Le 14 juillet 1993, Léo Ferré s’éteignait : son fils continue de faire vivre son œuvre

Léo Ferré, sur la scène du Théâtre des Champs Elysées, à Paris, en 1984. © THIERRY ORBAN/Sygma via Getty Images

Le 14 juillet 1993, le chanteur et auteur compositeur Léo Ferré tire sa révérence au milieu des vignes et des oliviers dans sa maison de Castellina in Chianti, en Toscane. C’est là que vit Mathieu, l’un de ses trois enfants. Même voix grave, même ferveur. Depuis 1992, il honore la mémoire de son père et s’occupe de la maison d’édition familiale, "La mémoire et la mer", et fait vivre un catalogue d’environ 500 titres.

RFI Musique : Vous venez de participer à l’édition d’une très belle anthologie (24 CD, 431 titres enregistrés entre 1948 et 1990) qui comporte notamment un disque qui regroupe vingt-et-une chansons captées en concert dont il n’existe aucune version studio. Léo Ferré s’est énormément produit. Comment avez-vous choisi ces chansons ?
Léo a enregistré beaucoup de disques studio. Avant de les enregistrer, il rodait les chansons sur scène. Donc, pendant toute sa carrière, beaucoup de chansons, faute de place ou de temps étaient orphelines de version studio. Je trouvais amusant d’aller à leur recherche. Elles y figurent presque toutes. Publier une intégrale en un seul support n’était pas possible, notamment parce que cela coûte trop cher. Depuis quelques années, j’édite, avec "La mémoire et la mer", une série de coffrets qui couvrent l’ensemble de son oeuvre. Là, avec Universal, j’ai réussi à faire une anthologie de 1950 à 1991. Cela donne un aperçu chronologique de l’évolution de son écriture et de sa musique. L’objectif, c'est de permettre à quelqu’un, qui aborde sa discographie et voudrait se plonger dans sa création, d’avoir une matière importante.

7 CD intitulés Les poètes couvrent toutes les mises en chansons des poètes effectuées par votre père (Aragon, Apollinaire, Baudelaire, Jean-Roger Caussimon, Rimbaud, Verlaine) Pourquoi avez-vous choisi de tout éditer ?
Parce que le travail qu’il a fait sur la poésie est fantastique et extraordinairement important. Je ne connais aucun artiste qui a consacré des albums entiers à des poètes. Cela fait découvrir ces poètes à des personnes qui ne les auraient pas connus autrement. Moi le premier ça m’a donné envie de creuser ce monde ! Il avait fait ça uniquement pour essayer de partager cette passion avec son public, ce sont des disques magnifiques d’un point de vue technique et musical. Cela aurait été de mauvais goût de ne pas le montrer. Il les a défendus bec et ongles. Léo était très fier de faire découvrir les poètes aux gens.

L’Émigrant de Landor road est une archive familiale inédite. Est-ce qu’il reste encore des inédits ? Oui, il reste quelques enregistrements que l'on va publier l’année prochaine. Il y a aussi un coffret de 18 DVD, 65 heures d’images avec toutes les émissions que j’ai réussi à retrouver. Je suis assez intégraliste, je ne veux pas faire des choix, ce n'est pas possible de saucissonner. Je ne sais pas comment sa postérité sera traduite dans le temps, je veux que ça existe d’un bloc.

Est-ce qu’il y a des choses que vous ne publierez jamais ?
Non, comme un peintre, ce qui ne l’aurait pas satisfait, il l’aurait détruit. Donc, ce qui existe, c'est une trace historique dans une certaine mesure. Si c’est totalement inaudible ou totalement privé bien sûr. C’est sûr que je ne publierai pas une cassette dans laquelle il est à un repas de famille. Quel serait l’intérêt artistique ? C’est son œuvre qui compte. Tout sera publié artistiquement. On dit que je suis son "ayant droit" je n’aime pas du tout cette expression. Je me sens plutôt un "ayant devoir". Pas parce que c’est mon père, mais parce que son œuvre me touche.

Les étudiants de l’école des Gobelins ont réalisé le clip de La Solitude et le graphiste Jef Aérosol, une œuvre utilisée en couverture et dans le coffret. Est-ce que vous avez fait appel à lui parce que c’est un artiste de street art ?
Bien sûr ! Comme le disait Léo dans de nombreux textes, "la musique et la poésie dans la rue" ! Quel meilleur support qu’un artiste qui propose son travail dans la rue ? C’est fantastique et ça va dans le sens de ce que disait Léo. On n’a pas besoin de descendre dans la rue uniquement pour tout casser. On peut aussi y mettre de la musique et de la poésie. Vous savez pour Léo, l’amour, la générosité et le respect des autres étaient importants. Je suis toujours agacé quand les gens disent que c’est un style dépressif. Au contraire, c’est rempli d’utopie et d’espoir pour avancer. L’œuvre de Léo est remplie d’énergie et d’espoir.

 

Toutes ces collaborations, n’est-ce pas aussi une manière de l’ancrer dans notre époque ?
Oui, pour moi ses chansons sont actuelles et vivantes. Elles s’adaptent à notre époque. Pas toutes, il a écrit des chansons datées et anachroniques, bien sûr. Mais, beaucoup sont très contemporaines et perdureront.

Aujourd’hui, les artistes chantent beaucoup. Comment cela se passe lorsque quelqu’un veut reprendre un titre de Léo Ferré ?
Ça se passe très bien ! À partir du moment où un artiste décide de reprendre une chanson et qu’il ne change pas les paroles ni l’harmonie de l’œuvre originale, il n’a nullement besoin de demander quoi que soit à personne. C’est la même règle pour tous les membres de la SACEM. Parfois, il arrive que des interprètes nous demandent leur avis, ou nous envoient un disque, mais nous ne sommes pas au courant de tout.

Contrairement à beaucoup d’artistes de la chanson française, tels Claude François, Dalida ou Edith Piaf, il n’y a pas de film sur la vie de votre père. Pour quelles raisons ?
On ne sait pas ! On ne s’y oppose pas, au contraire, on essaie de créer des rencontres pour que ça arrive. Il y a plusieurs projets en cours avec des Français et des Canadiens, mais vous savez le cinéma, c'est très long et très cher. Ne désespérons pas que ça puisse arriver un jour. Il ne se passe pas un jour où je n’écoute pas mon père, où je n’ai pas une nouvelle idée pour transmettre…

Qu'aimeriez-vous que l’on connaisse plus de lui ?
Ce qui n’est pas suffisamment connu, c'est son travail de composition symphonique qu’il a fait à partir de 1975. Mon plus grand souhait, c’est qu’il soit un peu plus reconnu comme un compositeur de musique classique du XXe.