Hommage à Jean-Louis Murat : le garder près de nous

Jeanne Cherhal chante "La Maladie d'Amour" lors du concert hommage à Jean-Louis Murat, le 25 mai 2024. © RFI/Anne-Laure Lemancel

Un an pile après sa disparition soudaine, le 25 mai 2023, la salle La Coopérative de Mai, à Clermont-Ferrand organisait un concert-hommage à Jean-Louis Murat. À l’affiche ? JP Nataf, Nicola Sirkis, Jeanne Cherhal, Laura Cahen… et ses proches. Une soirée pudique, digne et pleine d’amour. 

Par vagues douces ou violentes, en torrents, l’émotion submerge la Coopérative de mai, salle emblématique de Clermont-Ferrand, comble ce soir du 25 mai. Dans la pénombre, une voix au timbre radiophonique si reconnaissable, s’élève. Elle pose des mots sur les sentiments partagés, elle endosse au "je", la douleur collective. Elle raconte une "mort subite", évoque la "disparition d’un ange", à chercher, peut-être, "quelque part dans le décor". "À croire qu’il voulait tester notre amour, le garçon ?", suppose-t-elle. L’occasion de "lui adresser un immense baiser… sait-on jamais ?".

Cette voix, c’est celle de la narratrice du concert, la journaliste Pascale Clark. Et bien sûr, elle parle de Jean-Louis Murat, l’Auvergnat devant l’éternel, le bluesman du Sancy, le poète des montagnes, les deux pieds dans la gadoue, hôte fidèle de ces lieux, qu’il fit résonner d’une myriade de concerts fous d’amour, généreux, de la "transe de ses chansons, étirées aux quatre coins de l’âme", de moments dont "on sortait lessivés, un peu ivres et tellement en vie", confesse en préambule l’équipe de la salle…

Alors, pour célébrer le premier anniversaire de sa disparition, le 25 mai 2023, des suites d’une embolie pulmonaire, l’établissement a lancé l’idée de cette communion XXL, si joliment intitulée "Te garder près de nous". Avec un casting de choix : une kyrielle de proches, de copains, d’artistes avec qui il nourrissait une complicité, de simples admirateurs…

Murat sous d’autres lumières

Il revient à l’évanescente Morgane Imbeaud, ex-Cocoon, Clermontoise, sa complice, d’ouvrir le bal, sur de sublimes paysages cinématographiques, en rase-motte, sur les étendues d’Auvergne, imaginés par Biscuit Production, scénographes de la soirée.

Seule avec sa guitare, elle entonne avec une justesse lumineuse et nimbée de tendresse bleutée, l’incontournable Col de la Croix Morand. Avant de céder le flambeau au cuivré Delano Orchestra de Matt Low sur Mujade Ribe. Puis à Alex Beaupain seul dans le Train Bleu et accompagné de Frédéric Lo sur Fort Alamo… Avec ses joues rebondies, ses yeux rieurs et sa bouche mutine, Laura Cahen reprend avec une gourmandise malicieuse et enfantine le Mont Sans-Soucis… Quand un grand échalas rêveur, à la chevelure de lion indomptée, un poète lunaire, s’installe au piano, en contrepied : c’est Florent Marchet, fan déclaré.

Avant le concert, il nous confiait : "Murat m’a offert une direction, le goût des territoires vierges et celui de la géographie. Dans son sillage, dans la construction de mes histoires, je privilégie toujours le lieu. Je lui dois cet amour des paysages, des mots incongrus… J’aime aussi ses fulgurances dans ses lâcher-prises…" Alors, derrière son instrument-paquebot, le voilà qui navigue sur l’écume des mots d’Un mendiant à Rio, et s’envole, accompagné à l’écran d’une armée de lucioles, dans les tourbillons de son Monde intérieur

© RFI/Anne-Laure Lemancel

Il y a la reprise nostalgique et élégante, en vidéo, de Jim par Matt Low et Elysian Fields. Et une audacieuse version, colorée et punkoïde, déjantée et gorgée de paillettes de Suicidez-vous, le peuple est mort, signée PAR.SEK.

Avec chaque interprète, les chansons de Murat se parent d’autres lumières. Comme, sous les doigts de Jeanne Cherhal, qui chante au piano avec une infinie délicatesse, La Maladie d’amour. Et dans les cordes de JP Nataf (des Innocents) qui s’attaque au Troupeau et à Gilets Jaunes. Lui aussi nous expliquait son attachement à celui qu’il croisait régulièrement, avec qui il nourrissait une franche camaraderie artistique : "Avec sa séduction absolue, par sa gueule, sa façon de parler, ses visions extralucides, sa poésie et ses audaces folles, il nous a tous décomplexés, nous qui avions du mal avec ces frontières parfois poreuses entre rock et variété. En France, il a rebattu les cartes, avec sa pop lettrée, qui me rappelle, en un sens, Bryan Ferry."

"C’était un animal libre et ultra-instinctif… qui me manque tant", renchérit Armelle Pioline, qui donne la réplique à JP Nataf sur Foule Romaine… Avant de donner chair au rarissime Coup de Jarnac, sur la mort de François Mitterrand : "Une scène mortuaire d’une beauté invraisemblable, où il raconte le peuple qui pleure… Un morceau qui me transperce littéralement. Quel trac j’ai, vous savez, de la porter !", assume-t-elle.

Enfin, la Clermontoise Koum livre une version soul et suave de Si je devais manquer de toi. Et le tant attendu Nicola Sirkis d’Indochine (pour qui Murat avait écrit Un singe en hiver et Karma girls) éclaire avec sobriété J’ai fréquenté la beauté.  

Les copains d’abord

Le concert-hommage se déroule comme une histoire, une aventure en Muratie, sans pathos, mais avec dignité, et une émotion taillée à sa mesure.

Sans doute aussi parce qu’il y a là ses plus proches : la touchante Marie Audigier, son ex-épouse et manageuse, qui chante Sentiment nouveau, trente ans après en avoir assuré les chœurs, en duo avec Fredéric Lo. L’amie réalisatrice Laëtitia Masson qui donne sa voix à L’irrégulière. Le pudique Alain Bonnefont, qui interprète avec une immense pertinence Perce-Neige. L’autre pilier, Jérôme Caillon qui s’offre aux rugissants Jours du Jaguar. Et puis, eux deux, accompagnés du solide batteur Stéphane Mikaëlian, qui foulent à nouveau, le temps d’une chanson, Le chemin des poneys. "Hey ho, hey ho, c’est nous Les Rancheros !", clament-ils, pour reformer l’espace d’un clin d’œil, leur bande de quatre mousquetaires musiciens un brin potaches… De là-haut, Jean-Louis Murat rigole-t-il avec ses copains ? 

Enfin, il y a celui sans qui rien n’aurait été possible. L’homme discret, mais efficace, aux lunettes rouges, retranché derrière ses claviers, l’alter ego musical de Murat, artisan de nombre de ses albums, Denis Clavaizolle, chef d’orchestre de la soirée, d’une élégance rare dans ses arrangements musicaux, joués notamment par son fil Yann (batterie) et Guillaume Bongiraud (violoncelle).

En fin de concert, les larmes d’émotion, et de soulagement roulent sur ses joues, comme sur celles d’autres artistes... En épilogue, la voix de Pascale Clark résonne, avant qu’elle n’apparaisse enfin sur scène : "25 mai 2024 à la Coopérative de mai… Ce moment restera comme une flamme. À nous de la faire briller. Et ne croyez pas tout à fait ceux qui chantent le lien défait…" Et tous les artistes ici présents de l’entonner justement, en chœur, ce Lien défait. Comme pour l’invoquer. Le convoquer. Et le voilà qui apparaît sur l’écran, en générique de fin, en irrésistible Berger de Chamablanc. Et, à l’évidence, à son sourire éternel, il les reçoit bien, nos immenses baisers !