Le 14 décembre 2020, le premier vaccin à ARN messager (ARNm) autorisé était administré aux États-Unis. Une révolution pour la médecine, qui suscite beaucoup de questions. Au moment où la campagne de vaccination s’accélère en France et dans de nombreux pays, il nous a semblé important de revenir sur les promesses d’une technologie qui pourrait aller bien au-delà de la lutte contre le Covid-19. Et qui n’est pas tombée du ciel.

C’est ce qu’explique très bien le long article du magazine américain The Atlantic au cœur de notre dossier cette semaine. “Il y a un an, quasiment personne ne savait ce qu’était un vaccin à ARN messager, écrit Derek Thompson. Quelques mois plus tard, cette même technologie a permis le lancement des deux essais vaccinaux les plus rapides de l’histoire de la science.” Cette percée fulgurante n’est pourtant pas le fruit du hasard, mais bien le résultat de quarante années de recherche, explique l’article.

“Si ce rêve d’ARN messager a tenu la route, c’est notamment parce qu’il repose sur un principe de base d’une simplicité, et même, pourrait-on dire, d’une beauté, extrême : l’usine de fabrication de médicaments la plus puissante du monde se trouve en chacun de nous”, s’enthousiasme Derek Thomson. Comment cela fonctionne-t-il ? “C’est l’ARNm (l’acide ribonucléique messager) qui indique à nos cellules [quelles protéines] fabriquer. Avec un ARNm ‘réécrit’ par l’homme, nous pouvons, en théorie, ordonner à notre machinerie cellulaire de fabriquer à peu près n’importe quelle protéine.”

À l’origine de cette avancée majeure, une biochimiste d’origine hongroise, Katalin Karikó, arrivée aux États-Unis en 1985, et dont nous avions publié en décembre une courte interview parue dans le magazine Heti Világgazdaság.

C’est à ses travaux que rend hommage l’article de The Atlantic, mais aussi à tous les chercheurs qui ont permis d’en arriver là : ceux notamment qui ont travaillé sur le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (Mers) et qui ont identifié la protéine S du coronavirus ; ceux aussi qui ont tenté depuis des années, en vain, de mettre au point un vaccin contre le VIH. “Les vaccins d’aujourd’hui ont forgé leur succès sur ceux de la science, mais aussi sur ses échecs”, dit encore Derek Thompson.

Aujourd’hui, les scientifiques misent sur la rapidité et l’adaptabilité de l’ARN messager pour s’attaquer à d’autres maladies, comme le paludisme, “la maladie qui cause sans doute le plus de ravages au monde”, rappelle The Atlantic. Mais aussi la grippe saisonnière et certains cancers. Nous n’y sommes pas encore, souligne l’article. Un vaccinologue américain explique ainsi :

Une technologie qui fonctionne pour une épidémie peut très bien ne pas fonctionner pour la suivante, Il est trop tôt pour qualifier les vaccins à ARNm de solution miracle.”

L’espoir est pourtant bien là. Même si, du côté économique, c’est une autre histoire. On a vu les incroyables bénéfices engrangés depuis le début de la pandémie par Pfizer et Moderna. Vu leur avance, ces entreprises sont évidemment fermement opposées à la suspension des brevets réclamée par l’Inde et l’Afrique du Sud, qui ont saisi l’Organisation mondiale de la santé sur le sujet.

Or contre toute attente, la semaine dernière, le président américain, Joe Biden, s’est prononcé pour la levée provisoire de la propriété intellectuelle sur les vaccins. Une décision hypocrite, selon l’Union européenne. C’est maintenant que le besoin de vaccins est le plus pressant, et les États-Unis ont beau jeu de vouloir donner des leçons à la terre entière alors qu’ils n’exportent pas leur production, contrairement aux Européens.

En raison de délais de bouclage avancés, nous n’avons pu intégrer cette dimension plus politique dans nos pages. Nous y reviendrons, bien sûr, car le débat sur les vaccins en tant que bien public mondial est loin d’être terminé.

Autre sujet en majesté dans ce numéro, un article passionnant de la Süddeutsche Zeitung : “Le Somaliland, ce pays qui n’existe pas.” Le 18 mai, cela fera trente ans que le Somaliland a fait sécession de la Somalie. “L’occasion de raconter au monde une success-story à l’africaine (elles sont assez rares pour qu’on en parle). L’histoire d’un pays qui compte toujours parmi les plus pauvres d’Afrique, c’est vrai, mais qui est devenu l’un des plus sûrs et des plus pacifiques du continent. Ce n’est pas simplement un pays jeune, c’est également une expérience unique en son genre. Car, contrairement à beaucoup d’autres en Afrique, le pays a été ignoré, occulté. Pas seulement par les chefs d’État, mais aussi par l’aide au développement. Le pays se porte-t-il donc si bien que ça, malgré l’absence d’aide ? Ou bien justement grâce à l’absence d’aide ?” s’interroge le journal. À lire absolument.