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CHANT TRENTE-NEUVI�ME. Oeuvre num�ris�e et mise en page en collaboration avec Marc Szwajcer
CHANT TRENTE-NEUVI�ME.Dans le trente neuvi�me livre, apr�s la bataille navale, vous verrez D�riade fuir les vaisseaux indiens incendi�s. Mercure s'�l�ve inaper�u dans les cieux apr�s ce r�cit, et en laisse � son fr�re Bacchus l'�tonnement et le plaisir. Mais, tandis que le dieu s'�merveille encore de ce renversement des astres, de cette chute de Pha�ton, et comment, consum� par la foudre, il est tomb� du ciel dans le fleuve occidental des Celtes, arrivent les vaisseaux �trangers que les Rhadamanes (01) dressent en ligne sur les flots et qu'ils conduisent sur des ondes paisibles pour attaquer les Indiens par mer. Ces provocateurs de la bataille tracent l'un apr�s l�autre des routes sur l'Oc�an. Les souffles d'un vent favorable les am�nent � Bacchus et les font remonter vers lui: Lycos les commande; du haut du char qu'il dirige sur les eaux, il fait raser � ses coursiers le courant o� leurs ongles ne laissent aucune empreinte. Cependant, du sommet des tours, le gigantesque D�riade, �levant son regard courrouc� par-dessus la t�te de ses compagnons, a vu les voiles des vaisseaux se d�ployer comme un nuage; guerrier infatigable quand il apprend que l'Arabe a fabriqu� des navires pour l'attaquer, il jure de porter le fer et la flamme chez ces Arabes b�cherons; il menace d'an�antir la ville de Lycurgue et de moissonner les Rhadamanes de son glaive exterminateur ; les plus intr�pides Indiens tremblent � la vue de la flotte ; cet appareil maritime les frappe d'�pouvant�, et l'audacieux D�riade lui-m�me sent fl�chir ses genoux. Cependant le roi des Indes, d'un sourire dissimul� et d'un visage serein, ordonne qu'on am�ne des bords inaccessibles de sa province o� vivent les �l�phants la force de trois cents vaisseaux ; un messager diligent monte aussit�t par les sentiers d�tourn�s de territoire et territoire ; la flotte des �les diverses accourt � l'appel de son ma�tre ; il reprend courage, rel�ve la t�te et voyant ses beaux vaisseaux pr�ts au combat naval et rassure ses troupes. � Soldats, leur dit-il d'une voix superbe, vous qu'a nourris mon belliqueux Hydaspe, combattez encore avec confiance ; allumez pour la guerre un feu �tincelant. Secouez de nombreuses torches. Je veux embraser de mes brandons ces nouveaux venus ; je veux engloutir sous les ab�mes cette arm�e qui marche sur les mers avec ses lances, ses cuirasses, ses nacelles et son Bacchus. Serait-il dieu, mes flammes en auront raison. N'est-ce pas assez quand il a multipli� ses enchantements dans les ondes, et rougi mon Hydaspe de ses fleurs de Thessalie, que j'aie gard� le silence et consid�r� de sang-froid les courants brunis et mon fleuve souill�? Ah ! si ce fleuve e�t �t� �tranger pour moi, si l�indien et martial Hydaspe n'e�t �t� mon p�re, j'aurais moi-m�me vers� la terre dans son lit, et fray� ainsi une route aux grappes de Bacchus; j'aurais alors march� sur les flots enivr�s de l'auteur de mes jours, et sous mes pieds soulev� la poussi�re au sein des eaux qui n'auraient pu m'atteindre. Ainsi, dit-on chez les Grecs, Neptune dess�cha les courants et effleura des ongles des coursiers la poudre du fleuve Inachus tari (02). Non, ce Bacchus n'est pas un dieu. Il n'est pas dieu, et son origine est un mensonge. Vibre-t-il l'�gide olympienne de Jupiter? A-t-il l'�tincelle de la foudre divine? Quel �clair c�leste son p�re lui a-t-il livr�? Comparerons-nous jamais une n�bride tachet�e � une �toile scintillante? Mais quoi ! il a re�u en don d'un p�re qui fait cro�tre les v�g�taux, la grappe et la liqueur du vin ! On m'a dit, en effet, que jadis Jupiter avait pr�t� � Zagr�e, l'antique Bacchus, son tr�ne et le si�ge de l'Olympe; oui, l'�clair � Zagr�e et la vigne au vineux Bacchus. Jupiter a voulu, il est vrai, que je ne sais quel rustique berger n� du sang troyen, Ganym�de, vers�t dans l'Olympe le nectar. Mais qu'ont de commun le nectar et le vin? Arri�re les thyrses! Bacchus festoie sur la terre les satyres ; et Ganym�de partage les repas des immortels. Si cet homme avait une origine c�leste, il s'assoirait � la table de Jupiter et des dieux. Non, le fils de Saturne ne s'arme pas d'un lierre vineux pour le combat. Je ne dirai point que les thyrses ressemblent au fracas de la foudre, ni le bruit des cymbales au roulement du tonnerre ; et une nu�e de Jupiter n'a valu jamais une cuirasse terrestre. � Il dit, et s'�lance � la bataille. Ses troupes le suivent avec leurs piques, leurs boucliers, et reportent sur la mer l'espoir tardif d'une victoire qui leur �chappe sur le continent. De son cot�, Bacchus, d'une voix inspir�e parle ainsi � ses soldats : � Valeureux fils de Mars et de Minerve � la belle cuirasse, vous dont la guerre est la vie, vous dont l'espoir est le combat, h�tez-vous d'exterminer aussi sur les flots la race indienne. Et que la victoire vous couronne sur la mer comme sur la terre! unissez par un double lien ces piques entrelac�es, protectrices des luttes maritimes, ces piques soud�es par l'acier qui rev�t leurs pointes, et �pouvantez l'ennemi de ces faisceaux redout�s, avant que D�riade brandisse ses torches br�lantes et consume le bois de vos navires belliqueux. O Mimallones, combattez sans crainte : les esp�rances de nos adversaires sur la mer sont vaines, quand le chef des Indiens n'a pu, apr�s tant de fatigues, repousser sur la terre nos attaques ; et pourtant il s'assoit sur le sommet des plus hauts �l�phants. Il touche aux nues et se d�robe aux coups et aux blessures au sein des airs (03). Ah! je ne manquerais jamais de d�fenseurs, si je voulais invoquer un autre secours que celui de mon p�re, ma�tre des ondes et des cieux ; je pourrais armer � mon gr� son fr�re Neptune, et le trident an�antirait toute la flotte des Indes. J'aurais pour auxiliaire le guerrier � la large barbe, rejeton de Neptune, Glaucos (04), le voisin de Th�bes mon pays, le maritime citoyen d'Anth�don et du sol d'Aonie. Oui, Glaucos et Phorcys � la fois (05). M�licerte, par honneur pour Bacchus son fr�re, submergerait aussi sous ses flots les navires de D�riade ; car jadis sa m�re a nourri mon enfance, lorsque la reine des mers Ino donnait son lait � la fois � Bacchus et � Pal�mon : je suis l'ami de Prot�e, le vieillard proph�te, dont la voix s'�leva jadis des ab�mes pour pr�dire notre future victoire sur les eaux. Ma Th�tis am�nerait dans nos rangs les filles de N�r�e ; et mon Ino s'armerait pour venir en aide aux Bassarides dans la m�l�e. Je pointai appeler �ole lui-m�me au combat, voir Euros lancer les javelots, Bor�e brandir la pique; Bor�e, le gendre de mon capitaine et le ravisseur de nymphe de Marathon (06). Notos, l'�thiopien, me prot�gerait de son bouclier. Mieux qu'eux tous, Z�phyre soul�verait ses orages contre la flotte ennemie. N'a-t-il pas pour �pouse Iris la messag�re de notre Jupiter ! Mais non, que le t�m�raire �ole reste muet, apais�, et � l'�cart des luttes du thyrse contre les Indes ; qu'il scelle de ses cha�nes accoutum�es l'outre des vents. Je n'ai pas besoin, pour exterminer les Indiens sur la mer, des exploits de leurs souffles. Le thyrse me suffit pour briser les vaisseaux et mettre fin au combat. � Il dit, et rend la confiance � ses capitaines qu�il range en bataille. D�j� la trompette avant-courri�re du combat s'entend ; d�j� les fl�tes de Mars rassemblent les troupes et font retentir leur belliqueuse harmonie; l'airain sonore des boucliers r�sonnent d�un bruit maritime ; le fifre qui m�ne � la m�l�e leur r�pond; l'�cho de Pan est devenu l'�cho de la mer et sa voix de rocher renvoie les cris affaiblis de la guerre qu'elle est la derni�re � r�p�ter. La bataille s'engage : les clameurs s'�l�vent et grandissent; les troupes combattent dans leur rang accoutum�, et se rangent toutes en cercle; la flotte des Indiens, comme des poissons forc�s dans les filets (07), est investie de vaisseaux qui marchent de front. �aque, au d�but de la lutte, adresse ainsi aux �acides sa voix inspir�e, pr�sage du triomphe naval de Salamine : � O Jupiter, roi des pluies, si jadis, sensible � nos voix suppliantes, vous avez chass� l'infertile s�cheresse de nos vastes campagnes et arros� de vos eaux vivifiantes nos sillons alt�r�s, accordez-nous plus tard encore une pareille faveur; que vos ondes ici servent une seconde fois � ma gloire, et qu�en voyant nos succ�s, on dise que Jupiter honore son fils sur les mers comme il l'honora sur la terre. Qu'un autre guerrier grec puisse dire aussi : �aque donne � la fois la mort et la vie ; il tranche les t�tes des Indiens ennemis et rend les moissons � la gl�be, il charme C�r�s et r�jouit Bacchus! Prot�gez la marche de nos vaisseaux, et si j'ai su appeler une onde qui rend la vie dans les flancs d'une terre aride, faites que je soul�ve aujourd'hui du sein des ab�mes terrestres des flots qui portent la mort, pour attaquer D�riade avec mes navires et mes bataillons. O p�re, ma�tre de l'existence et ma�tre aussi des combats, envoyez � la droite de nos troupes en aide votre Bacchus l'aigle embl�me de ma race; qu�un oiseau pareil vole � la gauche de l'ennemi ; qu�ils portent aux deux arm�es des pr�sages tous contraires; que l'un se montre � ma vue, emportant dans son vol ravisseur, et meurtrissant des pointes ac�r�es de ses serres rapides, l'immense serpent C�raste, dont le cadavre annonce la fin prochaine de notre adversaire cornu; et que l'autre se pr�sente aux Indiens, noir comme eux, proph�tisant leur mort de ses ailes obscures, image t�n�breuse et spontan�e du tr�pas. Venez, de gr�ce, pr�dire ma victoire par les roulements de votre tonnerre ; lancez cet �clair, illuminateur de la naissance de Bacchus. Que votre feu glorifie encore un de vos fils, et que les fl�ches de la foudre an�antissent ces grands vaisseaux des ennemis. Oui, mon p�re; souvenez-vous d'�gine (08), et ne d�shonorez pas cet oiseau compagnon de vos amours, qui fut l'�poux de votre �pouse. � Il dit, et s'avance au combat. �rechth�e, de son c�t�, tend ses yeux dans les routes des airs vers la pointe o� l'Ourse c�leste fait sa r�volution, et il crie ces paroles � son gendre qu'il implore : � O Bor�e, � mon gendre, arme-toi ; pr�te l'appui de tes souffles au p�re de ton �pouse; donne � ses efforts belliqueux la victoire en don de ton hym�n�e. Apporte � notre flotte ces haleines qui font voler les vaisseaux, et sois propice � �rechth�e ainsi qu'� Bacchus. Excite tes orages, fouette la mer en furie, et soul�ve-les vagues contre la flotte de D�riade. Tu n'es pas sans exp�rience des combats, puisque tu habites la Thrace; n'es tu pas aussi exerc� que Mars lui-m�me ? Dirige tes brises glac�es contre les phalanges de nos ennemis; tire contre D�riade le glaive de tes frimas; oppose-leur toutes les temp�tes; accable-les sous les traits de la gr�le, et montre-toi fid�le ami de Jupiter, de Pallas et de Bacchus. Souviens-toi de la C�cropie (09) aux belles vierges, o� les femmes brodent sous leurs navettes tes amours et ton hymen. Fais honneur � l'Ilissus, ton complice, qui vit la nymphe ath�nienne, aujourd'hui ton �pouse, enlev�e par tes imp�tueuses haleines, in�branlablement assise sur les immobiles �paules de son ravisseur. J'ai appris qu'un autre veut, voisin oriental de nos ennemis, vient � leur aide; mais comment redouterais je dans la m�l�e le vaillant Euros? Tous les vents ail�s, autant qu'il en souffle, ne sont-ils pas les serviteurs de Bor�e? Que le chef des �thiopiens, Corymbase, ne revienne jamais dans la plaine de sa m�ridionale contr�e, mais que, dompt� comme son br�lant auxiliaire, le Notos d'�thiopie, il boive sous les mers l'onde glac�e qui donne la mort. Peu m'importe le Z�phyre, quand Bor�e est pour moi (10). T�moigne � ton beau-p�re ta bienveillance ; avec toi, du haut des deux, Neptune, arm� de son trident, et Minerve, favoriseront les soldats de Bacchus que je commande : l'une, parce qu'ils sont ses citoyens; l'autre, parce qu'ils descendent de son fr�re. Le br�lant Vulcain, pour glorifier le sang d'�rechth�e, viendra au-devant de la bataille des eaux, et dardera contre le vaisseau de D�riade sa torche martiale. De gr�ce, fais-moi vaincre aussi sur les mers ; qu'�rechth�e, apr�s le triomphe, ram�ne dans la C�cropie ses troupes �pargn�es; et Ath�nes c�l�brera par ses chants Bor�e et Orithyie. A ces mots, il entame la lutte navale, aid� de sa pique audacieuse ; possesseur de Marathon, il a la passion des combats nautiques. Le tumulte des rames et de la m�l�e s'accro�t. Mais n'est plus qu'un matelot. Phobos prend dans sa main le gouvernail; et Dimos, l'intendant des batailles, d�tache les ancres des vaisseaux arm�s d'avirons. Neptune, de son c�t�, arm� du trident des ab�mes, attaque l'ennemi ; M�licerte dirige le char du dieu des mers, et fait fureur sur les flots qui ne peuvent l'atteindre. Les quatre vents qui chevauchent sur l'Oc�an, mont�s sur quatre orages, �l�vent des vagues comme des tours, et travaillent � an�antir les rangs des vaisseaux oppos�s, les uns en faveur de D�riade, les autres pour Bacchus. Z�phyre s'anime; Notos siffle contre Euros ; et Bor�e, qui am�ne de la Thrace des souffles contraires, fouette la surface des mers dont il excite la sauvage fureur. La Discorde a r�gl� pour la flotte de D�riade l'ordre de l'attaque, et a commenc� le combat, tandis que la Victoire, d'une main fatale aux Indiens, a gonfl� les voiles des vaisseaux de Bacchus. N�r�e appuie sur ses l�vres harmoniques une trompe guerri�re, il fait mugir le clairon naval ; Th�tis r�pond � cette harmonie par un �cho maritime, et m�ne au secours de Bacchus toutes les vagues de son p�re. Les phalanges des Cyclopes naviguent aussi, d�cochant sur les navires les roches de la rive ; Euryale jette le cri du combat; le gigantesque Halim�de devient fr�n�tique dans cette m�l�e dont retentissent les flots. Bellone, apr�s tant de d�bats terrestres, r�sonne encore sur la mer pour les deux arm�es. Au milieu des cris tumultueux qui se prolongent sur les ondes, les vaisseaux des Indiens fondent sur les vaisseaux de Bacchus. L� des deux c�t�s, les vagues bouillonnent ; les bataillons entiers succombent des deux parts; la surface de la mer perd son azur et rougit sous le sang qu�on vient de r�pandre. De nombreux matelots, tum�fi�s apr�s leur tr�pas, surnagent �� et l�. La multitude des morts que les vents tourmentent sur les flots tournoyants vogue au gr� de leurs violentes haleines. Sous l'ouragan imp�tueux de la m�l�e, beaucoup ont gliss� dans les courants; appesantis par leur cuirasse, ils ont bu fatalement l'onde am�re et subi les arr�ts de la Parque des ab�mes. (11) Les eaux noires et profondes ont cach� dans la mousse de leurs gouffres des cadavres gonfl�s, noirs comme elles; la cotte de mailles s'enfonce avec le guerrier qui la porte, et se cache sous un limon �pais. La mer est un tombeau. Plusieurs sont ensevelis dans les m�choires des baleines. Le phoque engloutit dans une gorge tendue aux poissons des restes inanim�s, et vomit des flots sanglants; l'Oc�an se couvre des armes des guerriers disparus ; le casque et son aigrette s�par�s du soldat qui vient de p�rir, flottent encore d'eux-m�mes � la surface: les boucliers arrondis et leurs humides courroies tourbillonnent en foule dans les courants ; une �cume rougie brise au bord des vagues blanchissantes et tache le flot argent� d�une tra�n�e de sang. La liqueur pourpr�e du carnage rejaillit sur M�licerte. Leucoth�e, la nourrice de Bacchus, l�ve une t�te orgueilleuse, et pousse de grands cris; elle a plac� sur ses cheveux une couronne d'algues fleuries en l'honneur de la victoire qui va an�antir les Indiens; Th�tis montre sur la mer son front d�gag� de voiles, appuie ses bras sur Doris et Panope, et tourne un regard complaisant sur le dieu du thyrse. Galat�e quitte ses gouffres sous-marins, et para�t � demi port�e par des flots paisibles qu'elle fend : elle a vu l'attaque du cyclope homicide �pouvanter la mer ; elle s'en �meut ; l'effroi fait p�lir ses joues ; elle a cru apercevoir entour� d'Indiens Polyphonie, auxiliaire de Bacchus contre D�riade, et, dans sa terreur, elle a suppli� V�nus, la fille de la mer, de sauver le valeureux fils de Neptune; puis elle a conjur� Neptune lui-m�me, si tendre p�re, de prot�ger son fils ; Polyph�me dans la m�l�e. Les filles de N�r�e entourent le ma�tre du trident des ab�mes ; appuy� sur cette arme, le dieu des ondes consid�re pr�s de lui le combat ; il observe l'arm�e du dieu victorieux, voit avec envie les exploits d'un autre cyclope, et adresse ces vifs reproches � Bacchus, perturbateur des mers : � Pourquoi donc, cher Bacchus, quand tu r�unis tant de cyclopes, en laisser un seul � l'�cart des combats? La guerre a langui dans le cercle de sept ann�es (12), nourrissant �ternellement l'esp�rance d'une bataille toujours recul�e, parce qu'un seul chef, l'invincible Polyph�me, manquait dans les rangs des d�fenseurs de la grande querelle. Le cyclope mon fils se f�t arm� pour ta cause, et, ton auxiliaire sur les champs de bataille, il e�t brandi aupr�s de Bacchus la pointe de mon trident h�r�ditaire. Sous cette faux, il aurait bris� la poitrine de D�riade � la corne de taureau, moissonn� la multitude, et extermin� en un seul jour la race enti�re des Indiens. Un autre de mes fils, arm� de cent mains, a bien jadis aid� ton p�re � dompter les Titans. Lorsque l'immense Aeg�on, faisant fuir Saturne, d�ployait la tribu de ses bras au haut des airs, et ombrageait le soleil de sa sublime chevelure, les terribles Titans s'�loign�rent de l'Olympe, redoutant de lutter contre les robustes bras de Briar�e. � Ces reproches disaient la jalousie de Neptune, et Thoose (13) honteuse baisse les joues et s'attriste de ne pas voir Polyph�me, que l'amour retient loin des combats. Les phalanges de Bacchus tombent � leur tour sur l'escadre des noirs ; une multitude innombrable d'ennemis succombe, frapp�e par les glaives et par les fl�ches plus rapides encore. L'un re�oit un trait dans les flancs, l'autre est frapp� du tranchant de l'�p�e au milieu du front, et la profonde blessure a bris� son cr�ne. Des deux flottes part une pluie de fl�ches qui traverse bruyamment les airs et atteint au loin sans s'�garer; l'une s'enfonce au milieu du mat, l'autre troue la voile arrondie et siffle comme les vents. Celle-ci perce de part en part les flancs du vaisseau. D'autres, dirig�es de pr�s contre la t�te des pilotes, brisent l'extr�mit� mobile et le manche du gouvernail. Un trait demeure saisi dans les cordages, un autre tombe sur la poutre du milieu et y reste; celui-ci, plus vagabond, va toucher la pointe de l'antenne qui se balance dans les airs. Phlogios, l'illustre archer, d�coche une fl�che prompte comme les vents, et, sans atteindre Bacchus, elle frappe le pont de son vaisseau. Il fallait voir une autre fl�che errante, que ses ailes emportent sur les flots, s'arr�ter dans les plis tortueux d'un polype; une autre, dirig�e contre Bacchus aussi, s'�loigner du but et frapper un thon d'un fer de l'�rythr�e. Corymbase lance sa pique pour percer le vaisseau d'un satyre ; l'arme le d�passe, et va effleurer de sa pointe aigu� la queue � deux nageoires d'un poisson. D�riade appr�te son coup, vise l�invuln�rable Bacchus du fer de son javelot; mais c'est en vain : le trait meurtrier se d�tourne et va s'enfoncer en vibrant dans la cr�te d'un dauphin, l� o� la t�te se courbe pour s'unir au cou. Le dauphin, s'arrondissant encore de lui-m�me dans son cercle habituel, bondit en expirant sous l'�treinte d'une Parque sautillante et les poissons dansent �� et l� dans les culbutes de la mort, et tressaillent sur leurs dos d�chir�s. St�rope est aux premiers rangs, et le colossal Halim�de, saisissant de ses mains la roche d'une colline n�e de la mer, la lance contre l'ennemi. Le navire errant, entra�n� par ce bloc raboteux, s'enfonce. L��cho r�p�te les cris divers de l'�quipage entass� qui se noie. De nombreux matelots de toutes nations, dispers�s �� et l�, d�chirent la mer sous leurs rames alternatives, et redoublent l'�cume des flots blanchissants. Une pique lanc�e de pr�s traverse � la fois deux vaisseaux, les r�unit l'un � l'autre et les serre de ce lien commun. C'est en vain que l'�quipage cherche � les s�parer ; le travail des rameurs empress�s demeure sans effet. Le ma�tre du gouvernail tranche alors d�un fer secourable les c�bles entrem�l�s, et son �p�e rompt leur cha�ne. Les deux flottes sont engag�es sur quatre points diff�rents. L'une s'�lance du c�t� du br�lant Euros, l'autre vers le vent de Libye, celle-ci vers Bor�e, celle-l� sur la ligne du Notos. L'imp�tueux Morrh�e multiplie les assauts ; il passe de vaisseau en vaisseau et jette l'effroi parmi les Bassarides. Ses exploits sur les eaux sont dignes de lui, mais Bacchus le blesse de son thyrse et interrompt la lutte navale, Morrh�e, souffrant de sa blessure, s'est retir� vers la ville. Tandis que cette plaie qu'il doit � un dieu re�oit les soins de la main inspir�e et salutaire de la brachmane � qui l'art de Ph�bus apprit � calmer les douleurs en murmurant des paroles enchant�es et des chansons magiques, la flotte de Lydie fond sur l'ennemi et m�le la navigation au combat ; Bellone la devance ; alors le tumulte des divers engagements parcourt les ondes et y r�sonne. Les ennemis qu'atteignent les blocs de pierre, les rameaux meurtriers, les piques ou l'�p�e, tomb�s dans les eaux profondes, y rament de leurs mains inaccoutum�es, de leurs pieds inhabiles, et y demeurent ensevelis. Quand au contraire un guerrier de Bacchus bless� glisse dans les flots, il les fend de ses pieds habitu�s � la mer, surnage � l'aide de ses mains exerc�es, et, luttant contre les vagues qui l'assi�gent bruyamment, il les d�chire et revient au milieu des siens. Cependant le combat finissait; N�r�e voit l'Oc�an sa demeure refluer de sang sous la tumultueuse bataille; Neptune s'�tonne de cette surface des mers rougie de ces poissons qui d�vorent les guerriers, et de cette multitude de cadavres qui forme sur les ondes voisines un pont � l'abri de ses flots. C'est alors que le cabire Eurym�don, �levant sa torche accoutum�e, invente un stratag�me favorable � l'attaque; il br�le d'un feu qu'il allume lui-m�me le long vaisseau qu'il occupe, puis il le d�tache sur les vaisseaux ennemis. Le navire, par les ordres de Bacchus, court en furie sur la mer ; cette torche errante vogue dans une ligne circulaire ; par ses obliques d�tours, elle gagne les navires l'un apr�s l'autre, et consume �� et l� des rang�es enti�res de vaisseaux. La N�r�ide, qui voit l'�clat d'une mer embras�e, plonge �chevel�e dans les gouffres de l'Oc�an, et �chappe � travers des eaux br�lantes � cet incendie des flots (14). L'arm�e des Indiens abandonne la mer, se retire sur le continent, et Pha�ton sourit � la vue de Mars qui, apr�s les premiers filets, fuit une seconde fois devant les feux de Vulcain. D�riade, � l'aspect des flammes qui montent dans les airs, s'�chappe sans �tre aper�u dans la plaine, de toute la rapidit� de ses genoux, pour �viter les humides assauts de Bacchus, le nautique guerrier (15). C'est alors que le fils de Saturne fait pencher la balance du combat naval, et donne � Bacchus la victoire maritime (16).
NOTES DU TRENTE-NEUVI�ME CHANT. (01) Les Rhadamanes. � Nous avons d�j� rencontr� au vingt et uni�me chant ces Rhadamanes que Minos chassa de la Cr�te et exila dans les plaines de l'Arabie; ils se rapproch�rent sans doute de la mer, puisqu'ils figurent ici en qualit� de constructeurs de vaisseaux. On ne trouve aucune trace de cette nation ou de cette colonie dans Arrien, Ptol�m�e, ni chez les autres g�ographes antiques. Je ne puis m'emp�cher d'y voir, en raison de l'analogie des noms, quelque trace de Rhadamanthe, le fr�re de Minos, meilleur que lui, lequel fut expuls� de la Cr�te par le l�gislateur si sage dans le T�l�maque, mais si libertin dans la mythologie. Rhadamanthe habitait les limites do monde, πείρατα γαίηνς (Od., IV, 564), qu'Hom�re a d�crites en si beaux vers :
L� jamais les hivers, de leur �pre
froidure, (02) L'Inachus. � Ruisseau qui porte le nom glorieux du fondateur d'Argos et du p�re de la grande race des Inachides. Sans plus de respect pour ce mythologique souvenir, le 18 septembre 1820, je fis comme Neptune, et je vis se lever dans le lit de l'Inachus, sous les pieds de mon cheval, des flots... de poussi�re. Le fleuve, d�guis� sous le nom de Planitsa, attendait les pluies de l'hiver pour offrir quelques gouttes d'eau aux ablutions des rares musulmans qui se rendaient de Corinthe � Argos. (03) D�riade au haut de ses �l�phants. � Cette attitude dominatrice de D�riade me fait souvenir de quelques vers grecs tellement adulateurs qu'ils m�ritent � peine le nom d'�pigramme : � Charg� d'une tour, l'�l�phant ne conduit pas toujours aux combats de nombreux et bruyants guerriers. Il tend quelquefois son large cou tremblant aux harnais du char qui trame le divin C�sar. Le monstre conna�t aussi le prix de la paix, et, jetant loin de lui les instruments de Mars, il porte, au lieu d'eux, le chef des conqu�tes pacifiques et le p�re des lois. � (�pigramme anonyme, Jacobs, Choix de l'Anth., � X, 13.) Ce sont ces �l�phants r�serv�s aux empereurs romains, que Juv�nal d�signe ainsi :
Arboribus Rutulis, et Turni pascitur agro
(04) Glaucos. � Glaucos occupe d�j� une place dans le d�nombrement (liv. XIII. v. 75), mais seulement pour m�moire, sans en faire partie int�grante; et on vient de le voir avec la plante qui l'a rendu immortel (ch. XXXV, v. 76). (05) Phorcys. � Phorcys, que Bacchus lui associe, est une autre divinit� maritime bien moins int�ressante que le p�cheur d'Anth�don, dou� d'une vie �ternelle, ἀειζόοιο ; Phorcys, �poux de C�to aux belles jours, la baleine, est n�anmoins le p�re de ces Gr�es qui entrent pour quelque chose dans le nom port� aujourd'hui par les descendants d'Achille et d'Agamemmnon : Φόρκυϊ δ' αὖ Κητὼ Γραίας τέκε καλλιπάρῃος (H�siode, Th�og., v. 270.) Phorcys va figurer au quarante-troisi�me chant parmi les chefs de l'arm�e de Neptune, et Prom�th�e, dans Eschyle, nomme Phorcides les trois Gorgones, filles sempiternelles, δηναιαὶ κόραι, dont il trace un si bizarre portrait. (06) La nymphe de Marathon. � La nymphe de Marathon est la nymphe d'Ath�nes Orithyie, enlev�e par son fougueux amant Bor�e, aux bords de l'llissus, aupr�s d'une roche que M. Fauvel m'a montr�e, en souriant de la cr�dulit� des antiques Ath�niens, et parfois aussi de la mienne. Bor�e, de son c�t�, est le vent le plus terrible, celui dont les Grecs frileux avaient le plus � souffrir. Nonnos en fait le chef des vents, et Tyrt�e le nomme le dieu de la Thrace, θεὸν Θρηΐκων Βορέην. Or, quand �rechth�e, le roi d'Ath�nes, invoque, � titre de beau-p�re, le vent Bor�e, il fait allusion aux d�crets par lesquels les Ath�niens reconnurent � Bor�e la qualit� de leur gendre, en lui dressant un autel, et en instituant en son honneur le culte nomin� Bor�asme. � Ce ne fut, � dit Bayle avec humeur, � qu'une fantaisie de po�te chant�e dans les carrefours, mais enfin elle se fourra dans le syst�me de la religion publique. � (07) La p�che. - Image tir�e de l'occupation favorite des Indiens. Les Indiens ichthyophages �taient bien plus adroits � la p�che que ne le sont nos insulaires les mieux exerc�s. D'un autre c�t�, les hame�ons trouv�s � Herculanum et � Pomp�ia d�montrent que les Grecs nous d�passaient en cette science, et connaissaient mieux que nous les moeurs des citoyens des eaux. Nos madragues n'ont rien ajout� aux filets dress�s contre les thons, qu'ils savaient conserver et engraisser dans leurs viviers : ces thons, guid�s au sein des eaux par un chef de file qu'ils suivent en ordre conique sur deux lignes �vas�es, comme font, avec moins de danger, les grues au haut des airs. Enfin, pour encourager les amateurs de la pisciculture, science nouvelle et probl�matique encore chez nous, Columelle nous apprend que, d�s les premiers temps de l'�re chr�tienne, les Romains transportaient le frai de toute esp�ce de poissons d'eau douce dans les lacs et rivi�res pour les peupler. Nil sub sole novum. (08) �gine. � �aque, dans sa pri�re � Jupiter, rend hommage � �gine sa patrie, et rappelle parmi ses titres � la m�moire de la post�rit� la perfection de son agriculture; voici ce que j'en disais, il y a quelques ann�es : � Certes une �le dont la population a vari� de vingt � quarante mille �mes, un peu moins grande dans tout son circuit que n'est maintenant Paris dans son enceinte embastill�e, et dont pourtant, avant la guerre des Perses, les vaisseaux dominaient partout et l'emportaient en nombre et en force sur les flottes ath�niennes, une �le, dis-je, qui m�rita le prix de la valeur apr�s les grands combats de Salamine : cette �le, dans son �nergique ind�pendance, pr�sente un fait assez peu commun de l'histoire des hommes ; or, pour expliquer cette esp�ce d'�nigme, je remonte droit � l'agriculture, cause originelle de toute puissance, et � la navigation sa fille, source de toute richesse. � Le fond du sol de l'�le d'�gine est de la terre arable; mais la surface en est pierreuse, surtout dans la plaine (Strabon, liv. VIII, p. 375). Ses premiers habitants creus�rent d'abord ses rochers, dont ils firent leurs demeures, puis ils r�pandirent la terre neuve sur la vieille, op�ration que nous appelons, nous autres laboureurs, ramener le sous-sol, et qui est un des secrets de la culture. Bient�t (et � l'aide du syst�me d'irrigation qu'�aque rappelle ici) le terrain s'am�liora de telle sorte que, sans compter tant d'autres produits, les extraits des lis et des myrtes d'�gine devinrent c�l�bres dans l'art de la toilette, et surtout l'essence des fleurs de la vigne, cosm�tique inconnu de nos jours, et qu'il faut regretter, si l'on en juge par les douces �manations dont les campagnes vinicoles sont embaum�es au mois de juin. � De sa fertilit� conquise sur la nature d�coulent l'une apr�s l'autre la fortune d'�gine, son industrie, sa pr�pond�rance sur les mers, et enfin l'invention de la monnaie. � (�pisodes litt�r., t. II, p. 60.) (09) La C�cropie. � La C�cropie est un surnom de l'Attique. Nonnos aime � varier les d�signations de la m�tropole du g�nie grec, qui reviennent fr�quemment dans ses vers. Il aimait Ath�nes m�me dans sa d�cr�pitude, et il avait sans doute habit� cette ville, dont le renom allait mourir pour rena�tre au jour de l'ind�pendance. � Antique patrie de la gloire,� disait Syn�se, � o� l'on ne voit plus aujourd'hui que des marchands de miel ! � (10) Les quatre vents. � Le repr�sentant de l'�loquence ath�nienne, �rechth�e, ne sait pas plus que le po�te son inspirateur s�parer les quatre vents : l'un entra�ne toujours l'autre, les �pith�tes seules varient ; et, malgr� son abondance en ce genre, il me semble que Nonnos lui-m�me est surpass� dans ces vers de Ronsard, compos�s � la mani�re hell�nique :
Fier aquilon, horreur de la Scythie, Il faut noter dans l'invocation d'�rechth�e deux vers de Nonnos (181 et 182) qui rendent au terme ἐμπείραμος, d'une gr�cit� comparativement moderne, leur v�ritable signification ; Henri Estienne me para�t l'avoir d�tourn�e quand il interpr�te νηῶν ἐμπεράμους de Callimaque (Jup. v. 71), par n�gociants. Vulcanius, malgr� ses trente-deux ans d'exercice de la chaire grecque, � Leyde, et nonobstant la profonde science empreinte sur les traits s�v�res de son visage, que nous a conserv� Meursius dans l'Ath�nes batave, n'a pas �t� plus heureux pour cette expression ; il faut la traduire par exp�riment�, habile, peritus, et le vers de Callimaque s'en trouvera mieux, ainsi que le n�tre. (11) Les guerriers engloutis. � C'est cette m�me image que Saint-Lambert, sans conna�tre Nonnos, m�me de nom sans doute, a exprim�e dans ces deux vers remarquables par leur harmonie sombre et imitative:
Ils sont ensevelis sous les vo�tes
profondes, (12) Thoose. � Thoose Oc�anide est la m�re de Polyph�me. Le souvenir du cyclope, gr�ce � Th�ocrite, est tellement uni dans nos m�moires au souvenir de Galat�e que je n'ai point � expliquer ici l'allusion. Thoose est beaucoup moins connue, bien qu'elle soit la fille de ce m�me Phorcys dont il est question plus haut. On la trouve aussi au d�but de l'Odyss�e. Thoose est encore le nom de l'une de ces divinit�s psychologiques, si je puis dire ainsi, qu'Emp�docle dit pr�sider � nos destin�es, sorte de g�nies ou plut�t de f�es qui semblent tenir leurs noms de nos qualit�s et de nos d�fauts.
Καλλιστώ τ', Αἰσχρή τε, Θόωσσά τε,
Δειναίη τε. Thoose repr�sente la pr�cipitation. (13) Les sept ans de guerre. � Nonnos donne � l'exp�dition de Bacchus dans les Indes une dur�e de sept ans. Diodore l'abr�ge. � On pr�tend, � dit-il � que Bacchus, apr�s avoir ch�ti� les impies et trait� favorablement les autres hommes, revint des Indes, et fit son entr�e � Th�bes sur un �l�phant. L'exp�dition ayant dur� trois ans, les Grecs, pour cette raison, institu�rent en son honneur des f�tes triennales, les tri�t�rides. � (14) Le combat naval. � Comme j'achevais avec tant de peine de mettre en ordre ce chant de Nonnos, consacr� presque en entier au combat naval, pendant mes derni�res combinaisons de cette t�che devant laquelle la patience de tous mes pr�d�cesseurs a recul�, voil� que le hasard a fait tomber en mes mains une r�flexion d'�tienne Pasquier, qui a failli glacer mon courage : � Il n'y a rien que j'abhorre tant, � dit-il, � que le m�tier de traducteur; non que je ne l'estime de quelque recommandation pour �tre celui par l'entremise duquel nous avons part aux belles conceptions des auteurs anciens ; mais entre les labeurs de nos esprits, je n'en estime aucun plus p�nible et plus ingrat que celluv-cy. Non seulement pour asservir, en ce faisant, notre plume sous un langage �tranger, et captiver notre esprit sous la tyrannie d'un autre, mais aussi que je crains que nos traductions ne se transmettent � nos survivants, ains meurent avec nostre vulgaire qui se change de cent en cent ans, demeurant par ce moyen nos traductions ensevelies dans les t�n�bres d'une langue ancienne. � (15) Fuite de D�riade. - Ces vers, qui montrent pour derni�re image du combat maritime D�riade s'enfuyant � travers la plaine � la vue de l'incendie de sa flotte, rappellent la fuite de Darius, et l'admirable tableau que pr�sente l'historien Quinte-Curce au d�but de son quatri�me liivre : � Darius tanti modo exercitus rex qui, a triumphantis magie quam dimicantis more, curru sublimis inierat proelium, per loca, qua prope immensis agminibus compleverat, jam inania et ingenti solitudine vasta, fugiebat. � (16) Confusion du texte. � Il r�gne dans la derni�re moiti� de ce trente-neuvi�me chant, tel que le reproduisent les deux �ditions d'Anvers et de Leipsick, une confusion si compl�te, et en m�me temps chez le po�te une telle n�gligence, ou, pour mieux dire, une telle h�te d'en finir avec les combats, que j'ai d� m'y arr�ter plus particulier�ment, d'abord pour essayer d'en comprendre la marche, ensuite pour y �tablir quelque sym�trie. Plus le style para�t rench�rir sur le ton habituel des Dionysiaques et s'�carter de l'�l�gance, plus j'ai d�, apporter de patience et de soins � le d�gager de toutes les imperfections introduites pat le copiste primitif; et aucun endroit du po�me ne m'a offert plus de difficult�s et d'embarras. Ici la critique a eu beau jeu, et n'a fait faute. Cunaeus, si peu indulgent pour Nonnos, lui reproche, cette fois avec une sorte de raison, de s'�tre mis en qu�te par tous les chemins de cette �nergie dans les peintures qu'Aristote a recommand�e comme l'honneur du style, sans se soucier aucunement de la convenance que l'auteur de la Divine po�tique a donn�e pour corollaire � son pr�cepte. Deson c�t�, Gra�fe lui- m�me, lass� de tant d'abatis dans cette for�t d'incorrections, jette le manche apr�s la cogn�e; et au plus fort de ses tentatives pour d�m�ler un �cheveau si embrouill�, il s'�crie dans un acc�s ded�couragement : �Un autre le fasse! Videant alii. � Oui, sans doute, cet h�ritier de ses labeurs, plus flegmatique, � qui il renvoie le fardeau, a beaucoup � faire; car le commentateur rebut� peut bien � son gr�, quant � lui, interrompre sa t�che, transporter sa glose d'un point sur l'autre, abandonner dans les foss�s de la route une part inutile du bagage, et cheminer ainsi plus l�ger et plus leste vers le d�no�ment. Mais le traducteur est beaucoup moins � l'aise : il lui faut remanier, et, pour ainsi dire, rep�trir le texte jusqu'� ce qu'il en sorte un sens satisfaisant. Jamais mon syst�me de transposition, assez heureusement employ� jusqu'ici � la suppression des lacunes, ne m'a �t� d'une plus grande ressource. J'ai pu, avec ce secours, ramener quelque ordre dans le combat naval, dont le manuscrit original avait confondu et m�l� les dispositions strat�giques de part et d'autre. Mon traitement appliqu� � ce chant si malade n'a pu n�anmoins cicatriser toutes ses plaies; car je me suis interdit d'en rien retrancher, bien que, dans son humeur, Gra�fe ait laiss� �chapper ce coupable voeu. Il m'a donc �t� impossible, par exemple, d'en faire dispara�tre ce polype de si mauvais go�t, ce thon et ce dauphin aventuriers qui se trouvent l� si ridiculement pour recevoir les fl�ches destin�es � Bacchus, et mourir sous les d�crets d'une parque danseuse, χορίτιδος, �pith�te consacr�e aux Gr�ces. C'est �trangement abuser d'une image d'Anacr�on ; car ce dernier mot me fait songer � lui. � Je veux, � dit-il, � dissiper mes chagrins, avant que d'aller l�-bas aux danses des morts � (Ode VI). Et c'est aussi d�passer de bien loin les vers du Moyse de Saint-Amand, qu'a immortalis�s Boileau :
Et l�, pr�s des remparts que l'oeil peut
transpercer,
Je voudrais au moins trouver un
d�dommagement � ces faiblesses de composition dans la description du brul�t
primitif, qui m'a paru aussi neuve que digne de remarque, � moins qu'on n'en
veuille trouver un indice dans la nef incendiaire que les Tyriens lanc�rent
contre les ouvrages des soldats d'Alexandre (Quinte-Curce, liv. IV, c. I). Le
cabire Eurym�don de Samothrace est le devancier, l'anc�tre et m�me l'instructeur
de Canaris, le
Nisiote, le h�ros brul�tier de la guerre de l'Ind�pendance; et il me semble
qu'on n'avait pas encore retrac� chez les anciens ce terrible stratag�me des
luttes navales qui, en 1823, vengea si glorieusement les massacres de
l'infortun�e Scio. |