Great Black Music, une exposition qui voit large

<i>Great Black Music</i>, une exposition qui voit large
Franco Kinshasa, 1965 © Jean Depara

L’exposition Great Black Music, qui débute aujourd’hui et se tient jusqu’au 11 août à la Cité de la musique à Paris, offre une vision décloisonnée des musiques noires et de leurs trajectoires complexes. Entretien avec l’ethnomusicologue Emmanuel Parent, qui a apporté son concours à la manifestation.

RFI Musique : Comment a été pensée l’exposition Great Black Music ?
Emmanuel Parent : Cette exposition est problématisée. Son but est de poser des questions, contrairement à d'autres (déjà présentées à la Cité de la Musique : ndlr) qui sont plus monographiques et où on retrouvera le parcours d'un grand artiste, Georges Brassens, Miles Davis. D’un point de vue musicologique, cette notion de musique noire est problématique parce qu'elle rassemble une grande diversité sous un même terme, et tous les courants qui sont dans l'expo n'ont pas explicitement de dénominateur commun.

Quel est le but d’une telle exposition ?
Chacun a une idée de ce que sont les musiques noires, selon son goût. Dans cette expo, le visiteur va s'interroger : il va voir des styles musicaux qu'il n'avait pas forcément reliés avec ses prédilections, et se poser la question de ces liens un peu mystérieux. Les musiques noires, c'est l'expression musicale du panafricanisme. Au XXe siècle, différentes personnes des diasporas noires ont essayé de s'associer politiquement, de voir les points communs qu'il y avait entre un Antillais, un Noir américain et éventuellement un Africain d'un pays en lutte pour son indépendance. Au fur et à mesure du XXe siècle, la circulation de la musique, la mondialisation aidant, les musiciens se sont rendu compte qu'il y avait des liens entre le hip hop et le reggae, entre la bossa nova et le jazz West coast, entre la rumba congolaise et la rumba cubaine.

N’a-t-on pas tendance à exagérer, à fantasmer ces liens ? Dans le documentaire de Martin Scorcese intitulé From Mali to Mississippi, Ali Farka Touré affirme qu’il ne fait pas du blues, contrairement à ce qu’on voudrait y voir…
Les musiques noires sont aussi une invention du monde moderne. Du point de vue du chercheur, on ne résoudra jamais, de façon certaine, la question de l'héritage de l'Afrique dans les Amériques noires. Quand on regarde la carte des Amériques, plus on monte vers le Nord, moins il y a d'africanisme. Au Brésil, en Haïti, les apports africains sont plus facilement identifiables qu'aux États-Unis. Et paradoxalement, c'est là où les apports africains sont les moins visibles, comme le jazz, qu'il y a le plus de revendications identitaires nationalistes noires. C'est assez fascinant. D’ailleurs, le terme de "Great black music", a été inventé au point le plus au nord de la diaspora afro-américaine, à Chicago.

Comment cette exposition est-elle structurée ?
A la base, il y avait un défi : comment brasser une diversité aussi large sans se perdre. Une des entrées a été de circuler au maximum dans la géographie, de passer en Amérique, en Afrique, dans les Caraïbes. Dans la première salle, on démarre par les figures charismatiques. La deuxième salle, c'est "Mama Africa" : montrer la mère Afrique en tant que continent des origines, mais aussi montrer sa modernité. La troisième aborde plutôt les liens entre musique et religion : les cérémonies religieuses sont les premiers espaces d'autonomie où une nouvelle musique s'est inventée. Et on retourne aux Amériques dans la quatrième salle. On a lâché l'entrée biographique pour raconter des histoires et montrer cette notion de créolisation que nous a donnée Édouard Glissant et qui permet le mieux de comprendre ces musiques noires sous l'angle de la création plutôt que de l'héritage.

A partir de quelle époque les musiciens noirs américains commencent-ils à se tourner vers l’Afrique ?
D’une manière générale, les élites afro-américaines du XIXe siècle avaient un peu honte de l'Afrique, elles avaient intégré que c’était un continent arriéré qu'il fallait évangéliser. Avec Marcus Garvey et le mouvement de la Harlem Renaissance dans les années 20, c'est le premier moment d'une fierté raciale, mais dont l'essai va être véritablement transformé dans les années 60, parce que ça bouge aussi en Afrique : les mouvements des droits civiques font écho aux luttes pour les indépendances et les échanges réels entre musiciens s'accélèrent.

Quelle place occupe la dimension politique dans ces allers-retours ?
Musiques noires et politiques sont vraiment liées. Ce qui relie les musiques noires, ce n'est pas uniquement la couleur de peau, c'est plutôt une condition sociale, d'avoir été, soit par le biais de l'esclavage soit par celui de la colonisation, confronté à ce pouvoir blanc. C’est donc forcément au cœur de cette histoire-là.

Exposition Great Black Music Cité de la Musique du 11 mars au 8 août 2014
Site de la Cité de la Musique

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