DROIT AU BUT
Comment écrire après un million et plus d’ouvrages vendus et quarante traductions ? Comment, après avoir monté à la plume une tour de Babel, une ziggourat à mains nues ? Comment être à la hauteur d’une telle attente ? En renonçant. En renonçant à mettre ses pas dans ses pas. Retourner dans son « Petit pays ». Y être bien. Y être attendu. Non ! le prochain roman ne sera pas. Et on sème des petites graines mauves dans sa tête. Le temps passe. Et sur ce deuil pousse un douceâtre syndrome d’abandon. Une plante à rhizome. Elle envahit de reproches. Devient obsédante. On a laissé un personnage sur le bord d’un chemin de terre ocre. Il vous hante. C’est la tante Eusébie. On a une dette sacrée à son égard. On doit la payer sous peine d’en faire un fantôme obsédant et récriminant. Alors, c’est décidé, on écrira un roman de l’oubli. De tous les oublis. De l’oubli par la mère de raconter son histoire à Milan, le petit héros du roman, qui grandira avec l’histoire, à l’oubli des cendres de la mère, dans cette merveille de scène finale d’aboutissement à lucioles, une pêche au lamparo, où l’on sent physiquement glisser dans la nuit la barque de Charon, où le passeur des morts est l’auteur, que l’on soupçonne d’avoir oublié l’obole, l’urne funéraire, pour obliger le fantôme de sa mère à venir le hanter cent ans. Qui ne souhaiterait un tel oubli ?