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Chronique du regne de Charles IX
Chronique du regne de Charles IX
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Livre électronique272 pages3 heures

Chronique du regne de Charles IX

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À propos de ce livre électronique

A Paris, le protestant Bernard de Mergy retrouve son frere aîné, converti au catholicisme. Décidés a ne pas quereller leurs croyances religieuses, les deux jeunes gens s'accordent de partager les jouissances qu'offre la cour des Médicis, ou les intrigues amoureuses se démelent a force de duels chevaleresques. Mais tandis que le roi Charles IX s'offre le plaisir barbare d'une chasse a cour, gronde le râle sourd et macabre de la Saint-Barthélemy... Répondant a la mode du roman historique, Mérimée tire du massacre politique orchestré par Charles IX et Catherine de Médicis la matiere d'une fiction savoureuse. Violemment ironique, l'auteur peint sous des charmes romanesques l'image monstrueuse d'une France éventrée par la guerre civile pour le seul caprice d'un roi en mal de divertissement.

LangueFrançais
ÉditeurBooklassic
Date de sortie29 juin 2015
ISBN9789635260089
Chronique du regne de Charles IX
Auteur

Prosper Mérimée

Prosper Mérimée, né le 28 septembre 1803 à Paris et décédé le 23 septembre 1870 à Cannes, est un écrivain, historien et archéologue français de renom. Figure emblématique du romantisme, il a marqué la littérature du XIXe siècle par son style précis et son goût pour l'exotisme. Issu d'une famille d'artistes, Mérimée reçoit une éducation classique et développe très tôt un intérêt pour les langues et les cultures étrangères. Il débute sa carrière littéraire en 1825 avec « Théâtre de Clara Gazul », un recueil de pièces qu'il présente comme une traduction de l'espagnol. Mérimée excelle dans l'art de la nouvelle, genre qu'il perfectionne avec des oeuvres comme « Mateo Falcone » (1829), « La Vénus d'Ille » (1837) et bien sûr « Carmen » (1845). Son style, caractérisé par la concision et l'objectivité, influence profondément la littérature réaliste. Parallèlement à sa carrière d'écrivain, Mérimée mène une brillante carrière administrative. Nommé inspecteur général des monuments historiques en 1834, il joue un rôle crucial dans la préservation du patrimoine français. Ses voyages officiels nourrissent son inspiration littéraire et son goût pour l'histoire. Ami de l'impératrice Eugénie, Mérimée fréquente les cercles du pouvoir sous le Second Empire. Érudit polyglotte, il traduit également des auteurs russes, contribuant à faire connaître Pouchkine et Gogol en France. L'oeuvre de Mérimée, alliant rigueur historique et imagination romanesque, continue de fasciner par sa modernité et sa profondeur psychologique.

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    Aperçu du livre

    Chronique du regne de Charles IX - Prosper Mérimée

    978-963-526-008-9

    AVANT PROPOS CHARLES IX

    Saint-Germain-en-Laye (1550) – Vincennes (1574) Roi de France (1560-1574) Il fut le deuxième fils d’Henri II et de Catherine de Médicis.

    Il succéda à son frère François II qui n’avait régné que quelques mois. Il monta sur le trône à un âge encore plus précoce : dix ans. Ce fut bien sûr sa mère qui continua l’exercice du pouvoir. Plus exactement, elle profita de ce changement de souverain pour contrebalancer l’influence des Guise en faisant participer le champion de la cause huguenote, Coligny. Charles IX était tout aussi fragile physiquement et psychologiquement que ses frères. Il était inconstant, tantôt sous l’influence de sa mère, tantôt sous celle de Coligny.

    En 1570, sa mère mit fin à la troisième guerre de religion en lui faisant signer la paix de Saint-Germain qui accordait la liberté de culte aux protestants, ainsi que plusieurs places fortes, dont La Rochelle. Il se lia peu à peu d’amitié avec Coligny qui en profita pour le convaincre de relancer la guerre des Flandres, dans laquelle la France devait porter secours aux protestants contre l’intolérance du pouvoir espagnol. Sa mère, qu’une guerre ouverte avec l’Espagne inquiétait, décida avec l’aide des Guise l’élimination de Coligny. Mais l’attentat rata. Affolée par les conséquences de ce ratage, alors que Paris hébergeait un grand nombre de protestants venus assister au mariage d’Henri de Navarre, Catherine, avec l’aide de son autre fils Henri, convainquit Charles IX de l’élimination de tous les chefs protestants. Ce massacre qui eut lieu lors de la Saint-Barthélémy (24 août 1572) s’emballa avec la participation de tout le peuple et s’étendit à toute la France.

    Tout au long de son règne, il souffrit de la préférence de sa mère pour son frère Henri. Il se réjouit lorsque celui-ci dut partir après son élection au trône de Pologne (1573). Mais, malade, il mourut à la veille de ses 24 ans. Il fut remplacé par son frère Henri, le duc d’Anjou et bref roi de Pologne.

    PRÉFACE

    Je venais de lire un assez grand nombre de mémoires et de pamphlets relatifs à la fin du XVIème siècle. J’ai voulu faire un extrait de mes lectures, et cet extrait, le voici.

    Je n’aime dans l’histoire que les anecdotes, et parmi les anecdotes je préfère celles où j’imagine trouver une peinture vraie des mœurs et des caractères à une époque donnée. Ce goût n’est pas très noble ; mais, je l’avoue à ma honte, je donnerais volontiers Thucydide pour des mémoires authentiques d’Aspasie ou d’un esclave de Périclès ; car les mémoires, qui sont des causeries familières de l’auteur avec son lecteur, fournissent seuls ces portraits de l’homme qui m’amusent et qui m’intéressent. Ce n’est point dans Mézeray, mais dans Montluc, Brantôme, d’Aubigné, Tavannes, La Noue, etc.… que l’on se fait une idée du Français au XVIème siècle. Le style de ces auteurs contemporains en apprend autant que leurs récits.  

    Par exemple, je lis dans l’Estoile cette note concise :

    « La demoiselle de Châteauneuf, l’une des mignonnes du roi avant qu’il n’allât en Pologne, s’étant mariée par amourettes avec Antinotti, Florentin, comité des galères à Marseille, et l’ayant trouvé paillardant, le tua virilement de ses propres mains. »

    Au moyen de cette anecdote et de tant d’autres, dont Brantôme est plein, je refais dans mon esprit un caractère, et je ressuscite une dame de la cour de Henri III.

    Il est curieux, ce me semble, de comparer ces mœurs avec les nôtres, et d’observer dans ces dernières la décadence des passions énergiques au profit de la tranquillité et peut-être du bonheur. Reste la question de savoir si nous valons mieux que nos ancêtres, et il n’est pas aussi facile de la décider ; car, selon les temps, les idées ont beaucoup varié au sujet des mêmes actions.

    C’est ainsi que vers 1500 un assassinat ou un empoisonnement n’inspiraient pas la même horreur qu’ils inspirent aujourd’hui. Un gentilhomme tuait son ennemi en trahison ; il demandait sa grâce, l’obtenait, et reparaissait dans le monde sans que personne pensât à lui faire mauvais visage. Quelquefois même, si le meurtre était l’effet d’une vengeance légitime, on parlait de l’assassin comme on parle aujourd’hui d’un galant homme, lorsque, grièvement offensé par un faquin[1] , il le tue en duel.

    Il me paraît donc évident que les actions des hommes du XVIème siècle ne doivent pas être jugées avec nos idées du XIXème. Ce qui est crime dans un état de civilisation perfectionné n’est que trait d’audace dans un état de civilisation moins avancé, et peut-être est-ce une action louable dans un temps de barbarie. Le jugement qu’il convient de porter de la même action doit, on le sent, varier aussi suivant les pays, car entre un peuple et un peuple il y a autant de différence qu’entre un siècle et un autre siècle[2] .

    Méhémet-Ali, à qui les beys des mameluks disputaient le pouvoir en Égypte, invite un jour les principaux chefs de cette milice à une fête dans l’enceinte de son palais. Eux entrés, les portes se referment. Des Albanais les fusillent à couvert du haut des terrasses, et dès lors Méhémet-Ali règne seul en Égypte.

    Eh bien ! nous traitons avec Méhémet-Ali ; il est même estimé des Européens, et dans tous les journaux il passe pour un grand homme : on dit qu’il est le bienfaiteur de l’Égypte. Cependant, quoi de plus horrible que de faire tuer des gens sans défense ? À la vérité ces sortes de guet-apens sont autorisés par l’usage du pays et par l’impossibilité de sortir d’affaire autrement. C’est alors que s’applique la maxime de Figaro : Ma, per Dio, l’utilità !

    Si un ministre, que je ne nommerai pas, avait trouvé des Albanais disposés à fusiller à son ordre, et si, dans un dîner d’apparat, il eût dépêché les membres marquants du côté gauche, son action eût été dans le fait la même que celle du pacha d’Égypte, et en morale cent fois plus coupable. L’assassinat n’est plus dans nos mœurs. Mais ce ministre destitua beaucoup d’électeurs libéraux, employés obscurs du gouvernement ; il effraya les autres, et obtint ainsi des élections à son goût. Si Méhémet-Ali eût été ministre en France, il n’en eût pas fait davantage ; et sans doute le ministre français en Égypte aurait été obligé d’avoir recours à la fusillade, les destitutions ne pouvant produire assez d’effet sur le moral des mameluks[3] .

    La Saint-Barthélémy fut un grand crime, même pour le temps ; mais, je le répète, un massacre au XVIème siècle n’est point le même crime qu’un massacre au XIXème. Ajoutons que la plus grande partie de la nation y prit part, de fait ou d’assentiment : elle s’arma pour courir sus aux huguenots, qu’elle considérait comme des étrangers et des ennemis.

    La Saint-Barthélémy fut comme une insurrection nationale, semblable à celle des Espagnols en 1809 ; et les bourgeois de Paris, en assassinant des hérétiques, croyaient fermement obéir à la voix du ciel.

    Il n’appartient pas à un faiseur de contes comme moi de donner dans ce volume le précis des événement historiques de l’année 1572 ; mais, puisque j’ai parlé de la Saint-Barthélémy, je ne puis m’empêcher de présenter ici quelques idées qui me sont venues à l’esprit en lisant cette sanglante page de notre histoire.

    A-t-on bien compris les causes qui ont amené ce massacre ? A-t-il été longuement médité, ou bien est-il le résultat d’une détermination soudaine ou même du hasard ?

    À toutes ces questions, aucun historien ne me donne de réponse satisfaisante.

    Ils admettent comme preuves des bruits de ville et de prétendues conversations, qui ont bien peu de poids quand il s’agit de décider un point historique de cette importance.

    Les uns font de Charles IX un prodige de dissimulation ; les autres le représentent comme un bourru, fantasque et impatient. Si, longtemps avant le 24 août, il éclate en menaces contre les protestants… preuve qu’il méditait leur ruine de longue main ; s’il les caresse… preuve qu’il dissimulait.

    Je ne veux citer que certaine histoire qui se trouve rapportée partout, et qui prouve avec quelle légèreté on admet tous les bruits les moins probables.

    Environ un an avant la Saint-Barthélémy, on avait déjà fait, dit-on, un plan de massacre. Voici ce plan : on devait bâtir au Pré-aux-Clercs une tour en bois ; on aurait placé dedans le duc de Guise avec des gentilshommes et des soldats catholiques, et l’Amiral avec les protestants aurait simulé une attaque, comme pour donner au roi le spectacle d’un siège. Cette espèce de tournoi une fois engagé, à un signal convenu, les catholiques auraient chargé leurs armes et tué leurs ennemis, surpris avant qu’ils eussent le temps de se mettre en défense. On ajoute, pour embellir l’histoire, qu’un favori de Charles IX, nommé Lignerolles, aurait indiscrètement dévoilé toute la trame en disant au roi, qui maltraitait de paroles des seigneurs protestants : Ah ! sire, attendez encore. Nous avons un fort qui nous vengera de tous les hérétiques. Notez, s’il vous plaît, que pas une planche de ce fort n’était encore debout. Sur quoi, le roi prit soin de faire assassiner ce babillard. Ce projet était, dit-on, de l’invention du chancelier Birague, à qui l’on prête cependant ce mot, qui annonce des intentions bien différentes : que, pour délivrer le roi de ses ennemis, il ne demandait que quelques cuisiniers. Ce dernier moyen était bien plus praticable que l’autre, que son extravagance rendait à peu près impossible. En effet, comment les soupçons des protestants n’auraient-ils pas été réveillés par les préparatifs de cette petite guerre, où les deux partis, naguère ennemis, auraient été ainsi mis aux prises ? Ensuite, pour avoir bon marché des huguenots, c’était un mauvais moyen que de les réunir en troupe et de les armer. Il est évident que, si l’on eût comploté alors de les faire tous périr, il valait bien mieux les assaillir isolés et désarmés.

    Pour moi, je suis fermement convaincu que le massacre n’a pas été prémédité, et je ne puis concevoir que l’opinion contraire ait été adoptée par des auteurs qui s’accordent en même temps pour représente Catherine comme une femme très méchante, il est vrai, mais comme une des têtes les plus profondément politiques de son siècle.

    Laissons de côté la morale pour un moment, et examinons ce plan prétendu sous le point de vue de l’utilité. Or, je soutiens qu’il n’était pas utile à la cour, et de plus qu’il a été exécuté avec tant de maladresse, qu’il faut supposer que ceux qui l’ont projeté étaient les plus extravagants des hommes.

    Que l’on examine si l’autorité du roi devait gagner ou perdre à cette exécution, et si son intérêt était de la souffrir.

    La France était divisée en trois grands partis : celui des protestants, dont l’Amiral était le chef depuis la mort du prince de Condé ; celui du roi, le plus, faible, et celui des Guises ou des ultra-royalistes du temps.

    Il est évident que le roi, ayant également à craindre des Guises et des protestants, devait chercher à conserver son autorité en tenant ces deux factions aux prises. En écraser une, c’était se mettre à la merci de l’autre.

    Le système de bascule était dès lors assez connu et pratiqué. C’est Louis XI qui a dit : Diviser pour régner.

    Maintenant examinons si Charles IX était dévot ; car une dévotion excessive aurait pu lui suggérer une mesure opposée à ses intérêts. Mais tout annonce au contraire que, s’il n’était pas un esprit fort, il n’était pas non plus un fanatique. D’ailleurs sa mère, qui le dirigeait, n’aurait jamais hésité à sacrifier ses scrupules religieux, si toutefois elle en avait, à son amour pour le pouvoir[4] .

    Mais supposons que Charles ou sa mère, ou, si l’on veut, son gouvernement, eussent, contre toutes les règles de la politique, résolu de détruire les protestants en France, cette résolution une fois prise, il est probable qu’ils auraient médité mûrement les moyens les plus propres à en assurer la réussite. Or ce qui vient d’abord à l’esprit comme le parti le plus sûr, c’est que le massacre ait lieu dans toutes les villes du royaume à la fois, afin que les réformés, attaqués partout par des forces supérieuresLa population de la France était d’à peu près vingt millions d’âmes. On estime que lors des secondes guerres civiles les protestants n’étaient pas plus d’un million cinq cent mille ; mais ils avaient proportionnellement plus de richesses, plus de soldats et plus de généraux. , ne puissent se défendre nulle part. Un seul jour aurait suffi pour les détruire. C’est ainsi qu’Assuerus avait conçu le massacre des Juifs.  

    Cependant nous lisons que les premiers ordres du roi pour massacrer les protestants sont datés du 28 août, c’est-à-dire quatre jours après la Saint-Barthélémy, et lorsque la nouvelle de cette grande boucherie avait dû précéder les dépêches du roi et donner l’alarme à tous ceux de la religion.

    Il eût été surtout nécessaire de s’emparer des places de sûreté des protestants. Tant qu’elles restaient en leur pouvoir, l’autorité royale n’était pas assurée. Ainsi, dans l’hypothèse d’un complot des catholiques, il est manifeste qu’une des plus importantes mesures aurait été de s’emparer de la Rochelle le 24 août, et d’avoir en même temps une armée dans le midi de la France, afin d’empêcher toute réunion des réformés.

    Rien de tout cela ne fut fait.

    Je ne puis admettre que les mêmes hommes aient pu concevoir un crime, dont les suites devaient être si importantes, et l’exécuter si mal. Les mesures furent si mal prises en effet, que, quelques mois après la Saint-Barthélémy, la guerre éclata derechef, que les réformés en eurent certainement toute la gloire, et qu’ils en retirèrent même des avantages nouveaux[5].

    Enfin l’assassinat de Coligny, qui eut lieu deux jours avant la Saint-Barthélémy, n’achève-t-il pas de réfuter la supposition d’un complot ? Pourquoi tuer le chef avant le massacre général ? N’était-ce point le moyen d’effrayer les huguenots et de les obliger à se mettre sur leurs gardes ?

    Je sais que quelques auteurs attribuent au duc de Guise seul l’attentat commis sur la personne de l’amiral ; mais, outre que l’opinion publique accusa le roi de ce crime[6] , et que l’assassin en fut récompensé par le roi, je tirerais encore de ce fait un argument contre la conspiration. En effet, si elle eût existé, le duc de Guise devait nécessairement y prendre part ; et alors pourquoi ne pas retarder de deux jours sa vengeance de famille, afin de la rendre certaine ? pourquoi compromettre ainsi la réussite de toute l’entreprise, seulement sur l’espoir d’avancer de deux jours la mort de son ennemi ?

    Ainsi, tout me paraît prouver que ce grand massacre n’est point la suite d’une conjuration d’un roi contre une partie de son peuple. La Saint-Barthélémy me semble l’effet d’une insurrection populaire qui ne pouvait être prévue, et qui fut improvisée.

    Je vais donner en toute humilité mon explication de l’énigme.

    Coligny avait traité trois fois avec son souverain de puissance à puissance : c’était une raison pour en être haï. Jeanne d’Albret morte, les deux jeunes princes, le roi de Navarre et le prince de Condé, étant trop jeunes pour exercer de l’influence, Coligny était véritablement le seul chef du parti réformé. À sa mort, les deux princes, au milieu du camp ennemi, et pour ainsi dire prisonniers, étaient à la disposition du roi. Ainsi la mort de Coligny, et de Coligny seul, était importante pour assurer la puissance de Charles, qui peut-être n’avait pas oublié un mot du duc d’Albe : Qu’une tête de saumon vaut mieux que dix mille grenouilles.

    Mais, si du même coup le roi se débarrassait de l’amiral et du duc de Guise, il est évident qu’il devenait le maître absolu.

    Voici le parti qu’il dut prendre : ce fut de faire assassiner l’amiral, ou, si l’on veut, d’insinuer cet assassinat au duc de Guise, puis de faire poursuivre ce prince comme meurtrier, annonçant qu’il allait l’abandonner à la vengeance des huguenots. On sait que le duc de Guise, coupable ou non de la tentative de Maurevel, quitta Paris en toute hâte, et que les réformés, en apparence protégés par le roi, se répandirent en menaces contre les princes de la maison de Lorraine.

    Le peuple de Paris était à cette époque horriblement fanatique. Les bourgeois, organisés militairement, formaient une espèce de garde nationale, qui pouvait prendre les armes au premier coup de tocsin. Autant le duc de Guise était chéri des Parisiens pour la mémoire de son père et pour son propre mérite, autant les huguenots, qui deux fois les avaient assiégés, leur étaient odieux. L’espèce de faveur dont ces derniers jouissaient à la cour, au moment où une sœur du roi épousait un prince de leur religion, redoublait leur arrogance et la haine de leurs ennemis. Bref, il suffisait d’un chef qui se mît à la tête de ces fanatiques et qui leur criât : Frappez, pour qu’ils courussent égorger leurs compatriotes hérétiques.

    Le duc, banni de la cour, menacé par le roi et par les protestants, dut chercher un appui auprès du peuple. Il assemble les chefs de la garde bourgeoise, leur parle d’une conspiration des hérétiques, les engage à les exterminer avant qu’elle n’éclate, et alors seulement le massacre est médité. Comme entre le plan et l’exécution il ne se passa que peu d’heures, on explique facilement le mystère dont la conjuration fut accompagnée et le secret si bien gardé par tant d’hommes ; ce qui autrement semblerait bien extraordinaire, car les confidences vont bon train à Paris[7] .

    Il est difficile de déterminer quelle part le roi prit au massacre ; s’il n’approuva pas, il est certain qu’il laissa faire. Après deux jours de meurtres et de violences, il désavoua tout et voulut arrêter le carnage[8] . Mais on avait déchaîné les fureurs du peuple, et il ne s’apaise point pour un peu de sang. Il lui fallut plus de soixante mille victimes. Le monarque fut obligé de se laisser entraîner au torrent qui le dominait. Il révoqua ses ordres de clémence, et bientôt, en donna d’autres pour étendre l’assassinat à toute la France.

    Telle est mon opinion sur la Saint-Barthélémy, et je dirai avec lord Byron en la présentant :

    I only say, suppose this supposition.

    D. Juan, cant. I, st. LXXXV

    1829

    Chapitre 1

    LES REÎTRES

    Non loin d’Étampes, en allant du côté de Paris, on voit encore un grand bâtiment carré, avec des fenêtres en ogive, ornées de quelques sculptures grossières. Au-dessus de la porte est une niche qui contenait autrefois une madone de pierre ; mais dans la révolution elle eut le sort de bien des saints et des saintes, et fut brisée en cérémonie par le président du club révolutionnaire de Larcy. Depuis on a remis à sa place une autre vierge, qui n’est que de plâtre à la vérité, mais qui, au moyen de quelques lambeaux de soie et de quelques grains de verre, représente encore assez bien, et donne un air respectable au cabaret de Claude Giraut.

    Il y a plus de deux siècles, c’est-à-dire en 1572, ce bâtiment était destiné, comme à présent, à recevoir les voyageurs altérés : mais il avait alors une tout autre apparence. Les murs étaient couverts d’inscriptions attestant les fortunes diverses d’une guerre civile. À côté de ces mots : Vive monsieur le prince[9] ! on lisait : Vive le duc de Guise et mort aux huguenots ! Un peu plus loin, un soldat avait dessiné, avec du charbon, une potence et un pendu, et, de peur de méprise, il avait ajouté au bas cette inscription : Gaspard de Châtillon. Cependant il paraissait que les protestants avaient ensuite dominé dans ces parages, car le nom de leur chef avait été biffé et remplacé par celui du duc de Guise. D’autres inscriptions à demi effacées, assez difficiles à lire, et plus encore à traduire en termes décents, prouvaient que le roi et sa mère avaient été aussi peu respectés que ces chefs de parti. Mais c’était la pauvre madone qui semblait avoir eu le plus à souffrir des fureurs civiles et religieuses. La statue, écornée en vingt endroits par des balles, attestait le zèle des soldats huguenots à détruire ce qu’ils appelaient « des images païennes ». Tandis que le dévot catholique ôtait respectueusement son bonnet en passant devant la statue, le

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