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"Project 2025", une feuille de route trop extrême même pour Donald Trump ?

Le candidat républicain Donald Trump cherche depuis quelques jours à prendre ses distances avec "Project 2025", un programme politique rédigé par la très influente Heritage Foundation. Ce document controversé expose une feuille de route aussi autoritaire que radicale pour un éventuel second mandat de Donald Trump.

Une femme porte un panneau du "Project 2025", programme politique pour un éventuel second mandat de Donald Trump.
"Project 2025", la feuille de route politique établie par le think tank conservateur Heritage Foundation, déroule un programme très à droite pour un éventuel second mandat de Donald Trump. © Charlie Neibergall, AP
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"Project 2025", kézako ? Donald Trump, candidat républicain à la présidentielle américaine de novembre 2024, se donne beaucoup de mal ces derniers jours pour prendre ses distances avec un document politique très controversé venu d’un influent cercle de réflexion conservateur.

"Je n’ai jamais entendu parler de 'Project 2025'. Je ne sais pas qui en est à l’origine et certaines des idées avancées sont totalement ridicules", a-t-il martelé sur son réseau social Truth Social vendredi 5 juillet.

La Heritage Foundation à la manœuvre

Pourtant, dans le camp démocrate, tout le monde tente de rattacher Donald Trump au wagon controversé du "Project 2025". Même Joe Biden, le président sortant et candidat à sa réélection, a appelé les internautes sur X à "aller chercher 'Project 2025' sur Google" mardi 9 juillet.

Les célèbres émissions de télévision de seconde partie de soirée telles que "Late Night with Seth Meyers" ou "The Daily Show" – souvent ouvertement anti-Trump – ont toutes consacré du temps à ce désormais fameux "Project 2025".

Le document, sous-titré "Un projet pour la transition présidentielle", n’est rien d’autre que "la feuille de route politique proposée pour un éventuel second mandat de Donald Trump", résume Jérôme Viala-Gaudefroy, chargé de cours à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et spécialiste des États-Unis.

Ce n’est pas un programme officiel du Parti républicain. Ce texte très détaillé de 900 pages a été rédigé par la Heritage Foundation. Le porte-parole de ce think tank a d'ailleurs tenu à assurer que ce texte "ne parle au nom d’aucun candidat ou campagne".

Peu connu en dehors des frontières américaines, ce cercle de réflexion est un "lobby conservateur très riche et puissant", souligne Jérôme Viala-Gaudefroy. "Tous les républicains actifs à Washington ont été à un moment donné lié de près ou de loin à la Heritage Foundation", ajoute Angelia Wilson, spécialiste de la politique américaine à l’université de Manchester et autrice de "The Politics of Hate: How the Christian Right Darkened America’s Political Soul" (éd. Temple University Press).

Les auteurs de "Project 2025" veulent éviter de retomber dans les travers de la première présidence de Donald Trump. Après sa victoire en 2016, le milliardaire avait été "pris par surprise et n'était pas du tout prêt à gouverner. En conséquence, une partie des républicains ont estimé qu’il avait fait des erreurs d’amateur", explique Jérôme Viala-Gaudefroy.

Pour la Heritage Foundation, il s'agit d'un manuel pour que Donald Trump puisse, en cas de victoire en novembre, mobiliser 100 % des pouvoirs présidentiels "pour transformer les rêves de ses conservateurs en réalité", assure Angelia Wilson.

Pour une "gouvernance autoritaire et nationaliste"

Pour une partie de la population américaine, il s’agirait plutôt de cauchemars. Les propositions de "Project 2025" illustrent le glissement vers l’extrême droite de la Heritage Foundation, passée d’un conservatisme plutôt reaganien, marqué par un désir de réduire le poids de l’État-providence à la portion congrue, à un conservatisme dit "social", inspiré en grande partie par les zélotes de la droite chrétienne.

Conséquence : le texte promeut "un interventionnisme accru de l’État dans la vie privée des Américains", souligne Angelia Wilson. Ce programme politique dénonce ainsi le "tourisme de l’avortement" et veut empêcher les femmes vivant dans un État interdisant l’avortement d’aller chercher de l’aide ailleurs. Il s’en prend également aux droits des communautés LGBTQ+ en s’attaquant à ce que les auteurs appellent la "normalisation toxique du 'transgenrisme'". Ils appellent aussi purement et simplement à la fin de l’école publique, accusée par la droite américaine d’inculquer le "wokisme" aux enfants.

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Pour Angelia Wilson, c’est un document qui prévoit une "gouvernance autoritaire et nationaliste". Et pas seulement dans les mesures toujours plus radicales proposées. Le texte se penche aussi sur la meilleure manière d’exécuter ce plan sans accroc. "L’une de ses propositions les plus importantes concerne la réforme du statut de fonctionnaire, et notamment le fait que la plupart d'entre eux ne peuvent pas être renvoyés par le pouvoir politique", explique Richard Johnson, spécialiste de la politique américaine à l’Université Queen Mary de Londres.

La protection des fonctionnaires est un enjeu politique majeur aux États-Unis depuis la fin du XIXe siècle. "Le président James A. Garfield a même été assassiné en 1881 parce qu’il proposait de réformer leur statut afin d’en finir avec la pratique du patronage qui consistait pour les politiciens à pouvoir placer leurs hommes aux postes clefs de l’administration", explique Richard Johnson.

Depuis ce drame, les États-Unis ont régulièrement renforcé la protection des fonctionnaires à l’égard du pouvoir politique. Mais en 1978, une exception à la règle a été introduite pour des fonctionnaires assignés à des domaines politiquement sensibles ou liés à l’exécution directe des ordres du président (par exemple les juristes devant rédiger certains textes réglementaires). C’est ce statut exceptionnel que le document de la Heritage Foundation se propose d’élargir considérablement.

Des purges politiques en perspective

"Ce serait ouvrir la porte à la possibilité pour Donald Trump de faire des purges politiques de fonctionnaires qu’il estime n’être pas suffisamment loyaux", souligne Jérôme Viala-Gaudefroy. Plus de 50 000 postes au sein de l’administration pourraient ainsi être soumis au bon vouloir présidentiel.

Donald Trump avait déjà essayé de faire passer une telle réforme juste avant de quitter la Maison Blanche en 2020. Mais l’administration Biden était rapidement revenue dessus.

Cette fois-ci, la Heritage Foundation voudrait que Donald Trump s’y attelle dès son retour à la Maison Blanche. Les conséquences pourraient être profondes. "Il faut bien se rendre compte qu’il y a déjà peu de garde-fous en ce qui concerne le pouvoir réglementaire du président. L’indépendance des fonctionnaires en est un", affirme Richard Johnson.

Sans cette protection, un président comme Donald Trump pourrait ainsi se débarrasser de scientifiques à l’Agence de protection de l’environnement qui ne voudraient pas arrêter de publier des notes appelant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. "Il pourrait aussi demander aux équipes du ministère de la Justice de concentrer leur effort sur la lutte contre les ‘discriminations anti-Blancs’ plutôt que la protection des minorités afro-américaine par exemple", ajoute Richard Johnson.

Si le document controversé a été publié dès avril 2023, ce sont des récentes déclarations incendiaires du président de la Heritage Foundation, Kevin Roberts, qui ont braqué tous les projecteurs sur ce dessein politique. Invité début juillet de l’émission radio de Steve Bannon – l’ancien conseiller en chef de Donald Trump –, Kevin Roberts avait assuré que le texte représentait une "deuxième révolution silencieuse américaine sans effusion de sang, si la gauche ne s’y oppose pas".

Cette dernière précision, suggérant que le camp trumpiste était prêt à un combat sanglant contre la "gauche" pour imposer ses idées, a été vivement critiquée.

Toujours les mêmes

Résultat : "Donald Trump a eu recours à sa méthode traditionnelle de dire qu’il ne sait pas de quoi on parle dès que les critiques s’accumulent", résume Jérôme Viala-Gaudefroy. "Il s’est aussi rendu compte que les idées de 'Project 2025' n’étaient pas très populaires auprès des électeurs", ajoute Angelia Wilson.

Donald Trump a donc préféré se réfugier derrière un autre document politique, le programme officiel du Parti républicain pour l'élection de 2024, judicieusement publié lundi 8 juillet. Il est beaucoup plus modéré. Il n’y est pas question, par exemple, de pousser encore plus loin le bouchon de la lutte contre l’avortement.

Mais les experts interrogés par France 24 estiment tous que le camp Trump était au courant des écrits de la Heritage Foundation. "Tous les candidats républicains depuis 40 ans savent ce que ce cercle de réflexion propose", assure Angelia Wilson.

Elle rappelle aussi que c’est le même institut qui avait déjà rédigé un programme en 2016 "rapidement adopté par Donald Trump".

Surtout, une trentaine d’auteurs du document "Project 2025" – comme Ben Carson et Peter Navarro – ont travaillé pour Donald Trump lors de son premier mandat. Pour Richard Johnson, il y a une forme de schizophrénie au sein du camp Trump : "Le programme officiel des républicains représente le Donald Trump d’avant l’élection, désireux de séduire une partie des femmes et des indépendants, et 'Project 2025' représente ce qu’il pourrait faire une fois élu."

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