Jean-Michel Jarre, générateur d’Oxygène aux Francofolies de La Rochelle

Jean-Michel Jarre sur la scène des Francofolies de la Rochelle, le 14 juillet 2024. © Thibaud MORITZ / AFP

L’inoxydable pionnier de l’électro française Jean-Michel Jarre a clôturé hier soir la quarantième édition anniversaire des Francofolies de La Rochelle avec un spectacle visuellement époustouflant, musicalement emballant et dans lequel il a invité la tornade Zaho de Sagazan pour reprendre Les mots bleus

Qu’est-ce qui fait encore courir, Jean-Michel Jarre ? "La curiosité. C’est quelque chose qu’on a ou qu’on n’a pas. Quand j’avais une trentaine d’années, j’avais des artistes-collègues qui se reposaient déjà sur leurs lauriers. Ce que j’ai fait, je ne le rejette pas, bien entendu, mais ça ne m’intéresse pas vraiment. Je suis uniquement animé par ce que je vais faire". Pas besoin donc la veille du show d’aborder avec lui ses exploits passés – des sons et lumières grandiloquents qu’il a trimballés de la muraille de Chine aux pieds des pyramides d’Egypte en passant par les gratte-ciels de Houston, devant l’université de Moscou (3,5 millions de spectateurs, son record) – ni de rappeler qu’il a vendu son fameux album Oxygène à quelque 12 millions de fondus de synthés. 

Volubile dans ses élans, inlassablement passionné, joueur de défis imposants et imposés, le pionnier de l’électro musicale française continue de carburer au désir. Eternelle cure de jouvence artistique et physique (il fonce tout droit sur ses soixante-seize ans tout en paraissant quinze de moins). Même s’il n’avait jamais ramené son artillerie en terre rochelaise jusqu’ici, l’homme était indirectement lié au festival. "L’hymne des Francofolies de La Rochelle est La Dolce Vita, chanson de Christophe que j’ai écrite et composée. Ma présence cochait effectivement plusieurs cases, dont cette date du 14 juillet qui est importante pour moi dans ma trajectoire professionnelle et parce que ma mère s’appelait France. Et puis, j’ai toujours été de l’électro et de la chanson française. J’ai beaucoup collaboré à une époque, avec des gens comme Françoise Hardy à qui on pense particulièrement cette année, Patrick Juvet et évidemment mon ami et complice Christophe".

De ce dernier, il dira aussi : "Peu avant sa mort, il m’a confié que j’avais écrit en quelque sorte sa biographie fantasmée". Entendre par là, les paroles des Paradis perdus et des Mots bleus. "Je ne pouvais pas passer à La Rochelle sans lui rendre un hommage et inviter l’artiste la plus disruptive et incontournable de l’année, en l’occurrence Zaho de Sagazan. Sa pureté dans la diction l’érige en Barbara 2.O". Au milieu d’un show essentiellement instrumental, la jeune tornade de vingt-quatre ans est apparue pour interpréter Les mots bleus dans une version électro. Brillante comme à son habitude, mais moins percutante que sur le Modern Love de Bowie, morceau final de son irrésistible concert qu’elle avait donné quelques heures auparavant sur la même scène.

Passé, présent et futur

Jean-Michel Jarre a ainsi pris possession de ses platines après le feu d’artifice et une longue installation qui aura occasionné quarante-cinq minutes de retard sur l’horaire initialement annoncé. Atmosphérique, spatial, nostalgique, moderne, flattant l’imaginaire et les yeux, il joue à saute-mouton entre passé, présent et futur, se pare de mélopées électroniques fascinantes, épiques, mouvantes.

Accompagné des musiciens Claude Samard et de la Londonienne Adiescar Chase, il se prête à cet exercice inédit avec l’éclat de celui qui veut vivre et être aimé. Déroule ses multiples bols d’Oxygène, ses variations d’Equinoxe et autres Rendez-vous. Diffuse un extrait du discours (sur la liberté d’expression et les dangers inhérents aux collectes de données individuelles sur les réseaux sociaux) du lanceur d’alerte Edward Snowden au cours du morceau Exit. Joue de l’Intelligence Artificielle pour rendre vivantes des toiles diffusées sur écran. Et brandit sa fascinante harpe laser à faisceaux lors du final Time Machine.

Souchon et fils, un régal

Jean-Michel Jarre, toujours dans le coup. Tout comme Alain Souchon, boosté par la présence de ses deux fils à ses côtés et dont le tour de chant s’est transformé samedi, au théâtre de la Coursive, en véritable régal. Répertoire généreux et en majuscule. Voix nettement plus en place que sur sa précédente tournée. De l’émotion, des intermèdes savoureux, de la complicité, des chansons d’éternité.

Difficile de ne pas hisser aussi sur le podium Damien Saez, seul en acoustique et qui, dans un bon jour, rappelle qu’il peut toucher à l’immensité. Ou la classe folle de Clara Ysé, offrant une palette émotionnelle inouïe. Dans les deux cas, on a vibré, frissonné, courbé l’échine. On n’a surtout jamais autant aimé finir un paquet de mouchoirs.