Hélène Tétrel / Géraldine Veysseyre: L'Historia regum Britannie et les "Bruts" en Europe. Tome I (= Recontres; 106), Paris: Classiques Garnier 2015, 368 S., ISBN 978-2-8124-3318-4, EUR 29,00
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L'ouvrage constitue les actes d'un colloque organisé en septembre 2012 à l'Université de Bretagne occidentale. Il se présente sous la forme d'une introduction de 29 pages, de 14 articles répartis en 6 parties, d'une courte conclusion, d'une bibliographie et de deux index.
Le volume est le premier tome d'un projet en plusieurs volets de l'étude des adaptations et réécritures en latin, ou dans de nombreuses langues vernaculaires européennes, de l'Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth. Les articles ici réunis traitent de Bruts en latin, français et anglo-normand, gallois, anglais, islandais ou castillan.
L'ouvrage comporte de nombreux défauts aussi bien formels que du point du vue du contenu. Une des lourdeurs matérielles principales est le choix de la bibliographie qui reprend "tous les articles et tous les ouvrages cités dans le volume" (305) et qui fait donc double emploi avec les notes de bas de page tout en ne mentionnant pas de très nombreuses publications sur le sujet uniquement parce que les auteurs des articles n'y ont pas eu recours. Par conséquent, la bibliographie est à la fois lacunaire et un immense fourre-tout pour la section "études critiques" qui met sur le même plan des articles au cœur du sujet et d'autres, très annexes, dont la référence en note de bas de page était bien suffisante. Trop d'éditions ou de traductions modernes de l'Historia ou des Bruts sont ainsi passées sous silence, trop de Bruts ne sont tout simplement pas mentionnés - ce qui étonne sachant que l'ambition annoncée de Tétrel et de Vesseyre est de "recenser et étudier l'ensemble des réécritures de l'Historia" (27). Ainsi, par exemple, ne sont pas listées, l'édition de l'Historia d'A. Schulz (1854), la traduction en espagnol de L. A. Cuenca (1984), les traductions de la version du Brut y Brenhinedd autrefois appelée Brut y Tylisio en anglais par P. Roberts (1811) et en allemand par A. Schulz (1854); la chronique de Pierre de Langtoft n'est représentée que par les brefs extraits contenus dans I Fatti di Bretagna de M.-L. Meneghetti tandis que les éditions de T. Wright (1866-1868) ou de J.-C. Thiolier (1989) n'apparaissent pas. L'avant-propos (305) aurait dû parler d'une bibliographie sélective car la traduction de Tetsuya Suzuki de la partie arthurienne du Roman de Brut de Wace n'est pas répertoriée (en revanche on attribue à M.-F. Alamichel une traduction "partielle" du Roman de Brut qui n'a jamais existé!) tandis que les traductions du Brut de Laȝamon en anglais moderne par W. R. J. Barron et de S. C. Weinberg (partie arthurienne en 1989 et Brut complet en 1995), par D. G. Bzdyl (1989) et par R. Allen (1992, mentionnée page 12 mais non reprise dans la bibliographie) ou celle en italien moderne de Gloria Corsi Mercatanti (1998) sont oubliées. N'entrent pas non plus dans la liste l'édition du Brut abrégé moyen-anglais connu sous le nom de The Anonymous Short English Metrical Chronicle d'E. Zettl (1935) et celle électronique de D. Burnley et A. Wiggins (2003) ainsi que sa traduction française en ligne (M.-F. Alamichel 2013).
Il faut dire que l'introduction de Tétrel et Vesseyre semble indiquer une totale méconnaissance des Bruts moyen-anglais entre celui de Laȝamon et le Brut moyen-anglais en prose du XVe siècle (pour lequel il subsiste moins de 200 manuscrits et non pas "près de trois cents" <16> et que L. Matheson a réparti en quatre grandes familles
L'introduction gêne par son bilan inexact de l'état d'avancement de la recherche sur Geoffroy de Monmouth et les multiples Bruts. Certes, le chantier reste immense mais les travaux sont plus avancés que ne le prétendent Tétrel et Vesseyre. Ainsi lorsqu'elles écrivent qu'il conviendrait dorénavant d'envisager une approche comparative (22), c'est ignorer bon nombre de publications, y compris relativement anciennes comme celles de J. Hammer (en 1943) et de M. Schauch (en 1969) qui ont montré l'influence de l'Historia de Geoffroy sur l'historiographie polonaise du XIIIe siècle ou l'article de L. Keeler qui, en 1946, analysait déjà la réception de l'Historia auprès de quatre chroniqueurs latins des XIIIe-XVe siècles. On s'étonne de ne pas trouver référence aux travaux de Fiona Tolhurst, sa coordination d'un numéro spécial de dix articles d'Arthuriana en 1998 et ses deux monographies de 2012 et 2013. Plus troublant encore, l'absence totale de mention des nombreux articles sur les Bruts parus dans la série - résolument comparatiste - The Medieval Chronicle éditée par Erik Kooper depuis 1999. Si la collection Arthurian Literature des éditions Brewer a bien été épluchée, celle-ci fait cruellement défaut. De même, il est exagéré d'écrire que "les efforts isolés n'ont jamais abouti à aucune synthèse" (26) même si, on en conviendra, il n'existe pas encore d'ouvrage général sur la question. Les introductions aux éditions modernes consacrent cependant de longues pages aux sources et à leur interaction, aux multiples phénomènes de traductions croisées. Les spécialistes des chroniques tardives, à l'instar du Victorial de Gutierre Diaz de Games (1436), sont obligés de balayer les siècles (cf. l'article de G. Fournès paru en 2013 dans e-Spania). Il existe également un certain nombre d'articles qui ont proposé un panorama chronologique des divers Bruts européens (M.-F. Alamichel 2006 et 2013).
Les 14 articles réunis auraient profité d'une meilleure harmonisation formelle (absence de traduction systématique des citations, flottement entre les références des citations parfois données en notes parfois à la suite du texte, parfois données en abrégé, parfois en intégralité). On trouve quelques erreurs de taille de police et de disposition du texte (cf. 89). Les articles sont logiquement regroupés par domaine linguistique (en dépit de la préconisation des éditrices d'avoir dorénavant recours à un autre type de classement). Ils n'échappent pas au (soi-disant) défaut "d'analyses ponctuelles" dénoncé par Tétrel et Vesseyre. Regina Jucknies, dans un article tout à fait intéressant, se focalise ainsi sur l'insistance prononcée sur les saints et évêques dans la version du Brut islandais conservée dans le Hauksbók. Françoise Le Saux consacre son article à la question, tout à fait digne d'intérêt mais "ponctuelle", de la science et des techniques chez Geoffroy et Laȝamon. L'article aurait bénéficié d'une confrontation avec d'autres Bruts pour éviter d'arriver à la conclusion très contestable qu'au XVe siècle "le temps des clercs est révolu": au lieu de sauter directement de Laȝamon au Brut en prose, il aurait été fructueux de citer les passages relatifs au roi Bladud et à ses bains chauds que l'on trouve dans The Short English Metrical Chronicle avec ses détails très appuyés sur la composition chimique de l'eau ou dans The Boke of Brut qui consacre 60 vers au feu des bains. Ajoutons que la 2e version de la chronique de John Hardyng (1464) rapporte que, selon Merlin, Bladud revint d'Athènes accompagné de philosophes et fonda une université à Staumford. Entre le Brut de Laȝamon et le Brut en prose, il est donc possible de parler de contraste mais nullement d'évolution. Dans la conclusion du volume, Sylvie Lefèvre parvient à éliminer ce point de discorde en limitant le non intérêt au savoir à "l'auteur et au lectorat visé" du Brut en prose. Notons, cependant, que Sylvie Lefèvre donne malencontreusement comme référence au Brut en prose les deux mss du Brut de Laȝamon.
Comme il en va toujours avec des actes de colloque, les articles sont de valeur inégale. Plusieurs contributions, généralement les plus courtes, n'échappent pas au danger du catalogue en se contentant de faire la liste de différences lexicales entre divers passages très précis de l'Historia et d'un Brut sans chercher à généraliser et à tirer des conclusions. En revanche, certaines études plus longues sont extrêmement bien menées, éclairantes et répondent très bien aux objectifs du projet des éditrices. On saluera ainsi les excellents articles de Ceridwen Lloyd-Morgan, de Beatrice Barbieri et d'Anne Salamon qui prennent le temps d'être à la fois informatifs, pédagogiques et érudits.
Le volume est donc une contribution supplémentaire - et à ce titre elle est la bienvenue tout particulièrement pour les francophones - à ajouter aux études galfridiennes et à celles des Bruts qui se sont multipliées depuis une vingtaine d'années pour littéralement exploser tout récemment. Comme en réponse à l'appel aux éditeurs de Sylvie Lefèvre (303), on peut mentionner la parution imminente de plusieurs traductions de Bruts, l'ouvrage The Prose Brut and other Late Medieval Chronicles aux éditions Boydell & Brewer en 2016 sans oublier le second volume annoncé par Tétrel et Vesseyre elles-mêmes.
Marie-Francoise Alamichel