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Pra-Esperanto

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Les pré-espéranto (Pra-Esperanto ou Praesperanto en espéranto) sont les deux langues sur lesquelles a travaillé Louis-Lazare Zamenhof, créateur de l’espéranto, avant de travailler sur ce dernier. Connue sous le nom de Lingwe uniwersala et Lingvo universala (parfois Praesperanto I et II ou Praesperanto 1878 et 1881), ces langues permettent de comprendre comment Zamenhof en est venu à la création de l’espéranto. Bien que tous les manuscrits de Zamenhof sur ces deux langues aient été brûlés, deux grammaires ont pu être extraites des corpus existants et être comparées à celle de l’espéranto.

La Lingwe uniwersala de 1878

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Photographie en noir et blanc d’un jeune homme.
Louis-Lazare Zamenhof en 1879, année de son départ vers Moscou.

Le 17 décembre 1878, Louis-Lazare Zamenhof, alors âgé de 19 ans et en 8e classe du gymnasium de Varsovie[N 1], convie des camarades de classe à fêter officiellement la naissance de la langue[1]. Zamenhof leur présente des documents qu’il a écrits, dont un dictionnaire, une grammaire et des traductions[2],[3]. À cette occasion, ils chantent l’hymne de la langue, dont les quatre premiers vers sont les suivants[4] :

« Malamikete de las nacjes
Kadó, kadó, jam temp’ está!
La tot’ homoze in familje
Konunigare so debá.
 »

— Louis-Lazare Zamenhof, Letero pri la deveno de Esperanto

« Hostilité des nations,
Tombe, tombe, il est déjà temps
Toute l’humanité en une famille
Doit s’unir. »

— Maria Ziółkowska, Le Docteur Esperanto[5]

Ce passage est restitué par Zamenhof en 1895 dans sa lettre à Nikolaï Afrikanovitch Borovko[6]. Il constitue, avec le nom de la langue, la seule trace écrite sur la Lingwe uniwersala[7]. Christer Kiselman note une divergence d’accentuation de la lettre a : bien que le texte originel utilise des accents aigus (está, debá), d’autres textes utilisent des accents graves (està, debà) ou aucun accent (esta, deba)[4]. Zamenhof donne, dans la lettre à Borovko, une traduction en espéranto[N 2],[4] :

« Malamikeco de la nacioj
falu, falu, jam tempo estas!
La tuta homaro en familion
unuiĝi devas.
 »

— Louis-Lazare Zamenhof, Letero pri la deveno de Esperanto

Lorsque Louis-Lazare Zamenhof finit le gymnasium en juin 1879 et se prépare à aller à Moscou pour commencer ses études de médecine, son père, Markus Zamenhof, lui demande de lui remettre les documents concernant la Lingwe uniwersala. En effet, ce dernier estime les activités de son fils comme peu sérieuses en comparaison des études de médecine qui l’attendent et lui promet qu’il retrouvera ses documents intacts à son retour. Louis-Lazare Zamenhof remet à son père tous ses documents : dictionnaire, grammaire, œuvres originales et traductions. En 1881, il rentre chez ses parents, à Varsovie, pour y découvrir que son père, dans un accès de colère et malgré son engagement à les garder intacts, a brûlé l’intégralité des documents. Louis-Lazare Zamenhof ressort de cet évènement libéré de l’emprise et de l’autorité de son père et motivé à retravailler sur son projet de langue internationale. En effet, bien qu’il se soit concentré sur ses études, il n’a rien oublié de ses travaux. Il se remet donc au travail. Toutefois, sa réflexion sur la langue a évolué durant ses deux années à Moscou, et la langue sur laquelle il se met à travailler n’est plus la Lingwe uniwersala, mais la Lingvo universala, deuxième étape vers la création de l’espéranto.

Étude de la langue

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Malgré la petitesse du corpus, plusieurs textes proposent d’étudier les caractéristiques de la Lingwe uniwersala, dont le livre Lingvo kaj Vivo (eo) de Gaston Waringhien et l’article Variantoj de esperanto iniciatitaj de Zamenhof, de Christer Kiselman.

Pour Gaston Waringhien, la Lingwe uniwersala est basée sur trois principes qui se retrouvent également en espéranto : une grammaire le plus simple possible, des racines prises pour être internationales et une formation des mots par agglutination de racines invariables, d’affixes et de finales marquant la classe grammaticale[8]. D’après lui, la différence entre la Lingwe uniwersala et l’espéranto est que Zamenhof a appliqué les deux premiers principes avec plus de rigueur dans la conception de la Lingwe uniwersala[8]. Ce n’est que plus tard qu’il prendra en compte d’autres principes, comme la prosodie ou la clarté, qui vont parfois à l’encontre des trois premiers principes[8].

L’hymne contient toutes les lettres de l’espéranto, à l’exception des lettres accentuées (ĉ, ĝ[N 3], ĥ, ĵ, ŝ, ŭ) et de la lettre v[9],[8]. La langue comprend également d’autres lettres, absentes de l’alphabet de l’espéranto : ó et á (ou à) dans l’hymne, et w dans le nom de la langue[9]. La lettre w remplace la lettre v[8]. Il n’est pas possible de conclure que les lettres accentuées sont absentes de l’alphabet de langue[9].

Prononciation

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Pour Christer Kiselman, nous ne savons rien à propos de la prononciation[4]. Toutefois, il est possible de faire plusieurs hypothèses[4].

La première hypothèse est que la prononciation des mots de l’hymne est plus ou moins comme en espéranto[4]. Tous les phonèmes de l’espéranto, à l’exception de /t͡ʃ/, /d͡ʒ/[N 3], /x/, /ʒ/, /ʃ/, /w/ (correspondant respectivement aux lettres ĉ, ĝ, ĥ, ĵ, ŝ et ŭ), sont présents dans la Lingwe uniwersala[4]. Le son /v/ est écrit en utilisant la lettre w, plutôt que la lettre v, comme c’est le cas en espéranto[4].

La deuxième hypothèse est que l’accent tonique des mots sans accent aigu tombe sur l’avant-dernière syllabe : malamikete, homoze, familje, konunigare[4],[8]. Concernant les verbes au présent et à l’impératif, dont les lettres finales sont accentuées, si les accents aigus sont intentionnels, il est possible que leur accentuation soit portée sur la dernière syllabe : ka, es, de[8],[10].

Étymologie

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Les mots du corpus sont tous d’origine latine[9],[11]. Pour les racines, Zamenhof a préféré cadere à l’allemand fallen, qui donne fali en espéranto, ou encore debere au français devoir, qui donne devi en espéranto[11]. De plus, le suffixe -et-, utilisé dans malamikete, est plus proche du suffixe latin -it(as) que de l’italien -ezza, qui donne -ec- en espéranto[11]. Enfin, la terminaison à l’infinitif -are est une généralisation de l’infinitif du premier groupe en latin[11].

Le choix de la transcription des racines en Lingwe uniwersala a été influencé par la recherche d’une prononciation internationale[11]. L’utilisation de la lettre w pour noter le son /v/ semble être d’inspiration allemande ou polonaise[11]. La forme familje, plutôt que familio en espéranto, permet, comme en latin familia, en allemand Familie ou en français famille, d’avoir un accent tonique sur la syllabe mi : familje[11]. La forme nacje conserve l’accentuation du russe нация (nacija)[11].

La Lingwe uniwersala est, comme l’espéranto, agglutinante[9]. Ainsi, les mots sont formés par assemblage de morphèmes : mal-amik-et-e (mal-amik-ec-o en espéranto), hom-oz-e (hom-ar-o en espéranto), kon-un-ig-are (kun-unu-ig-i en espéranto)[9].

Classes grammaticales

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Comme en espéranto, le fait de marquer les classes grammaticales par une même lettre finale est présent[12]. Ainsi, la finale -e marque les substantifs singuliers (malamikete, homoze, familje). Le lettre -s est la marque du pluriel (nacjes). La lettre -a est la marque des adjectifs (uniwersala)[8]. Les pronoms personnels finissent en -o : so[8]. C’est aussi le cas pour la conjugaison, qui ne semble admettre qu’une forme pour chaque temps : pour le présent (está, debá), pour l’impératif (kadó) et -are pour l’infinitif (konunigare)[9],[8].

Il existe également un article défini : la au singulier et las au pluriel, et un pronom : so[9].

Il semble que, contrairement à l’espéranto, la Lingwe uniwersala soit dépourvue d’accusatif : la traduction en espéranto proposée par Zamenhof fait apparaitre deux mots à l’accusatif, marqué par la lettre -n (familion et sin)[9]. Toutefois, dans le texte en Lingwe uniwersala, il n’existe pas une telle marque de l’accusatif[9],[8].

La lettre finale des substantifs et des adjectifs peut être élidée : temp’ et tot’[8].

À ses débuts, l’espéranto possédait le pronom de la seconde personne du singulier ci. Toutefois, celui-ci a été supprimé au profit de l’unique pronom vi. Dans un réponse à une question concernant le pronom ci, parue dans La Revuo, Zamenhof écrit : « nous devrions par conséquent avoir un autre pronom de gentillesse (et ce type de pronom a effectivement existé en espéranto avant l’année 1878 »[9]. Kiselman s’interroge sur la date 1878 : se pourrait-il que ce soit une erreur d’impression pour 1887[9] ? En effet, avant 1887, la langue de Zamenhof ne portait pas encore le nom d’« espéranto »[9]. Toutefois, Kiselman met en avant que Zamenhof a expérimenté l’utilisation d’un tel pronom dans les versions antérieures à l’espéranto[9].

La Lingvo universala de 1881

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Louis-Lazare Zamenhof, vers 1885.

Zamenhof reprend son projet au retour de l'université, et améliore sa langue durant les années qui suivirent. Une grande partie de ses meilleures idées sont nées de la nécessité de traduire la littérature et la poésie d'autres langues. Un exemple de cette deuxième étape de la langue est l'extrait d'une lettre de 1881 :

Ma plej kara miko, kvan ma plekulpa plumo faktidźas tiranno pu to. Mo poté de cen taj brivoj kluri, ke sciigoj de fu-ći specco debé blessi tal fradral kordol…

Espéranto actuel : Mia plej kara amiko, neniam mia senkulpa plumo fariĝus tirano por vi. Mi povas de cent viaj leteroj konkludi, ke sciigoj de tiu ĉi speco devas vundi vian fratan koron…

(Mon cher ami, comment ma plume est-elle devenue un tyran pour toi. De la centaine de tes lettres, je peux conclure que des annonces de ce genre doivent blesser ton cœur fraternel…)

En 1887, Zamenhof publie Langue Internationale, où il décrit l'espéranto comme on le connaît aujourd'hui. Dans une lettre adressée à Nikolaï Borovko, il écrit : J'ai travaillé durant six ans à perfectionner et essayer la langue, ce fut en 1887 qu'elle me parut complètement prête.

Étude de la langue

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Première page du manuscrit de Zamenhof sur la Lingvo universala.

L'alphabet comporte toutes les lettres suivantes : a á b c ć d dź e é f g h ħ i j k l m n o ó p r s ś t u ŭ v z ź.

Prononciation

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La Lingvo universala a les mêmes phonèmes que l’espéranto[13]. Pour Kiselman, l’accent tonique est, comme en espéranto, porté sur l’avant-dernière syllabe, sauf pour trois des six formes verbales, pour lesquelles l’accent tombe sur la dernière syllabe[13].

Étymologie

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Classes grammaticales

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En Lingvo universala, tout comme l’espéranto, les noms finissent par -o, les adverbes par -e, les adjectifs par -a et les verbes à l’infinitif par -i[13].

Temps/Mode Terminaison Exemples
Présent -é, -è rajiśé, faktidźé, malviské
Imparfait -á, -à sidá, brulá, vididźá
Prétérit -u vidu, levu, ektisku
Futur -uj sciidźuj
Volitif alló, fajfó, potó
Conditionnel -as debas

Mots-simples

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La Lingvo universala, comme l’espéranto, possède des mots-simples (« tabelvortoj » en espéranto ; littéralement « mots du tableau »), construits à partir de 14 affixes : cinq préfixes et neuf suffixes[14]. Ainsi, le préfixe ći- (chaque) et le suffixe -an (temps) donne le mot-simple ćian (tout le temps)[14].

Préfixe Équivalent en espéranto Signification
k- i- indéfini
f- ti- démonstratif
kv- ki- interrogatif/relatif
ći- ĉi- collectif
fi- neni- négatif
Suffixe Équivalent en espéranto Signification
-u -u individu
-a -a qualité
-o -o chose
? -es possession
-i -e emplacement
-an -am temps
-ej -al cause
-e[N 4] -el manière
-om -om quantité

Seuls 13 des éléments sont attestés : le corpus ne contient pas d’élément correspondant au suffixe -es en espéranto[14]. Il est donc possible de reconstruire uniquement 40 mots-simples[14]. Parmi ces 40, seuls 21 sont attestés dans le corpus[14],[N 5].

Pronoms Singulier Pluriel
1re personne mo no
2e personne to vo
3e personne ro, śo po
3e personne réflexive so
o

Notes et références

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  1. Dans son article Variantoj de esperanto iniciatitaj de Zamenhof, Christer Kiselman évoque le gymnasium de Białystok. Bien que Louis-Lazare Zamenhof y soit né, la famille Zamenhof a déménagé vers Varsovie en 1873.
  2. La traduction du dernier vers donnée par Zamenhof est « unuiĝi devas ». Toutefois, des traductions proposées par d’autres espérantistes existent. Ainsi, Gaston Waringhien propose « unuigi sin devas » et André Cherpillod propose « Kununuigi sin devas ».
  3. a et b Dans son analyse, Christer Kiselman ne mentionne pas la lettre ĝ comme étant absente. Toutefois, elle n’apparait pas dans l’hymne.
  4. Contrairement à l’espéranto, en Lingvo universala, le suffixe -e est à la fois le suffixe de manière et la terminaison des adverbes[14].
  5. Les 21 mots-simples attestés sont kan, kom, fu, fa, fo, fi, fan, fej, fe, kvu/ku, kva, kvo/ko, kvan/kan, kve/ke, ćiu, ćio, ćii, ćian, fiu, fio, fian[15].

Références

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  1. Kiselman 2011, p. 49-50.
  2. (eo) Marjorie Boulton, Zamenhof: Aŭtoro de Esperanto, Barlaston, Esperanto-Asocio de Britio, (1re éd. 1962) (ISBN 978-0-902756-37-3), p. 20
  3. (eo) Aleksander Korĵenkov, Homarano: La vivo, verkoj kaj ideoj de d-ro L. L. Zamenhof, Kaliningrad et Kaunas, Sezonoj et Litova Esperanto-Asocio, coll. « Scio » (no 8), , 2e éd., 360 p. (ISBN 978-609-95087-4-0), p. 79
  4. a b c d e f g h et i Kiselman 2011, p. 50.
  5. Isaj Dratwer (trad. Maria Ziółkowska), Le Docteur Esperanto, Marmande, Éditions française d'Espéranto, p. 42.Voir et modifier les données sur Wikidata
  6. Kiselman 2011, p. 47.
  7. Kiselman 2011, p. 49.
  8. a b c d e f g h i j k et l Waringhien 1989, p. 38.
  9. a b c d e f g h i j k l m et n Kiselman 2011, p. 51.
  10. Kiselman 2011, p. 50-51.
  11. a b c d e f g et h Waringhien 1989, p. 39.
  12. Kiselman 2011, p. 52.
  13. a b et c Kiselman 2011, p. 53.
  14. a b c d e et f Kiselman 2011, p. 56.
  15. Kiselman 2011, p. 100.

Bibliographie

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Articles connexes

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