ILLIMITÉ
La logeuse
Cela ne faisait pas si longtemps qu’Isabelle Ducourtreix regardait les émissions télévisées de l’après-midi. Et c’était encore pour elle un sujet d’étonnement. Elle s’y était mise après la mort de Jean-Pierre : depuis, elle avait ses après-midi libres. Il fallait bien les meubler d’une manière ou d’une autre. Et si elle lisait, beaucoup, elle se laissait parfois aller à remplir le salon de voix humaines, qu’elle pouvait écouter depuis la cuisine – voire des toilettes, puisqu’elle pouvait désormais laisser la porte ouverte – et qui lui tenaient lieu de compagnie. Les émissions de l’après-midi relevaient à peu près toutes du même genre. Une animatrice, souvent blonde et haut perchée sur ses talons, recevait des gens sur un canapé et leur tendait le micro pour qu’ils racontent leur histoire, le plus souvent sur un thème donné, qui allait du plus trivial – « J’ai essayé l’échangisme et j’ai aimé ça » – au plus tragique – « Ma famille a disparu dans un accident d’avion ». On y employait un vocabulaire assez technique qu’Isabelle ne maîtrisait pas toujours, tel que « optimiser son parcours sexuel », « relations interactives » ou encore, et surtout, l’expression « en mode… » qui semblait lui indiquer qu’elle-même ne l’était plus, à la mode.
Le public derrière eux était pris à témoin de tout ce que la vie peut offrir d’émouvant, de sensationnel, de grotesque, de choquant ou de ridicule. Et il ne se privait pas de manifester ses humeurs et autres points de vue autorisés. Isabelle se demandait comment les personnes venues témoigner pouvaient oser affronter ainsi le regard d’une partie de la population, parfois avec une impudeur qui confinait à l’exhibitionnisme. Même dans l’émission sur le thème de la timidité, les intervenants s’exprimaient avec autant de facilité que n’importe qui. Mieux en tout cas qu’elle ne l’aurait fait. D’autant qu’elle n’avait rien à raconter. En tout cas pas à une blonde peroxydée, devant des millions de téléspectateurs désœuvrés. Sans doute son éducation catholique. Même si de temps en temps il lui arrivait d’envier cette absence
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