Antoni Gaudí
Par Jeremy Roe
4.5/5
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À propos de ce livre électronique
Il laissa dans ses carnets de nombreuses réflexions à propos de son art telles que : « La couleur dans l’architecture doit être intense, logique et fertile. » Appuyée par de nombreuses photographies et de nombreux détails architecturaux, l’étude que mène l’auteur, Jeremy Roe, permet une approche du contexte de l’art barcelonais et introduit une minutieuse étude critique des constructions, objets et écrits du plus célèbre architecte barcelonais.
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Avis sur Antoni Gaudí
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Aperçu du livre
Antoni Gaudí - Jeremy Roe
illustrations
1. Parc Güell, mosaïque du banc, en trencadís.
Prologue
Pour comprendre la véritable portée de l’architecture de Gaudí, il est indispensable de tenir compte des différents facteurs qui ont influencé sa pensée. Qu’il s’agisse de sa famille, de son enfance, de son lieu de naissance ou de scolarisation, du contexte historique de la Catalogne et de l’Espagne de son temps, de ses amis et relations, ce sont tous des éléments constitutifs de l’architecture extraordinaire et très singulière d’Antoni Gaudí i Cornet. Cependant, sa personnalité demeure insaisissable et ce pour diverses raisons. Tout d’abord, la nature timide et solitaire de Gaudí fait qu’il n’existe pratiquement aucun document original qui pourrait témoigner de son apparence. Il veillait étroitement à son intimité et il s’agit là d’un sancta sanctorum dans lequel l’historien doit se garder de pénétrer, à la fois par respect et parce qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour tirer des conclusions définitives.
D’où les nombreuses légendes qui entourent Gaudí – des affabulations dépourvues de valeur historique malgré l’attrait qu’elles exercent sur le public, toujours avide de détails sur la vie intime des grands hommes, qu’ils soient véridiques ou non. L’ascendance familiale de Gaudí a joué un rôle extrêmement important, car la nature même du métier qu’exercèrent son père et ses grands-pères, tant paternel que maternel, est très révélatrice. Plus de cinq générations de Gaudí avaient été artisans chaudronniers, fabriquant les cuves destinées à l’alcool distillé à partir du raisin de Camp de Tarragona.
La dimension spatiale des formes courbes de ces cuves, faites de tôles de cuivre battu, eut une influence considérable sur Gaudí, comme il se plaisait à le reconnaître lui-même, car elles lui apprirent à visualiser les corps dans l’espace plutôt qu’à les projeter géométriquement sur une surface plane. Ces visions de son enfance et de l’atelier de son père, telles un kaléidoscope de formes vivement colorées, brillantes et malléables, de sculptures vivantes, se perpétuèrent dans son architecture. Élevé dans une famille chrétienne d’artisans et d’ouvriers, il fréquenta l’école Pies de Reus, où il reçut un enseignement humaniste et sans préjugés, influençant de façon décisive la formation de son caractère. C’est là qu’il rencontra Eduard Toda Güell, qui fit naître en lui un amour pour le monastère de Poblet et pour l’histoire de la Catalogne en général.
Au milieu du XIXe siècle, la ville de Reus était un foyer d’agitation politique, radicale et républicaine. Bien que Gaudí n’ait jamais ressenti le désir de participer activement à la politique, ni à aucune autre activité si ce n’est sa propre architecture singulière, il est clair qu’il se laissa pénétrer par les puissantes émotions de ceux qui l’entouraient et qu’il s’intéressa profondément aux sérieux problèmes dont souffrait son pays.
Il était étudiant au moment de la dernière guerre carliste, et bien qu’il n’ait jamais dû participer à aucun affrontement, il fut mobilisé pendant toute la durée du conflit. Plus tard, pendant ses études d’architecture à Barcelone, lorsqu’il manifesta son intérêt pour les préoccupations des classes laborieuses en participant à la conception de La Obrera Mataronense, la première coopérative d’Espagne, il mit en pratique certaines idées qui avaient germé en lui pendant sa scolarité à Reus.
Reus et le village voisin de Riudoms, où il passa de nombreux étés dans une petite maison que possédait son père, influencèrent tous deux Gaudí, non seulement par le caractère de ses habitants, mais aussi par leur climat et le paysage environnant.
D’arides champs de pierres, dotés d’une luminosité singulière, où poussaient la vigne, les amandiers et les noisetiers, les cyprès et les caroubiers, les pins et les oliviers : des terres qui auraient pu être celles du Latium ou du Péloponnèse ; un paysage méditerranéen par excellence, que Gaudí considérait comme l’endroit idéal pour contempler la nature, car le soleil y brille d’une splendeur inhabituelle et vient frapper la terre en formant un angle de 45 degrés, produisant les plus parfaits effets de lumière. La réalité dans toute sa vérité et sa beauté était présente dans les paysages de Camp de Tarragona sous le soleil de la Méditerranée.
Gaudí se considérait lui-même comme un observateur des choses à l’état naturel. Sa prodigieuse imagination reposait uniquement sur sa capacité à assimiler la réalité de la nature, illuminée et présentée de manière exquise par le soleil de cette belle région. Mais nous savons tous que le soleil – y compris celui de Camp de Tarragona – brille pour tout le monde ; pourtant, il ne suggère pas à tous ce qu’il inspirait à Gaudí.
Et ceci nous amène à un deuxième facteur : en effet, le talent d’observateur de Gaudí trouvait son origine dans sa condition d’enfant malade, atteint de rhumatisme articulaire aigu, ce qui l’empêcha de se joindre aux jeux des autres enfants. Isolé et seul, il passait la plupart de son temps à observer la nature, et il réalisa, grâce à la finesse de son intelligence, que parmi le nombre infini de formes présentes dans le monde, certaines conviennent parfaitement à la construction et d’autres à la décoration.
Au même moment, il remarqua que structure et décoration sont concomitantes dans la nature – parmi les plantes, les pierres et les animaux – et que la nature crée des formes qui sont à la fois parfaitement proportionnées et extrêmement belles, reposant essentiellement sur leur caractère fonctionnel.
La partie structurelle d’un arbre et le squelette d’un mammifère ne font rien d’autre que se conformer strictement aux lois de la gravité et donc à celles de la mécanique. Le parfum et la beauté d’une fleur ne sont rien d’autres que des mécanismes destinés à attirer les insectes pour assurer la reproduction de l’espèce. La nature crée des structures somptueusement décorées sans la moindre intention de réaliser des œuvres d’art.
Il nous faut maintenant prendre en considération un autre élément constitutif du caractère de Gaudí. Nous avons expliqué comment le concept de structure a pris forme dans son esprit à partir des formes de cuivre battu que produisait son père dans son atelier. Pourtant Gaudí ne comptait aucun architecte ou maçon parmi ses ancêtres. Ceci signifie qu’il ne portait pas le poids de 3 000 ans de culture architecturale, comme c’est le cas dans la plupart des familles d’architectes.
Bien que l’architecture ait souvent varié au fil de son histoire, et que des styles visiblement très différents aient succédé les uns aux autres, en réalité, des premiers Égyptiens à nos jours, l’architecture des architectes a reposé sur une géométrie simple utilisant des lignes, des figures bidimensionnelles et des polyèdres classiques combinés à des sphères, des ellipses et des cercles. Cette architecture était toujours le fruit de plans – des plans produits grâce à des instruments de base comme le compas et l’équerre, et suivis à la lettre par les maçons de tout temps.
Gaudí, cependant, constata que la nature ne réalisait aucune esquisse préliminaire et ne semblait utiliser aucun de ces instruments pour élaborer ses structures magnifiquement décorées. De plus, la nature, dont le royaume englobe toutes les formes géométriques, n’utilise que rarement les plus simples d’entre elles, ce qui est commun chez les architectes de toutes les époques. Sans aucun parti pris architectural, mais en même temps avec une grande humilité, il estimait qu’il n’y avait rien de plus logique que ce que crée la nature, riche de millions d’années de perfectionnement de ses formes.
Par une profonde réflexion, il tenta de découvrir une géométrie applicable à la construction architectonique et qui, en outre, était habituellement utilisée par la nature chez les plantes et les animaux. Ses recherches couvraient à la fois la géométrie des surfaces et des volumes, mais afin de mieux suivre sa pensée, ces deux domaines seront abordés ici séparément.
C’est un fait bien connu que l’arc, élaboré sur un linteau et composé lui-même de voussoirs, était utilisé dans l’antiquité orientale et par les Étrusques, qui le transmirent aux Romains. Dans l’architecture antique, les arcs étaient en principe semi-circulaires, ou encore segmentaires, elliptiques ou en anse de panier.
Dans la nature, lorsqu’un arc se forme de façon spontanée – sur une montagne érodée par le vent, ou suite à un éboulement rocheux – il n’est jamais semi-circulaire, ni d’aucune autre forme conçue par des architectes avec leur compas.
Les arcs naturels décrivent le plus souvent soit une parabole soit une chaînette. Curieusement, la chaînette, qui suit la courbe formée par une chaîne suspendue librement entre deux points, mais inversée et possédant d’excellentes propriétés mécaniques déjà connues à la fin du XVIIe siècle, n’était que rarement utilisée par les architectes, qui la trouvaient laide, influencés qu’ils étaient par des siècles de tradition architecturale qui les avaient habitués à des formes dessinées au compas.
Gaudí, au contraire, était convaincu que si cet arc était le plus parfait d’un point de vue mécanique et que la nature le produisait spontanément, alors c’est qu’il était le plus beau, car le plus simple et le plus fonctionnel. Simple tant que sa formation était naturelle, mais pas lorsqu’il était conçu à l’aide d’instruments d’architecture.
Dans les étables de la Finca Güell (1884), la cascade du jardin de la Casa Vicens (1883), dans la salle de blanchiment de La Obrera Mataronense (1883), Gaudí utilisa ce type d’arc avec une grande confiance et une suprême élégance, et continua à y recourir dans ses édifices les plus modernes comme Bellesguard (1900), la Casa Batlló (1904) et La Pedrera (1906). Concernant la géométrie des volumes, il remarqua la fréquence dans la nature de courbes gauches – c’est-à-dire de surfaces courbes engendrées exclusivement par des lignes droites. Toutes les formes naturelles de structure fibreuse, telles le jonc, l’os ou les tendons des muscles, produisent, lorsqu’elles sont tordues ou courbées et que leurs fibres demeurent droites, ce que l’on appelle des courbes gauches. Un paquet de bâtons que l’on laisse tomber sur le sol formera ce genre de courbes gauches ; de même, les tentes des Indiens d’Amérique sont constituées de perches couvertes de peau qui forment des courbes gauches.
Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que ces surfaces courbes furent étudiées par la géométrie (principalement par Gaspard Monge), et c’est alors qu’elles se virent attribuer les noms compliqués d’hélicoïdes, de paraboloïdes hyperboliques, d’hyperboloïdes et de conoïdes. Les noms sont ardus, mais les formes géométriques sont très simples à comprendre et à produire.
Le paraboloïde hyperbolique est formé de deux lignes droites, situées sur des plans différents, et d’une troisième ligne qui court le long des deux premières, générant ainsi une figure courbe dans l’espace entièrement constituée de lignes droites. On trouve des paraboloïdes hyperboliques dans les cols de montagne, entre les doigts d’une main, etc. Le wigwam indien auquel il a été fait référence précédemment est un hyperboloïde, de même que le fémur humain.
Les bourgeons sur la tige d’une plante poussent selon un schéma hélicoïdal, de même que l’écorce des eucalyptus. Les formes géométriques engendrées par des lignes droites sont présentes dans tous les règnes de la nature (animal, végétal et minéral) et celles-ci possèdent une structure parfaite.
Gaudí remarqua autre chose. Il existe en Catalogne un procédé de construction très ancien et toujours fréquemment employé qui consiste à superposer de fines briques dont seule la face la plus large est visible (les briques de chaque assise sont posées bout à bout). Ce procédé, utilisant le plâtre, la chaux ou le ciment pour les joints et formant des surfaces d’une ou deux couches d’épaisseur, est utilisé pour les sols, les cloisons ou les murs, et aussi pour les voûtes, qui sont des surfaces courbes dans l’espace et que l’on nomme en catalan voltes de maó de pla. Pour les construire, les maçons utilisent généralement des lattes de bois souples, bien que parfois ils se contentent de deux règles et d’une corde, et l’on peut en apprécier le résultat dans des cages d’escaliers spacieuses ou des plafonds très élevés.
Gaudí pensait que si l’on se servait de deux règles placées sur des plans différents et que l’on construisait les assises de la voûte en suivant la corde allant d’une règle à l’autre, on obtiendrait un paraboloïde hyperbolique parfait. C’est ainsi qu’il trouva, dans cette méthode de construction catalane traditionnelle, l’opportunité de produire des formes courbes très similaires à celles de la nature, agréables au regard et dotées d’excellentes capacités de portance.
Il obtint les mêmes formes courbes et brillantes que son père produisait en battant le cuivre dans son atelier – sauf que Gaudí utilisait des briques placées en lignes droites, puis les recouvrait de fragments de céramique (trencadís, en Catalan) afin d’obtenir un effet iridescent et brillant. Son architecture fut conçue dans l’atelier du chaudronnier, comme le fruit de ses observations ingénues, mais intelligentes des courbes gauches présentes dans la nature et des voûtes à faible courbure produites grâce à une technique de construction catalane si délicieusement simple. Elle n’a rien en commun avec l’architecture méticuleuse et répétitive de l’histoire, assise sur la géométrie euclidienne.
L’architecture des architectes connut une stagnation lorsque l’on commença à l’étudier dans une perspective historique. L’histoire de l’architecture donna lieu à un historicisme, et les choses se compliquèrent avec le début des études des traités d’architecture. Tout ceci produisit une science de la science, surchargeant l’architecture de théories et de concepts philosophiques qui finirent par l’éloigner toujours plus de la réalité. Gaudí commença à jouer le jeu de l’architecture en partant de zéro ; il changea la géométrie en vigueur en remplaçant les cubes, les sphères et les prismes par des hyperboloïdes, des hélicoïdes et des conoïdes, les ornant d’éléments de la nature tels que les fleurs, l’eau ou les pierres. Il changea la base de l’architecture – la géométrie – modifiant ainsi complètement l’état de l’art. Le résultat fut spectaculaire, mais bien qu’admiré par beaucoup, il fut bien peu compris de la majorité. C’est pourquoi son style architectural a été qualifié de confus, chaotique, surréaliste ou encore dégénéré.
Ceux qui pensent ou disent cela ignorent que l’architecture de Gaudí repose sur la géométrie de la nature et sur des méthodes de construction traditionnelles. Il est clair que Gaudí utilisa des formes que l’on n’avait encore jamais vues dans le bâtiment, et qu’il n’usa jamais deux