Régine Komokoli, l'histoire d'une émancipation prodigieuse : épisode • 1/2 du podcast En marge : Régine Komokoli, la femme aux mille vies

Régine Komokoli. - DR
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Régine Komokoli a connu la guerre et la violence en Centrafrique. Arrivée en France, la violence ne s'arrête pas. Ce premier épisode retrace le parcours hors du commun de cette femme à la force incroyable, qui deviendra élue de la République, tout en ayant été vingt ans sans papiers.

"Ravis de vous retrouver pour cette troisième saison d’En Marge… Vous savez, ce drôle d’endroit pour une rencontre, pour la rencontre, de toutes celles, et de tous ceux qui, un jour, se sont retrouvés catapultés sur le côté, ont quitté l’autoroute 5 voies, par accident, ou bien par choix, parce qu’ils pensaient différemment, parce qu’ils aimaient différemment, parce qu’ils rêvaient de faire autrement… Elles ont pris des routes de traverse, à eux les itinéraires bis, et les chemins moins balisés, où ils ont eu le droit de chercher, de tâtonner, de se planter, où elles ont pu, oui, s’inventer… Ici, ils peuvent se raconter. En Marge, elles vont mieux respirer…

Parce que l’intime est politique. Parce que la norme nous étouffe. Que la normalité m’emmerde. Et parce que l’uniformité finira par nous faire crever. Parce qu’on est tous singuliers. Parce que la marge fait bouger un centre sinon sclérosé. Parce qu’elle secoue, parce qu’elle propose, parce qu’on a envie d’autre chose… Parce qu’on ne devrait jamais oublier, le plaisir de se raconter, des histoires folles, des histoires vraies, des qui nous donnent à penser qu’elle vaut le coup, l’humanité."

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Le féminisme aujourd'hui

On dit beaucoup que le féminisme en France est encore un truc de bourgeois, un mouvement très blanc, que MeToo est le hashtag d'une élite qui n'a pas encore passé les périphériques. L'invitée, Régine Komokoli le confirme. "Moi, je pense qu'il est temps, quand on parle de féminisme, de parler du féminisme populaire, parce que blanche ou noire, on vit la même chose, c'est la violence faite aux femmes. Et donc, il était temps que hashtag MeToo aussi arrive dans nos quartiers." Quelles résistances spécifiques rencontre-t-elle dans les quartiers populaires ? "Ce sont les traditions, c'est la religion, c'est la question de la place de l'homme, la place de la femme, c'est aussi la question administrative – les papiers –, parce qu'il y a beaucoup de personnes qui sont soit en instance, soit qui ont des titres de séjour. On est dans une triple discrimination."

Son enfance

Régine Komokoli naît le 5 novembre 1981 à Gemena, à 200 kilomètres au sud environ de Bangui, en Centrafrique. Autour d'elle, deux frères, une sœur, des cousines, des amis, des voyageurs de passage. La case est ouverte aux quatre vents. Le matin, elle sent bon la terre rouge. Le chant du coq s'y engouffre vite. Bientôt, les chiens aboient, les enfants crient, les adultes aussi. Il y a du bruit chez elle, du monde.

Son père est tailleur et il a bonne réputation. Dans son atelier, il accueille celles et ceux qui fuient le Congo voisin. Elle raconte que c'était un homme gentil mais qu'il pouvait être violent quand il buvait. Sa mère n'était pas une bonne mère : "Elle était violente, méchante psychologiquement, mais aussi physiquement. Elle avait un problème avec les filles, qui pour elle étaient bonnes à être exploitées en vue du mariage." Son père est polygame et a une autre femme, Mado, que Régine aime et considère comme sa mère, une mère de cœur, d'adoption. Elle la voit aujourd'hui comme une femme féministe.

Petite, Régine est assez seule, et beaucoup dans l'imaginaire. Grâce à une riche cliente de son père, elle peut aller à l'école vers 6 ou 7 ans, dans l'enseignement privé, dans une école baptiste. Et puis un jour, la guerre éclate. Elle a 9 ou 10 ans quand la guerre civile déchire la Centrafrique. Ses parents mettent leurs enfants sur une pirogue, pour rejoindre le Congo, de l'autre côté, sur l'autre rive. Il ne fallait pas pleurer pour ne pas tomber dans l'eau. Aujourd'hui encore, elle entend les cris des autres enfants tombés à l'eau. Ses parents mettront un an avant de pouvoir les rejoindre. Elle est prise en charge par l'Église, avec tous les réfugiés. Mais avant cela, elle sera quelques mois dans un camp de fortune, installé sur le bord de la route et géré par des militaires zaïrois. "Pour moi, c'est de l'esclavage sexuel, parce que c'était vraiment fait exprès pour nous détruire, parce qu'on vient d'ailleurs."

Plus tard, lorsqu'elle a 13 ans, sa mère la fait devenir à nouveau "esclave sexuelle", en organisant des rencontres avec des militaires étrangers présents sur place. À 17 ans, on l'envoie acheter des paniers à Cotonou pour les revendre en Afrique centrale. Avec l'argent récolté, on lui achète un billet vers la France.

Son arrivée en France

En France, elle ne connaît personne. On lui a donné un seul contact, celui d'une dame qui habite à Angers, que ses proches ne connaissent pas directement. Elle se rend alors à Angers mais le visa de Régine expire et elle se retrouve sans-papiers. Cette dame va l'emmener dans un réseau d'exploitation sexuelle. Sa mère, restée au pays, lui a interdit de rentrer et il faut gagner de l'argent pour tout le monde. Elle aurait pu avoir une demande d'asile, puisque son pays était en guerre, mais elle ne connaissait pas ses droits. Un homme va lui proposer de se marier avec elle, pour lui donner des papiers. Mais c'est à nouveau l'horreur : "J'étais dans la maison avec mon agresseur tous les soirs." Lui a 57 ans et elle 19 ans. Il régente tout, il décide tout.

Régine va trouver une formation pour commencer à apprendre le français, et à l'écrire aussi. Elle parle de sa situation à une personne qui va devenir une copine et qui va l'orienter vers une association, le CIDFF (Centre d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles). Elle découvre que ce qu'elle vit n'est pas normal. Elle demande le divorce mais cet homme retourne la situation en disant qu'il ne savait pas que c'était un mariage blanc et que c'est lui la victime. Elle parvient tout de même à faire une formation d'aide-soignante et son visa est renouvelé.

-> Pour en savoir plus, écoutez cette émission...

La suite de l'histoire de Régine Komokoli dans le prochain épisode d'En Marge. Il y aura des cours en journée pour un métier qu'elle découvrira et qu'elle aimera. Il y aura une colocation avec un homme qu'elle rencontre. Et puis, il y aura sa première fille, qu'elle va adorer.

54 min
En marge
53 min

Programmation musicale

Christine and the Queens, « Rentrer chez moi »

Mbilia Bel, « Nakeyi Nairobi »

Blick Bassi et Yame, « Mbenda »

L'équipe

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