Sex in the Cities Vol 3 (Paris)
Par Hans-Jürgen Döpp
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À propos de ce livre électronique
L’auteur, avec liberté, adopte la démarche d’André Malraux, en construisant un musée
imaginaire, dans ce Paris intemporel, où le temps est révolu, l’espace infini et le désir toujours présent.
L’iconographie est exceptionnelle, elle provient de collections privées, jamais publiées, et couvre cinq siècles de l’histoire coquine de Paris, accompagnée d’un texte universitaire qui permet au lecteur de pénétrer dans un monde jamais vulgaire, toujours subtil, celui sans fin depuis que le premier homme regarda la première femme : l’érotisme.
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Avis sur Sex in the Cities Vol 3 (Paris)
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Aperçu du livre
Sex in the Cities Vol 3 (Paris) - Hans-Jürgen Döpp
Livre Guide secret pour
étrangers et viveurs, 1910. Couverture.
Introduction
Paris, ville de l’amour ?
Le monde entier considère Paris comme la « ville de l’amour et de l’érotisme ». La plus belle lune de miel reste un voyage à Paris. Les couples d’amoureux ne sont pas les seuls à être attirés par cette fière cité : le touriste, en quête de cette atmosphère d’amour, poursuit lui aussi ses fantasmes à Paris. Une blague vulgaire exprime cette idée : « Un homme confie à un ami : « Je vais à Paris ! ». « Saligaud ! », rétorque celui-ci. Celui qui part en voyage rectifie : « Non, je n’y vais pas seul ! Je pars avec ma femme ! », « Ah, pauvre imbécile ! », répond alors son ami. »
Qu’attend-on de Paris, que l’on ne puisse trouver dans d’autres villes ? En quoi son histoire est-elle particulière au point d’avoir donné naissance à ce mythe ? Pierre Louÿs remarquait en 1896 dans la préface de son roman Aphrodite :
« Il semble que le génie des peuples, comme celui des individus, soit d’être, avant tout, sensuel. Toutes les villes qui ont régné sur le monde, Babylone, Alexandrie, Athènes, Rome, Venise, Paris, ont été, par une loi générale, aussi licencieuses qu’elles étaient puissantes, comme si leur dissolution était nécessaire à leur splendeur. Les cités où le législateur a prétendu implanter une vertu artificielle, étroite et improductive, se sont vues, dès le premier jour, condamnées à la mort totale. »
À l’exception de Paris, l’éclat des autres villes s’est terni. Paris continue de resplendir. Nous allons dérouler le fil de l’histoire de la sensualité pour expliquer quelles expériences du passé ont contribué à forger l’image de Paris comme ville la plus immorale. Ces expériences historiques ont aussi laissé leurs traces dans l’histoire de la littérature et de l’art érotiques. Ce domaine ne doit pas être séparé de celui de la sensualité. L’histoire culturelle se révèle par des objets de collection qui ont la valeur de pièce de musée.
De même, les observations et les jugements d’étrangers visitant Paris nous seront toujours d’un grand recours. Ces voyageurs ont contribué à propager la réputation de Paris dans le vaste monde et ont ainsi participé à la naissance du mythe de Paris et ce, à double titre : souvent ils ne se sont pas contentés de regarder, mais ont été des observateurs actifs, en quête de plaisirs qu’ils ne trouvaient pas chez eux. Ainsi, la réputation d’un « Paris immoral » est aussi en partie le résultat d’une self-fulfilling prophecy : en s’autorisant à y réaliser leurs fantasmes de luxure, ils pouvaient, une fois rentrés chez eux au coin du feu, facilement les juger comme impudiques et rétablir ainsi en leur for intérieur l’« équilibre moral ».
Le mythe érotique de Paris est alimenté par deux sources : d’un côté le développement réel de l’histoire des mœurs, dont nous tenterons d’esquisser les points essentiels, et d’un autre côté par les fantasmes que l’on projette sur Paris, en particulier depuis le XIXe siècle. Ce mythe est un mélange de fantasme et de réalité. Celui qui le saisit vraiment trouvera dans ce mythe une contribution éclairée au bonheur des sens. Paris n’est pas une ville pour les moralistes.
Carte postale érotique
Curiosités Parisiennes – Arc de Triomphe, 1904.
Carte postale érotique
Curiosités Parisiennes, No 19 – La Bastille, 1904.
Carte postale érotique
Curiosités Parisiennes, No 21 – La Grande Roue, 1904.
Carte postale érotique
Curiosités Parisiennes – Place Vendôme, 1904.
Lithographie en couleur, vers 1940.
La Parisienne - une chimère ?
« La Parisienne est sans conteste la maîtresse de la ville, c’est à elle que Paris doit tout son pouvoir d’attraction, hier comme aujourd’hui. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller aux courses ou dans le Bois, sur l’avenue des Champs-Élysées ou la rue de la Paix, de flâner sur les boulevards ou de parcourir les quartiers ouvriers. Dans toutes ses apparitions, la Parisienne est un régal pour les yeux et son influence s’exerce sur tout ce qui l’entoure. Le regard de l’étranger à Paris est confronté à un fait surprenant : presque rien ne différencie la femme riche, de la petite bourgeoise, de l’employée ou de l’ouvrière dans leur manière de se vêtir. Tandis que dans toutes les autres villes du monde, un seul coup d’œil suffit le plus souvent à deviner la condition et les moyens d’une passante, à Paris, ceci est particulièrement malaisé. Même la femme ou la fille du peuple est élégante, vêtue avec goût et toujours selon la dernière mode. Le moyen d’y parvenir demeure leur secret. »
C’est par ces paroles que Pierre La Mazière entame son essai sur La Parisienne et son monde. En effet, quelles sont ses caractéristiques ? En quoi consiste ce quelque chose qui lui est propre et fait son charme particulier ?« Ce sont sa sensibilité et sa légèreté, son humour et sa grâce, son goût et son sens de la nuance et tout particulièrement son aptitude à transformer son corps, son visage et toute sa personne en œuvre d’art, et à porter comme aucune autre femme au monde, précisément ce qui lui convient », répond La Mazière.« Sa supériorité, son génie, c’est le plus beau présent que lui a fait le ciel ! » L’élégance de sa mode fait toujours référence.
Par-dessus tout, la Parisienne est une œuvre d’art, un artefact qui naît dans les esprits de ceux qui désirent ardemment la rencontrer. En elle se concrétise l’essence féminine (fétiche) : « À tous les degrés de l’échelle sociale, la femme de Paris est cent fois plus femme que dans aucune autre cité de l’univers », déclare Octave Uzanne dans son étude Parisiennes de ce temps (Paris, 1910).
« On a plus écrit de pensées, de paradoxes, d’aphorismes, de dissertations, de physiologies, de petits et de gros volumes sur la Parisienne qu’on en fera jamais sur aucune autre femme, poursuit Uzanne. Grâce à la Parisienne, la rue devient, pour tout artiste et tout amoureux, le féerique Éden des désirs subis, des admirations foudroyantes, des aventures étranges. L’homme qui sait y muser lentement et avec amour s’y retrempe à tout âge, rien qu’en regardant, admirant, flairant et écoutant au passage ces jolies promeneuses à l’œil gai, au minois chiffonné. Son esprit amoureux chante d’éternelles aubades à toutes ces créatures d’Ève qu’il ne connaîtra peut-être jamais ; ses sens y demeurent en éveil bien au-delà du couvre-feu et des crépuscules de l’âge. »
Comme Vénus née de l’écume, la Parisienne est le produit de l’esprit du visiteur de Paris. En servant de miroir à ses désirs inassouvis, elle permet de faire une rencontre avec ses propres souhaits. Même s’il ne la connaîtra peut-être jamais, elle existe en lui comme un fantasme stimulant. Uzanne cite Bonaparte : « Une belle femme plaît aux yeux, une femme gaie plaît à l’esprit, une bonne femme plaît au cœur ». Et il poursuit :
« Le plus souvent, la Parisienne, quoi qu’on en dise, réunit ces trois qualités maîtresses. Sa beauté, ou pour mieux dire sa gentillesse, a suffisamment de piquant pour mettre en appétit d’amour ; sa gaieté vibrante, rarement vulgaire et toujours pittoresque, reste comme la fleur et le parfum de notre santé morale ; sa bonté naturelle, profonde, désintéressée, affecte tous les dévouements câlins, tous les héroïsmes, toutes les servitudes sublimes. »
Jean-Baptiste Huet, vers 1780. Gravure à la sanguine.
Jean-Baptiste Huet, vers 1780. Gravure à la sanguine.
Plus que toute autre femme, la chimère de la Parisienne incarne une trinité impossible : elle est mère, putain et maîtresse en une seule personne. Un écrivain étranger a dit de la Parisienne :
« C’est une adorable maîtresse, une épouse parfois impossible et une amie souvent parfaite. Maîtresse adorable, c’est là sa vraie suprématie, car, à quelque rang qu’elle appartienne, elle possède le registre musical de la femme amoureuse ; elle est chatte par les câlineries et les fantaisies enfantines, par les brusques traîtrises, les subites sorties de griffes et les bouderies auprès de l’âtre. Ses caprices, ses fringances, ses lubies réservés à tous ceux qui s’attachent à sa possession et restent indifférents à son cœur en font un être de luxe que seul le maître élu, le cavalier dompteur, l’aimé, pourra conduire, dominer et béatifier à son gré. »
Uzanne esquisse les contours d’un être narcissique qui, tout en étant le produit d’un fantasme, est aussi une création collective. La Parisienne flatte la vanité. Le voyageur de Paris qui rencontre dans cet être fantasmagorique ses désirs érotiques et ses vices est partout traqué par son inconscient - sous les traits d’une putain. L’inconscient est vagabond et polymorphe ! Il suscite tant d’agitation chez le visiteur parisien que l’expression de son regard frise la paranoïa :
« À Paris, la prostitution clandestine se manifeste partout, constate-il. Elle enveloppe l’homme dans tous ses actes et toutes ses fonctions ; à l’hôtel, au restaurant, dans les boutiques ou dans les magasins, dans les bureaux d’omnibus, dans les musées du Louvre ou du Luxembourg où elle se présente sous la protection d’un Baedeker, prête à guider les étrangers. On peut la voir dans certains mondes, même officiels, où elle apparaît discrète, voilée, presque impénétrable […]. Elle a toutes les souplesses, emprunte tous les déguisements, se démasque lentement et ne se livre qu’à bon escient, lorsque l’heure est opportune. D’autres ‘clandestines’ fréquentent les expositions de peinture, le Tattersall, Drouot, les salles de conférences, les cabinets de lecture du Bon Marché et du Louvre, la Bibliothèque nationale. Elles y guettent des hommes sérieux et affectent elles-mêmes de s’intéresser aux beaux-arts, aux sports, à la littérature et à toutes les choses intellectuelles. Ce sont souvent les plus intelligentes, celles qui ont le plus d’acquis et qui défrayent le mieux la conversation. »
Inconsciemment, Uzanne recourt à une belle métaphore qui révèle à quel point elle est stigmatisée par les fantasmes de prostitution : il désigne les femmes comme de la monnaie vivante. À la femme vue comme une œuvre d’art - à vendre - s’oppose l’image de l’« artificialité » de la putain. Transfiguration et désillusion se complètent.