d’y entrer. Ces portes électroniques ne fonctionnent pas dans le Calme, pas même si j’obtiens la clé des occupants de la chambre. Les nouvelles technologies ne fonctionnent généralement pas ici. Elles sont figées avec tout le reste. Sauf s’il s’agit de quelque chose de mécanique et de simple, comme ma montre à remonter, ça ne fonctionnera pas. Et je dois remonter ma montre chaque fois que je pénètre dans le Calme.
J’évalue mes possibilités et j’essaie d’imaginer ce que ce serait d’utiliser la force brute pour forcer le passage à travers des milliers de portes d’hôtel. Parce que mon iPhone est malheureusement une autre victime technologique du Calme, je ne pourrai même pas écouter de musique en travaillant. Même pour quelque chose d’aussi important, je ne suis pas sûr de vouloir prendre des mesures aussi extrêmes.
En outre, si je décide de fouiller le bâtiment, ce n’est probablement pas le meilleur moment pour le faire. Même si je la trouve, je ne serai pas capable de la suivre dans le vrai monde à cause de ces idiots de gardes qui me bloquent le passage. Je dois me débarrasser d’eux avant de choisir quoi faire ensuite.
Je soupire et je retourne lentement vers l’hôtel. En entrant dans le hall, je le fouille du regard une nouvelle fois en espérant l’avoir ratée la première fois. Je ressens le même besoin que lorsque je perds quelque chose dans la maison. Dans ces cas-là, je fouille toujours l’endroit de haut en bas, puis je recommence en vérifiant à nouveau les endroits que j’ai déjà fouillés, espérant de façon irrationnelle que la troisième fois sera la bonne. Ou peut-être la quatrième. Je dois vraiment arrêter de faire ça. Comme l’a dit Einstein, la folie, c’est de faire plusieurs fois la même chose en s’attendant à des résultats différents.
Je finis par admettre ma défaite et je m’approche des videurs. Je peux passer une éternité dans le Calme, mais quand je sortirai, ils seront toujours là. Je ne peux pas l’éviter.
Je m’approche et je regarde dans la poche du plus gros pour voir à qui j’ai affaire. D’après ses papiers, il s’agit de Nick Shifer de la sécurité. Alors j’avais raison, c’est bien un videur. Je trouve son permis de conduire et une petite photo de famille. J’étudie les deux, au cas où j’en aurais besoin plus tard.
Je me concentre ensuite sur la poche près de laquelle traîne sa main. On dirait bien que j’avais encore raison : il a un pistolet. Si je prenais ce pistolet et que je tirais sur Nick à bout portant, il aurait une blessure sanglante et il tomberait probablement à cause de l’impact. Mais il ne crierait pas et il ne se tiendrait pas la poitrine. Et quand je sortirais du Calme, il serait de nouveau entier et sans aucune trace. Ce serait comme si rien n’était arrivé.
Ne me demandez pas comment je sais ce qu’il se passe quand je tire sur quelqu’un dans le Calme. Ou lorsque je le poignarde, ou le frappe avec une batte de baseball. Ou encore, le cogne avec un club de golf ou lui donne un coup dans les couilles. Ou que je fais tomber des briques sur sa tête — ou une télé. La seule chose que je peux dire, c’est que je peux confirmer sans le moindre doute que dans une grande variété d’expériences cruelles et inhabituelles, les sujets finissent toujours par être indemnes une fois que je sors du Calme.
Bon, assez de souvenirs. J’ai un problème à régler et je dois faire attention à cause des pistolets et tout.
Je tape mon corps figé sur l’arrière de la tête pour sortir du Calme.
Le monde se remet en mouvement et je suis de retour avec les videurs. J’essaie d’avoir l’air calme, comme si je n’avais pas couru comme un fou pour chercher cette fille, qui qu’elle soit, parce que pour eux, rien de tout cela ne s’est produit.
— D’accord, Nick, je serai ravi de t’accompagner pour résoudre ce malentendu, dis-je d’un ton obéissant.
Nick écarquille les yeux en entendant son prénom.
— Comment me connaissez-vous ?
— T’as lu le dossier, Nick, dit son partenaire plus mince, manifestement pas impressionné. Le gosse est très malin.
Le dossier ? De quoi parle-t-il ? Je ne suis encore jamais allé dans ce casino. Oh, et j’adorerais savoir comment le fait d’être malin pourrait aider quelqu’un à connaître le nom d’un inconnu en un instant. Les gens disent toujours ce genre de choses sur moi, même si cela n’a aucun sens. J’hésite à déphaser pour apprendre le nom du deuxième type, mais je décide de ne pas le faire. Ce serait exagéré. Je décide plutôt de surnommer le maigre Buffle.
— Suis-moi en silence, s’il te plaît, dit Buffle.
Il fait un pas sur le côté de façon à pouvoir marcher derrière moi. Nick marche devant en marmonnant qu’il est impossible que je connaisse son nom, peu importe mon intelligence. Il est clairement moins bête que Buffle. Je me demande comment il réagirait si je lui disais où il vit et qu’il a deux enfants. Se mettrait-il à me vouer un culte, ou me tirerait-il dessus ?
En traversant le casino, je me dis que le fait de savoir des choses que je n’aurais pas dû m’a bien servi toutes ces années. C’est un peu mon truc, et ça m’a mené loin dans la vie. Bien sûr, il est possible que le fait que je sache des choses que je ne devrais pas savoir explique qu’ils aient un dossier sur moi. Les casinos ont peut-être des fichiers sur les gens qui ont tendance à déjouer les pronostics.
Quand nous arrivons dans le bureau — une pièce de taille modeste remplie de moniteurs surveillant différents endroits du casino — la première question de Buffle confirme cette théorie.
— Tu sais combien d’argent tu as gagné aujourd’hui ? demande-t-il en me regardant méchamment.
Je décide de faire l’ignorant.
— Je n’en suis pas sûr.
— Tu es une véritable anomalie statistique, me dit Nick, clairement fier de connaître de si grands mots. Je veux te montrer quelque chose.
Il prend une télécommande sur le bureau couvert de dossiers. Nick appuie sur un bouton et un des écrans me montre jouant au blackjack. En le regardant, je me rends compte que j’ai gagné trop souvent.
En fait, j’ai gagné presque chaque fois.
Merde. Je n’aurais pas dû être aussi visible. Je ne pensais pas être surveillé de si près, mais c’était stupide de ma part. J’aurais dû perdre exprès quelques fois pour ne pas me faire remarquer.
— Tu comptes manifestement les cartes, déclara Nick en me jetant un regard dur. Il n’y a pas d’autre explication.
Il y en a bien une en réalité, mais je ne vais pas la lui donner.
— Avec huit decks ? dis-je en rendant ma voix aussi incrédule que possible.
Nick prend un dossier sur le bureau et il le feuillette.
— Darren Wang Goldberg, diplômé de Harvard avec un MBA et un diplôme de droit à dix-huit ans. Des notes presque parfaites à tous les autres examens, SAT, LSAT, GMAT, et GRE. CFA, CPA, et encore quelques acronymes de plus.
Nick glousse comme si ce dernier élément l’amuse, puis son visage se durcit quand il poursuit.
— La liste continue. S’il y a bien quelqu’un qui peut le faire, c’est toi.
J’inspire profondément en essayant de contenir mon irritation.
— Puisque vous êtes si impressionnés par mes notes, vous devriez me croire quand je vous dis que personne ne peut compter les cartes lorsqu'il y a huit decks.
Je ne sais pas du tout si c’est vrai, mais je sais que les casinos essaient de mettre toutes les chances de leur côté depuis des lustres, et que même un génie des mathématiques ne pourrait pas compter huit decks.
Comme s’il lisait dans mon esprit, Buffle dit :
— Ouais, eh bien, même si tu ne peux pas le faire tout seul, il se pourrait que tu y arrives avec des partenaires.
Des partenaires ? Où étaient-ils allés pêcher cette idée ?
En réponse à mon visage inexpressif, Nick appuie de nouveau sur la télécommande et je vois un nouvel enregistrement. Cette fois-ci, il montre la fille : elle gagne à la table de blackjack, puis elle fait un certain nombre de tables de poker. Et je pourrais même ajouter qu’elle gagne une quantité impressionnante de jetons.
— Une autre anomalie statistique, dit Nick en me regardant avec attention. Une amie à toi ?
Il a dû travailler en tant que détective privé avant, vu comme il est doué pour les interrogatoires. Je suppose que le fait que j’ai poursuivi la fille dans le casino a dû les faire réagir. Toutefois, ma réaction n’était certainement pas liée à ce qu’il pense.
— Non, dis-je sincèrement. Je ne l’ai encore jamais vue de ma vie.
Le visage de Nick se tord de colère.
— Vous venez de jouer à la même table de poker, dit-il d’une voix de plus en plus forte. Puis vous vous êtes tous les deux mis à courir au moment où nous nous approchions de vous. Je suppose que ce n’est qu’une coïncidence, hein ? Vous avez un complice à l’intérieur ? Qui d’autre est au courant ?
Il hurle à présent et il postillonne dans tous les sens.
Cet interrogatoire serré m’angoisse et je déphase dans le Calme pour me donner un peu de temps de réflexion.
Contrairement à ce que pense Nick, la fille et moi nous ne sommes pas du tout partenaires. Mais il est évident qu’elle était là pour faire la même chose que moi, car les vidéos la montrent clairement en train de gagner plusieurs fois. Cela signifie que je n’ai pas halluciné et qu’elle était bien dans le Calme, d’une façon ou d’une autre. Elle sait faire la même chose que moi. Mon cœur bat plus vite quand je me rends à nouveau compte que je ne suis pas le seul. Cette fille est comme moi, ce qui signifie que je dois vraiment la retrouver.
Je suis mon intuition et je m’approche de la table où je prends le dossier le plus épais.
C’est alors que je gagne le plus gros jackpot de la soirée.
Dans le dossier, il y a sa photo. Son vrai nom, d’après le dossier, est Mira Tsiolkovsky. Elle vit à Brooklyn, New York.
Je suis surpris par son âge. Elle n’a que dix-huit ans. Je pensais qu’elle en avait environ vingt-cinq, ce qui aurait été parfait pour sortir avec elle. En continuant à fouiller le dossier qu’ils ont constitué sur elle, je trouve la raison pour laquelle j’ai été trompé sur son âge : elle essaie de se donner l’air plus âgé pour pouvoir entrer dans les casinos. Le dossier cite une liste de ses alias, qui sont tous bannis des casinos. Toutes ses fausses identités ont entre vingt-et-un et vingt-cinq ans.
D’après le dossier, elle triche de façon professionnelle. Un paragraphe explique qu’elle le fait à la fois dans les casinos et dans les maisons de jeu clandestines. Des endroits qui semblent dangereux, liés au grand banditisme.
Elle paraît téméraire. Moi, au contraire, je suis tout sauf téméraire. Je me sers de mon étrange capacité pour faire de l’argent dans la finance, ce qui est beaucoup plus sûr que ce que fait Mira. Sans mentionner que l’argent que je rapporte par des voies légitimes rend le risque de tricher dans les casinos bien trop peu intéressants — en particulier au vu de ce que j’apprends aujourd’hui. Apparemment, les casinos ne restent pas sans rien faire pendant qu’on prend leur argent. Ils commencent des dossiers sur vous s’ils pensent que vous pourriez tricher chez eux, et ils vous mettent sur la liste noire si vous avez trop de chance. Cela semble injuste, mais je suppose que c’est logique d’un point de vue commercial.
Je me reconcentre sur le dossier et j’y trouve peu d’informations personnelles en dehors de son nom et de son adresse. Il n’y a que des noms de casinos, des jeux et des sommes qu’elle a gagnées sous des noms différents, avec des photos d’elle. Elle est douée pour changer son apparence : toutes les images montrent des femmes qui ont l’air très différentes les unes des autres. C’est impressionnant.
Ayant mémorisé le dossier de Mira autant que possible, je me dirige vers Nick et je lui prends mon fichier des mains.
Je suis soulagé de voir qu’il n’y a pas grand-chose dedans. Ils ont mon nom et mon adresse, qu’ils ont dû obtenir quand j’ai utilisé ma carte de crédit pour payer les boissons. Ils savent que je travaille dans les fonds spéculatifs et que je n’ai jamais eu de soucis avec la loi : ce sont des choses que l’on peut facilement trouver sur internet. Pareil pour Harvard et mes autres diplômes. Ils ont probablement fait une recherche sur Google une fois qu’ils connaissaient mon nom.
Je me sens mieux en lisant ce dossier. Ils ne m’ont pas découvert. Ils m’ont probablement juste vu gagner trop souvent et ils ont décidé de prendre le problème à la racine. La meilleure chose qu’il me reste à faire c’est de les apaiser pour pouvoir rentrer à la maison et digérer tout ceci. Plus besoin de fouiller tout l’hôtel. J’ai largement assez d’informations sur Mira maintenant et mon ami Bert peut m’aider à compléter le reste du puzzle.
Ayant pris une décision, je retourne vers mon corps. Mon visage figé a l’air effrayé, mais je n’ai plus peur parce que j’ai un plan.
J’inspire profondément puis je touche mon front et je sors du Calme.
Nick est toujours en train de me hurler dessus, alors je lui dis poliment :
— Monsieur, je m’excuse, mais je ne sais pas de quoi ou de qui vous parlez. J’ai eu de la chance, oui, mais je n’ai pas triché.
Ma voix tremblote à cette dernière phrase. Peut-être que je surjoue, mais je veux être convaincant en tant que jeune homme effrayé.
— Je suis disposé à laisser l’argent et à ne plus jamais remettre les pieds dans ce casino.
— Tu vas laisser l’argent et tu ne remettras plus jamais les pieds dans cette ville, corrige Buffle.
— Très bien, d’accord. J’étais juste là pour m’amuser, dis-je d’une voix plus assurée, mais toujours respectueuse, comme si j’étais impressionné par leur autorité. Je viens d’avoir vingt et un ans et c’est le week-end de la fête du Travail, alors je suis venu jouer de l’argent pour la première fois, dis-je en pensant que cela devrait apporter un air de sincérité parce que c’est la vérité. Je travaille pour un fonds spéculatif, je n’ai pas besoin de tricher pour gagner de l’argent.
Nick a un rire sarcastique.
— Mais bien sûr. Les gars comme toi trichent parce que vous aimez vous sentir plus intelligents que les autres.
Malgré son mépris évident, je ne réponds pas. Toutes les remarques que je forme dans ma tête sont mesquines et méchantes. Je continue à ramper devant eux en disant que je ne sais rien et en devenant progressivement de plus en plus poli. Ils me posent des questions incessantes sur Mira, ils veulent savoir comment je triche, mais je nie tout. La conversation tourne en rond pendant un moment. Je vois que cela les fatigue autant que moi, peut-être même plus.
Je vois une ouverture et je m’engouffre dans la brèche :
— Je dois savoir combien de temps vous allez encore me détenir ici, monsieur, dis-je à Nick, pour pouvoir prévenir ma famille.
Le sous-entendu est que des gens vont se demander où je suis si je ne réapparais pas bientôt. Et mon utilisation subtile du mot ‘détenu’ leur rappelle leur position vis-à-vis de la loi.
Nick fronce les sourcils, mais n’a pas l’air enclin à céder.
— Tu pourras partir dès que tu nous auras dit quelque chose d’utile, dit-il avec entêtement.
Il n’y a toutefois pas beaucoup de conviction dans sa voix et je sais que ma question a atteint son objectif. Il essaie juste de sauver la face.
Il continue obstinément son interrogatoire, il me repose les mêmes questions auxquelles je donne les mêmes réponses. Au bout de quelques minutes, Buffle lui touche l’épaule. Ils échangent un regard.
— Attends ici, dit Buffle. Ils sortent, probablement pour discuter sans que je puisse les entendre.
J’aimerais écouter, mais malheureusement ce n’est pas possible avec le Calme. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai. Si j’apprenais à lire sur les lèvres et que je déphasais, puis revenais en phase avec la réalité en alternant très vite les deux états, je pourrais comprendre une partie de leur conversation en regardant leurs visages figés chaque fois. Mais ce serait un procédé très long et ennuyeux. Et puis je n’ai pas besoin de le faire. Je peux utiliser la logique pour déduire en gros ce qu’ils sont en train de dire. Je pense que c’est quelque chose de ce genre :
— Le gosse est trop malin pour nous. On devrait le laisser partir, trouver des beignets et passer dans une boîte de striptease.
Ils reviennent au bout de quelques minutes et Buffle me dit :
— On va te laisser partir, mais on ne veut pas te revoir — toi ou ta copine — ici.
Nick n’a pas l’air ravi de devoir abandonner son interrogatoire sans avoir eu les réponses qu’il voulait, mais il ne fait pas d’objection.
Je dissimule un soupir de soulagement. Je pensais presque qu’ils allaient me tabasser ou quelque chose dans ce style. Je n’aurais pas aimé, mais ça ne m’aurait pas surpris. D’ailleurs, je l’aurais mérité, puisque j’avais triché. Mais ils n’avaient aucune preuve. Et ils pensent sans doute que je suis assez malin pour leur créer des problèmes légaux — surtout avec mon diplôme de droit.
Bien sûr, il est aussi possible qu’ils en sachent plus sur moi que ce qui est écrit dans le dossier. Ils ont peut-être trouvé des informations sur mes mamans. Ah ouais, je vous ai dit que j’avais deux mamans ? Croyez-moi, je sais que ça a l’air bizarre. Et je préfère prévenir que je ne veux pas entendre une seule blague sur le sujet. J’en ai eu assez à l’école. Même à la faculté, les gens me lançaient des vannes. En général, je faisais en sorte qu’ils le regrettent, bien sûr.
Quoi qu’il en soit, Lucy, qui est ma mère adoptive — mais qui est la meilleure maman au monde — est une détective tenace. Si ces débiles posent la main sur moi, elle les retrouverait sûrement et elle leur taperait personnellement sur le cul avec une batte de baseball. Elle a une équipe sous ses ordres et ils s’en mêleraient probablement aussi. Et Sara, ma mère biologique — qui est en général très pacifique — ne l’arrêterait pas. Pas dans ce cas précis.
Nick et Buffle sont silencieux en me faisant sortir de leur bureau et traverser le casino jusqu’à la zone d’attente des taxis à l’extérieur.
— Si jamais tu reviens ici, me dit Nick pendant que je monte à bord d’un taxi libre, je te casserai quelque chose. Personnellement.
Je hoche la tête et je ferme vite la portière. Il n’avait qu’à le demander. Finalement, Atlantic City, ce n’était pas si sympa.
Je suis convaincu que je ne voudrais jamais revenir.
3
Je commence le mardi matin suivant la Journée de travail comme un zombie. Je n’arrivais pas à dormir après les événements au casino, mais je ne peux pas rater le travail aujourd’hui. J’ai rendez-vous avec Bill.
Bill est mon patron, et personne ne l’appelle jamais comme ça — sauf moi, dans mes pensées. Il s’appelle William Pierce. De Pierce Capital Management. Même sa femme l’appelle William, je l’ai déjà entendue. La plupart l’appellent M. Pierce, parce qu’ils sont gênés de s’adresser à lui par son prénom. Alors oui, Bill est une des rares personnes que je prends au sérieux. Même si, dans ce cas précis, je préfèrerais faire la sieste plutôt que de le voir.
J’aimerais que ce soit possible de dormir dans le Calme. Tout serait réglé. Je déphaserais et puis je dormirais sous mon bureau sans que personne le remarque.
Après ma première tasse de café, mes pensées redeviennent un peu plus claires. Je suis dans mon box. Il est huit heures du matin. Si vous trouvez ça tôt, vous avez tort. J’étais le dernier à arriver au bureau dans ma partie de l’étage. Mais ce que les autres pensent de mon retard ne m’intéresse pas. J’ai déjà du mal à fonctionner comme ça.
Malgré mes réussites au travail, je n’ai pas mon propre bureau. Bill est le seul à en avoir un dans l’entreprise. Ce serait bien d’avoir un peu d’intimité pour se relâcher un peu, mais sinon je suis content de mon box. Tant que je peux travailler sur le terrain ou à la maison la plupart du temps et tant que je suis payé autant que les gens qui ont normalement un bureau à eux, ça ne me gêne pas de travailler dans un box.
Mon ordinateur est allumé et je regarde la liste des collègues sur la messagerie instantanée de l’entreprise. Aha ! Je vois Bert se connecter. C’est vraiment tôt pour lui. Parce que c’est notre meilleur hacker, il peut arriver quand il veut et il le sait. Comme moi, il se moque de ce que pensent tous les autres. En fait, il s’en fiche probablement plus que moi et il arrive donc encore plus tard. J’avais pensé discuter avec lui après mon rendez-vous avec Bill, mais puisqu’il est déjà là, autant que j’en profite.
— Passe me voir. Besoin de tes talents.
— BRT,