Last Train, comme une épopée orchestrale sur grand écran

Last Train, 2024. © Sybilla Weran

Cultivant son indépendance, Last Train s’est imposé comme l’un des groupes de rock les plus respectés en France. Composé par son seul leader, Jean-Noël Scherrer, avec Rémi Gettliffe, le producteur attitré du groupe, son 3e album, Original Motion Picture Soundtrack, est une chevauchée orchestrale dans la lignée des grandes BO de films. Entre une écriture en circuit fermé dans un studio de campagne alsacienne et un enregistrement avec l’orchestre symphonique de Mulhouse, le chanteur et guitariste n’imaginait pas que tout cela le mènerait si loin, lui et son groupe. Rencontre.

RFI Musique : Avec ce disque, Original Motion Picture Soundtrack, l’idée est-elle de réinterpréter vos morceaux ? Ou de faire la BO d’un film qui n’existe pas ?

Jean-Noël Scherrer : Il y a vraiment des deux ! Avec Last Train, on a toujours tout fait seuls. On a réalisé nos clips, produits nos albums, monté nos tournées. Cette fois-ci, on a voulu écrire de la musique pour un film mais personne ne nous l’a proposé. Donc, il fallait le faire par nous-mêmes... (rires) Ensuite, ce qui nous tenait à cœur, c’était de montrer que derrière notre groupe de rock, il y a une écriture ! L’idée était de mettre le paquet là-dessus, en s’affranchissant des guitares et en se disant qu’il n’y avait plus que les morceaux et le sens.

Vous ne créez pas des versions symphoniques de vos chansons, mais il s’agit plutôt d’un prolongement orchestral. Où est le lien avec vos deux premiers albums ?

Évidemment, on a bien conscience que ce disque s’adresse aux fans. Il a été pensé comme un jeu de pistes dans notre répertoire. Trois ou quatre titres différents se mélangent parfois en un. D’autre fois, le thème d’un morceau est joué sur la grille d’accords d’un autre. L’objectif était d’être subtil. Ça nous ferait mal au cœur que cet album soit considéré comme des remixes vis-à-vis du travail d’écriture qu’il y a derrière. Quelqu’un m’a dit que c’est un "préquel" de la discographie de Last Train, j’ai trouvé ça "smart" !

Vous évoquez souvent la trilogie Le seigneur des anneaux et la bande originale d’Howard Shore parmi vos influences. Quelles références aviez-vous en tête ?

Sur tout l’album, ce sont des hommages à des compositeurs qui nous ont touchés. C’est vraiment la musique que j’écoute au quotidien. Il y a les grands classiques : John Williams, Hans Zimmer. Il y a les plus romantiques, James Horner ou Alan Silvestri, et les modernes comme Thomas Newman. Et puis, on trouve ceux qui mettent le piano au centre du propos. C’est presque un gimmick dans la musique de film aujourd’hui. Il y a aussi les pianistes néo-classiques (Hania Rani, Niels Frahms, Olafur Arnald) et ces compositeurs qui n’ont pas forcément un bagage classique et qui se retrouvent à faire des "musiques imagées". Je ne te cache pas que je suis un très grand fan de Trent Reznor, non seulement de Nine Inch Nails mais aussi de tout ce qu’il a fait comme compositeur.
 

Ce n’est pas forcément simple de passer à la musique instrumentale quand on est un rockeur. Comment y arrive-t-on ?

Ce n’était pas facile dans le concret. Mais j’avais tellement envie de faire cela que la transition de l’un à l’autre était presque évidente ! Tout était très opaque pour nous au départ. On avait une vision de ce que l’on avait envie de faire, mais on ne savait pas comment y arriver. Donc, on a fait comme toujours avec Last Train : à tâtons, en se cassant la gueule, en se prenant la tête, en revenant sur les choses, et en se serrant les coudes.

Le travail avec un orchestre symphonique, c’est une véritable épreuve pour un musicien de formation plutôt autodidacte comme vous. J’ai envie de dire qu’un orchestre ne sonne pas tout seul…

Il y a tout un vocabulaire et une anticipation à avoir de la part du compositeur, du chef d’orchestre, et de toute l’équipe autour que je sous-estimais totalement. Tout devient sujet. La présentation du projet aux musiciens, comment va se dérouler l’enregistrement, comment on arrive à optimiser tout ça pour que ce soit le plus plaisant possible à jouer... Tu te rends compte que l’orchestre est une entité bien à part. C’est comme si tu faisais un feat. avec une star. Nous sommes donc passés par Fabien Cali, qui est orchestrateur et compositeur de musiques de films. Il a transcrit pour les différents instruments de l’orchestre les compositions que Rémi [Gettliffe] et moi avions imaginées sur notre ordinateur.

Votre guitariste, Julien Peultier, a réalisé une série de trois mini-documentaires au sujet de la création de ce disque. Dedans, il y a ce moment où vous êtes perdus face à ce que deviennent vos titres quand ils sont joués par l’orchestre. Ce sont pourtant des morceaux que vous avez composés…

Cela a été un peu douloureux à ce moment-là parce que je me sentais démuni. Quand tu travailles six mois sur des morceaux, que tu les connais par cœur et que tu veux que ce soit joué d’une certaine façon, c’est difficile de ne pas avoir quelque chose qui sonne comme tu l’avais imaginé. Le travail avec un orchestre est très codifié. Par la communication entre Rémi et moi avec Fabien, qui a été l’intermédiaire pour parler à Victor Jacob, le chef d’orchestre, lui-même intermédiaire pour parler aux musiciens, tu arrives à jouer sur les sensations et les interprétations. Ce dont on ne se rend pas compte, c’est qu’on a l’impression que ces morceaux sont des pièces jouées de la première à la dernière seconde par l’orchestre, mais c’est comme n’importe quel disque. On a enregistré autant qu’on pouvait, gardé les meilleurs morceaux, et fait énormément de postproduction derrière. C’était assez lourd !

Cet album a-t-il amené à une remise en cause ou un rééquilibrage au sein du groupe ?

Ah non, pas de remise en cause ! Au contraire, on était content de se retrouver ensemble. Un nouvel album est déjà enregistré. On en avait plein le cul des envolées symphoniques. On était en quête de simplicité, d’efficacité et d’impact…(rires) Sur Original Motion Picture Soundtrack, tout le monde n’était pas impliqué d’un point de vue musical. Mais Last Train n’est pas un groupe où le seul enjeu est de savoir qui fait quoi musicalement. On a plein de cordes très différentes et complémentaires à nos arcs. Donc, bilan positif : je crois que cette aventure nous a encore soudés et tirés vers le haut !

Last Train Original Motion Picture Soundtrack (Modulor Records) 2024
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