À partir d'extraits du podcast "Samuel Paty, l'école face au terrorisme", produit par Sara Ghibaudo et Sonia Princet, nous revenons sur l'attentat du 16 octobre 2020 dont le procès s'ouvre à Paris le 4 novembre prochain.
Après le choc de l'assassinat du professeur d'histoire, le retour en classe pour les enseignants et pour les élèves a été brutal. David, son plus proche collègue s'accroche. "Aux élèves je leur ai dit, explique-t-il, je pense que Samuel, ce qu'il voudrait, c'est que vous continuiez à jouer votre rôle d'élève et que nous, on continue à jouer notre rôle de professeur et que si on ne le fait pas, c'est qu'à un moment donné, le terrorisme, lui, il a gagné".
Les cours ont repris très vite après les vacances de la Toussaint. "C'était horrible, se souvient Suzanne, parce qu'on était dans une sorte de dédoublement de nous-mêmes, on devait être forts pour nos élèves, on ne devait pas montrer nos émotions, on tenait tout ça à distance et c'est compliqué psychologiquement, on n'est pas tous armés, on n'a pas tous les mots".
La reprise est difficile, d'autant que quelques semaines après le drame, les professeurs découvrent que certains de leurs élèves ont joué un rôle dans l'attentat. "J'ai appris à ce moment-là, raconte Coralie, qu'un élève de ma classe avait été mis en examen... ça a fini de m'achever ! Vraiment, c'était terrible pour moi, j'ai ressenti une colère immense et une déception atroce. J'avais l'impression que c'était mon enfant qui m'avait planté un couteau dans le dos !"
Cinq collégiens ont joué un rôle actif pour aider le terroriste à repérer Samuel Paty. Ils sont condamnés en décembre 2023 pour association de malfaiteurs en vue de préparer des violences aggravées. Zohra, l'élève qui a menti, est condamnée à 18 mois d'emprisonnement avec sursis pour dénonciation calomnieuse.
"Pas un métier dangereux, normalement"
Dans ces conditions, renouer la confiance avec les élèves semble impossible. Il a fallu crever l'abcès et revenir sur les faits. L'Association française des victimes du terrorisme est venue aider les professeurs et les élèves à en parler, lors d'ateliers en classe de 3ème. Ces élèves expriment une certaine culpabilité. "On aurait pu tout changer en faisant quelque chose, estime l'un d'eux. Par exemple, si on avait su ce qui se passerait à ce moment-là, on aurait pu prévenir."
Chantal Anglade anime ces ateliers pour l'association. Sa fille a été blessée dans un attentat en Egypte, en 2009. La présence de victimes de terrorisme favorise le dialogue avec les élèves. "C'est l'effet miroir qui permet de discuter, précise-t-elle, c'est-à-dire qu'ils entendent un certain nombre de choses, ils développent une forme d'empathie, et l'empathie, cet effet miroir, leur permet de réfléchir à leur propre situation, et au processus qui a conduit à l'assassinat de M. Paty." Suzanne, enseignante au collège, ajoute que "pendant plusieurs années, il y avait des collègues qui n'arrivaient pas à en parler avec les élèves, donc on a eu vraiment besoin d'un tiers extérieur, pour nous aider." Les aider à exprimer toutes leurs émotions, comme pour ce collégien qui confie : "Alors moi, je n'ai pas vraiment ressenti de la colère envers les terroristes, mais plutôt envers les élèves qui ont donné des informations sur le professeur. Je ne comprenais pas pourquoi ils avaient fait ça malgré la somme d'argent que le terroriste leur avait proposée. Ça m'a donné des doutes sur les élèves du collège, s'ils étaient vraiment fiables".
Une rupture pour tout le monde. Depuis l'attentat, les professeurs n'enseignent plus de la même façon. Les élèves, comme Agathe, s'en sont rendu compte. "Moi, j'ai ressenti une différence avec l'enseignement d'avant et l'enseignement d'après, rapporte la jeune fille aujourd'hui en 3ème et qui était en 6ème lors de l'attentat. Il y a des moments, on se dit que les professeurs, quand ils nous parlent de sujets délicats, ils précisent 'ce que je vous dis, c'est dans le programme et ce n'est pas moi qui le pense, c'est ce que je dois vous enseigne, ils ont dû le préciser, on se dit qu'ils ont peut-être peur au fond et moi, je me sens mal pour eux, en me disant que ce n'est pas un métier dangereux, être professeur normalement."
Le travail sur les questions de laïcité est plus que jamais nécessaire. Le Prix Samuel Paty récompense chaque année des classes qui présentent des projets sur un thème lié aux valeurs républicaines. Ce concours permet de faire réfléchir les élèves, comme Samuel Paty le faisait dans sa classe.
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