LONGFELLOW, Hypérion - Et - Kavanagh
LONGFELLOW, Hypérion - Et - Kavanagh
LONGFELLOW, Hypérion - Et - Kavanagh
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HENRI W. LONGFEL!J)\V
HYPÉRION
KAVANAGH
TOME PREMIKIi
BRUXELLES
INE, CANS ET C", ÉDITEURS
85, BOULEVARD DE WATEBLOO
1860
tous droits réservés
HYPÉRION
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ET
KAVANAGH
Bruxelles. — Typ. deFR. Van Meenen el Comp.. rue de la Putterie, 53.
6Zt fZ.3 O
HYPÉRION
ET
KAYANAGH
PAR m
HENRI W. LONGFELLOW
TOME PREMIER
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BRUXELLES
MELINE, CANS ET C", ÉDITEURS
3B, BOULEVARD DE "WATERLOO
1860
tous nnoiTs réservés.
H. W. LONGFELLOW.
POÈTE AMÉRICAIN.
LE HÉROS.
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HYPÉRION.
peine amère; et jusqu'à l'intimité de ses amis, tout lui était
à charge.
Aussi ne pouvait-il vivre plus longtemps tout seul dans les
lieux où il avait vécu avec elle... Il s'éloigna donc et fran
chit la mer, dans l'espoir que son chagrin se dissiperait en
mettant la mer entre lui et la tombe qui renfermait tout ce
qu'il avait aimé en ce monde... Mais hélas! ce n'est pas la
distance, c'est le temps seul qui dissipe le chagrin.
Il avait passé plusieurs mois çà et là dans des courses
solitaires; et maintenant, il visitait les bords du Rhin, au
midi de l'Allemagne.
Il avait déjà fait précédemment un pareil voyage, dans un
temps plus heureux et dans une meilleure saison; alors
c'était en Mai, au printemps de sa vie et au commencement
des beaux jours !
Il connaissait par cœur toutes les beautés du fleuve; il
savait où gisait chaque rocher, où reposait chaque ruine...
et chaque écho avait frappé son oreille , et chaque légende
restait gravée dans sa mémoire. . »
Aussi les anciens châteaux , enracinés sur les rochers et
n'offrant plus que vétusté et ruine, lui étaient connus et
familiers; ils avaient été les confidents de ses pensées; et
au sifflement du vent dans leurs crevasses, il avait appris
leurs légendes.
Il avait passé une nuit d'insomnie à Rolandsek et en était
parti avant le jour. Auparavant il avait ouvert la fenêtre du
balcon pour entendre les eaux du Rhin murmurer dans
leur lit.
C'était un jour brumeux du mois de Décembre, et le ciel
était parsemé de légers nuages, aux teintes nuancées et dont
les contours, d'un blanc de neige, étaient tachetés de points
d'or que les hommes appellent des étoiles.
Le jour commençait à poindre, et, par suite du singulier
effet produit par le mélange de cette double lumière, entre
nuit et jour, l'île et le cloître de Nonnenwerth ne parais
saient former qu'un large et obscur nuage au-dessus de la
surface argentée du fleuve.
Au-dessus s'élevaient les sommets escarpés du Siebenge-
birg, et Drachenfels, couvert de son bonnet de brouillard, se
tenait debout, grave et noir, comme un moine; derrière lui
s'étendait un rideau de montagnes jusqu'au delà du Wolken-
burg, qui s'élève majestueusement au-dessus des nuages.
Mais Flemming ne prenait aucune part à la scène qui se
déroulait devant ses yeux.
Un profond chagrin, à cette heure solitaire, émouvait
son cœur et. remplissait toute sa pensée. Tout à coup, il se
couvrit le visage de ses mains et il s'écria : Esprit du passé !
ne me regarde pas si tristement avec tes yeux remplis de
larmes! ne me touche pas de ta main glacée! ne souffle pas
sur moi avec la froide haleine de la tombe ! ne chante pas
davantage cette hymne de douleur, pendant ces longues et
silencieuses veilles de la nuit !
Et des voix lugubres et lointaines semblaient lui répon
dre : Treuenfels!... Et il se ressouvint combien d'autres que
lui avaient souffert. . . son triste cœur se gonflait d'amertume !
Cependant le paysage s'éclaircissait peu à peu... un
bateau qui descendait le cours du fleuve vint à passer, et,
déployant ses voiles blanches, il s'élança, comme une hiron
delle, dans l'étroit passage du God's help.
Les mariniers chantajent en chœur... Ce n'était plus le
chant du brave Roland qui avait jadis été entendu de la triste
Hildegonde, alors qu'elle était renfermée dans le cloître qui,
maintenant, à la pâle lueur du jour, apparaissait à travers le
feuillage des tilleuls.
HYPÉRION. H
La tradition de cette vieille époque revint naturellement à
la mémoire de notre voyageur ; car il avait encore sous les
yeux la tour en ruines de Rolandsek, se dressant au-dessus
du couvent de Nonnenwerth , comme si le son de la cloche
funèbre avait changé le fidèle paladin en pierre , et l'avait
planté là comme pour voir l'ombre de sa bien-aimée venir à
lui, non pas du cloître, mais de la tombe.
Le livre des légendes était ouvert à ses yeux , et sur ses
pages illuminées des rayons du soleil levant, il lut de nou
veau les récits de Liba, de la triste fiancée d'Argenfels et de
Siegfried, ce puissant exterminateur du Dragon.
Mais bientôt les brouillards , suspendus sur le Rhin , se
dissipèrent, en s'élevant dans l'espace et en saturant l'air
d'une vapeur dorée, au travers de laquelle le soleil se montra
suspendu dans le ciel, rouge comme du sang.
Vainement la lumière projetait ses rayons éblouissants
autour de lui. Le pauvre Flemming était enveloppé des
froides vapeurs qui s'élevaient des ombres de la mort, à
travers laquelle coulait le fleuve de sa vie. Il était... soupi
rant... soupirant!
CHAPITRE II.
LE CHRIST D'ANDER.NACH.
HOMUNCULUS.
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HYPÉRION. 23
à travers les chemins difficiles de la vie; à la fin, il arrive
à son vieil âge, il chancelle et bientôt ses pieds lourds et fati
gués trébuchent, et il tombe sur le sable; et du fond de sa
tombe, il passe dans le grand océan qu'on appelle l'éternité !
Ainsi un jour sera ton sort !
Autrefois vivait, dans ces lieux maintenant en ruines, un
disciple de Jésus de Jérusalem, un archevêque de l'Église du
Christ.
Il s'abandonna lui-même à des rêves, aux illusions de
l'imagination, aux vastes désirs de l'âme humaine, il rêvait
l'impossible...
Il cherchait l'élixir de vie... la pierre philosophale! Les
richesses, qu'il aurait dû consacrer à la nourriture des
pauvres, étaient englouties et dévorées dans ses creusets.
Dans ces murailles, l'aigle des nues a sucé le sang du lion
rouge et il a reçu l'amour spirituel du dragon vert... Mais
hélas! sans progéniture!...
Dans la solitude la plus profonde, le disciple de la philo
sophie hermétique travaillait en silence; et les jours et les
nuits, il se brisait à la peine.
De cette place même où tu te tiens debout, il jetait, à la
soirée, un regard de dédain sur les monts et les vallées, et
sur les eaux qui se roulaient dans leur lit; puis dans son
orgueil insensé, au lieu de reconnaître que le coucher du
soleil changeait en or tous ces lieux enchanteurs, par une
alchimie plus savante que la sienne, il mettait le monde
entier à ses pieds, et il disait dans son cœur, que lui seul
était sage!
Hélas ! il avait lu dans le livre de Paracelse beaucoup plus
que dans celui de la nature; et comme si la foi pouvait quel
que chose en présence de la raison éclairée par l'expérience,
il croyait pouvoir produire par lui-même un enfant, non
26 HYPÉRION.
d'après les enseignements de la nature , mais suivant les
leçons du philosophe... et il a mis au monde... un pauvre
homunculus , dans une cornue de verre ; et il mourut pauvre
et sans enfant!...
On dira peut-être qu'une pareille homélie ne valait pas
la peine de grimper la montagne du Stolzenfels; mais Paul
Flemming en pensait autrement. Il la considéra comme une
leçon qu'il garda dans son cœur ; et il se serait épargné bien
des heures de peine, s'il avait appris cette leçon mieux encore
et l'avait conservée plus longtemps dans sa mémoire.
Dans l'ancien temps, il y avait trois statues de Minerve
dans la citadelle d'Athènes.
La première était en bois d'olivier; et suivant la tradition
populaire, elle était tombée du ciel.
La seconde était de bronze , en commémoration de la
bataille de Marathon; et la troisième était d'or et d'ivoire;
elle passait pour une merveille de l'art, au temps de Périclès.
C'est ainsi que, dans la citadelle du temps, l'homme est
debout lui-même !
Dans sa jeunesse , charpenté d'un bois tendre et délicat,
il semble tomber du ciel.
Dans son âge viril, il est comme une statue de bronze,
en commémoration de ses combats et de ses victoires.
Et enfin, dans la maturité de l'âge, il est parfaitement
formé d'or et d'ivoire... C'est aussi une merveille de l'art!
Flemming avait vécu l'âge de l'olivier, et dans sa virilité
précoce, il commençait l'âge de bronze. Dans ses mains, les
fleurs du paradis venaient de se changer en bouclier et en
épée.
Et cette nouvelle transformation rappelle à ma pensée que
je n'ai pas encore décrit mon héros.
Je le ferai maintenant, pendant qu'il est occupé lui-même
HYPÉRION. 27
à contempler le magnifique paysage qui se déroule à ses
yeux... et je serai court.
De sa personne comme de son caractère , il ressemble à
Harold, le beau chevelu de Norvège, dont nous trouvons la
description dans une vieille légende islandique, le Songe de
la mort, par Régner Hairy-Breeches, où il est représenté
comme t le jeune cerf tout fier de ses cheveux flottants, »
dépensant son temps avec les jeunes filles et aimant à
converser avec les jolies veuves.
C'était là une aimable faiblesse, mais qui lui occasionnait
quelquefois bien des désagréments. Une imagination ardente
était le seul pouvoir qui gouvernait son esprit; ses pensées
étaient comme deux sœurs jumelles; l'une, la pensée elle-
même... la réalité... et l'autre son image... sa ressemblance
fictive dans un monde imaginaire. De là à travers les eaux
douces et tranquilles de son âme , chaque image flottait en
double... « le signe et son ombre... »
Il avait un bon cœur et une imagination poétique, et ces
traits caractéristiques lui rendaient la vie joyeuse et le monde
agréable; cela dura pour lui jusqu'à ce que, à la longue, la
mort vint à couper, de sa faux tranchante , la douce fleur
bleue qui fleurissait auprès de lui ; et il en reçut lui-
même une telle blessure qu'il courba la tète, comme une
gerbe pliante, dans son désir d'être emporté du même coup
avec la fleur bleue si douce à son cœur.
De cette épreuve, il arriva que le monde lui sembla moins
beau et que sa vie devint sérieuse. Il aurait agi sagement,
s'il avait entièrement oublié le passé, et si, au lieu d'en gar
der un souvenir douloureux, il avait joui et profité du pré
sent. Mais son cœur se refusa à suivre ce conseil de la
sagesse; et toujours, comme il flottait sur la grande mer de
la vie, il ne voyait qu'à travers des eaux transparentes, il
HYPÉRION.
prenait l'ombre pour la réalité dans les obscures chambres
de cette mer profonde, où ses plus beaux jours avaient fait
naufrage et où, quoique perdus, ils restaient visibles encore
à ses yeux, comme de la poussière d'or, des pierres pré
cieuses et des perles.
Aussi, partagé entre l'espoir et l'espérance, il cherchait à
les saisir de nouveau; et en retirant sa main plongée vaine
ment dans l'abîme, il vit qu'elle n'était remplie que d'herbes
marines et dégoûtantes de pleurs salés.
Mais entre lui et ces cendres d'or flottait une riante image,
pareille à l'esprit dans le paradis du Dante, chantant ave
Maria, et, pendant qu'elle chantait, descendant doucement
jusqu'au fond et disparaissant peu à peu.
En toutes choses, il agissait beaucoup plus par impulsion
que par des principes arrêtés... comme c'est l'ordinaire chez
les jeunes gens. D'ailleurs ses principes n'avaient pas eu le
temps de prendre racine , car il les avait arrachés les uns
après les autres, comme font les enfants des fleurs qu'ils ont
plantées... pourvoir si elles croissent.
Maintenant il y avait beaucoup de bon en lui ; car par-
dessous les fleurs et les pelouses de la poésie , et les bons
principes qui auraient pris racine, s'il leur en avait donné
le temps, se trouvait un solide et vigoureux sol de sens com
mun, désaltéré par les sources vivifiantes du sentiment, et
enrichi par l'absence de tant d'espoirs déçus , qui étaient
tombés sur lui, comme des feuilles desséchées.
CHAPITRE IV.
LA FILLE DE L'HÔTELIÈRE.
•
40 HYPÉRION.
rues de Rome, quand, par hasard, on y rencontrait confondus
ensemble les nobles et les paysans.
Flemming donna un sourire à la chaleureuse improvisa
tion de l'Allemand, à laquelle avaient contribué sans doute
la présence de la dame et le vin de Laubenheimer; puis il
l'interrompit en disant :
« Mieux vaut s'affranchir de toute loi que de lui être
asservi. » Ce sont là les propres expressions de Jean Paul;
on est libre alors de sa volonté.
Semblable au dieu Thor de la vieille mythologie du Nord,
il représente maintenant les sept étoiles brillantes du firma
ment ; et bien qu'il s'enveloppe de nuages, il n'en frappe pas
moins à coups redoublés de son lourd marteau.»
— Et remarquez que ce n'est pas chez lui affectation ,
répliqua l'Allemand, tout y est naturel; il est Jean-Paul. Les
figures et les ornements de son style, large, fantastique,
presque toujours émouvant, comme le sont les figures et les
ornements dans les cathédrales gothiques, n'ont pas seule
ment leur propre signification, mais deviennent sous sa
plume des maîtresses-pièces et des arcs boutants... Enlevez-
les et tout l'édifice tombe en ruines.
A travers ces bigarrures , ces faces sauvages , ces figures
d'hommes et de bêtes, taillées sur les faîtages et les gouttières,
on voit couler avec facilité, comme la pluie d'une toiture,
lés pensées brillantes qui tombent pour lui du ciel avec
abondance.
Il dépeint toutes choses avec une sorte de badinage
sérieux ; il est comme un monstre marin se jouant sur les
flots du vaste Océan.
Son passe-temps est encore dans les choses sérieuses; il
ne cesse pas d'être majestueux, et dans tous ses écrits enfin
on trouve la force, un bon naturel, et tout l'éclat du soleil
HYPÉUION. il
se répandant au-dessus de sa tête, comme les vagues mugis
santes de la mer se roulent à ses pieds.
Aussi bien et, pour le peindre d'un seul mot, on peut le
nommer : Jean-Paul, l'homme unique.
Cette conversation avait duré autant que le dîner. Au
sortir de table, Flemming se rendit à la cathédrale. On
y chantait les vêpres. Un suisse, portant un uniforme
bleu, collets et parements cramoisis, avec son chapeau à
claques sur la tête, se pavanait dans les nefs du vaste
édifice.
Ce personnage important servit de cicérone à Flemming;
il lui montra le chœur avec les énormes statues sculptées de
bois de chêne, et les belles figures en pierre brune qui recou
vrent les tombeaux des évêques. Il le fit entrer ensuite, par
une porte latérale, dans le vieux couvent en ruines de Sainl-
Willigis.
A travers les arches gothiques encore debout, le soleil
projetait ses rayons sur les dalles des tombes sépulcrales,
dont les images et les inscriptions se trouvent pour la plu
part effacées par le frottement des pieds, pendant nombre de
générations.
Là se trouve la tombe du Minnesaenger Frauenlob , le
Chantre des dames. Sa figure est sculptée sur la boiserie de
la muraille; elle a des traits fortement prononcés et un air
sérieux. Au-dessous se trouve un bas-relief qui représente
les funérailles du poète. Celui-ci est suivi jusqu'à sa tombe
d'un cortége de dames dont il a chanté le mérite; ce qui lui
a valu le surnom de Frauenlob.
Je vois bien ici, dit Flemming, la tombe où sont renfer
més les ossements desséchés d'un poète, dont le culte était
moins dévoué à Dieu qu'aux dames et dont les chants sont
un mélange de concupiscence et d'amour; mais où reposent
42 HYPÉRION.
les restes de son rival et ennemi, le gracieux maître Bartho-
lomé Raimbow?
C'était là une question ironique qu'il se faisait à part lui,
mais que le suisse, tout fier et se gonflant comme un dindon,
ramassa aussitôt, en lui répondant :
— Je n'en sais rien; il n'appartenait pas à cette paroisse.
Je ne prolongerai pas plus longtemps le récit de cette
journée, car je suis harassé moi-même et ennuyé; je ne
serais pas fâché d'ailleurs de conduire mes lecteurs à Heidel-
berg, où je suivrai mon héros.
Il était tout à fait nuit quand il arriva à la porte de Man-
heim; et il longea la grande rue si lentement qu'elle lui
paraissait sans fin. Les boutiques étaient éclairées; il voyait
çà et là des figures aux fenêtres, ou, à la lueur de la lampe,
des personnes qui passaient et repassaient dans les apparte
ments.
Son imagination se repaissait d'idées singulières, comme
il arrive toujours à un voyageur qui entre, pour la première
fois, dans une ville.
La petite ville de Heidelberg était vieille de quelques
siècles, avant sa visite; et probablement qu'à partir de son
départ elle vivra quelques siècles encore. Il n'y connaissait
pas une âme, et de leur côté les habitants n'ont guère à s'in
quiéter d'un étranger qui, fatigué de son voyage et grelot
tant de froid, se tient renfermé dans sa chaise de poste qui
roule lentement sur le pavé des rues.
Assurément le monde se passerait bien de nous, si nous
voulions nous donner la peine de le penser ainsi ; et que ce
fût une chaise de poste ou bien un corbillard, cela importait
peu au peuple d'Heidelberg, — sans prendre soin de ce que
pouvait en penser Paul Flemming.
Toutefois, à l'autre extrémité de la ville, au pied du châ
HYPÉRION. 13
leau, un cœur chaud était dans l'attente pour le recevoir;
c'était un cœur allemand, un de ses bons amis, le baron de
Hohenfels, avec lequel il devait passer l'hiver à Heidelberg.
A peine la voiture s'était-elle arrêtée à la porte et le pos
tillon eut-il donné du cor pour annoncer l'arrivée du voya
geur, que le baron arrivait lui-même à la tête de ses gens ;
et quelques instants après, les deux amis, séparés par une
longue absence, se serraient dans les bras l'un de l'autre.
Flemming recevait un baiser sur chaque joue, puis un
autre sur la bouche, comme le gage et le sceau de l'amitié
germanique.
Us se tinrent longtemps par la main, se regardant fixé-
ment face à face; ils lisaient chacun dans les yeux de l'autre,
littéralement et au figuré; car ils ne se voyaient pas seule
ment en réalité; ils cherchaient à lire leur mutuelle impres
sion, après une absence de plusieurs années.
Les demandes et les réponses se pressaient entre les deux
amis, heureux de se revoir; et la soirée se passa gaîment à
table où ils ne se contentèrent pas seulement de lièvre rôti et
de Johannisberg, mais où ils parlaient de mille choses à la
fois... Et ils passèrent encore une partie de la nuit dans cette
intime communication d'idées et de sentiments qui abon
daient dans le cœur de ces jeunes hommes, qui avaient connu
les joies et les peines, s'étaient bercés d'illusions et d'espé
rances et avaient été, tous les deux, cruellement déçus.
CHAPITRE VI.
HEIDELBERG ET LE BARON.
LE PRINTEMPS.
Voici l'hirondelle ■
Voici l'hirondelle !
Sous sa brune aile, au souffle des amours,
Elle ramène et printemps et beaux jours !
Doux messager! fêtons ta bienvenue...
De ton sein blanc réjouis-nous la vue !
Chantons en chœur
Notre bonheur !
Voici l'hirondelle !
Voici l'hirondelle !
UNE CONVERSATION.
Fuchslied.
l'argot des étudiants , à tout ce que dédaigne la morgue des bursch alle
mands. Tout ce qui n'entre pas dans le cercle de leurs goûts et préoccupa
tions actuels est qualifié de ledern. Voici du reste la suite des idées déve
loppées dans la pièce drolatique qui nous occupe. — «Qui vois-je là-haut? »
— « C'est un postillon. » — « Qu'amène ce postillon? » — « Il amène un
Fuchs. » — Le Fuchs fait son entrée solennelle : « Votre serviteur ,
Messieurs. «Sur quoi ces révérends s'informent auprès de lui de ce que
font à la maison monsieur son père, madame sa mère, mademoiselle sa
sœur, et monsieur le recteur. Le candide novice répond respectueusement
à ces questions. « Le Fuchs fume-t-il ?» — Telle est la nouvelle demande
des étudiants faits. — « Un peu, messieurs. » — « Eh bien bourrez une
pipe, i— Le jeune homme obéit, fume et se trouve mal, mais bientôt, après
avoir bien expectoré, il se remet , et dit qu'il est de nouveau parfaitement à
son aise. Après cette première épreuve subie avec bonheur, il est reçu dans
l'ordre des étudiants. C'est ainsi, dit la dernière strophe, qu'un Fuchs
passe à l'état de Bursch ; on le voit , le sens du poème , quelque intradui
sible qu'il soit, n'est pas trop mystique.
104 HYrÉRION.
qu'il était par l'excès de bierre et du souper : de l'eau de vie !
Entends-tu?Tu es un docteur '.Non., un pape... tu es un pape.
Ces mots étaient adressés à un jeune homme au teint pâle
et à l'air tranquille, qui était assis vis-à-vis et s'amusait
avec un misérable chien monté sur une chaise à côté de lui,
dressé sur ses pattes de derrière et une pipe à sa gueule.
C'était une représentation qui paraissait ne pas être du goût
de l'interlocuteur.
— Tu es provoqué, répliqua l'étudiant au teint pâle, en
s'adressant à son chien qui laissa tomber de sa gueule la
pipe qui alla se briser en morceaux sous la table.
Sur le champ , des témoins furent choisis , et les armes
chargées. Celles-ci étaient six larges verres ou Bassglœser ,
remplis, à pleins bords, de bierre mousseuse. Trois verres
furent placés devant chacun des combattants.
— Prenez vos armes ! cria l'un des témoins , et chacun
des combattants prit un verre à la main.
— Préparez vos armes ! Et le salut s'échangea en trin
quant, et le choc des verres résonna comme le croisement
des épécs.
— En joue 1 et chacun de porter son verre à ses lèvres.
— Feu !.. Et chacun de pousser le liquide dans son gosier,
comme s'il entonnait une barrique de bierre.
Les deux autres verres suivirent rapidement, à peine le
temps de pousser une respiration.
Le pâle étudiant était victorieux ; il avait bu le premier le
troisième verre; il le tint pour un instant renversé, pour en
laisser sortir la dernière goutte; puis il le replaça tranquille
ment sur la table , et regarda son adversaire en face, en lui
disant : frappe!
Ensuite, et du plus grand sang froid, il se mit à chercher
sous la table et à siffler son chien.
HYPÉRION. m:,
Le vaincu s'était arrêté au milieu du troisième verre : les
veines de son front étaient tendues comme une chaudière
prête à faire explosion; ses yeux étaient fauves et hagards;
de sa main impuissante, se cramponnant à la table, il cher
chait à se maintenir en équilibre ; mais il ne tarda pas à
tomber et il roula par terre, comme une feuille de plomb : il
était ivre !
à ce moment, une figure mâle apparut debout et s'avan-
çant sur la table, comme une apparition, à travers une
atmosphère sombre et enfumée. Cet énergumène était sans
habit et sans cravate; il avait les cheveux épars, les yeux
hagards, et les fixant droit devant lui, comme s'il avait
aperçu dans l'ombre une main qui l'appelât et fût invisible
aux assistants. Il tenait sa main gauche appuyée sur sa han
che; dans sa droite une épée levée, la pointe en bas. Il ne
regardait personne; mais, avec un air martial et se posant
majestueusement, il marchait droit au centre de la table, et
à chaque pas, brisant les verres et renversant les bouteilles.
Les étudiants se reculaient à son approche, jusqu'à ce
qu'un d'eux, à la fin, plus ivre ou plus courageux que les
autres, lui lança à la face un verre rempli de bierre.
Il s'ensuivit un tumulte général, et le héros, armé de son
épée, sauta à terre. C'était l'étudiant de Kleist... Il était
connu pour de pareilles équipées.
Au milieu du tumulte, aura-t-il distingué les mots offen
sants :
Arrogant! absurde! impertinent! mauvais sujet!
De Kleist rentra chez lui cette nuit là, n'ayant échangé
que six duels dontil s'acquitta bravement en autant de jours;
il s'en tira avec bonheur et en fut quitte pour une égra-
tignure à la lèvre supérieure et une autre au-dessus de l'œil
droit, qu'il dut à l'adresse d'un Suabian Schlœger.
CHAPITRE V.
GOETHE.
Coucou! coucou!
Dis-moi la vérité...
Dis-moi si je suis gracieuse et jolie ! et
Combien de temps encore je dois rester
Fille et languissante!
LA SÉPARATION.
l'été.
INTERLACHEN.
La Cloche!
18Î HYPÉRION.
les femmes prenaient leurs couvertures en guise de châles,
quand elles sortaient pour voir le lever de soleil, elles
devraient en payer le lavage. Croyez-moi, Righi est un
grand charlatan !
— Où avez-vous été depuis?
— A Zurich et à Schaffhausen. Si vous allez à Zurich,
prenez vos précautions à l'égard de l'hôtel Raven... on vous
y trompera ; j'y ai été trompé ; mais j'ai pris ma revanche,
car à mon arrivée à Schaffhausen, j'écrivis sur le livre des
voyageurs : Méfiez-vous de l'hôtel Raven, à Zurich !
C'est un oiseau de mauvais augure,
Avec un vilain et sale nid...
Et une note... longue... bien longue...
VU JOUR DE PLUIE.
APRÈS LE DINER.
La terre silencieuse!
Dans la terre silencieuse !..
Pendant l'obscure nuit,
Loin du vent et du bruit...
Pour passer la rive oublieuse
Et par des sentiers ténébreux,
Au sein des rochers épineux...
Qui viendra, d'une main pieuse,
Nous conduire et guider nos pas,
Là bas, là bas,
Dans la terre silencieuse?
Dans la terre silencieuse !
t) vous ! vastes régions
De toutes perfections !
Loin, loin d'une vie orageuse.
Vous ! gage et lien d'avenir
Pour la vertu, le repentir!..
Qui viendra, d'une main pieuse,
Nous conduire et guider nos pas,
Là bas, là bas,
Dans la terre silencieuse !
Dans la terre silencieuse !
Pour nos cœurs éprouvés,
L'ange des trépassés,
Avec sa torche lumineuse,
Se tient debout et nous sourit...
Ce tendre messager nous dit :
Je viendrai, d'une main pieuse,
Vous conduire et guider vos pas,
Là bas , là bas,
Dans la terre silencieuse !
N'est-ce pas là de la belle poésie ?
Marie Ashburton ne répondit pas ; elle avait détourné sa
face pour essuyer ses pleurs.
2IG HYPÉRION.
Flemming était étonné que Berkley ne la trouvait pas
jolie; toutefois, il était plutôt satisfait que mécontent de son
opinion. Pour lui, il s'avoua en ce moment combien il serait
heureux de posséder une personne qui ne paraîtrait belle
qu'à lui seul, et serait à ses yeux la plus belle qu'il y ait
au monde! Comme le monde à ce moment aussi lui parut
beau ! Comme ces peintures dans lesquelles toute la lumière
découle de la face de la vierge!
Oh! rien ne nous paraît plus saint, dans la vie, que la
première impression de l'amour et le premier battement de
ses ailes de soie; le premier son qui résonne et aspire de ce
vent qui est sitôt répandu dans l'âme, pour la purifier ou la
détruire!
Les vieilles histoires nous disent que le grand empereur
Charlemagne timbrait ses édits avec le pommeau de son
épée. Un empereur plus grand que lui, la Mort, timbre les
siens avec la pointe; et ils sont signés et exécutés du même
coup.
Flemming reçut ce soir-là une lettre de Heidelberg, dans
laquelle on lui faisait part de la mort d'Irma de llmenau. Le
soi t de cette pauvre fille l'affecta profondément, et il dit
dans son cœur :
« Père dans les cieux ! pourquoi le sort échu à cette faible
et égarée fille a-t-il été si cruel? Qu'a-t-elle fait pour être si
tentée dans la faiblesse et pour périr? Pourquoi as-tu souf
fert que ses tendres affections l'égarassent hors du chemin?»
Et à travers le silence et l'obscurité profonde de la nuit,
la voix d'une avalanche qui tombait des montagnes lointai
nes semblait lui répondre :
« Paix! paix! Pourquoi questionnes-tu la providence de
Dieu ! »
CHAPITRE VII.
PRENEZ GARDE !
Prenez garde!
Sa blonde chevelure
Et sa fraîche parure
La rendent belle à voir I
Dans son cœur il fait noir!...
Prenez garde !
Prenez garde !
Et ne vous fiez pas
A ses trompeurs appas !
LA FONTAINE DE L'OUBLI.
LIVRE PREMIER.
Pages.
Chapitre Ier. — Le Héros 7
II. — Le Christ d'Andernach 12
III. — Homunculus 23
IV. — La fille de l'hôtelière 29
» V. — Jean Paui, l'homme unique 34
» VI. — Heidelberg et le baron 44
VII. — La vie des étudiants 52
» VIII. — Renommée des hommes de lettres ... 64
LIVRE DEUXIÈME.
LIVRE TROISIÈME.
HYPÉRION
KAVANAGH
TOME II
BRUXELLES ET LEIPZIG
AUG. SCHNÉE, ÉDITEUR
RDI ROYALE, IMPASSE BO CARG , 2
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?' DE POTTER. Résumé do 11, Aoire du christianisme 2 „
GERVINUS. Introduction i* "histoire1 du xiv siècle. . 1 »
s-' Série ïn-52.
\
BAGREEFF-SPERANSKI .... ™ E..de). Le Slarowér cl >a fille . tV »v ■4
i- Une. famille Toungous \ :
— Irène ou les Bienfaits d l'éducation .■.'■- 1 »
1 v
CARLÉ3X (S- Émilie). Un An U« Mariage
— Un Brillant Mariage
— Six Semaines - . 1 »
— La Demoiselle de la Mansarde. ,
— MademoisellC■Mannv. (La Famille de la Vallée) . ... i. '^ >Ê
— Les Frères de Lait. . 2 ,.
CONSIDÉRANT (Nestor). La Russie en 4836 2
1 -i.Vtfï
HENR1CY (Casimir). La Perle de Gravdines i . » 'm
— Al-Rjezaïr. — La Reine Pomaré (. . . ■ >.
2 » "1
— Les Secrets de beauté de Diane de Poitiers .......
. — Rabelais, sa.Vio et se? CEuVres ■ ■ . ■
Bruxelles, — Tjji. de Fr.. VAN MEENEN ET C», ru.' de la Pnttei le. :ci.
HENRI W. L0SGKEL1.UW
HYPËRION
KAVANAGH
TOME II
BRUXELLES ET LEIPZIG
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1860
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KAVAMCH
HYPÉRION
KAVANAGH
PAR
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TOME SECOND
BRUXELLES ET LEIPZIG
A U G . S C H N É E , ÉDITEUR
RUE ROYALE, IMPASSE DU PARC, 1
w
1860
TOCS DIlOITîi RKSF.nVRS,
I
LIVRE QUATRIÈME.

T. Il, I
.
CHAPITRE I".
UN MISÉRÉRÉ.
« L'oracle est en lui... c'est lui qui vit, c'est lui qu'il doit invo
quer et questionner, — non des livres morts, non des ordonnances,
non des papiers brouillés de noir. »
10 HYPÉRION.
je surveille les mouvements d'un rouge-gorge doré qui sau
tille de branche en branche, au sommet d'un vieil arbre.
J'ai sous les yeux de vastes prairies et la rivière aux eaux
d'un bleu d'acier, qui me rappellent les prairies d'Unterseen
et la rivière de l'Aar, et au-dessus d'elles, de magnifiques
nuages de couleur blanc de neige, les uns sur les autres,
comme les montagnes des Alpes. C'est pourquoi les ombres de
Washington et de Guillaume Tell paraissent marcher ensem
ble dans ces champs élysées ; car c'était ici que demeurait
notre grand patriote, en ces jours depuis longtemps passés;
et nos nuages ressemblent tellement aux Alpes couvertes de
neige , qu'ils me rappellent irrésistiblement la Suisse.
Nobles exemples d'une grande entreprise et d'une volonté
ferme! ne se meuvent-ils pas, comme Hypérion, dans l'es
pace? ne sont-ils pas, comme lui, les enfants du ciel et de
la terre?
Rien n'est délicieux comme une matinée d'été, ni plus
agréable que ces fenêtres au midi, près desquelles je me tiens
assis pour travailler, dans cette vieille maison qui ressemble
à une villa d'Italie. Mais pourquoi cette fatigue?... Cette las
situde?... quand tout ce qui m'entoure est si brillant!
Ce matin, j'ai un désir tout particulier pour des fleurs, un
désir de me promener parmi les roses, de jouir de leurs cou
leurs, d'aspirer leur parfum, comme si cela devait me faire
renaître.
Je voudrais bien connaître celui qui appellait les fleurs la
poésie fugitive de la nature. De ma fenêtreet fatigué des ombres
scolastiques, j'admire ce Cambridge, si beau avec ses
feuilles et ses fleurs; — je cherche à le saisir de la main
comme la main]d'un poète! — Oui, ce matin, je voudrais me
promener avec lui au milieu des fleurs gaies, plutôt que de
rester dans une chambre à écrire : je me sens si ennuyé !
HYPÉRION. 11
Les vieillards avec leurs bâtons , dit le poète espagnol ,
sont toujours frappant à la porte de la tombe; mais je ne
suis pas vieux : le poète espagnol aurait dû aussi y compren
dre les jeunes. — N'importe! courage et en avant! le roman
doit avoir une fin et conclure bientôt.
0 toi, pauvre auteur, cherche à sonder un peu plus profon
dément le cœur humain; touche ses cordes — touche ses
cordes plus profondément et plus réellement, ou bien les
notes mourront au loin, comme de petits bruits sourds, et
pas une oreille ne les entendra, si ce n'est la tienne! et si tu
veux que ton travail solitaire soit applaudi, souviens-toi que
les études secrètes d'un auteur sont les pierres de fond, sur
lesquelles doit s'édifier le pont de sa renommée, mesurant
les eaux sombresde l'oubli. Elles sont hors de vue; mais, sans
•elles, aucun édifice ne peut demeurer debout !
Et maintenant, cher lecteur, que mon sermon est fini, et
que nous sommes encore assis ici dans ce miséréré, lisons à
haute voix une page de ce vieux manuscrit en parchemin,
qui repose sur le pupitre devant nous, chantons — là sous les
voûtes sombres, comme un chant grégorien, et réveillons la
congrégation qui tombe de sommeil.
J'ai lu que la grande rivière d'Euripe avait son flux et son
reflux sept fois par jour, avec une telle violence qu'elle
transportait les vaisseaux à pleines voiles, directement contre
le vent. Sept fois, dans une heure, l'opinion a son flux et
son reflux dans le torrent des appréhensions indiscrètes et
ennuyeuses, faisant une critique de calomnie et une médi
sance d'œil de travers, surtout contre le vent de la sagesse et
de la raison.
In secula seculorum. Amen.
CHAPITRE II.
Ils sont tous partis ! je m'en serais douté au bruit des chu
chotements, des piétinements, des toux, des bourdonnements,
à travers les notes de la gamme. C'était un véritable essaim
d'abeilles, quittant la vieille ruche.
Gottlieb a allumé pour moi de nouvelles chandelles, et
placé une bouteille de bourgogne sur le piano. Mais je ne
puis jouer davantage, je suis complétement épuisé. Toute la
faute en est à mon généreux ami, à mon cher vin qui est ici
sur le pupitre et que je dois blâmer pour cela.
Il m'a de nouveau lancé dans l'air, comme Méphistophélès
le fit à Faust; et si haut, en vérité, que je n'ai pas pris la
plus légère attention aux petits hommes qui étaient en des
sous de moi, bien que je doive dire qu'ils faisaient assez de
bruit.
Voici une soirée perdue, détestable, un rien qui vaille!
Mais maintenant je me trouve bien et joyeux ! Toutefois, tan
dis que j'étais à jouer, j'ai pris mon crayon et sur la soixante-
troisième page, au bas de la dernière ligne, j'ai noté, avec
34 ' HYPÉRION.
ma main droite, une couple de ronds ornementés tandis que
ma main gauche était se débattant dans le torrent de doux
sons, je quitte tous les ronds et les doux tons; et avec un
vrai plaisir, comme un homme malade revenu à la santé,
qui ne peut jamais cesser de raconter ce qu'il a souffert,
j'écris sur la page en blanc, qui se trouve à la fin ; et j'y note
très circonstanciellement les cruelles agonies de cette partie
de thé, de ce soir. Je n'écris pas pour moi tout seul,
mais aussi pour tous ceux qui, de temps en temps, voudront
s'amuser et s'édifier eux-mêmes, avec ma copie des varia
tions de John Sebastienbach pour le piano, publiées par Na-
geli, à Zurich. Ils y trouveront mes remarques à la fin de la
trentième variation, et dirigés par le grand latin verte (que
j'écrirai quand j'aurai le temps de donner la misérable
relation de mes griefs), ils tourneront le feuillet et liront.
Ils y verront à l'instant la connexion. Ils savent que la
maison Gehcimerath Rodelein est une charmante maison
à visiter, et qu'il y a deux demoiselles fort aimables et fort
spirituelles; que le monde fashionable est d'accord pour pro
clamer, avec enthousiasme, qu'elles dansent comme des
déesses, parlent le français comme des anges, et font de la
musique, chantent et dessinent comme des muses.
Geheimerath Rodelein est un homme riche; à ses dîners
trimestriels, il donne les vins les plus délicieux et les mets
les plus exquis. Tout est établi sur le pied de la plus grande
élégance, et quiconque ne s'amuse pas délicieusement à ses
parties de thé, n'a ni ton, ni esprit, et particulièrement
aucun goût pour les beaux-arts.
C'est pour que rien ne manque à la fête, qu'avec le thé, le
punch, le vin, les glaces, etc., un peu de musique est tou
jours servie; laquelle, comme les autres rafraîchissements,
est très tranquillement avalée par le monde fashionable.
HYPÉRION. 35
Les arrangements sont comme suit : après que chaque
convive a eu tout le temps de boire autant de tasses de thé
qu'il a pu désirer, et que le punch et les glaces ont fait deux
fois le tour et ont été présentés à chacun, les domestiques
dressent les tables de jeu pour les plus vieux et, d'ailleurs,
pour le plus grand nombre de la compagnie qui joue plutôt
aux cartes que d'aucun instrument de musique; et pour dire
la vérité, ce genre d'amusement ne fait pas autant de bruit
et n'ennuie pas les autres... Vous entendez seulement le son
de la monnaie.
Ceci fait est en même temps une insinuation, pour la plus
jeune partie de la compagnie, de fondre sur les demoiselles
Rodelein.
Il s'ensuit un grand tumulte, au milieu duquel vous pou
vez distinguer ces mots :
« Belles demoiselles! ne nous refusez pas de nous grati
fier de votre céleste talent! Oh ! chantez-nous quelque chose!
vous seriez bien aimables! — Impossible! — un mauvais
rhume, — le dernier bal, — nous n'avons rien étudié! —
Oh! ! si! si! faites-nous ce plaisir, etc., etc. >
Gottlieb, pendant ce temps, a ouvert le piano et placé, sur
le pupitre, le cahier de musique bien connu ; et d'une table
à jouer on entend dire à la respectable maman :
— Chantez donc, mes enfants !
— C'est pour moi un avertissement de commencer ; je
me place au piano, et les Rodelein sont conduites près de
l'instrument comme en triomphe.
— Vous savez, chère Nanette, combien je suis terrible
ment enrhumée.
— - Sans doute, ma chère Marie, et pourquoi suis-je aussi
enrhumée que vous?
— Je chante si mal !
36 HYPÉRION.
— Oh ! ma chère enfant, commencez donc!
Ma suggestion (je fais toujours de même) que toutes deux
doivent commencer par un duo est fortement approuvée. Le
cahier de musique est manié de nouveau, la page qui a
été préparée avec soin à l'avance est enfin trouvée, et nous
commençons par Dolie dell'anima etc.
A vrai dire, le talent de mesdemoiselles Rodelein n'est
pas le plus médiocre; j'ai été professeur ici seulement pen
dant cinq ans , et un peu moins de deux ans dans la famille
Rodelein. Dans ce court temps, mademoiselle Nanette a fait
un tel progrès qu'un air qu'elle avait entendu seulement dix
fois au théâtre et qu'elle avait répété seulement dix fois au
plus sur le piano, elle le chantait assez juste pour que vous
puissiez le reconnaître au même moment, bien que souvent
mademoiselle Marie peut le chanter à la huitième fois d'un
quart de note plus bas que le piano.
Après tout, cela est encore tolérable, en considération de
sa jolie petite figure et de ses lèvres de rose très passables.
Après le duo, chorus universel d'applaudissements ;
ensuite les ariettes et les duettinos se succèdent l'un
après l'autre, et je frappe le plus joyeusement que je peux
avec accompagnements mille fois répétés. Pendant le chant,
mademoiselle Finanzrathin m'a donné à entendre qu'elle
aussi savait chanter.
Mais, ma chère Finanzrathin, c'est vetre tour mainte
nant de nous faire entendre votre jolie voix.
— Un nouveau tumulte s'en suit. Elle a un mauvais
froid dans la tête, — elle ne sait rien par cœur!
Gottlieb apporte , de suite deux brassées de cahiers de
musique, et les feuillets en sont tournés et retournés.
D'abord elle pense qu'elle chantera Der holle rache etc.,
ensuite Hebe sich etc., puis Ach, ich liebte etc. Dans son
HYPÉRION. 37
embarras, je propose Ein veilchen auf (1er miese etc...
Mais elle préfère le style héroïque; elle demande à faire
un choix et finalement elle se décide pour Constanze.
0 cri perçant, cri aigu, miaulement, gazouillement, râle
d'agonie, tremblement, roulement, tout autant qu'il vous
plaira, madame; — j'ai mon pied sur la pédale fortissimo et
je fais un bruit horrible à me rendre sourd moi-même !
0 Satan! Satan! lequel de tes esprits damnés est venu
dans ce gosier, pinçant, lâchant des coups de pieds et don
nant des coups de poing à tous les tons! quatre cordes sont
déjà brisées, et une touche est pour jamais mutilée. Mes
oreilles sifflent de nouveau — ma tête bourdonne — mes
nerfs tremblent ! toutes les dures notes de la trompette fen
due d'un joueur ambulant ont-elles donc été emprisonnées
dans ce petit gosier? (Mais cela m'excite, il me faut boire un
verre de bourgogne. )Les applaudissements étaient immenses,
et plusieurs font observer que la Finanzrathin et Mozart
m'ont mis tout en feu. Je souriais avec des yeux hagards et
d'une façon stupide; je ne pouvais que reconnaître la jus
tesse de leur observation.
Et maintenant tous les talents qui jusqu'ici avaient fleuri
inaperçus étaient en motion , voltigeant capricieusement çà
et là : ils étaient subjugués par une indigestion de musique;
les tuttis, les finales, les chœurs devaient être joués.
Le chantre Kratzer, vous le savez, a une voix de basse
délicieuse, comme l'observait là-bas ce monsieur qui récla
mait lui aussi un morceau de l'opéra d'Andronique, et
observait modestement qu'il n'était lui-même, à proprement
parler, qu'un deuxième ténor, mais bien qu'il se vantât
fort mal à propos, il n'en était pas moins membre de plu
sieurs académies de musique. De nouveaux préparatifs
furent faits pour le premier chœur de l'opéra d'Andro
3
38 UïPÉRION.
nique : il fut glorieusement exécuté. Le chantre, qui se
tenait auprès de moi, faisait entendre une voix de basse au-
dessus de ma tête, comme s'il chantait avec des timballes et
le trombonne d'une cathédrale. Il chantait la note glorieuse
ment, mais, dans sa précipitation, il avait pris le ton deux
fois trop bas environ; — toutefois en ceei, il fut au moins
fidèle à lui-même et il le maintint pendant toute la pièce.
Les autres, au contraire, montraient un penchant décidé
pour l'ancienne musique grecque, laquelle, comme on le
sait, n'avait rien à faire avec l'harmonie, et maintenait l'unis
son ou la monotonie.
Ils chantèrent tous l'aigu, avec d'insignifiantes variations,
causées accidentellement par la voix qui s'élevait ou bais
sait, comme qui dirait d'un quart de note.
Toutefois ce concert bruyant, si tel est le mot qu'on peut
lui donner, produisit universellement un tragique effet de
sensation, comme qui dirait une sorte de terreur, même
aux tables d(e jeu, qui ne pouvaient plus comme auparavant
s'accorder avec ce mélodrame, sans mêler à la musique
quelque exclamation, comme par exemple : —
Oh! j'aimais! — quarante-huit — était si joyeuse — je
passe — car je ne sais pas — Silence — angoisses d'amour
— donnez de la même couleur etc..
C'était, en vérité, d'un effet charmant... (je remplis mon
verre).
Nous en étions arrivés au plus haut point de l'exhibition
musicale de ce soir. Maintenant tout est fini, pensai-je en
moi-même. Je fermai le livre et me retirai du piano. Mais
le baron, mon ancien ténor, vint à moi et me dit :
Mon cher monsieur le maître de chapelle, on dit que vous
jouez si admirablement les fantaisies; jouez-nous en une...
seulement une petite, je vous en prie !
BYPKRION. 3»
Je répondis très sèchement que, pour cette soirée, mes
fantaisies étaient toutes changées en niaiseries. Mais tandis
que nous parlions, un diable sous la forme d'un d'andi,
homme à deux gilets, avait pris les variations de Bach qui
étaient sous mon chapeau, dans la ehambre voisine. Il pensa
que c'était simplement de petites variations, telles que Nelcor
mio non pui sento, ou Ah! vous dirai-je, maman? etc. Et il
insistait pour que j'en jouasse une ; j'essayais de m'excuser,
mais tous se mirent après moi : — ainsi donc, obéis ou meurs
d'ennui, pensai-je en moi-même — et je commençai à
jouer.
Quand j'eus fini de jouer la troisième variation, plusieurs
dames sortirent, suivies de quelques cavaliers, en tête des
quels était notre monsieur avec sa musique de Tite Andro-
nique.
Les Radelein, parce que leur professeurjouait, attendirent,
non sans quelque difficulté, jusqu'au nombre douze; — le
nombre quinze força l'homme aux deux gilets à prendre les
jambes à son cou. Le baron, avec une excessive politesse,
resta jusqu'au nombre trente, mais en buvant tout le punch
. que Gottlieb avait placé pour moi sur le piano.
J'avais conduit toutes mes variations à une heureuse
conclusion, mais hélas! ce nombre trente — le thème —
me mit irrésistiblement en pièces. Tout à coup les feuilles
d'un in-quarto se déployèrent en un gigantesque in-folio sur
lequel un millier d'imitations et de développements du
thème étaient écrits, et je ne pouvais les choisir, je ne pou
vais que les jouer toutes.
Les notes devenaient vivantes et sautaient autour de moi.
Un feu électrique s'échappait du bout de mes doigts sur les
clefs; l'esprit qui en jaillissait répandait ses larges ailes dans
mon âme; la chambre entière était remplie d'un épais brouil
40 HYPÉRIOX.
lard, dans lequel les bougies ne donnaient plus qu'une
lumière blafarde et à travers lequel apparaissaient d'abord
un nez, puis une paire d'yeux, qui soudainement disparais
saient ensuite.
Il arriva ainsi que je fus bientôt laissé seul , avec mon
Sébastien Bach, assisté de Gottlieb, comme d'un esprit fami
lier. (A votre bonne santé, monsieur!)
A-t-on jamais rencontré un honnête musicien tourmenté par
la musique comme je l'ai été aujourd'hui et comme je le suis
si souvent? En vérité, il n'y a pas un art dont on fasse un
si damnable abus que celui si glorieux de la sainte musique,
qu'on blasphème si facilement dans sa délicate existence.
Avez-vous un talent *'éel — un sentiment réel pour l'art?
étudiez alors la musique — faites quelque chose digne de
cet art et consacrez votre âme à aimer cette sainte.
Mais sans cela, et si vous n'avez qu'une fantaisie pour des
croches et doubles-croches, alors pratiquez par vous-même et
pour vous-même, et ne tourmentez pas le maître de chapelle
Kreisler, ni lui ni les autres.
Enfin tout est fini — je dois maintenant retourner à la
maison et terminer ma finale par ma sonate pour le piano;
mais il n'est pas encore onze heures et nous jouissons d'une
belle nuit d'été. Je parierais bien que, chez les oberjager-
meister, mes plus proches voisines, les demoiselles sont
assises à la fenêtre, criant dans la rue, pour la vingtième
fois, avec leurs voix dures, aigues et perçantes :
« Quand ion œil est rayonnant, amour! »
mais seulement la première stance qu'elles répètent à satiété.
A peu de distance de mon chemin, il y a quelqu'un qui
assassine de la flûte; il a des poumons comme ceux du neveu
de Rameau ; il file des notes longues et enchaînées, aigues et
HYPÉR1ON. Il
discordantes, et son voisin essaie des expérimentations
d'acoustique sur le cor français. De nombreux chiens du
voisinage se rassemblent avec un vacarme épouv.mtnble, et
la chatte de mon propriétaire, inspirée par 'ce suave duo, est
occupée, à ma fenêtre, (car, à coup sûr, mon laboratoire
musico-poétique est une mansarde), à faire de tendres confes
sions sur toutes les gammes, se plaignantdoucementauminou
du voisin avec lequel elle fait l'amour depuis mars dernier!
A part cela, tout est tranquille; je pense que je ferai bien de
me reposer ici tranquillement, aussi, pourvu qu'il y ait
encore du papier blanc de reste et surtout du bourgogne dont
il me faut savourer un léger trait!...
Il y a, comme je l'ai entendu dire, une ancienne loi qui
défend à ceux qui ont des métiers bruyants de s'établir dans
le voisinage des hommes de lettres.
Est-ce que les compositeurs de musique, pauvres et dure
ment tourmentés, et qui cependant sont forcés de frapper
monnaie avec leurs inspirations, ne devraient pas être favo
risés du bénéfice de cette loi? Est-ce qu'on ne devrait pas
bannir aussi de leur voisinage tous les chanteurs de ballades
et les joueurs de cornemuse?
Que dirait un peintre, tandis qu'il transporte sur la toile
une forme d'une beauté idéale, si vous vous permettiez d'ex
poser devant lui toutes les faces les plus repoussantes et les
masques les plus hideux? 11 devrait se boucher les yeux, et
de cette sorte, au moins, il pourrait tranquillement inventer
sa figure de fantaisie. Mais du coton dans une oreille ne sert
à rien ; il en reste une autre pour être assourdie de cet horri
ble massacre. — Et encore rien que l'idée, la simple idée :
« maintenant ils vont se mettre à chanter, maintenant le cor
va résonner» — n'est-elle pas suffisante pour envoyer à tous
les diables les pensées les plus sublimes?
HYPÉR1O.N.
L'église et l'auberge sont situées vis-à-vis l'une de l'autre,
et séparées seulement par une chaussée boueuse et le cime
tière, avec ses croix de fer et ses ornements sur les tombes.
Dans le cimetière, ainsi que devant la porte de l'auberge,
il y avait des groupes de paysans qui attendaient le commen
cement du service divin. Ils étaient en habits de dimanche :
les hommes portaient des culottes et de longues bottes, avec
des habits à larges boutons de métal ; les femmes avaient des
chapeaux de paille et des robes de calicot de couleur tran
chée, à courte taille et très guindées. Elles étaient couvertes
de faux ornements , ce qui rappela à Flemming les indiennes
des villages-frontières de l'Amérique.
Près de la porte du cimetière était une baraque remplie de
calicots de toutes couleurs, et vis-à-vis était assise une vieille
femme, devant une table chargée de pains d'épices. Elle avait
un jeu de roulette, et les paysans risquaient un kreutzer
pour un morceau de pain d epice. Sur d'autres tables s'éta
laient des couteaux, des serpes, des faucilles et autres
instruments de ménage et d'agriculture exposés à la vente.
Nos voyageurs continuèrent leur route, sans s'arrêter plus
longtemps, pour entendre la messe.
Dans le cours de l'après-midi, ils arrivèrent avec un
soudain plaisir en vue du charmant lac de Saint-Wolfgang,
qui s'étendait dans la vallée au-dessous d'eux.
Sur le versant était situé le beau et blanc village de Saint-
Gilgen, se parant comme un cygne dans un nid de roseaux.
Il leur semblait l'avoir pris à l'improviste, se réveillant au
bruit de leur émouvante admiration et déployant ses ailes
blanches comme la neige, comme pour fuir à leur approche.
Toute la scène était surpassante de beauté! Ils descen
dirent lentement la montagne pour jouir de la vue, et ils
s'arrêtèrent à une auberge du village. Devant la porte était
il HYPÉRION.
un arbre magnifique, sous les branches duquel s'étalaient des
tables et des bancs. Sur le frontispice de la maison, il était
écrit en larges lettres : « Auberge de la Poste, tenue par
Franz Schondorfer; et au-dessus se dessinait un large cadran
solaire, avec une peinture à demi effacée d'une chasse à
Fours, recouvrant une partie de la façade de la maison et
dans laquelle la couleur rouge dominait.
Comme ils arrivaient, une procession défilait autour de
l'église, composée du clergé avec ses bannières et d'une foule
de paysans tenant leurs chapeaux à la main. Ils chantaient
en chœur un psaume; et, au même moment, une servante
agile et pimpante, ayant sur la tète un bonnet de paille mis
coquettement sur ses beaux cheveux blonds, avec une large
cuiller d'argent à sa ceinture, sortit de l'auberge et demanda
à Flemming ce qu'il lui plaisait d'ordonner pour leur
déjeuner.
Bientôt le déjeuner fut prêt et servi dans une grande
salle à l'étage supérieur, sur une table en chêne de façon
antique.
Berkley se fit. alors apporter une cuvelle d'eau froide dans
laquelle il s'assit, sans tirer ses pantalons et s'enveloppant les
genoux d'une couverture. Il resta , dans cette position . pen
dant plus d'une heure, mangeant de bon appétit,- fumant sa
pipe et riant beaucoup.
Il alla ensuite se mettre au lit et dormit jusqu'à l'heure du
dîner.
Pendant ce temps, Flemming resta dans sa chambre et se
mit à lire. C'était une grande chambre, donnant sur le devant
et d'où l'on pouvait voir le village et le lac. Ses fenêtres
étaient garnies d'un treillage, avec de petits carreaux, et sur
les tablettes reposaient des pots de fleurs.
La chaleur était tombée; le jour, comme un pelerin
HYPÉRION. 4ti
fatigue, avait atteint la porte ouest du ciel; et le soir se pré
sentait pour lui délier les cordons de ses souliers.
Flemming et Bekbley profitèrent de la fraîcheur, pour
aller se promener sur les bords du lac, le long des vertes
avenues et dans les allées, sur les monticules de la forêt; ils
jouissaient d'une promenade délicieuse, aux derniers rayons
d'une belle journée d'été.
Le frais du soir auprès du lac était comme un bain; ils
se mirent à humer avec bonheur, et goutte à goutte, cette
fraîcheur bienfaisante après la fébrile et longue chaleur du
jour; leur poitrine palpitait de joie et revivait.
Puis ici, le lac est si beau et si tranquille ! ne rappelle-t-il
pas, qu'en pensez-vous, le lac de Thun !
En retournant à l'auberge, ils passèrent près du cimetière
du village.
— Allons le visiter et voir comment les morts y reposent,
dit Flemming, comme ils passaient sous le beffroi de l'église;
et ils y entrèrent et se promenèrent longtemps au milieu des
tombes et des nuages du soir.
Combien est paisible cette dernière demeure de ceux qui
habitent les hameaux verts et les cités populeuses de la mort!
Ils n'ont besoin d'aucun antidote contre les soucis — ni de
bouclier pour les préserver des hasards du destin; là, point
de rayons de soleil, au matin, donnant sur leurs fenêtres
fermées; rien qui puisse les réveiller jusqu'au dernier grand
jour — à peine un faible rayon de lumière se traîne-l-il à
travers les caveaux en ruines d'une vieille tombe négligée
comme un visiteur étranger qui ne reste pas longtemps.
Et là tous sont endormis, les saints avec leurs bras croisés
sur leur poitrine ou se tenant sans mouvement à leurs côtés,
— ils ne sont pas ciselés sur le marbre ni faits de mains
d'homme, mais formés de poussière par la main de Dieu.
4ti HYPÉR1ON.
Que la paix de Dieu soit avec eux !... Personne ne vient
maintenant àeux, pour les prendre par la main etdeses doigts
délicats caresser leurs cheveux. Ils ne reçoivent plus les
caresses d'une amitié terrestre ; ils n'ont pas plus besoin de
nous que nous n'avons besoin d'eux, et cependant ils atten
dent en silence notre arrivée!
Ah ! combien elle est charmante cette saison de la vie où
nous pouvons dire, dans le langage de l'écriture : tu es la
rosée de ta jeunesse, mais encore de ces jeunes fleurs la mort
cueille beaucoup. Elle les place sur sa poitrine et se
transforme ainsi en quelque chose de moins terrible
qu'avant; nous apprenons à regarder et à ne pas trembler,
car la mort porte, dans ses bras, les douces fleurs de nos
espérances terrestres; nous les reverrons un jour, se réjouis
sant dans un monde meilleur.
Oui, la mort nous rend de nouveau à nos amis; ils nous
attendent, et nous ne devons pas tarder à les rejoindre, ils
sont partis avant nous, et sont comme des anges du ciel. Ils
se tiennent sur les bords de la tombe pour nous recevoir, avec
ce même air d'affection qu'ils nous portaient sur la terre; et
même ils sont plus aimables, plus radieux et plus spirituels!
Il a bien pensé celui qui a dit : que les tombes sont les
vestiaires des anges !
La mort t'a prise aussi, toi ! et tu as été la rosée de ta jeu
nesse. Elle t'a placée sur son sein , et sa face terne en exha
lait un sourire !
La contrée éloignée vers laquelle nous voyageons paraît
plus près de nous, et le chemin moins obscur; car tu es
partie en avant, et tu as passé si tranquillement à ton lieu de
repos, que le jour lui-même ne meurt pas plus tranquille
ment !
C'était dans une heure de communion bénie avec les
HYPÉRION. 47
âmes des trépassés que le doux poëte, Henri Vaughan, a écrit
ces quelques lignes qui ont rendu la mort aimable :
SAINT - WOLFGANG.
LA DERNIÈRE ANGOISSE.
i.
7
IV.
i. n. 9
XII.
Atin que cette sentence pût être toujours pour lui comme
une salutation et un souvenir, toutes les fois qu'il entrerail.
Et à l'intérieur, il avait écrit ces lignes profondes qui
appartiennent à un poète plus moderne :
13
XXII.
if
XXVI.
LIVRE QUATRIÈME.
Pages.
Chapitre I». — Un Misëréré 7
» II. — Les cloches de retraite 12
» III. — Les ombres sur la muraille 22
» IV. — Les souffrances musicales de John Kreisler. 33
» V. —
VI. — Saint-Gilgen
Saint-Wolfgang ■ . . 42 30
» VII. — L'histoire du frère Bernardin 61
» VIII. — Les empreintes de pieds d'anges .... 71
» IX. — La dernière angoisse 79
... 87
K.AVANAGH
FIN.
r
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LECLERCQ (Emile). Le Caméléon.
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