Les "Paradigmes" de La Femme

Le groupe français La Femme publie son 3e opus intitulé "Paradgimes". © Oriane Robaldo

Avec Paradigmes, son troisième disque, La Femme, groupe à géométrie variable, emmené par Sacha Got et Marlon Magnée, confirme sa griffe : une pop rétro-vintage-futuriste qui parvient, avec brio, à s’emparer de l’air du temps.

En pleine pandémie, Paradigmes, le troisième opus de La Femme, fait l’effet d’une boule à facettes dans la nuit. Visionnaire, le combo à géométrie variable, à l’audace si insolente qu’elle semble révolutionnaire, perpétue l’exercice d’une nage à contre-courant, qui épouse à la perfection les courbes de son époque... et s’en amuse. Un exemple ? Le brûlot punk adolescent, Foutre le bordel, qui résonne comme un appel à la libération d’une société confinée, empêchée.

Entre dandysme pop et punk rétro-vintage-futuriste, surf music et psychédélisme, les pistes de cette galette savoureuse pourraient bien écoper du "label" refusé à la culture : "essentiels", voire d'"utilité publique".

Sept ans après leur premier coup de maître, Psycho Tropical Berlin, sacré Disque d’or et Victoire de la Musique, qui révélait leur signature et leur griffe, Sacha Got et Marlon Magnée, les deux géniteurs de ce monstre fluorescent, amis d’enfance et âmes fraternelles, reviennent avec ce nouveau petit miracle. 

Voyages, voyages

Pour tenter d’en comprendre la recette, nous appelons Marlon au téléphone. D’emblée, il digresse – "Tu crois que deux entrecôtes suffiront ?" –, avant de se ressaisir : "Pardon, j’ai des potes à la maison, on prépare à bouffer !". Entre deux hors-pistes logistiques, ses mots, ses réponses se bousculent en avalanche ultrarapide.

Sur le ton de l’anecdote, il raconte leurs deux dernières années à l’issue de leur tournée, en 2018. Lui, une fois leurs concerts sur le sol américain achevés, a décidé de rester à Los Angeles, d’enchaîner road-trips, sessions de studios impromptues et parenthèses de "fun".

Dans un désir de vivre et de se nourrir du monde, chacun de son côté, Sacha, lui, a pris la tangente, direction Séville, Andalousie : "Il y a vécu des trucs de ouf, comme des histoires d’amour qui l’ont bouleversé. Il y a noué des amitiés et rencontré des musiciens fans de La Femme, qui ont fondé leur groupe, Adios Amores, sur notre modèle. Bref, il a prêché la bonne parole !", décrit Marlon. 

200 chansons dans leurs besaces

Hors de tout protocole, les deux garçons ne se posent jamais pour concevoir un album. Chacun, dans ses besaces, possède quelque 200 chansons, écrites au fil des chemins, abreuvées de l’air du temps, créées dans des moments improbables, comme Pasadena, composée sur un piano de Los Angeles, un soir de Noël.

Puis, quand vient le temps de sortir un disque, Marlon l’angoissé et Sacha "le gars cool", se réunissent et enfilent jusqu’à plus soif les sessions d’écoute, pour aboutir à cette sélection ultime : leur disque.

Mis à part ce processus inchangé, Marlon, 30 ans, reconnaît une nouvelle maturité : "Dans notre groupe élargi, 'à géométrie variable’, nous sommes devenus plus adultes, nous avons acquis davantage d’expériences, de nouveaux rêves. Certains sont fatigués. Certains ont des meufs, ils veulent arrêter. Et puis, techniquement, nous sommes meilleurs. Nous avons accumulé des savoir-faire de producteurs, en autodidactes, en nous bougeant le cul"

Un film au Palace

Et, bien sûr, le côté "do it yourself" fait toujours partie intégrante du cocktail. Nouveauté de ce disque ? Les gars ont réalisé, grâce à leurs fonds propres et aux bénéfices de leur tournée, un film entièrement tourné au Palace, célèbre boîte de nuit old school, de Paris.

Parmi les extraits déjà en ligne sur le web, s’y côtoient des cuivres rutilants, joués par des filles en tenues glamour, une arche, des paillettes, une vraie-fausse émission de télé, façon années 1990, où un philosophe, sosie de Michel Foucault, digresse à l’envi : "On voulait créer une œuvre d’art, un choc des cultures, entre un discours super chiant et un rythme disco… Et aussi se foutre de la gueule des discours à rallonge, des spécialistes qui répondent la plupart du temps à côté des questions", résume Marlon. 

Pour le reste, La Femme conserve sa marque de fabrique : leurs goûts des timbres féminins, pour chanter leurs titres. Ici, se succèdent Ariane Gaudeaux, lauréate d’un casting lancé sur Facebook ; Alma Jodorowsky, petite fille d’Alejandro, et amie d’enfance du duo ; Clara Luciani, chanteuse historique du combo ; Mathilde Fernandez ; et Aurélie Magnée, cousine de Marlon, chanteuse à l’opéra de Paris. "En explorateur, on traque des voix simples, sans tralala", indique Marlon.

La musique comme devoir

Et puis, La Femme, c’est surtout un son singulier, reconnaissable entre mille. Peut-être parce que Marlon, selon son propre aveu, se préserve de toute influence : "J’ai honte, mais j’ai tellement le nez dans le guidon, que je n’écoute plus du tout de musique, même si je m’en suis abreuvé comme un enragé à l’adolescence. Je compose, voilà. Après tout, un boulanger qui fait du bon pain, il le mange !"

Ainsi, Paradigmes, sans règles ni codes, enchaîne des titres à l’éclectisme débridé, qui ressemblent fort à l’esthétique du duo… Et résonnent avec le temps présent. Prenez Paradigmes, le titre du disque, ce doux nom à mi-chemin entre "paradis" et "énigme" : "Avec la pandémie, tout le monde change de paradigmes, de vérités. Ainsi, nous acceptons parfaitement que chacun porte un masque, alors qu’il y a un peu plus d’un an, cela nous aurait paru ubuesque. Les règles changent…"

Et dans tout ce marasme, La Femme perpétue sa mission, comme l’explique Marlon : "Pour moi, la musique, c’est un devoir : le devoir de continuer, d’aller jusqu’au bout, sans jamais rien lâcher"

La Femme Paradigmes (Disque pointu/IDOL) 2021
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